moulins

Publié le 15 Août 2023

socialisme communisme revolution lectoure

 

 

 

es lecteurs de cette rubrique consacrée au moulin et au meunier, abonnés ou lecteurs occasionnels du carnet d'alinéas, se répartissent en général en deux catégories : les amoureux des vieilles pierres, romantiques et champêtres, ou devenues telles par l'abandon, et les férus de mécanique et d'organisation logistique complexe, ce que ces lieux étaient à l'origine. On peut y rajouter quelques historiens, officiels ou érudits, recenseurs de la Société Archéologique du Gers, mémorialistes, privilégiant l'écrit, de préférence acte juridique, attestant des ventes, mariages, procès qui, s'ils ne disent pas l'art du charpentier de moulin et la façon du farinier, ont l'intérêt de mettre une date sur le porche de notre salle de la meule, un prix sur notre sac de mouture.

Mais sans doute avons-nous peu de lecteurs philosophes ou sociologues, ceci ne voulant pas dire que le sujet ne les intéresse pas. Ils s'éloignent simplement du commun et dominent, du haut de leur réflexion, notre chute d'eau et les deux pierres qui ronronnent au cœur de la bâtisse. Il est osé prétendre participer à leur savante analyse. Cette chronique sera... une goutte d'eau dans un fleuve de pensée profonde. Tant pis ! Mouillons-nous.

On ne présente plus Karl Marx (1818-1883). Philosophe, sociologue, théoricien de la lutte des classes et de la révolution ; il a inspiré les mouvements socialistes et communistes du 20ième siècle, avec la réussite et les drames que l'on sait. Sa vision matérialiste de l'Histoire le conduit à mettre en exergue la notion de déterminisme où les actions humaines sont liées et imposées par la chaîne des évènements antérieurs, en particulier en matière de technologie.

« En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel. »

Extraite de Misère de la philosophie (1847), cette citation, terriblement pessimiste, et surtout lapidaire, a été souvent et doctement commentée. Donc, si je comprends bien, le progrès technique ne libère pas. Du serf la technologie aurait fait au bout de l'histoire un prolétaire. Sous-entendu jusqu'à la lutte finale où les prolétaires de tous les pays s'unissent et, victorieux... tombent alors sous le joug d'un nouveau maître : le collectif, stade ultime et que l'on espère idéal.

 

moulin à bras , moulin romain, moulin antique antiquité, esclave

 

Disons tout d'abord que le raccourci historique marxien, "du moulin à bras à la minoterie", englobe et masque à la fois dans l'intervalle les moulins hydrauliques et à vent et la complexité de leur apparition dans nos sociétés. Marx faisant rentrer cette image aux forceps dans sa théorie, sans trop de détail, c'est le risque de toutes les métaphores... et le défaut de toutes les idéologies. Or, ce n'est qu'une question de découpage schématique et pédagogique des temps historiques mais le moulin à bras correspond plutôt à l'Antiquité, ou aux temps barbares, et non au système féodal moyenâgeux qui leur a succédé. Les historiens considèrent que c'est plutôt la multiplication du moulin hydraulique qui marque la société médiévale.

Et puisque les moulins, hydraulique et à vent, sont le centre d'intérêt de cette rubrique du carnet d'alinéas, essayons de savoir s'ils ont été un lieu de servitude ou bien de libération.

Il est communément admis comme une évidence que l'utilisation de la force hydraulique a soulagé l'homme, l'esclave, figuré par le magnifique Samson de l'illustration ci-dessus, et sans doute plus encore la femme affectée à la mouture domestique quotidienne. Cette mécanisation d'une tâche répétitive a permis le report de la force du travail vers le défrichage des terres, l'agriculture, le bâtiment, l'artisanat. Cause ou effet on en discute encore, le moulin participe ainsi au fort développement économique et démographique du Moyen-Âge. Que l'avènement de la mécanique mue par les énergies naturelles soit vu comme un progrès ou comme un nouvel esclavage, c'est effectivement là le débat philosophique.

David Ricardo, économiste anglais (1772-1823) avait déjà pris le moulin en exemple, et Marx le cite, toujours dans Misère de la philosophie. " S'il fallait dix hommes pour tourner un moulin à blé, et qu'on découvrît que par le moyen du vent ou de l'eau le travail de ces dix hommes pourrait être épargné, la farine qui serait le produit de l'action du moulin tomberait dès ce moment de valeur, en proportion de la somme de travail épargné : et la société se trouverait enrichie de toute la valeur des choses que le travail de ces dix hommes pourrait produire...". Si la société est enrichie alors... Ricardo, économiste libéral classique, ne remet pas en cause, lui, le système. Le temps des révolutions n'est pas encore venu.

 

Un site très convoité

chateau fort et moulin, moulin moyen âgeux, moulin fort

Il est probable que l'emplacement du moulin sur le cours d'eau ait été défriché et aménagé à l'origine par un modeste artisan, vannier, potier, pêcheur... Jardin des origines industrielles... bucolique sauf le passage de quelque horde barbare à intervalle. Précisément, le seigneur n'est venu se mêler à cette industrie que dans un deuxième temps, justifiant sa main-mise par sa capacité à protéger les artisans œuvrant sur la berge, à fortiori si elle s'étend au pied de la place forte. Le déterminisme c'est la géologie. Car un moulin hydraulique est, par nature, installé sur un passage permettant de traverser le cours d'eau : marche rocheuse, talus, retenue, gué, passerelle et pont, autant de points géographiques sensibles à surveiller, défendre... et taxer évidemment ! Façon de gouvernement.

Sans prétendre à une écriture de l'Histoire, nécessairement simpliste dans une chronique, on peut raisonnablement attribuer aux ordres religieux l'idée initiale d'organiser systématiquement leur domaine agricole de manière autarcique. De façon moins réglée, le seigneur laïc se dotera également du moulin qui lui garantit, à portée de mulet, un approvisionnement alimentaire essentiel. Et pour faire bon poids, en imposant le monopole de la mouture aux paysans du domaine au moulin banal, abbé et seigneur, plus tard les consuls, inventent sans le savoir, le principe comptable d'amortissement de l'investissement. Investissement qu'ils sont les seuls à pouvoir réaliser, d'une certaine façon pour le compte de la collectivité, un petit bénéfice en sus si possible. Comme ses capitaines et ses clercs, le meunier du domaine féodal, expert et industrieux, occupera progressivement une place de plus en plus importante dans la communauté rurale ou urbaine, parmi les premiers artisans à s'élever sur l'échelle sociale et à préfigurer la bourgeoisie de la Renaissance.

Ainsi, le moulin n'est-il pas simplement, ou uniquement, un outil de domination de classe mais le théâtre d'un transfert du pouvoir, progressivement, du domaine de la puissance militaire et de la propriété noble supposée originelle et divine, vers celui de la compétence et du mérite.

Plus tard, le vent n'appartenant pas au seigneur et les serres de Gascogne présentant leurs croupes généreuses alternativement au vent de Bayonne et à l'Autan, l'énergie éolienne offrira autour de Lectoure autant d'opportunités d'indépendance et d'espoirs d'enrichissement à de modestes fariniers. Pas moins de dix moulins à vent, à quelques dizaines de mètres les uns des autres, s'installeront sur le plateau de Lamarque, disons pour situer cet étonnant alignement aujourd'hui, à l'est de la citadelle, le long de la N21, entre la statue de notre maréchal et la Gendarmerie. Mais la manne, moissons ou appétit des populations, n'est pas extensible à l'infini et, de puissant, le meunier deviendra fragile, avant que la vapeur, l'électricité, la minoterie industrielle et le capitalisme ne rebattent à nouveau les cartes. Et ne délaissent Lectoure. Notre meunier n'est pas devenu prolétaire, non, il a tout simplement disparu de la campagne française.

moulin à vent, bourgeoisie meunière, fin des moulins, meunier meunière

 

Du père-abbé de Saint-Gény

au Maréchal Lannes

On pardonnera à notre chronique le raccourci chronologique de ce paragraphe ; vu par les historiens méthodiques et patients c'est la faiblesse du genre. Mais sa force aussi car il offre la matière pour alimenter notre dialogue avec Marx, d'un moulin à l'autre, du bord du Gers aux Peyras albas, les pierres blanches, notre actuel quartier des Justices où des moignons de moulins à vent résistent à la poussée du grand commerce, cousin du grand capital.

S'il est admis généralement que les ordres religieux ont donné le ton, nous pouvons penser que le moulin de Saint-Gény est le plus vieux des grands moulins de Lectoure, bien qu'aucun écrit ne vienne attester de cette antériorité. Il a sans doute moins changé que l'abbaye bénédictine elle-même qui a totalement disparu.

Les monastères ont inventé et modélisé une économie communautaire où la règle de l'Ordre traite dans le détail du travail de la terre, de la botanique et du cheptel, du jardin des simples et de la santé, de l'artisanat, de la gestion financière du domaine etc... Certes, communautaire ne veut pas dire collectif, participatif ou coopératif. L'économie monastique fait partie du système féodal, hiérarchisé et autoritaire. Les serfs, les travailleurs libres, les frères et sœurs lais ou convers, parmi lesquels le meunier, d'extraction populaire pour ne pas dire prolétarienne, travaillent sous l'autorité du père-abbé et de son chapitre composé de moines de chœur en général issus de la noblesse. Pour la gloire de Dieu et le salut des hommes. Cependant, on attribue également aux ordres religieux l'institution d'activités intellectuelles qui, au delà du pain quotidien, par l'enseignement en particulier, ont profité à l'ensemble de la communauté et aujourd'hui à notre patrimoine collectif : conservation et reproduction des écrits antiques, arts et sciences, architecture... et philosophie justement.

moulins de lectoure, moulin religieux, moine meunier

 

Les moines de Saint-Gény installèrent leur moulin sur l'affleurement rocheux où se rejoignent les socles géologiques des promontoires de Lamarque et de Sainte-croix. Pour le reste, la rivière n'offrant pas d'autre assise stable, il fallut s'écarter de la berge. C'est ainsi que naquit Repassac. Un bras artificiel du Gers fut ouvert dans une boucle de la rivière et le moulin posé par-dessus. Repassac : A riù passat, c'est le sens de ce nom que la cartographie dessine parfaitement.

moulin citadin, consul meunier, vicomte, roi d'angleterre, armagnac, maréchal d'empire

 

Cette construction fut sans doute dès l'origine un partenariat entre les deux-co-seigneurs de Lectoure, l'évêque, ici comme ailleurs souvent en compétition voire en opposition avec le monastère et vivant parmi les laïcs, dans le siècle, chef de l'église séculière, et son alter ego civil, le vicomte de Lomagne, chacun à un bout de l'éperon rocheux, cathédrale à l'est et repaire fortifié à l'ouest. Au pied du promontoire, sous la surveillance du château, Repassac allait devenir, et rester jusqu'au dix-neuvième siècle, le reflet meunier du partage du pouvoir à Lectoure. Le roi d'Angleterre passant par-là au 13ième siècle ainsi que l'hôpital du Saint-Esprit* installé devant le château vicomtal, prirent leur part de la farine, des revenus et des charges, car les meules demandent à être changées régulièrement et les canaux rognés par les crues répétitives relevés. La rentabilité du capital n'est pas évidente. Puis, le comte d'Armagnac, ayant acquis la vicomté par mariage, entra dans la "société Repassac". Battu par les armées de Louis XI, il fut remplacé dans la liste des propriétaires par le maréchal de camp du roi, le seigneur de Galard de Terraube, auquel succèderaient la maison d'Albret et de Navarre et le roi de France qui en est issu, noste Enric. Ainsi se succédèrent jusqu'à la Révolution, les propriétaires nobles du grand moulin de Lectoure. A la vente des biens nationaux qui s'imposa pour financer les guerres révolutionnaires, Jean Lannes, brillant et fraîchement émoulu général des armées de la République, fit l'acquisition d'une part du moulin de Repassac**, et par la même bonne occasion, de l'évêché, notre actuelle mairie, réunissant à nouveau ainsi dans son barda les insignes des deux pouvoirs de l'ancien régime, des vieilles classes dominantes selon le vocabulaire marxiste, civile et religieuse. Très vite, l'Empire qui suivit glorieusement ne moissonnant pas plus d'une quinzaine de saisons avec le sort dramatique que l'on sait, et la fin tragique, sur le Danube, du lectourois devenu maréchal,  Repassac devint finalement la propriété de professionnels, meuniers roturiers maîtres chez eux, générant de nouvelles lignées héréditaires, industrieuses celles-ci.

Mais, les économistes estiment qu'il faut une meule pour nourrir 500 habitants. Lectoure ayant compté au Moyen-Âge, jusqu'à 5 ou 6 000 habitants intra-muros, Saint-Gény et Repassac n'y suffirent pas. Avant le développement des moulins à vent, d'autres seigneurs de second rang s'installèrent sur les ruisseaux, à Lesquère, sur le Saint-Jourdain, à Bournaca... Mais les vicissitudes des lignées nobles et les aléas du faible débit des ruisseaux lectourois conduisirent en sus à l'installation de moulins bourgeois sur l'aval du Saint-Jourdain, actuel ruisseau de Foissin, notamment un moulin dit d'En Galin, du nom de son propriétaire, devenu consul de la ville, Raymundus Sans d'En Galini***. L'effritement du pouvoir féodal avant même le 4 août 1789, et le marché de la population à nourrir ont ainsi donné naissance à l'importante corporation meunière de la Renaissance. Importante par le nombre d'établissements mais relativement peu créatrice d'emplois, l'exploitation y étant familiale. Le garçon meunier est souvent le fils ou le neveu du patron et appelé à lui succéder ( Lire ici notre portrait du garçon meunier ). Quelques hommes de main sont employés à curer les fossés et à diverses tâches pénibles et dangereuses, ingrates et très peu rémunérées. Une main-d’œuvre que Marx pourra légitimement qualifier de prolétarienne mais qui ne fera pas la révolution, catégorie trop peu nombreuse, ouvriers ruraux dispersés, sans conscience de classe.

Je laisserai, pour ici et aujourd'hui, le mot de la fin de ce petit tour d'horizon politico-sociologique à Jean Duché, journaliste et chroniqueur, qui dans son Histoire de France racontée à Juliette (1954), s'amusait, par une pirouette, du déterminisme de Marx en prenant à son tour pour métaphore, le collier d'épaule, cet élément du harnais du cheval attelé pour tirer une charge, invention qui a révolutionné la traction animale. " Cette phrase [de Marx à propos des moulins] est pleine de vérité. Ou à moitié pleine. Si nous parlions du collier d'épaule ? Du collier d'épaule sort les transports, des transports le commerce, du commerce la bourgeoisie, de la bourgeoisie les libertés communales, des libertés communales le tiers-état, du tiers-état la Révolution française et Denis Papin, de Papin la machine à vapeur, de la machine à vapeur le capitalisme, du capitalisme la révolution russe. Résumons-nous : du collier d'épaule sort la révolution russe. J'espère qu'on me saura gré d'avoir apporté mon eau au moulin matérialiste. Au moulin à eau bien entendu. Car le moulin à vent qui apparut au 12ième siècle, ne fit pas la société féodale, pour la raison qu'elle existait depuis trois cents ans. Le moulin à vent fit de la farine ".

                                                                              Alinéas

 

 

* Le moulin de Repassac dans les comptes de l'hôpital du Saint-Esprit, chronique du carnet d'alinéas : [ cliquez ici ]

** Lire les vicissitudes de l'époque révolutionnaire et les détails de la fin du moulin de Repassac dans Moulins de Lectoure-Lomagne, Enquête recensement, de Georges Courtès (collectif), Société Archéologique du Gers 2022.

*** La délimitation du pouvoir juridique et fiscal des consuls de la ville de Lectoure d'un moulin à l'autre, chronique du carnet d'alinéas : [ cliquez ici ]

BIBLIOGRAPHIE :

In Nouvelle histoire du Moyen-Âge. Collectif. Florian Mazel, ed. Seuil 2021

  • Florian Mazel, La domination seigneuriale VIIIième - XIième siècles
  • Samuel Leturcq et Florian Mazel, Le grand essor agraire Fin XIième - début XIVième siècles
  • Valérie Theis, Mobilité et stratifications sociales - XIième-XIIIième siècles

ILLUSTRATIONS :

- Titre : montage Michel Salanié. Chute d'eau de la Mouline de Roques.

- Samson prisonnier des Philistins, tourne la meule de la prison, Carl Bloch 1863, Musée national d'art de Copenhague.

-Château et moulin de Cabrerets (Lot). Carte postale collection particulière. Moulin incendié en 2016. https://www.lot-46.com/cabrerets-le-moulin-du-chateau-devaste-par-le-feu/

- Moulin à vent, carte postale du Lot collection particulière.

- Moulin de Saint-Gény, Lectoure. Michel Salanié

- Cadastre napoléonien, Repassac sur un bras du Gers, Archives du département Gers.

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Publié le 15 Octobre 2022

 

DÉBROUSSAILLER LES BERGES

DE L'HISTOIRE

 

L'histoire des moulins est très bien documentée. De nombreux amateurs font joliment revivre les moulins à vent et à eau allant jusqu'à moudre et panifier à l'ancienne. Si la meunerie et l'alimentation d'autrefois sont associées dans notre esprit, meuniers et boulangers ne doivent toutefois pas être confondus. Un patrimoine précieux est mémorisé mais muséifié. Et de fait résumé. C'est le progrès.

Alinéas ne prétend pas réécrire ce qui a été très bien écrit ici et là. Mais autour de Lectoure et parfois plus loin, il y avait quelques moulins disparus qu'il fallait dégager sous la broussaille. De plus, nous nous sommes attachés à dessiner le portrait des hommes et des femmes qui ont actionné cette mécanique. La meunerie est à l'origine de notre industrie moderne. Elle est la parfaite illustration de l'ambition et du génie de l'homme.

Voici rassemblées et accessibles par un simple clic les 18 chroniques publiées depuis 2017 sur ce cybercarnet.

 

                                                                               Alinéas

 

L'HISTOIRE

LE MOULIN DONJON voir ici

MOULINS FORTS de LEO DROUYN voir ici

 

LA TECHNIQUE

CHOIX DE L'EMPLACEMENT du MOULIN HYDRAULIQUE voir ici

LA MECANIQUE voir ici

SOURCES, RUISSEAUX, ETANGS voir ici

MOULINS A VENT et HYDRAULIQUE ASSOCIES voir ici

TOUS LES MOULINS en MODELE REDUIT voir ici

MECANISME à 2 MEULES

 

LES MOULINS DU LECTOUROIS

LE DERNIER MEUNIER de LECTOURE voir ici

MOULINS et COUTUMES de LECTOURE AU XIIIème siècle voir ici

LA RANDONNEE DES MOULINS voir ici

LE RECENSEMENT DES MOULINS DU CANTON voir ici

MOULINS DISPARUS voir ici

MOULINS DU 17ème et 18ème voir ici

 

LES HOMMES et LES FEMMES

LE MEUNIER voir ici                                     

LA MEUNIERE voir ici                                                                                       

LE GARÇON MEUNIER voir ici    

LE MOULIN ESPACE DE JEU voir ici

 

DANS LA LITTERATURE

LES MEUNIERS DES CONTES DE GASCOGNE par Bladé voir ici

 

 

Illustration :  Le trésor des Histoires ou Le trésor de Sapience, Collection Cotton MS Augustus V, British library, Wikipedia.

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Publié le 26 Mai 2022

Moulin  à vent - lectoure - laucate - plateau de lamarque - recensement des moulins du gers - sociéta archèologique du gers

 

Hérisson : drôle de nom pour une pièce de mécanique ! L'ancêtre du charpentier de moulin, comme tous les artisans, est allé chercher dans la nature et dans son environnement immédiat les termes qui permettaient de désigner ses inventions de façon imagée. La pièce de bois et de métal que les recenseurs lectourois de la Société Archéologique du Gers (SAG) ont découvert à Laucate, moulin à vent situé à la pointe du plateau de Lamarque à Lectoure, a dû attendre l'expertise de la Planète des Moulins de Luzech (Lot) pour avouer son nom et en même temps sa fonction.

Le moulin de Laucate est aujourd'hui la propriété de Jacques Barbé, fils de Léo Barbé, photographe, historien, ancien secrétaire de la SAG, disparu en 2013, qui avait heureusement entretenu ce bâtiment hérité de son grand-père meunier, en particulier en rénovant sa toiture, c'est par là qu'il faut commencer évidemment. Peu de vestiges de l'installation meunière subsistent et, dressée sur un mur à proximité, cette roue intriguait et sa fonction avait été oubliée. Le dernier meunier, Baptiste Ricau, descendant d'une vieille lignée de meuniers Taurignac-Ricau, selon les époques et en fonction des mariages, exploitants ou propriétaires des moulins à vent de Sainte Croix, des Justices, et des moulins à eau d'Aurenque, Pauilhac, Marsolan, et des moulines de Ducos et Canteloup que nous ne localisons pas, a probablement cessé son activité en 1871-1872, comme toute la corporation sous l'effet de la concurrence de la minoterie.

moulin de laucate - lectoure - léo barbé - meunier - moulin à vent désaffecté
Baptiste Ricau devant le moulin de Laucate désaffecté

Le hérisson est une roue qui permet de démultiplier le travail des ailes et du bras du moulin à vent en actionnant simultanément deux lanternes et deux meules. Il ne s'agit pas en général de produire plus de farine mais de travailler en même temps ou successivement avec deux pierres de qualités différentes, pour moudre deux variétés de céréales, souvent une céréale destinée à la boulangerie et la seconde destinée à l'alimentation animale, la Lomagne étant historiquement un pays d'élevage. Ce dédoublement de l'énergie éolienne est ingénieux et précieux dans un pays où les vents ne sont pas réguliers et où chaque épisode venteux doit être exploité au mieux. Posséder deux moulins n'est pas donné à tout le monde et s'ils sont distants il y faudra deux meuniers, qui devront se partager le bénéfice... Tenant à maîtriser son affaire et son revenu, grâce au hérisson le meunier actionnera ses deux meules à vue.

Le hérisson se distingue du rouet par le positionnement de ses alluchons (dents ou pointes de bois) en prolongement de la pièce lorsque ceux du rouet installé sur l'arbre tournant sont orientés perpendiculairement au support. S'il est ingénieux, le système présente cependant des contraintes. La première étant, dans les moulins gascons souvent de petit diamètre, la nécessité d'aménager deux niveaux pour pouvoir positionner l'une au-dessus de l'autre les deux meules dans l'espace disponible. La seconde étant le poids supplémentaire généré par le développement du système et partant, la nécessité de disposer d'une puissance du vent supérieure si l'on veut actionner les deux meules ensemble. Ce que l'on gagne en doublement de la capacité de travail peut être en partie perdu par la dépendance d'un vent plus fort.

schéma mécanique moulin à vent - rouet - hérisson - lanternes

 

A l'occasion de la donation du hérisson de Laucate par Jacques Barbé, Jean Rogier, du musée de Luzech, commentait le schéma de l'installation. " L’ensemble schématisé ici met en évidence les fonctions différenciées de ces deux organes de transmission.

Le rouet, solidaire de l’arbre moteur, constitue un engrenage d’angle avec une lanterne ou un pignon, pour transmettre le mouvement de rotation à l’arbre de transmission vertical.

Le hérisson, lui, solidaire de l’arbre vertical de transmission, engrène sur des pignons ou lanternes satellites afin de pouvoir mettre en rotation simultanément plusieurs meules. Chacun de ces pignons est mis en prise ou non à la demande.

Les hérissons sont des organes de transmission communs aux moulins à vent et à eau

Au courant du dix-neuvième siècle, la fonte d’acier prend progressivement la place du bois. D’abord mixtes, en bois et métal, les jeux d’engrenages deviendront entièrement métalliques grâce à une connaissance plus fine des profils des engrenages et une meilleure maîtrise des techniques de coulée."


Si le système peut avoir son équivalent dans les moulins hydrauliques, ce n'est pas systématique. Car là où le moulin à vent ne peut pas comporter deux jeux d'ailes, deux prises au vent,  le moulin à eau lui, peut être doté de plusieurs prises sur le cours d'eau ou sur le réservoir, chacune alimentant son propre rouet, les meules étant dans ce cas totalement indépendantes, sans l'intervention d'un hérisson. Le stockage du potentiel hydraulique en amont du bâtiment est l'un des avantages du moulin à eau qui lui ont permis de survivre à la révolution technique quelques années de plus avant d'être dépassé, à son tour.
 

On le voit bien, tout le raisonnement du meunier le conduit à mettre en œuvre les améliorations techniques et l'organisation du travail susceptibles d'accroitre la productivité et la rentabilité de son appareil lesquels sont le moteur de l'inventivité humaine.

Dans la revue de la Société Archéologique du Gers de 1981 (page 13), une publication de Paul Magni signale au moulin de Pauilhac, sur la route qui relie Terraube à Fleurance, un système probablement de ce type : "Le mécanisme incomplet présente un double système de meules au 2ème étage. Les engrenages sont situés à l'étage inférieur (1er étage). Une grande roue à alluchons rayonnants, horizontale, devait communiquer aux deux lanternes le mouvement vertical d'un système classique". On comprend que "la grande roue à alluchons rayonnants", c'est à dire le hérisson, a disparu de Pauilhac. Ce moulin ayant fait partie du réseau de la lignée Taurignac-Ricau, peut-on imaginer Baptiste Ricau emportant à Lectoure cette pièce précieuse devenue inutile lorsque l'activité de Pauilhac a cessé, l'artisan espérant encore faire bénéficier son dernier moulin de ce plus technologique ? Dans tous les cas, il était trop tard. Les moulins à vent se sont multipliés au 18ième, en particulier du fait de la fin des privilèges nobles, au point de provoquer l'installation d'entreprises trop nombreuses et de trop petite dimension, qui seront fatalement très vite non rentables, avant même l’avènement de la minoterie. Les ailes de Laucate ont arrêté de tourner comme toutes celles de Lomagne et de France. L'engrenage de l'histoire travaille inexorablement et le hérisson a été abandonné contre son vieux mur.

hérisson - roue à alluchons - musée de la planète des moulibns luzech
Le hérisson de Laucate conservé par Léo Barbé

 

Devenus romantiques par l'effet de la ruine, de la végétation envahissante, au bord de l'eau ou au sommet de nos paysages collinaires, les moulins sont avant tout on le sait, à l'origine de l'industrie moderne, en particulier de la turbine, omniprésente dans les domaines de l'énergie et du transport. Les recenseurs de la Société Archéologique du Gers relèvent souvent dans les archives, au cadastre, dans les dénombrements et sur les actes d'état civil ou les contrats commerciaux, la mention "usine" en lieu et place de "moulin" ou de "mouline" et la qualité "vivant de son industrie" attribuée au meunier. La conjonction du développement de la minoterie, de l'électricité et du transport ferroviaire a déplacé en très peu de temps l'énergie, l’innovation, la croissance et la création de richesse vers d'autres centres économiques. On n'arrête pas le progrès. Le hérisson de Laucate est entré au musée de La planète des Moulins de Luzech. Rénové, documenté, il participe à l'enrichissement de la mémoire du travail et de l'ingéniosité des meuniers d'autrefois.

 

                                                        Michel Salanié

 

Lire également ici l'histoire du couplage éolien/hydraulique des moulins de Bazin et de Laucate.

 

Avec la collaboration amicale et technique de LA PLANÈTE DES MOULINS, à Luzech dans le Lot https://www.museelaplanetedesmoulins.fr/  dont nous recommandons la visite.

 

Illustrations :

Photo du moulin de Laucate, vu depuis Saint-Gény: Michel Salanié

Photo de Baptiste Ricau aimablement communiquée par la famille Barbé

Schéma : © Collection Wind Mill, by le Lez-Art. Exceptionnelle galerie de photos et d'illustrations http://lezart.free.fr/moulin1.htm

Photo du hérisson de Laucate : Jacques Barbé

 

 

 

 

 

 

 

 

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Publié le 6 Décembre 2021

lectoure - moyen-âge - moulins - farine - droit de mouture - meunier - bourgeoisie

 

Ce carnet l'a maintes fois démontré, les moulins occupent dans la société médiévale une position essentielle. La meunerie est un privilège de la noblesse, d'épée ou d'église. Les paysans attachés au domaine seigneurial doivent impérativement moudre leur blé au moulin banal. Sur le plan des moyens de communication et partant de la sécurité des campagnes et des villes, offrant un gué, une digue ou un pont, le moulin est un point de passage stratégique. Naturellement, la culture céréalière et la meunerie assurent une grande part de l'approvisionnement alimentaire de toutes les classes sociales. Enfin en temps de guerre, la destruction ou l'occupation du site par l'ennemi peuvent mener rapidement à la défaite. Pas de farine et c'est la famine à courte échéance. Il faut relire (ici), le surprenant récit de l'opération commando du gascon Montluc contre le moulin d'Auriol qui alimentait l'armée de Charles Quint en Provence. Lors du siège de Lectoure par l'armée de Louis XI en 1473, et alors que la ville n'a jamais manqué d'eau potable, il est tout à fait probable que la neutralisation des moulins au pied de la citadelle ait joué un rôle dans sa reddition, bien qu'aucun témoin de l'évènement ne nous le rapporte sous cet angle.

Deux cents ans plus tôt, les Coutumes de la ville attestent que l'activité meunière occupait déjà une place importante, ici en matière d'ordre public et de finances locales, ceci allant souvent de pair. A cette époque, la meunerie est donc affaire noble et l'on se soumet par la force du système féodal au paiement du droit de mouture, qui assure au seigneur l’approvisionnement de sa maison, et l’excédent une part importante de son revenu numéraire. Mais le travail et la gestion du moulin au quotidien sont délégués au meunier, homme lige qui prendra de plus en plus de poids dans le système au point de devenir indispensable et par là-même, sans doute parfois avide. Le meunier n'est pas aimé (voir son portrait ici), les litiges se multiplient où le seigneur ne peut être juge puisqu'il est également partie. Ici va intervenir le pouvoir municipal qui tient son autorité des Coutumes.

 

coutumes de lectoure - consuls - co-seigneurs - évêque - vicomte de Lomagne - roi de France angleterre
Seigneur jurant devant les consuls de respecter les libertés et franchises de la ville

Les Coutumes de Lectoure ont été accordées à la ville de longue date et progressivement par ses trois co-seigneurs, le vicomte de Lomagne, l'évêque et le roi, alternativement de France et d'Angleterre. Certains historiens n'hésitent pas à en faire remonter l'origine à l'époque gallo-romaine, invoquant, à titre de preuve écrite, la mention Res Publica Lactoratensium relevée sur les autels tauroboliques du II ième siècle, mais ceci est une autre histoire. Partout en France et en Europe au Moyen-Âge, on voit dans ce développement de l'influence de la bourgeoisie citadine impatiente d'intervenir sur l'organisation et la gestion de la ville, les racines des évolutions politiques de la Renaissance et du 18ième siècle.

Les Coutumes régissent un grand nombre de situations juridiques telles l'élection des consuls et des juges prudhommaux, l'exercice de la police et de la justice, la contribution des citoyens à la guerre, les péages, la présence des étrangers, le droit civil, l'héritage, la prévention de l'incendie, les ordures et les autres nuisances, les coups et blessures, le commerce, la viande, le vin, les produits précieux, sel, cire et suif... On le voit, il y a là un véritable arsenal juridique, impactant toutes les situations de la vie courante, évitant ainsi de s'en remettre à l'arbitraire de la justice seigneuriale.

Tout à la fois privilège noble, source de revenu essentielle et cause de litiges, l'activité meunière fait évidemment partie des domaines où les consuls de Lectoure ont voulu intervenir. L'article 91 des Etablissements et usages qui complètent les Coutumes dispose que les habitants de la ville sont tenus de faire peser leur blé "a las mazos assignadas on son los pes", aux instruments de mesure règlementaires dira-t-on aujourd'hui, probablement dans la maison commune, notre halle municipale.

Ainsi pense-t-on éviter la contestation toujours possible sur la quantité de céréale apportée au moulin et sur la farine restituée par le meunier.

Bien sûr, l'opération de pesage est assortie d'une taxe, et son non-respect d'une sanction, les consuls se dotant à cette occasion d'un important moyen financier supplémentaire. A Lectoure comme ailleurs, les coutumes sont à l'origine de la fiscalité des collectivités locales qui, si les moulins ont arrêté de tourner, n'a pas fini de se développer, au gré de l'inventivité et de la détermination du législateur, ceci dit pour ne désigner personne en particulier.

Mais qui sont les habitants sur lesquels pèse cette règlementation ? Les limites communales attendront le cadastre napoléonien et la circonscription de l'obligation de pesée de la céréale instituée par les Coutumes doit donc être précisée. L'article 91 trace un périmètre que l'on peut considérer comme la première définition de la juridiction municipale de Lectoure: " E totz habitans e habitayrit[z] de Laitora stans dintz los termes dejus scrius, so esassaber: del Pont de Pielas entro Peyras albas, e de Peyras albas entro l'ariu d'Antin ayssint cum s'en debara entro lo goan de sober lo molin de Sent Ginni, e dequi assinc cum s'en deuara lo Giers entro on lo riu dé Santz Jordan entro el Giers, e dequi entro la molia de R. S. de Galin aissint cum lo prédit riu maua, e de la dita molia d'en R. S. d'Engalin entro a Peyras albas".

Ce que l'on peut traduire ainsi en reportant les repères sur une carte contemporaine.

carte de lectoure moyen-âge - gers - ruisseau de foissin - saint jourdain - ruisseau des balines

Mais pourquoi ne pas avoir été au-delà de cette limite hydrologique ? Parce que ce serait empiéter dangereusement sur les domaines seigneuriaux ruraux, outre Gers, vers le Castéra, Plieux et Fleurance et provoquer un casus belli. La préoccupation des consuls est d'asseoir raisonnablement leur autorité sur la ville, intra-muros et à peine un peu plus, au pied du promontoire, en fonction de leur capacité physique de police et de justice. Les ruisseaux des Balines (d'Antin à l'époque) et de Foissin (Saint-Jourdain) et le Gers sont, au 13ième siècle, une sorte de zone industrielle qui dépend économiquement de la ville et réciproquement. Etendant son autorité au-delà de ses remparts, Lectoure intègre ainsi les habitants des écarts de Saint Gény, du Pont de piles et du quartier des Ruisseaux, ceux du faubourg aussi bien entendu mais il n'y a pas encore de moulins à vent aux Justices. La ville fait surtout porter sa juridiction sur les moulins à eau eux-mêmes, qui, bien que restant sans doute pour l'essentiel la propriété éminente des seigneurs, se voient soumis, et les meuniers exploitants avec, à l'autorité civile, au moins sur ce point de la lutte contre la fraude et de la sécurisation des transactions.

Ce périmètre de juridiction de l'article 91 nous pose toutefois un problème de toponymie. Nous ne savons pas si la mouline dite par le texte "de R.S. de Galin" correspond à l'une des moulines du quartier des Ruisseaux, peut-être la mouline de Roques par rapprochement phonique avec la commune voisine de Larroque-Engalin, ou bien en amont, à la mouline de Belin qui devait exister à l'époque mais sous un autre nom, le patronyme Belin apparaissant au 16ième. Ceci ne change pas le tracé du périmètre d'autant que l'article 91 précise que le ruisseau est concerné intégralement pour autant qu'il puisse moudre (aissint cum lo prédit riu maua), s'assurant ainsi de couvrir l'établissement d'un éventuel nouveau moulin, magnifique formule de précaution et d'anticipation de l'emprise coutumière. Raymundus Sans d'En Galini* que l'on pense être le propriétaire de ce moulin, qui n'est pas qualifié de noble, exemple précoce peut-être de la montée en puissance de la bourgeoisie meunière, est consul de Lectoure en 1273. Son nom sert à donner une date à la rédaction des Etablissements annexés aux Coutumes, ou tout au moins à celle de l'art. 91.

Depuis les moulines du ruisseau de Saint-Jourdain et le moulin de Repassac, comme une bretelle entre le périmètre et le cœur de ville, l'actuel chemin de la Mouline perpendiculaire à la côte de Pébéret et aboutissant au bastion du château, était appelé à cette époque la peyrahariera, le chemin farinier. Ceci peut nous paraître aujourd'hui romantique mais il faut imaginer le va-et-vient incessant et laborieux de mulets et de garçons meuniers pour alimenter la citadelle. Pas encore de permis de conduire, de police d'assurance, de code du travail ou de contribution économique territoriale, mais avec l'article 91, le processus administratif est bien en marche.

                                                                            Alinéas

 

* Les trois orthographes sont rapportées : de Galin, d'Engalin et d'En Galini.

 

ILLUSTRATIONS :

- Titre : Illustration tirée de l'armorial de Guillaume Revel, vers 1440. Bourg de Bellegarde.

- Seigneur jurant devant les consuls d’Agen de respecter les libertés et franchises. Bibliothèque d’Agen, Livre des statuts et des coutumes de la ville d’Agen, XIIIe siècle.

- Carte Géoportail - plan M. Salanié

 

COUTUMES, ETABLISSEMENTS et USAGES de LECTOURE rapportés par Paul DRUILHET :

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 20 Septembre 2021

journées européennes du patrimoine  Lectoure 2021 - randonnée des moulins - de moulin en moulin

 

Le thème des dernières journées Européennes du Patrimoine : "Patrimoine pour tous". Joli programme. Inciter ceux qui n'y vont pas spontanément, à découvrir les musées près de chez eux. Ouvrir les portes des bâtiments publics, exploités au quotidien et dans l'ombre par les fonctionnaires et les agents des services publics. Profiter de la générosité de particuliers propriétaires de magnifiques intérieurs, heureux de partager pendant quelques instants leur passion de la conservation et de la rénovation.  Et si le patrimoine était également devant nos yeux ? Accessible tous les jours. Tout simplement. Les randonneurs le savent : le paysage de nos campagnes est un trésor inestimable. La nature, le silence, la lumière changeante... et puis les bâtiments ponctuant le cheminement qui ont une histoire, parfois modeste mais c'est notre histoire. Les fermes, les fontaines, les chapelles... Et les moulins dont on ne répètera jamais assez qu'ils ont occupé une place centrale dans l'évolution de notre civilisation : économique, technique, culturelle, écologique.

 

 

ous recensons 20 moulins à eau et 25 à vent sur notre commune. Respectivement 60 et 91 sur le canton. A partir de là, il était intéressant de proposer une balade qui permette aux amateurs de marche à pied, certains participants connaissant d'ailleurs parfaitement le circuit choisi, de s'arrêter quelques instants devant les moulins transformés en habitation principale ou secondaire, sans oublier les "moulins perdus", enfouis sous la ronce et sous la berge remodelée à chaque crue. La randonnée des moulins a donc eu lieu à deux reprises, les samedi 18 et dimanche 19 septembre. Suivez le guide.

 

randonnée des moulins  Lectoure - circuit

 

Le point de rassemblement proposé, la Mouline de Belin, permettait de gagner une petite demi-heure et surtout d'éviter un dénivelé positif de 50 mètres en fin de randonnée... Mais pour ceux qui voudront refaire ce circuit, on pourra partir du parking du cimetière Saint-Esprit, au pied du bastion du château. Cette option est intéressante au titre de l'histoire des moulins. Tout d'abord, la descente vers les Ruisseaux permettra d'avoir une jolie vue (la seule) sur le moulin de Repassac dans son velours de peupliers, un lieu central de l'histoire de Lectoure qui est moins reluisant de près, transformé en prise d'eau potable sur le Gers, clôturé à ce titre, et doté d'une aire mi-parking, mi-containers à déchets. Ce n'est pas une critique, c'est l'histoire... Deuxième intérêt à ce départ en ville, le chemin dit aujourd'hui "de la Mouline" était au 15ième siècle connu sous le nom de "chemin farinier" ! Non pas qu'il ait été enfariné, la mouture étant bien trop précieuse pour être gâchée, mais les ânes et les garçons meuniers des quatre moulins regroupés ici s'y croisaient en un va-et-vient incessant pour alimenter la citadelle forte de ses 5000 bouches à nourrir.

chemin de la mouline lectoure - peyra hariera - carte de camoreyt - terrier
La Peyrahariera sur la carte Camoreyt, établie sur la base du Terrier de 1491.

 

Mais commençons par la Mouline de Belin, puisque nos deux groupes, celui de samedi, une douzaine de courageux, sous la pluie, puis le dimanche, près de 50 chanceux sous un ciel presque estival, se sont rassemblés ici. Avec celui de Lesquère sur le ruisseau du même nom (chemin PR n°4) et la tour de la Mothe, sur le Gers, accessible depuis la route de Nérac, la Mouline de Belin, loin de son apparence champêtre actuelle, est de type moulin-salle ou moulin-donjon. Un premier niveau aveugle abritant le rouet immergé, la meule à l'étage, l'entrée principale accessible par une passerelle amovible, et l'habitation au dernier niveau, coiffé sans doute à l'origine, d'un chemin de ronde en encorbellement (la génoise est tardive, importée à la Renaissance par les compagnies de gascons heureux d'être revenus de leurs campagnes d'Italie).

mouline de belin lectoure - mouln fort - moulin donjon - moulin salle - moulin médiéval
Vue reconstituée de la Mouline à l'origine, au pied de la citadelle.

Mais pourquoi cette architecture du type salle forte, monumentale et menaçante, pour un moulin meunier que l'on persiste à imaginer bien paisible ? A cette époque, au 13ième siècle, la Gascogne est divisée entre l'Aquitaine appartenant à la couronne d'Angleterre, et le Languedoc vassal direct du roi de France, Foix, Toulouse, Quercy... Et la ligne de front passe ici... On bataille dur. Chaque seigneur, petit ou grand, choisit son parti ou navigue de l'un à l'autre, et affiche également sa puissance supposée pour faire valoir ses droits féodaux, c'est-à-dire financiers : sur ce ruisseau, droit de passage sur le chemin vers Sainte-Mère (la route nationale n'existe pas), le péage de l'époque, et droit de mouture imposé aux paysans attachés au domaine féodal, domaine que nous ne connaissons plus malheureusement même si des hypothèses sont avancées mais ceci est une autre randonnée. 

Par ailleurs, Lectoure derrière ses remparts ne sera jamais emporté par la force. Cependant, l'ennemi sait qu'en neutralisant la dizaine de moulins autour de la ville forte, la famine viendra rapidement à bout des velléités de résistance. Patience et longueur de temps... Peu capable de résister face à une armée et le meunier ayant décampé, ce moulin aura sans doute servi de campement à quelque soldatesque faisant le siège de la capitale d'Armagnac en 1473. Abandonné, le moulin pourtant "fort" tombera en ruine et ne sera relevé qu'au 16ième par un certain Belin, pour quelques tours de meule supplémentaires avant d'être définitivement désaffecté et transformé en habitation collective au 19ième. Puis en maison d'hôtes. O tempora, o mores, autres temps, autres mœurs.

En aval, nous dépassons Lafond-Chaude, puis les hameaux des Ruisseaux et de Saint-Jourdain. Ici pas de moulins semble-t-il. Mais ce paisible vallon a cependant été la zone industrielle lectouroise avant l'heure. Lavandières, pisciculture, vannerie, teinturiers, tanneurs, foulons... tous les métiers ayant besoin d'eau étaient naturellement installés ici. Le pluriel "Les Ruisseaux" est d'ailleurs significatif. Le cours d'eau devait être divisé autrefois en deux ou trois bras parallèles, dont les fossés gardent encore aujourd'hui la trace, chacun desservant un ou plusieurs ateliers, regroupés par nature d'activité. Un document du 13ième nous apprend que ce cours d'eau portait le nom de Riu Correge, le ruisseau des corroyeurs, fabricants de lanières et d'accessoires en cuir, une activité particulièrement importante et prestigieuse à l'instar de la filature, à l'époque de l'omniprésence de la cavalerie et de la traction animale.

chemin des ruisseaux lectoure - hameau de saint jourdain - les moulines
Perpendiculaire à la peupleraie du Gers, le chemin du Ruisseau, le hameau de Saint-Jourdain et les 3 moulines

Enfin, avant de quitter ce vallon, trois moulins sont regroupés dans un mouchoir de poche. La Mouline de Roques, la Mouline et la Mouline de Cardès, très anciens établissements puisque les coutumes de Lectoure du 13ième siècle les mentionnent, même si le bâti visible aujourd'hui a sans doute beaucoup changé.

chute d'eau moulin - mouline de roques - mouline lectoure

L'explication de cette concentration est simple : un dénivelé, une marche rocheuse permet de donner au cours d'eau la puissance nécessaire pour actionner une meule ou une mécanique de plusieurs centaines de kilos. Il a donc fallu se serrer un peu et partager l'aubaine de cette chute précieuse. Nous avons là, réunis, les fondamentaux du moulin hydraulique : l'investissement capitalistique, la source d'énergie, l'eau bien sûr, et le dénivelé qui amplifie la capacité énergétique du cours d'eau.

La Mouline de Cardès elle, présente une position haute qui peut intriguer. Elle devait être alimentée à partir d'une prise d'eau en amont et d'un bief courant à flanc de coteau. Le nom de "Cardès", le chardon en gascon, laisse penser à une activité de carderie. L'apparence actuelle de cette jolie gasconne, qui n'a pas l'allure d'un moulin meunier, plaide dans ce sens.

La marche rocheuse qui nous offre cette jolie cascade a une seconde utilité : elle donne au moulin qui subit par son mouvement mécanique et du fait des crues des contraintes colossales, même sur un petit cours d'eau, une assise solide, une fondation stable. Un moulin installé sur un terrain meuble n'aurait pas une espérance de vie bien longue.

A la sortie du vallon de Foissin, la station d'eau potable de Lectoure et de sa région est installée sur l'emplacement d'une ancienne villa gallo-romaine dite d'Estoube, dont les vestiges ont été étudiés lors de fouilles archéologiques menées par l'Inrap. Je ne suis pas compétent en la matière mais on me permettra de penser que cette "villa" n'était peut-être pas, malgré sa conception apparemment classique, un simple lieu de villégiature, d'autant que la zone est risquée, mais bien une installation artisanale exploitant, déjà, les capacités productives du cours d'eau.

En passant du vallon de Foissin à celui de Bournaca, face à la vallée du Gers, il faut évoquer les grands moulins installés sur la rivière. Saint Gény, peut-être le plus vieux moulin de Lectoure puisqu’il appartenait à l'abbaye fondée au 10ième siècle. Repassac, à cheval sur un bras artificiel de la rivière (arriu passat) qui a sans doute été le plus important fournisseur de la ville, avec pour copropriétaires les deux coseigneurs de la ville, l'évêque et le roi d'Angleterre, puis le roi de France ou son vassal le comte de Lomagne, et également l'hôpital Saint-Esprit au 15ième siècle. Enfin, le plus mystérieux, le moulin-salle de La Mothe, rive gauche, sur le domaine de l'ordre de Malte, mais la documentation nous manque pour développer son histoire. Rive droite, de l'autre côté du pont-barrage qui finit misérablement de s'effondrer à chaque crue du Gers, un autre moulin de La Mothe, plus récent, a brûlé au début du 20ième siècle.

moulin de saint gény - repassac - tour de la Mothe - la motte Lectoure
Sur le Gers, d'amont vers l'aval : Saint-Gény, Repassac et La Mothe.

 

Repartons vers l'Est, par le charmant vallon de Manirac, ou Santa Ribeta au Moyen-Âge. Le ruisseau est dit de Bournaca aujourd'hui. Les noms de ces petits cours d'eau ont varié dans le temps et en outre, ils changeaient d’appellation, portion après portion, au gré des domaines qu'ils traversaient. Notre cadastre moderne va-t-il figer la toponymie ?

Nous arrivons à la Mouline de Bazin, si joliment rénovée. Voilà enfin une histoire bien connue puisque nous disposons du contrat par lequel le seigneur du Castéra-Lectourois, Paul de Polastron, noble de Mouna et de Bazin, a commandé en 1662 à ses charpentier et maçon, la construction d'un moulin à deux meules. De deux moulins même puisqu'en investisseur au fait des impératifs techniques et économiques de complémentarité des énergies et de productivité, un progressiste finalement, il fera construire en même temps le moulin à vent du même nom sur le plateau.

 

mouline de bazin lectoure - bournaca
Les deux rouets sous les voutes, les deux paires de meules au-dessus.

 

Bazin nous donne l'occasion d'évoquer la mécanique meunière des pays de langue occitane, des Alpes à l'Atlantique. Chez nous, pas d'aube accrochée à l'extérieur et basculant verticalement dans le cours d'eau passant à l'extérieur du bâtiment, une vision trop ancrée dans notre référentiel par les peintures classiques. ici au contraire, l'eau pénétrant sous le bâti, conduite en force par un canon à eau, actionne une roue à plat appelée rouet, suspendue dans la salle voutée et reliée directement, par un axe, à la meule installée à l'étage supérieur. L’ancêtre de notre turbine industrielle. Pas d'engrenage d'angle. Simple et efficace. A Bazin, la retenue en amont permettant d'animer le système a été comblée pour le bonheur du jardinier d'aujourd'hui, mais elle est encore parfaitement visible au cadastre napoléonien.

mouline de bazin - vallon de bournaca - manirac lectoure
La Mouline de Bazin

 

Au bout du chemin qui longe le ruisseau de Bournaca, signalons le moulin disparu de Picat, uniquement mémorisé par les cartes anciennes, alimenté par la source de Tarin, quelques moellons moussus sur le GRP Coeur-de-Gascogne en direction de Saint-Avit. De même, dans la côte en direction de Baqué (LE dénivelé positif de cette randonnée, 70 mètres tout de même), un hameau entier, d'une quinzaine de maisons, la Coustère, encore présent sur la carte IGN de 1950, a complètement disparu non pas d'un coup de baguette magique, ou diabolique, mais du fait du remembrement agricole. Ne subsistent, blottis dans le bois au pied du plateau rocheux, que la source et un lilas qui fleurit fidèlement.

Après un bel effort, arrivés sur le plateau, avec une vue à 360°, nous pouvons évoquer les moulins à vent, introduits en Gascogne plus tardivement, bien qu'ils soient connus depuis la haute antiquité, mais le vent étant de direction variable et imprévisible il faut que le moulin pivote pour ajuster sa prise, ce qui implique un système de rotation des ailes sur un axe vertical, coûteux, complexe et nécessitant un entretien régulier, s'ajoutant à la mécanique meulière elle-même. Les moulins à vent se sont cependant multipliés à partir de la Révolution, les droits seigneuriaux abolis et l'emprise au sol très réduite permettant d'envisager un rendement intéressant. Chacun a pu ainsi oser l'aventure. Un nombre d'intervenants qui n'a pas été dans le sens de la rentabilité et à peine cent ans plus tard ces micro entreprises ont périclité l'une après l'autre sous les coups de boutoir de la vapeur, de l'électricité et du transport ferroviaire donnant à la minoterie industrielle un avantage concurrentiel puissant et définitif. Jusqu'à ce que des amoureux du patrimoine meunier, déterminés et efficaces, relèvent les ruines de ces fantômes de nos coteaux.

 

moulin à vent de bazin - lectoure - castéra lectourois
Le moulin à vent de Bazin

Il y a à peine deux ans, au cours de cette même randonnée, je vous aurais désigné un fût éventré et décapité, vestige misérable et indigne de cette noble industrie. Aujourd'hui Bazin à vent navigue fièrement entre les ondulations de cette terre à blé et de merveilleux nuages.

Au sud, Lectoure a vu tourner les ailes de 10 moulins à vent, sur quelques centaines de mètres seulement, depuis Laucate jusqu'aux Justices ! Et aucun peintre, aucun photographe pour immortaliser ce tableau donquichottesque dont il faut aujourd'hui chercher les vestiges entre un quartier pavillonnaire, une route nationale et un supermarché.

Aussi, pour prolonger un peu le plaisir de ce voyage dans notre histoire, nos randonneurs redescendent-ils vers le vallon de Foissin resté miraculeusement préservé. Avec celle de Rajocan (la fontaine qui chante), les sources de Tarin, Foissin, Vaucluse, Saint-Michel et Charron ne voyaient pas autrefois, leur eau se perdre dans des fossés négligés. Par le travail minutieux et obstiné de générations de glaiseux, et le terme est ici très respectueux, la ressource précieuse était conduite jusqu'aux étangs des moulins de San-Jordan et de Santa-Ribeta pour donner, associée au génie de l'homme, le meilleur d'elle-même.

                                                          ALINEAS

source fontaine de rajocan

 

Et pour en savoir un tout petit peu plus sur

LE MEUNIER voir ici                                        LA MECANIQUE voir ici

LA MEUNIERE voir ici                                     SOURCES, RUISSEAUX, ETANGS voir ici

LA LAVANDIERE voir ici                                  LE MOULIN DONJON voir ici

LE GARÇON MEUNIER voir ici               MOULINS A VENT et HYDRAULIQUE ASSOCIES voir ici

 

 

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Publié le 9 Août 2021

baignade moulin - homme nu - arcadie - retenue - étang - digue

 

L’Arcadie est une région de la Grèce. Dans la mythologie, elle était présentée comme la patrie du dieu Pan. Dans les arts au moment de la Renaissance, elle fut célébrée comme un pays dont la nature sauvage demeurait préservée et harmonieuse. Nous avons souvent fait remarquer la contradiction qu'il y a entre l'image bucolique attachée au moulin dans l'opinion générale et sa fonction d'usine, la dangerosité du lieu et la technicité de la mécanique hydraulique et meunière. Mais nous sommes aussi quelques-uns à avoir été au pied de la grande bâtisse, sinon en tenue d'Adam, insouciants et heureux.

 

élisée reclus - moulin - jeux d'enfant - gravure aube

 

bandonné, ruiné, ou bien travaillant encore, mais les enfants du 21ième siècle ne le verront pas, enfin rénové pour la beauté de la pierre et du paysage, le moulin posé sur le ruisseau offre de magnifiques terrains de jeu et d'aventure. En amont, la digue retient l'eau sombre et profonde dans laquelle le plongeur pénètre avec appréhension ou plaisir, et parfois les deux. Auprès de la bâtisse, les murs, les voutes et les biefs où l'inventivité de l'enfant reproduit celle de l’ancêtre qui a canalisé l'énergie du courant. Plus loin, sous la chute d'eau, la plage où patauger, modeler l'argile et s'ébattre vers la tendre prairie.

Je connais un garnement, à peine plus âgé que moi c'est-à-dire assagi à présent, qui, voulant montrer à son compagnon de jeu le fonctionnement de la vanne d'évacuation de l'étang du Moulin du roc, actionna le cric et perdit le contrôle de la manivelle amovible qui tomba dans le bassin, cassant la glace, car cet hiver-là était rigoureux et la surface de l'eau gelée ! Catastrophe. Il fallait bien récupérer l'instrument sous peine d'une sévère sanction. Courageusement, l'enfant se déshabilla, plongea dans l'eau glacée et après quelques instants à fouiller fébrilement la vase, retira le précieux outil. Les deux enfants coururent jusqu'au logis, le premier grelotant de froid, le second tremblant par contagion. Après s'être essuyé et frictionné vigoureusement dans une serviette qu'il mit soigneusement à suspendre pour la faire sécher, notre plongeur se trouvait soulagé d'avoir pu réparer sans doute un grave forfait, sans que ses parents, alors à la foire, ne s'en soient aperçus. Mais de retour, la mère ne mit pas longtemps à reconstituer les faits. Quant au père, à la réputation de sévérité, après une hésitation, il esquissa en secret un sourire et ne dit rien. Le dépit du maladroit, l'expérience acquise de fait et la baignade forcée lui parurent sans doute suffire à la punition.

Quelques moulins et quelques années en aval, il m'arriva une mésaventure comparable. Mais, à la différence, ce jour-là il faisait beau. Le Comité des fêtes avait organisé sur l'étang de Moulin-bas une course aux canards. L'exercice, qui serait aujourd'hui hautement condamné par les sociétés de protection des animaux et l'opinion publique gagnée par une sensibilité végane qui, alors, nous eût parue incompréhensible, consistait à lâcher sur l'étang quelques canards dont les grandes plumes des ailes avaient été préalablement étêtées, une opération bénigne mais qui permettait d'empêcher que le volatile ne puisse s'envoler. Au top-départ, le peloton des nageurs se précipitait dans une grande bousculade de gerbes d'écume et d'exclamations à la poursuite des canards, celui qui arrivait à attraper un volatile l'emportant fièrement à destination de la cuisine familiale. Si je nage plutôt aisément, je ne suis pas vraiment endurant et le gibier que je m'étais réservé l'était lui, qui me fit m'épuiser au risque de boire la tasse avant de le rattraper. Je décidais donc de sortir de l'eau et de suivre le canard de loin et à sec, jusqu'à ce qu'il se réfugie au pied d'une petite falaise dominant le plan d'eau, à l'ombre des branches basses d'un grand chêne. Fier de ma ruse, je fis de grands signes à mes amis pour les prévenir de la victoire que je considérais acquise, en quelque sorte plumant le volatile avant de l'avoir attrapé, et je plongeais. Mais le canard plongea aussi. Plus loin. Ma cible avait disparue et je pénétrai alors dans une eau à peine profonde de quelques centimètres puis, avec le poids et la vitesse, me plantais lamentablement la tête la première dans la vase compacte occupant la plus grande profondeur. Pendant quelques secondes, le temps de réaliser ce qui m'arrivait et de m'extirper du bourbier, mes pieds et mes jambes s'agitèrent au-dessus du niveau de l'eau, marquant pour les spectateurs rassemblés plus loin, l'endroit précis de mon piteux exploit.  

Plongeon dans l'étang du moulin - baignade rivière
Caillebotte. Le plongeur.

 

Heureusement parfois les étangs sont curés et le plaisir de la nage dans l'eau douce est un privilège dont le temps n'efface pas le souvenir. L'odeur végétale suave et le fin dépôt argileux de l'eau de rivière, avant qu'on ne l'accuse de tous les maux et qu'il faille aller la chercher plus loin, dans quelque vallée des origines où il n'y a pas de moulins, donnant à la peau une souplesse agréable font de cet exercice un moment sauvage et vivifiant. Un instant d'Arcadie.

La rivière et le ruisseau sont le lit de cette alchimie des éléments et des sens. Le moulin n'y est pour rien sauf à installer les conditions de la baignade, l'eau profonde, la cascade ou la plage.

baignade enfants - nus - moulin - cascade - chute d'eau
Paul Gauguin. Jeunes Bretons au bain (La baignade au moulin du Bois d’Amour, Pont-Aven).

On l'a dit ici à l'occasion du portrait de la meunière, le moulin est, de tout temps, un lieu de rencontre. L'accès en est facilité par le chemin meunier. Les abords y sont dégagés, relativement. Le pêcheur à la ligne et la lavandière s'y côtoient pour le bonheur du peintre et du curieux désœuvré. Les enfants y sont ravis même si le danger rôde. Moun Diou pitchou, té bas néga fas attentiou ! chante Pierre Perret, se remémorant sa grand-mère inquiète de le voir partir à Garonne.

La baignade féminine quant à elle, abondamment représentée pourtant, est évidemment largement romanesque, poétique et, vous me pardonnerez d'oser, malheureusement trop souvent virtuelle. François Boucher est à la fois, le maître des moulins et de la plastique généreuse. Mais ce rococo connaît son affaire et reste réaliste. Il éloigne ici les baigneuses de la bâtisse et de son agitation, derrière un paravent de végétation comme il sied à la pudeur et au calme de la toilette de dame. Seul le peintre autorisé, probablement initiateur de la scène et, dissimulé dans la ruine d'un lavoir un garnement, un autre garnement, ayant suivi en secret l'escapade des belles, surprendront ce bain de paradis.

moulin - baignade toilette femmes - nues - voyeur - lavoir en ruine
François Boucher. Les baigneuses.

 

Les plus jeunes ne sont pas absents de ce tableau d'autrefois, mais ils s'installent sous surveillance, en aval, à distance des dangers du moulin. Pourra-t-on intéresser un enfant d'aujourd'hui à la fabrication d'un simple petit moulin en bois de noisetier ? Pour ceux qui auraient oublié cette expérience, ludique et intelligente à la fois, il y faut à présent un "tuto" sur le world wide web !

petit moulin - enfant -

Julien Taix. Vidéo construction d'un moulin à eau

 

Enfin, la pêche à la ligne, les ablettes destinées à la friture, les écrevisses légendaires et les anguilles jalousement protégées par le meunier mériteront bien un alinéa complet si ce carnet poursuit son cours. Ce ne sont pas des jeux, mais du sport, que dis-je, de la science ! Je connais des pêcheurs qui ne comprendraient pas qu'on les rangeât dans la même nasse. D'ailleurs, avec leurs cris et leurs plongeons, les baigneurs font fuir les hôtes de l'étang et du ruisseau et il est préférable d'installer son poste de pêche au calme et à distance, aval ou amont, de ce moulin décidément trop fréquenté. Seule la grenouille a l'impertinence de s'obstiner à partager ce terrain de jeux, ne plongeant qu'en dernier recours. Plouf. Plouf. Au risque de se faire repérer par quelques jeunes pêcheuses, lorsque le soleil et les énergies déclinent, à la fraîche.

                                                                                   Alinéas

 

pêche à la grenouille - filles - étang - écluse - vanne
William Bouguereau. Pêche pour les grenouilles.

 

PS. Pour ceux qui connaissent notre Mouline de Belin, on ne voit pas très bien comment on pourrait se baigner dans ce filet d'eau du ruisseau de Saint Jourdain à son étiage habituel. Pourtant, il y a plusieurs années, un homme âgé d'environ 70 ans, ne vivant plus à Lectoure et en promenade sur les lieux de sa jeunesse, m'a dit s'être baigné, adolescent, autrement dit il y a cinquante ou soixante ans, dans un étang situé approximativement au dessus du petit pont qui enjambe le ruisseau. Je le crois et ceci était sans doute le vestige de la retenue nécessaire pour faire tourner une meule de plusieurs centaines de kilos. L'endroit a dû être comblé progressivement par les travaux publics ou agricoles. Ceci dit pour mémoire.

CREDIT :

  • En titre : Thomas Eakins, The swimming hole.
  • L. Benett, gravure tirée de Histoire d'un ruisseau, Elisée Reclus

 

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Publié le 10 Mars 2021

recensement moulins canton lectoure - société archéologique gers moulin à vent moulin hydraulique

 

Pendant deux ans, l’équipe lectouroise de la Société Archéologique et Historique du Gers, animée par Georges Courtès *, a procédé au recensement systématique des moulins à eau et à vent des 26 communes du canton de Lectoure. Le résultat de cette importante démarche a été dévoilé au public, le 2 octobre 2020. Voici les principaux éléments de cette présentation.

POURQUOI UN TEL RECENSEMENT ?

Les moulins à eau et à vent sont aujourd’hui l’objet d’un intérêt croissant des particuliers qui les rénovent, par amour des belles pierres mais également pour l’aménagement de résidences secondaires et principales. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les moulins à eau ont longtemps été considérés, à raison, comme posant des difficultés d’aménagement et d’entretien du fait de la proximité des cours d’eau. Et les moulins à vent, une fois décoiffés par le vieillissement de la charpente et un dernier assaut du vent, ne sont pas suffisamment spacieux pour loger une famille selon les critères modernes de confort, en outre dans un plan circulaire ne facilitant pas la disposition du mobilier. Ceci dit pour ceux des bâtiments qui ont résisté un minimum au temps. Car nombre de moulins ont disparu, tombés à l’eau ou bien enfouis sous la végétation d’une butte discrète dans le paysage, dépecés pour offrir de la pierre à bâtir de récupération à proximité.

Or, on reconnaît aujourd’hui que les moulins sont au cœur de l’Histoire de notre pays. Les historiens ont longuement écrit l’Histoire des cathédrales, des châteaux et des batailles. Il convient à présent de faire revivre les moulins qui sont essentiels pour comprendre les phénomènes des origines et du développement de la mécanique et des techniques, les circonstances de la croissance démographique, l’évolution de l’alimentation et de la santé, l’émergence de la bourgeoisie artisanale et industrielle... Les moulins ont été pendant un millénaire au cœur de la vie de nos villes et de nos campagnes. Nos routes actuelles ont souvent été tracées par le sabot des mulets sur les chemins « fariniers ». Il est temps de faire une photo panoramique de ce qui est encore à portée de notre mémoire.

 

LA MÉTHODE

La cartographie, les archives, les déplacements sur le terrain, arpentage et photographie, les informations collectées auprès des habitants…. Les recenseurs se sont partagé les communes du canton, chacun procédant à son rythme, jusqu’à la mise en commun des résultats.

L’importance de la cartographie. A toutes les époques, les moulins, repères remarquables sur le relief, mont, cuvette, croisement route/cours d’eau, gué, pont, retenue…, sont souvent mentionnés sur les cartes. Mais avec des défauts, dus à la précision relative du géographe ou à l’échelle de la reproduction. Dus également à la disparition de certains moulins entre deux relevés et à l’évolution de la toponymie. Il faudra donc, croiser les informations et vérifier sur le terrain. Cartes de Cassini (1750-1815), Atlas de Chanche (1878), cartes IGN, cartes de l’état-major (1820-1866), Cadastre dit napoléonien (1812), Cadastre contemporain, photos aériennes IGN.

Aux archives, les moulins les plus importants font l’objet de dossiers spécifiques. Pour les autres, les informations sont glanées au gré de mentions dans les actes notariés et juridiques : ventes, actes d’état civil, litiges. Un travail de fourmi, qui se poursuivra longtemps après le recensement. Une aiguille dans une meule… de foin celle-là.

Des informations orales viennent heureusement compléter l’ensemble, qui ravissent le recenseur et qu’il faut encourager. Aux lecteurs de ce carnet d'alinéas nous disons :

"Merci de continuer à nous alimenter. Tous les indices sont précieux".

 

151 MOULINS

60 moulins à eau, 91 moulins à vent

carte rencensement moulins lectourois canton lectoure - IGN - Cassini - Cadastre napoléonien - carte d'état major

Notre recensement fait apparaître, sur ce canton, un nombre important de moulins, 151, à rapprocher des 1692 moulins relevés sur le département du Gers par Henri Polge, archiviste départemental de 1946 à 1981, sur la base des enquêtes effectuées pendant la Révolution et l’Empire. Ainsi, sur une surface représentant 4% du département, le lectourois possède 10% des moulins. Par contre, premier constat remarquable, le rapport moulins à eau / moulins à vent est inversé par comparaison au département, les seconds étant dans le Lectourois les plus nombreux. Quelques pistes évoquées pour expliquer cette différence de proportions :

  • le fait que notre relevé ait pu intégrer des moulins construits postérieurement aux recensements fin 18ième  et tout au long du 19ième, en particulier grâce à la liberté d’établissement permise par la fin du système de l’Ancien Régime, et majoritairement éoliens.
  • le Lectourois , situé à l’est du département est exposé au vent de sud-est, vent d’autan favorisant l’énergie éolienne.
  • enfin, terre céréalière, le Lectourois produisait un volume de céréales supérieur à celui des zones situées à l’ouest.
  • il faut aussi tenir décompte des moulins mitoyens, soit simples voisins et concurrents se disputant le vent, soit jumeaux.

Mais cette multiplication des intervenants n’eut pas un effet heureux puisque la concurrence jouant et la dimension des entreprises étant très (trop) réduite, la meunerie traditionnelle devint un secteur fragile qui ne pourra pas faire front à l’industrialisation de la fin du 19ième : invention de la minoterie à vapeur puis électrification, développement du transport ferroviaire… 

Les moulins à eau sont installés bien sûr majoritairement sur les cours d’eau principaux : Arratz, Auroue, Gers, Grand Auvignon. Mais de petits ruisseaux supportent plusieurs établissements très rapprochés : Foissin par exemple. Entre La Romieu, Lagarde et Marsolan, 8 sites dont les 4 moulins en cascade de Lartigue.

La commune de Lectoure concentre un grand nombre de moulins, tant à eau qu’à vent, le plateau de Lamarque présentant une impressionnante brochette d’ailes.

 

LE MEUNIER

Notre recherche portait sur des bâtiments mais nous y avons rencontré des hommes et des femmes, inventifs et industrieux. Le meunier est, à tort, caricaturé enfariné ou bonhomme sur son mulet. A l’origine, homme lige du seigneur féodal, laïc ou religieux, le meunier est maçon et charpentier, construisant de ses mains son outil de travail. Puis il s’établira mécanicien, entretenant soigneusement sa machine, complexe, dangereuse et exigeante. Il donnera naissance à des lignées. On est meunier de père en fils. On se marie entre moulins pour développer le patrimoine, échanger les procédés, par affinité tout simplement. Les neveux et cousins deviennent garçons-meuniers.

Affairé, secret, âpre au gain, notre homme sera, souvent injustement, craint et médit.

QUELQUES MOULINS REMARQUABLES

Avec sa digue sur le Gers, à l’entrée du chef-lieu, le moulin de Saint Gény nous est évidemment familier. Dépendant de l’abbaye de Saint Gény, il est figuré sur une vue de Lectoure datant du 14ième siècle, sans doute l'une des plus vieilles représentations d'un moulin en Gascogne.

moulin medieval - saint geny lectoure - moulin à aube - lectoure

 

A proximité, sur un bras du Gers aujourd’hui comblé, un Moulin dit Neuf mais uniquement visible sur les cartes anciennes, a servi d’atelier à tan pour la tannerie royale installée au pied des remparts.

Repassac (a riu passat) lui, l'un des plus actifs de la zone étudiée, était au Moyen-Âge, copropriété des consuls de Lectoure, du seigneur évêque et du roi d’Angleterre.

En progressant vers le nord, les moulins de La Mothe se répartissent sur les communes de Lectoure et Castéra-Lectourois. Rive gauche, le moulin-tour d'époque médiévale nous est connu grâce au plan du dimaire de l'Ordre de Malte. Rive droite, le moulin du 18ième a malheureusement disparu dans un incendie. Entre les deux, le pont-barrage est un vestige exceptionnel des aménagements hydrologiques qui mériterait d’être rénové.

Au nord du canton, le moulin de Manlèche est partie intégrante du château autrefois dans le domaine de la famille de Got, dont le vicomte de Lomagne et d’Auvillar était issu.

Sur l’Arratz, le moulin de Sainte Rose, appartenant à la grange de la celle grandmontaine de Défès à Agen, a hébergé le célèbre et controversé pape gascon Clément V, également membre éminent de la maison de Got, sur son chemin triomphal entre Bordeaux et Avignon.

Parmi les moulins à vent, le Pélouar sur Marsolan, sans doute le plus ancien de notre recensement, a été bâti pour le puissant seigneur de Fimarcon. Quant au moulin du Camp, à Terraube, il relevait du domaine de la célèbre et très ancienne famille de Galard.

   

CONCLUSION

Il convient de mettre en valeur quelques belles rénovations qui montrent le chemin à suivre : les moulins à vent de Salles au Mas d’Auvignon et Laucate à Lectoure, La Molie à St Mézard, le Moulin de Bas à L’Isle-Bouzon, la Mouline de Belin à Lectoure, et d’autres encore.

Deux opérations ont bénéficié du concours de la Fondation du Patrimoine : Les moulins à vent d’Avers à Berrac et de Bazin à Lectoure.

Deux sites majeurs sont en danger : le pont-barrage de La Mothe à Lectoure et le pont d’Arratz à St Antoine.

 

                                                                                             Michel Salanié

 

* Georges Courtès, Simone Aeberhard, Jean-Marie Béraud, Bertrand Broqua (Dcd), Pierre Léoutre, Godelieve Lust, Guy Miquel, André Monestès, Gérard Noguès, Régis Petit, Michel Salanié, Maryse Strzelecki.

© Photos Michel Salanié

Pour agrandir, en fonction de votre navigateur : clic droit sur la photo et [Afficher l'image].

 

Saint antoine pont d'arratz gers arratz - moulin antonins
Moulin des Antonins - Saint Antoine

 

l'isle bouzon - gers - aurroue - moulin de bas
Moulin de Bas - L'Isle Bouzon

 

moulin à vent de bazin - fondation du patrimoine - Lectoure - castéra lectourois
Moulin à vent de Bazin - Lectoure

 

moulin à vent de cap sec- lectoure - chateau de landiran
Moulin à vent de Cap sec - Lectoure

 

Saint martin de Goyne - moulin de goyne - gers
Moulin de Goyne - Saint Martin de Goyne

 

Saint Mézard - gers- la moulie
La Molie - Saint Mézard

 

Lagarde fimarcon - moulin à vent de lafage
Moulin à vent de Lafage - Lagarde Fimarcon

 

lectoure plateau de Lamarque - moulin de laucate
Moulin à vent de Laucate - Lectoure

 

moulin de lourtiguet - Sempesserre - gers
Moulin de Lourtiguet - Sempesserre

 

moulins à vent de lussan - saint mézard - Golfech
Moulins de Lussan - Saint Mézard (les cheminées de Golfech en arrière-plan)

 

moulin de repassac - lectoure - gers - consuls évèque roi d'angleterre
Repassac - Lectoure

 

rivière arratz gers - pont d'arrtaz - moulin des antonins
Le pont d'Arratz - Saint Antoine

 

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Publié le 24 Septembre 2020

moulin de La Mothe Lamothe Lamote Lectoure société archéologique gers recensement

 

Le 2 octobre prochain, l'équipe lectouroise de la Société Archéologique du Gers, animée par Georges Courtès, présentera les résultats du recensement des moulins sur les 26 communes du canton de Lectoure. Un minutieux travail, riche en enseignements, quelques trouvailles et... et malheureusement le constat que le temps fait son œuvre, en la matière aussi bien sûr. Si certains moulins font l'objet d'un sauvetage in extremis, si d'autres sont joliment rénovés ou bien n'ont jamais été abandonnés, on compte quelques disparus corps et biens.

La faute au vent et à l'eau qui prennent leur revanche.

Les moulins à vent de Lectoure sont très souvent décoiffés. Devenus inutiles et un peu gênants, ils sont parfois finalement abattus pour fournir quelque matériau de construction ou de remblai d’accès facile et surtout de belles pierres de taille dont un œil exercé remarquera, dans le réemploi, le profil arrondi caractéristique des appareillages des bâtiments circulaires. Masqués à la vue, celui-ci au cœur d'un bosquet, celui-là à peine trahi par une proéminence du terrain au milieu d'un champ, les vestiges des moulins à vent sont parfois révélés heureusement par la photo aérienne. C'est le cas par exemple du moulin de Peyret ou Bouhilhac, près du domaine de Combarrau, au nord de la commune, à peine visible en contrebas depuis la route dite romaine, à travers les frondaisons et seulement en hiver, mais bien vivant dans ce merveilleux paysage planétaire que nous offre notre Institut Géographique National.

moulin de peyret bouhilhac combarrau Lectoure société archéologique gers recensement

 

D'autres moulins à vent ne sont pas à rechercher dans la ronce ou les labours, mais en pleine excroissance urbaine.

moulins des justices lamarque Lectoure société archéologique gers recensement

En effet, trois moulins à vent résistent au milieu du faubourg en plein développement à l'est de la ville, quartier des Justices. Au Moyen Âge, il y avait là les fourches patibulaires qui permettaient d'exposer au vent mauvais et aux nouveaux arrivants, à titre d'avertissement, les condamnés pendus ou au moins torturés et ficelés, à priori pour faute grave. Ce monument de justice a complètement disparu, l'exemplarité aussi, reste le toponyme. Et nos trois moulins. Mais les recenseurs de la Société archéologique en dénombreraient un quatrième et 10 au total depuis l'extrémité du plateau de Lamarque ! Dont certains effectivement totalement disparus, rasés, macadamisés, avalés par l'inexorable appétit de la modernité.

 

Le travail des recenseurs de la Société Archéologique est plus difficile encore pour les moulins à eau car, non seulement la ruine a renversé la superstructure mais le cours d'eau a dispersé les matériaux, remodelé et parfois nettement modifié son propre lit, enfin la végétation exubérante et indisciplinée à cet endroit interdisant toute visite pedibus et le repérage aérien itou (ça n'est pas du franglais). C'est le cas, au pied de la citadelle, du Moulin neuf, qui semble t-il, a été très important à une époque au point de faire de l'ombre à son voisin de l'abbaye de Saint Gény. Eh bien, ne le cherchez pas. Le recenseur a mis ses bottes et ne l'a pas trouvé. Oui, je sais : "On a perdu le Moulin neuf"... Preuve qu'un jour le neuf fini vieux, ici bas. Le canal d'amenée de ce moulin disparu qui apparait sur cet extrait du cadastre napoléonien est même réduit aujourd'hui à l'état de vague fossé et cette entrée de la ville est devenue peu reluisante. Mais ceci est sans doute une constante de l'histoire urbaine et un autre sujet. Pour vous parler de Moulin neuf, il vaudra mieux arpenter les archives. Ce que Georges fit.

moulin neuf Saint Gény Lectoure société archéologique gers recensement

 

Plus au nord, le site de La Mothe est mieux connu. Rive droite, l'un des moulins dont nous avons parlé ici, qui nous a laissé une belle carte postale avant de partir en fumée, appartient à la commune du Castéra-Lectourois. Mais coté Lectoure, rive gauche, la tour de La Mothe (notre photo titre) reste mystérieuse car peu documentée. Etait-ce un moulin-donjon, à l'image du moulin de Lesquère dont nous parlerons bientôt ? En effet, une "simple" tour de contrôle du pont barrage n'aurait pas été installée dans ce bas-fond mais sur un promontoire à proximité, doté de la vue dégagée qu'exige une fonction de guette. Malheureusement, le bâtiment a été dépecé et en outre, il menace ruine aujourd'hui. Une approche exploratoire se révèle très risquée. Recenseur mais pas fou. Cependant, le plan du Dimaire (1782) de l'Ordre de Malte que nous avons déjà évoqué dans notre rubrique Histoire, intitule bien la tour "ancien moulin de La Mothe". Il ne peut pas y avoir doute. Voir sur ce sujet des moulins-donjons de l'époque de la présence anglaise en Guyenne, notre récent alinéa ici.

moulin de La Mothe Lamothe Lamote Lectoure société archéologique gers recensement

Ce site exceptionnel, tour et pont barrage, est dans un état de dégradation avancé. Bien sûr, de par sa taille, une rénovation, ou pour le moins une conservation, exigera des fonds importants. On peut espérer.

 

Enfin, et cet alinéa n'est pas exhaustif, une autre redécouverte intéressante des recenseurs de la Société Archéologique : la mouline de La Tapie, entre le Mouliot au nord et Lesquère au sud, sur le ruisseau éponyme dont il ne subsiste pas de trace sur le terrain.

moulin de La Tapie latapie Lectoure société archéologique gers recensement

Repéré sur la carte d’état-major (1820-1866), également en ligne sur le site de l'IGN (décidément une mine), nous n'avons à ce jour aucune information sur ce moulin, et il faut toujours rester prudent avant de pouvoir croiser les preuves et confirmer ce recensement, prudence y compris à l'égard d'un topographe, fut-il d'état-major*. A ce stade, seul le toponyme qui subsiste peut parler. En effet, en gascon, la tapie est la terre crue, l'adobe. Alors deux hypothèses. Il est tout à fait possible que cette mouline ait été un foulon permettant de malaxer la terre argileuse afin de produire des briques de terre crue, autrefois très utilisées dans la construction des bâtiments agricoles secondaires. Car tous les moulins ne sont pas fariniers. Ou bien, et c'est la seconde hypothèse, le moulin était-il bâti lui-même, tout ou partie, en terre crue. Ce qui expliquerait d'ailleurs sa totale disparition, le matériau étant peu durable. Et soluble dans le ruisseau. Peut-être un jour, dans quelque acte notarié, trouvera t-on une information pour éclairer l'histoire de La Tapie, le moulin perdu.

Car le recensement des moulins du Gers par la Société Archéologique n'est pas un simple comptage à retardement. Il veut être un outil documentaire pour les historiens. On a écrit l'Histoire des châteaux-forts et celle des cathédrales, des dynasties et des batailles. Il faut à présent écrire celle des moulins, des hommes et des femmes qui ont fait l'industrie de notre pays. Leur mémoire et leur place dans l'Histoire ne doit pas être effacée par l'eau, le vent et le temps qui passe.

Pour en savoir plus sur les 151 (!) moulins de Lectoure et des 26 communes du canton, nous vous invitons à venir assister à la présentation du vendredi 2 octobre 18 heures, salle de la Comédie (cinéma Le Sénéchal).

                                                                  Alinéas

* Rectificatif 26/09 : Un lecteur attentif et voisin de La Tapie nous précise que les vestiges du moulin sont bien là, sous la végétation, repoussés en bordure du labour. Le topographe d'état-major ne nous a pas trompé.

PS. Je me doute que les lecteurs de ce cyber-carnet qui habitent un peu loin, Paris, Bruxelles, Sousse, Oslo, Ancône ou Sacramento (!), ne se sentiront pas concernés par cette invitation. Pour une fois nous jouons là le rôle de réseau d'information purement local. Nos lointains abonnés connaissent notre goût pour les moulins et ne nous en voudront pas. Merci de nous suivre. Adishatz.

© Photo aérienne IGN, Pont barrage de La Mothe Gaëlle Prost - Mairie de Lectoure, autres photos M. Salanié

 

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Publié le 11 Août 2020

Moulin de la Salle Cleyrac Drouyn gascogne guyenne anglais moulin medieval fortifié

Dans les années 1800, à la suite de la période de vandalisme provoquée par la Révolution et la vente des biens nationaux, des artistes, des historiens, des architectes, et les pouvoirs publics sous leur impulsion, prennent conscience du mauvais état des monuments historiques, d'époque médiévale en particulier. Et de leur importance, tant sur le plan du patrimoine national que du point de vue esthétique. Les cathédrales, les châteaux, des villages, des cités et des quartiers font alors l'objet d'opérations de protection et de conservation. Il était temps. Chateaubriand, Victor Hugo sont les plus célèbres des penseurs ayant alimenté la réflexion en faveur de ce mouvement, maladroitement qualifié de romantique voire de gothique. Côté pouvoirs publics, Prosper Mérimée, Inspecteur des monuments historiques, et l'architecte Eugène Viollet-le-Duc mettent en œuvre cette nouvelle administration publique. L'Aquitaine médiévale, elle, aura également son chantre et son archéologue : Léo Drouyn.

Léo Drouyn à son carnet de croquis

A l'époque, pas de photographie. L'outil d'enregistrement et de restitution de l'archéologue : le crayon et le calepin. Léo Drouyn ayant suivi une formation artistique à Bordeaux puis à Paris, excellera en dessin, peinture et gravure. Doté de talents multiples, il sera simultanément artiste, antiquaire (terme désignant à l'époque les savants voués à l'étude des antiquités et des archives), architecte, journaliste, administrateur, enseignant... Son œuvre est immense: 5000 dessins, 1500 gravures. Il parcourt pendant 40 ans l'ancienne Guyenne : Gironde, Landes, Dordogne, Lot-et-Garonne, Charente-Maritime. Son œuvre maîtresse : "La Guienne militaire : histoire et description des villes fortifiées, forteresses et châteaux construits dans la Gironde pendant la domination anglaise". Car en effet, le patrimoine architectural médiéval régional est majoritairement constitué de monuments bâtis entre 1154, lorsque Henri Plantagenêt, marié à Aliénor d'Aquitaine, devient roi d'Angleterre, et 1453,  date de la bataille de Castillon, victoire décisive française qui marque la fin de la présence anglaise dans le sud-ouest. Cependant, il faut préciser que tous ces ouvrages n'ont pas toujours été soumis à l'autorité de l'anglais, car ici ou là on s'y oppose. En Quercy, en Armagnac, les positions des deux partis, quand il n'y en a pas trois ou quatre, sont mouvantes. Mais dans tous les cas, l'air du temps est bien à l'architecture militaire : mâchicoulis, moucharabieh, archères, chemin de ronde, échauguettes... Y compris pour des bâtiments civils et de modeste dimension. Aux confins Est de l'Aquitaine anglaise, à Lectoure, ce sera le temps des salles fortes et des châteaux dits "gascons".

Dépendance d'un château, d'une abbaye, ou bien logis d'un seigneur de second rang, le moulin médiéval en Aquitaine est construit avec l'aval du roi d'Angleterre (au moins sa bienveillance, simple nuance de degré, ce point étant discuté par les historiens) qui voit là une façon de marquer son territoire et de sécuriser l'approvisionnement en farine de ses vassaux et de ses troupes au passage. Posé auprès d'un gué ou à cheval sur le cours d'eau, point de passage obligé, le moulin fortifié joue également le rôle de guichet de péage, celui d'une tour de contrôle, ou celui de verrou dans la vallée lorsque le château est, naturellement, installé sur les hauteurs. Pour tenir compte de cette double fonction, on parlera à juste titre de "moulin tour" voire de "moulin donjon". Cependant, l'efficacité du système défensif du moulin, comme celui de la salle, est douteuse. Décourager un parti de brigands oui. Un voisin irascible peut-être. Mais certainement pas une armée décidée ou affamée. En fait, ce type de construction est surtout l'affirmation d'un statut social, la marque d'une puissance, au moins financière.

Parmi la quantité de ses sujets d'intérêt, Léo Drouyn dessinera donc quelques moulins forts remarquables. Moulin de La Salle à Cleyrac à la stature impressionnante (que nous avons choisi pour le titre de cette chronique) Piis à Bassanne, Labarthe à Blasimon, Moulin neuf à Espiet, Labatut à Langoiran...

Moulins de Piis et Labarthe  Drouyn gascogne guyenne anglais moulin medieval fortifié

 

Mais Drouyn ne se contente pas de représenter le moulin fort de façon bucolique et disons-le, dans l'esprit du temps, un peu précieuse. Avec la précision de l'architecte, interrogeant les propriétaires, observant les vestiges, étudiant les archives disponibles, il en établit les plans et l'organisation, tant militaire que meunière. Prenons l'exemple de Bagas, sur le Drot.

Bien qu'il privilégie l'ambiance des lieux, l'artiste est très précis et fidèle dans la description des éléments défensifs du bâti: archères, échauguettes et cette très caractéristique passerelle amovible par laquelle les sacs de blé pénètrent dans la salle des meules.

Moulin de Bagas Drouyn gascogne guyenne anglais moulin medieval fortifié

 

Puis Drouyn se fait architecte et poursuit avec le plan des trois étages et le descriptif suivant :  " En 1436, cent vingt ans après sa construction, il fut donné par Henri VI, roi d’Angleterre, à Pierre Durant, écuyer. Aujourd’hui cette usine fonctionne encore. Voici le plan du moulin de Bagas ou de Bagatz à rez-de-chaussée, tel qu’il s’établit sur l’un des bras du Drot. La digue qui maintient le bief est en A. Deux éperons BB′ dirigent les eaux sur deux roues CC′. En aval, les eaux des vannes s’échappent par des ouvertures couvertes par des linteaux, D est un îlot. Les entrées du moulin sont en amont et en aval, par les portes fermées au moyen des tiers-points (G et H). On ne pouvait arriver à ces portes que par l’îlot D, ou directement en bateau par la pointe de terre H. Ce rez-de-chaussée est défendu sur trois de ses faces par six meurtrières s’ouvrant latéralement et en amont. Par un escalier de bois on monte au premier étage XX. De la berge, du côté opposé à l’îlot, on arrivait de plain-pied ou à peu près à la porte E, au moyen d’un pont volant. C’est par cette porte que les grains entraient dans l’usine. Cet étage, qui ne se compose, comme le rez-de-chaussée, que d’une salle, contient des latrines en F ; une petite porte I s’ouvrait autrefois sur une galerie de bois J, qui probablement régnait le long de la façade d’aval. On montait au second XXX également par un escalier de bois. Cet étage est muni aux quatre angles d’échauguettes flanquantes dont l’une contient l’escalier qui monte aux combles et au crénelage supérieur. Quatre fenêtres éclairent cette salle, percée en outre de sept meurtrières et garnie d’une cheminée".

 

Aujourd'hui, l'œuvre de Léo Drouyn constitue toujours une mine d'information pour les historiens. Le bâti noble et militaire n'est pas son unique objet d'intérêt. On remarque toujours sur les vues d'ensemble, des personnages du petit peuple vaquant à leurs activités prosaïques. Archéologue humaniste, Drouyn a également merveilleusement dessiné le cadre de vie populaire, le petit patrimoine, les vieilles fermes, l'architecture de torchis et de pans de bois dont si peu subsiste aujourd'hui.

Léo Drouyn ferme torchis pan de bois

 

Léo Drouyn a peu travaillé dans le Gers et il faut le regretter. A Lectoure, le paréage de la ville entre l'évêque et le roi d'Angleterre court de 1273 à 1323. Les maisons fortes, qui peuvent cependant avoir été bâties avant ou après cet intervalle, y sont nombreuses. Trois moulins datent également de cette époque. La Mouline de Belin, ruinée puis transformée et affectée à des activités sans lien avec la meunerie, dont l'appareillage monumental de pierre de taille et les deux portes ogivales attestent cependant de la fonction et du statut d'origine. Le spectaculaire moulin de Lesquère qui, au contraire, affiche haut et fort les éléments bien conservés de son caractère défensif. Enfin la tour de Lamothe, que sa position sur le Gers conduit à affecter logiquement à la meunerie, même si cela est discuté. Eugène Camoreyt, que l'on pourrait, relativement, qualifier de Léo Drouyn lectourois, a dessiné Lamothe avant son démantèlement et sa ruine mais son observation n'a pas été suffisamment poussée pour faire apparaître les éléments permettant de confirmer qu'il s'agissait bien d'un moulin. L'origine de ces trois moulins forts nous est malheureusement inconnue. En attendant une hypothétique trouvaille archéologique ou documentaire, restent la beauté des lieux, la noblesse du bâti et l'imaginaire que l'Histoire médiévale suscite.

 

                                                               Alinéas

 

moulin médiéval fortifié
La Mouline de Belin

 

PS. Nous avons déjà décrit le principe du moulin fortifié et l'on retrouvera les moulins de Gironde magnifiquement rénovés et en photo ici http://www.carnetdalineas.com/2017/09/les-moulins-fortifies-du-moyen-age.html

Pour mieux connaître Léo Drouyn https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9o_Drouyn

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Publié le 18 Novembre 2019

 

 

ans les années 1870, les ailes des moulins à vent de Lectoure cessèrent de tourner pour toujours. A leurs pieds, sur le Gers, pendant une trentaine d'années encore, les moulins hydrauliques assurèrent l'approvisionnement de la ville en farine boulangère et en mouture pour l'alimentation des bestiaux. Jusqu'à ce que l'électricité ne rende instantanément économiquement obsolète cette technique bimillénaire. C'en sera alors fini de l'industrie meunière locale, installée au grès des cours d'eau, puis des vents venus du golfe de Gascogne ou descendus des Pyrénées, capricieux sans doute mais généreux aussi dans ce pays de cocagne.

 

 

L'inventaire dit "napoléonien" (enquête sur les moulins à blé lancée par la Commission des subsistances de la Première République et de l'Empire, 1794-1809) fait apparaître l'importance des moulins à vent dans notre région. On recensait alors dans le Lot-et-Garonne, le Tarn-et-Garonne, la Haute-Garonne et le Gers, de 25 à 30% de moulins à vent.  Plusieurs raisons à ce particularisme par rapport à une grande partie du territoire national à l'intérieur des terres.

Bien sûr, tout d'abord un régime venteux relativement soutenu, alimenté par le golfe de Gascogne et remontant le couloir de la vallée de la Garonne. Les vents orientés au sud-ouest et à l'ouest, Bordelès, Vent de Baiona ou de Sant Gaudens, sont assez fréquents et puissants. La soudaineté et la force des orages obligent d'ailleurs à une surveillance étroite des indices annonciateurs du changement de régime. Le meunier, météorologue avant l'heure, observe en permanence sa girouette et le voisinage devine au déshabillage précipité des ailes par le garçon meunier que l'on craint un coup de vent.

En second lieu, un relief collinaire très régulier. Ce que les géographes appellent "l'éventail gascon", des rivières qui descendent en bouquet, de façon étonnamment symétrique du plateau de Lannemezan vers la Garonne, dessinant un alignement de serres, coteaux, collines, tucos et puys, autant de promontoires faisant face aux vents dominants et offrant de parfaits emplacements où l'on ne se fait pas "souffler" le bon vent par le voisin. C'est l'un des intérêts de l'énergie éolienne ; l'eau des ruisseaux étant disputée entre moulins voisins, les greffes des tribunaux sont encombrés de litiges entre meuniers non seulement concurrents mais malheureusement mitoyens et donc souvent fâchés. Autant d'occasions et de prétextes à chicanes. Les moulins à vent eux, sont comme les champignons. Ils poussent côte à côte, sans se gêner en principe. Prendre de la hauteur.

Enfin, le troisième élément favorisant la construction du moulin à vent est historique, et national. La nuit du 4 août 1789 (dont on mesure une fois de plus les conséquences dans la transformation du paysage, physique et économique) a en effet vu l'abolition, par l'Assemblée Constituante, des droits féodaux. La bourgeoisie artisanale y trouvera l'opportunité d'investir l'industrie meunière, soit en acquérant les moulins hydrauliques nobles confisqués par la Révolution, soit en construisant les nombreux moulins à vent qui se multiplient librement à partir de cette période. Ou les deux en même temps.

Cependant, certains nobles avertis n'avaient pas attendu le couperet révolutionnaire pour prendre en marche le train de l'évolution technique. Ou profiter du vent avant qu'il ne tourne. Nous en avons une très belle illustration en pays lectourois. Extrait manuscrit, rendu lisible pour notre chronique, d'un acte rédigé en 1662 par le notaire royal lectourois Labat :

Les deux moulins sont toujours bien visibles dans le paysage. Dans le vallon de Manirac, souvent dénommé aujourd'hui Bournaca, le moulin hydraulique fait actuellement l'objet d'une très respectueuse restauration et d'une transformation en habitation. La retenue ayant été comblée par les exploitants agricoles successifs, le ruisseau dessine aujourd'hui un détour autour de la parcelle. Mais rien n'empêchera de le faire pénétrer à nouveau sous la bâtisse, par la magnifique double voute qui a été dégagée.

 

Le moulin à vent lui, qui nous a offert notre photo-titre, témoigne toujours, fantomatique, à des kilomètres à la ronde, de cette période de l'histoire économique locale.

La valeur documentaire du contrat de construction des moulins de Manirac et Bazin parvenu jusqu'à nous est non seulement relative à la description minutieuse des deux unités et des clauses de l'acte juridique, à l'histoire locale sous l'ancien régime, celle du Castéra-Lectourois précisément dont les habitants prêtent hommage à leur seigneur, Paul de Polastron, mais également dans notre optique, valeur relative à la démonstration de l'intérêt, dès cette époque, de l'association des deux formes d'énergie. En 1662, nous sommes dans le premier tiers du très long règne de Louis XIV et donc bien loin de la Révolution et de la fin des banalités du système féodal. Loin également de la révolution industrielle. Pourtant la recherche de productivité est présente et le couple énergie hydraulique/énergie éolienne s'impose. Les nombreux moulins établis tout au long du Moyen-Âge et de la Renaissance par la noblesse sur des ruisseaux périodiquement privés d'eau par de longues saisons sèches habituelles en Gascogne pourront ainsi alterner avec les moulins à vent qui les complètent. L'âge d'or.

Cependant, revers de la médaille, on imagine également les va-et-vient du métayer et de son âne, sur le chemin reliant les deux sites. Deux mécaniques, deux rendements, deux qualités de farine, un propriétaire deux fois plus exigeant... Les prémices du productivisme avec ses conséquences sur la vie même de l'exécutant, le meunier, qui voit son rythme, sa responsabilité, ses soucis multipliés par deux. Seuls survivront les plus forts. Un avant-goût des temps modernes.

 

Vue rare, le vallon et le moulin du ruisseau de Manirac sous la neige.

 

 

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A l'opposé de Bazin, au sud de la citadelle, sur le plateau de Lamarque, la documentation et la mémoire d'une famille d'anciens meuniers, nous offrent un autre exemple, de cette complémentarité eau/vent, au moment même où la meunerie traditionnelle voit sa fin se profiler.

Dominant la Vieille-Côte devenue aujourd'hui la Route Nationale 21, au 19ième siècle trois moulins agitaient leurs ailes de concert : Lamarque, Miquéou et Laucate. A notre connaissance, les deux derniers au moins ont été associés à des moulins hydrauliques : Miquéou avec Repassac sur le Gers et Laucate avec Les Balines, sur le petit ruisseau né au pied de la route de Tané et aboutissant à Saint Gény.

 

Intéressons-nous plus particulièrement à Laucate dont la construction date de 1758, soit 90 ans après Bazin. Le premier exploitant sur le site serait un Jean Taurignac dont la fille épousera un Ricau, qui prendra la suite de son beau-père, le grand-père du dernier meunier, soit quatre générations au total (voir document joint). On est meunier de père en fils. Et tous les moulins du pays sont proches par les liens du mariage. Le maître meunier se déplace, en fonction du vent, de l'eau et des besoins de ses clients, d'un moulin à l'autre. Les garçons et neveux sont formés et recrutés chez leurs parents proches. Où ils trouvent parfois fille à marier. Ainsi apparaissent dans les archives familiales de Laucate des liens, de parenté ou d'intérêt, avec les moulins à vent de Sainte Croix, de l'autre côté du ruisseau des Balines, des Justices, qui doit son nom au gibet de potence qui servait au Moyen-Âge d'avertissement aux arrivants à Lectoure, et avec les moulins à eau, d'Aurenque, Pauilhac, Marsolan, et les moulines de Ducos et Canteloup que nous ne localisons pas... Les historiens parlent de "dynasties" de meuniers, un bien grand mot pour évoquer les intérêts communs naturels entre voisins et membres d'une même corporation et une pratique patrimoniale répandue autrefois. Parle-t-on de dynastie chez les paysans ? On pourrait éventuellement évoquer la "tribu". Nous choisirons simplement la "lignée".

Les meuniers Taurignac et Ricau, sont tout d'abord locataires, exploitants des moulins de Laucate et des Balines qui appartiennent, évidemment sous l'ancien régime, à des familles nobles qu'il faudra encore rechercher dans les archives. En 1832, Jean Ricau, l'avant-dernier de la lignée, bénéficie d'un bail pour l'exploitation des moulins de Repassac et Miqueou, conclu avec les héritiers du Maréchal Lannes. En effet, le soldat revenu glorieux et riche des campagnes napoléoniennes s'était porté acquéreur de "biens nationaux" dans sa ville natale, suite à la confiscation des domaines nobles par la Révolution, de "biens nationaux" dont, outre ces deux moulins à eau et à vent, l'évêché, actuel Hôtel de Ville, et l'abbaye de Bouillas de Pauilhac, aujourd'hui disparue. Les moulins faisaient alors encore partie des placements recherchés.

En 1833, Jean Ricau, achète le moulin des Justices. A cette date-là, il est donc exploitant de cinq moulins ! Ce qui en fait un personnage essentiel à Lectoure, un entrepreneur. Bien sûr les moulins génèrent un revenu qui permet ces acquisitions, cette concentration, voisinant parfois avec le monopole et qui vaudra au personnage du meunier sa mauvaise réputation dans l'opinion. Mais il faut tenir compte parallèlement de la dévalorisation de ces outils qui nécessitent un entretien coûteux. L'outil de travail de la bourgeoisie meunière s'est constitué à une époque où, à vil prix, se désengageait la noblesse d'Ancien Régime puis d'Empire, qui recherchera d'autre placements, offerts par la révolution industrielle, plus rémunérateurs espère-elle. Un "croisement" de fortunes, ou de stratégies financières dira-t-on aujourd'hui.

Le dernier meunier de Laucate, Baptiste Ricau, ne fait l'acquisition en pleine propriété des deux moulins de Laucate et des Balines qu'en 1871. Les Balines sera revendu dès 1883. Laucate s'arrête de travailler à la même époque.

En 1857, Thérèse Lalubie, fille du meunier de Pauilhac et épouse de Jean Ricau, avait acheté au moyen de sa dot en numéraire des terrains agricoles autour du moulin de Laucate. Le tracé cadastral montre en effet que les moulins sont souvent confinés sur la stricte parcelle nécessaire au bâti. Nous pouvons imaginer ici une précaution patrimoniale, ou bien une stratégie de diversification dirait-on aujourd'hui. Une double activité est en effet courante chez les meuniers et peut-être même alors est-elle accélérée pour compenser la rentabilité moyenne de l'outil et préparer l'avenir.

L'association des deux énergies n'aura pas suffi à lutter. Le vent de l'Histoire des moulins à tourné. Laucate a perdu ses ailes.

 

Laucate dépouillé de ses ailes.

 

Le moulin voisin de Miqueou semble avoir eu une activité limitée. Il sera démonté en 1870 pour équiper un moulin à Landiran, en direction de Saint Clar. L'histoire du moulin de Lamarque reste à écrire.

Un certain nombre de meuniers ont cessé leur activité dans la misère, n'ayant pas su épargner, se diversifier ou évoluer. Ce n'est pas le cas ici : le fils de Baptiste Ricau, interrompant la lignée, Jean, deviendra pharmacien*.

 

 

Nous recherchons donc encore l'identité du dernier meunier de Lectoure. Probablement exerçait-il sur le Gers, à Saint Gény, Repassac ou Lamothe, l'eau et la rivière ayant conservé jusqu'au bout leur avantage concurrentiel.

L'association des énergies hydraulique et éolienne aura duré environ deux-cents ans. Deux siècles qui ont vu le développement d'une industrie locale dynamique. Les progrès techniques ont été constants, et probablement mutualisés entre les deux types de mécanique meunière, mais cependant insuffisants pour résister au bouleversement économique provoqué par l'arrivée de l'électricité. Une petite activité minotière prendra le relais. Elle sera rapidement concurrencée par la minoterie industrielle, qui ne s'installera pas à Lectoure, la ville retournant vers les métiers et les revenus de la terre, qui elle reste fidèle.

A regret, nous ne connaîtrons pas le ballet fantasque des ailes de toile blanche qui s’agitaient autrefois dans le ciel de Lectoure, disputant à quelque rapace planant au-dessus du Gers et du ruisseau des Balines, le vent où se mêle parfois d'infimes senteurs océanes.

                                                                                     ALINEAS

 

* Une pharmacie dont le mobilier et les instruments occupent aujourd'hui une salle d'exposition du musée Eugène-Camoreyt.

 

REMERCIEMENTS :

A nos amis Giusseppe et Marie-Christine Tormena, qui restaurent avec amour le moulin hydraulique de Bazin, aujourd'hui lieu-dit étonnamment "À la Castagne", un châtaignier inconnu dans ce paysage.

A Jacques Barbé qui nous a ouvert le joli moulin de Laucate et nous a aimablement documenté sur l'histoire de la lignée des meuniers Taurignac et Ricau.

 

ANNEXES :

- Contrats de construction et de taille de pierre des moulins de Bazin par Paul de Polastron 1662. Traduction que nous attribuons à Mr Ducasse de Navère.

Ces archives sont particulièrement intéressantes à plusieurs titres. Par exemple, voilà un bel exemple d'une construction réalisée avec la pierre extraite et taillée sur le site même. Ceci est bien connu mais trouve ici une illustration et sa traduction juridique.

- Liste des meuniers de Laucate. Jacques Barbé 2019.

SOURCES :

. De nombreux et merveilleux sites décrivent la vie et la technique des moulins à vent.

Celui-ci est intéressant plus particulièrement car il est proche de Lectoure, à Sainte Livrade en Lot-et-Garonne. Le recensement des moulins à vent est impressionnant.

http://memoiredelivrade.canalblog.com/archives/2016/07/29/34131212.html

. Carte de l'inventaire napoléonien : Rivals, Le meunier et le moulin, plusieurs fois cité sur ce cybercarnet https://etudesrurales.revues.org/103.

 

ILLUSTRATIONS :

- La photo titre nous a été aimablement prêtée par Jacques Barbé. Elle est extraite d'une très belle série à admirer ici :

https://chambre-photographique.blogspot.com/2016/12/le-moulin-de-bazin.html

- Carte postale Cassel : collection particulière.

- Mouline de Bazin : © Gaëlle Prost, service Inventaire du Patrimoine - Mairie de Lectoure.

http://patrimoines.laregion.fr/fr/rechercher/recherche-base-de-donnees/index.html?notice=IA32001094

- Moulin à vent sur ciel bleu et Vallon de Manirac sous la neige : © Michel Salanié

- Photos archives : Laucate sans ses ailes et Baptiste Ricau en famille : © Famille Barbé.

- Deux moulins à eau et une écluse près de Singraven, Van Ruisdael (1650). Bien que la technique  hydraulique ici représentée ne soit pas usuelle en Gascogne, la perspective alignant moulin à eau et moulin à vent, perché sur la colline auprès du clocher du village, illustre parfaitement notre propos.

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Moulins

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