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Publié le 28 Novembre 2023

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"Dans l'immense champ de bataille idéologique que constitue la Révolution française, on ne se bat pas argument contre argument mais carrément catéchisme contre catéchisme".
Histoires de la Révolution en Gascogne. Hourquebie/ Sourbadère. Illustrations Pertuzé. Ed. Loubatières.

 

HISTOIRE DE FRANCE

Ce sans-culotte impérieux et sentencieux, tel un pasteur monté sur sa chaire du temple de la Raison, qui assène le nouveau catéchisme révolutionnaire à un gamin amorphe, illustre le fossé entre les nouveaux maîtres et le petit peuple, avec humour certes, mais très en concordance avec le texte des deux auteurs de ces étonnantes Histoires de la Révolution en Gascogne. Cependant, Pertuzé n'a pas toujours manié l'humour ou la caricature pour illustrer cette époque. Il sera souvent mis à contribution pour les nombreuses publications, les livres historiques, les bandes dessinées, numéros spéciaux de la presse qui paraissent pour le bicentenaire de la Révolution, et son dessin y est souvent tout à fait réaliste, les costumes et les lieux étant parfaitement rendus pour que l'Histoire soit restituée à la fois le plus possible conformément aux faits et attrayante.

pertuzé toulouse - révolution française - dépêche du midi 1989 - pont neuf - porte Saint-Jacques

Le 14 juillet 1989, la Dépêche du Midi publie un cahier spécial anniversaire sur tous les départements qu'elle couvre, cahiers illustrés par Pertuzé qui situe l'action devant un monument caractéristique de chaque chef-lieu de département (institution toutefois post-révolutionnaire !), Agen, Albi, Auch, Cahors, Carcassonne, Foix, Montauban, Tarbes, Rodez et Toulouse ici, où la révolte vient du quartier populaire Saint-Cyprien et traverse le Pont-Neuf par la porte Saint-Jacques, détruite en 1860 pour laisser passer le flux automobile de l'époque moderne, encore hippomobile à cette date... une autre histoire.

 

Pertuzé s'exprime sur ce sujet dans une interview à la Dépêche du Midi en 1999. A la question "Quelle est la différence entre le dessin et l'écriture ?" voici sa réponse, très modeste en l’occurrence : "Aucune. Tout ce qui est lettre, typographie, calligraphie appartient à l'écrit. La bande dessinée est un excellent compromis. J'essaye moi même d'écrire, même si je suis loin de me considérer comme un écrivain, car je rédige pour faire des illustrations. Qu'apporte le dessin au texte ? Pas grand-chose. Si le texte est bon, il n'a pas besoin de dessin. Mais il apporte tout de même un contrepoint, une autre vision... personnelle. Il y a des textes très visuels qui appellent une illustration très réaliste. Ce n'est pas une nécessité, un plus que l'on apporte au lecteur". Et c'est évidemment le cas avec l'Histoire. Si le texte est bon, dit-il. Or, certains historiens ne sont pas de bons auteurs. Ce n'est d'ailleurs pas absolument indispensable dans leur fonction et de ce fait la matière est souvent indigeste.

Comment intéresser le lecteur lambda à l'Histoire ?

Que serait l'Histoire de l'Egypte antique sans les peintures murales des tombeaux des pharaons ? Que serait l'Histoire de la conquête normande de l'Angleterre sans la tapisserie de Bayeux ? Que serait l'Histoire de l'architecture médiévale sans le Dictionnaire raisonné de Viollet-le-Duc ? Toutes proportions gardées bien sûr, ceci pour démontrer l'importance de l'illustration par rapport à l'écrit, sa complémentarité, son efficacité dans le mécanisme de compréhension, de démonstration et de transmission.

 

SOCIOLOGIE HISTORIQUE

On l'admet aisément aujourd'hui, l'Histoire ne se limite pas aux révolutions, aux grandes batailles et à la chronologie du règne de tel ou tel roi, empereur ou président de la république. L'Histoire est également celle des peuples, de leur mode de vie et de pensée. Pertuzé concourt à dessiner cette sociologie historique qui n'a pas été immortalisée par les grands peintres, monopolisés par les élites. Les Contes de Gascogne de Bladé, comme Les chants de Pyrène, sont illustrés avec un grand soin du costume et des intérieurs paysans, bourgeois et nobles. Le poids du folklore dans la société de l'époque, qui rapporte voire perpétue les croyances et les superstitions, est lui-même en tant que tel sujet d'étude. On discute encore de l’orthodoxie de sa méthode, mais Jean-François Bladé est aussi considéré comme ayant collecté une matière à étude historique. Le folkloriste n'est pas un conteur, mais un passeur, un mémorialiste.

Contributeur de Wikipédia, l'encyclopédie en ligne, sous le pseudo Morburre, Pertuzé a dessiné, pour répondre à quelle sollicitation ? nous ne le savons pas, ce superbe ramoneur savoyard et, en légende, a rappelé sa fonction de coursier dans le Paris du 18ième. La tenue et les outils du gamin sont particulièrement restitués.

Ramoneur, illustration pertuzé, wikipédia, illustrer la sociologie historique

Avant la généralisation des postes, on confiait souvent, à Paris, aux petits ramoneurs le soin de transmettre des courriers.

 

HISTOIRE DE LECTOURE

Evidemment, l'Histoire de sa ville intéresse au plus haut point notre illustrateur. On pourra regretter qu'il n'ait pas eu l'occasion de participer à l'une ou l'autre des publications historiques sur Lectoure, et nous croyons deviner qu'il l'aurait souhaité. C'est sans doute ce qui l'a décidé à travailler, de façon autonome et originale, à ses Lactorates. Initialement, ses portraits, écrits et dessinés, se concentraient sur des personnages célèbres, Jean V d'Armagnac, le duc de Montmorency, le bourreau Rascat... Le titre du projet était alors "Etroite patrie", selon une formule d'un des historiens locaux croit-on savoir. Puis sont venus les écrivains, Gide, Jean Balde, la nièce de Bladé, Aurélie Soubiran, princesse Ghika. Enfin, d'autres portraits ont intégré la galerie, à l'intérêt historique parfois plus anecdotique mais sociologiquement, on y revient, très intéressants, le sculpteur de notre monument aux morts, Sarrabezzolles, le peintre Naillod, Ducos du Hauron, l'inventeur de la photographie en couleur tout de même... Enfin certains plus lectourois, Duchesne, le médecin d'Henri IV, les saints Gény, Clair et Maurin etc...

Il semble que Jean Lannes n'ait pas eu les faveurs de notre illustre illustrateur. Le maréchal d'Empire n'avait d'ailleurs pas besoin de lui étant donné la riche iconographie dont il a bénéficié, façon de parler, après sa mort. Il aurait toutefois certainement fait partie des Lactorates. La première épouse du grand soldat, répudiée pour infidélité, Catherine Jeanne Josèphe Barbe Méric, dite "Polette", a été portraiturée par Pertuzé, dessin et texte, celui-ci plutôt indulgemment. Ceci dit pour la petite Histoire. Y faut-il toujours une majuscule dans ce cas ?

jean lannes - maréchal lectoure - pertuzé - méric - épouse

Quant à Monluc, un autre maréchal de France passé par là deux siècles plus tôt, Pertuzé a publié sur internet un magnifique panoramique du siège de Lectoure par lui légendé ainsi : "Vieille histoire : le siège et la prise de Lectoure (protestante) par Blaise de Monluc (catholique), en septembre 1562. Cherchez l'erreur (il doit y en avoir plein). Pour situer, le clocher est bien là, entier avec sa flèche, mais la cathédrale a été détruite. Le Bastion, à droite, n'est qu'une levée de terre sans murs. Avec ses trois canons, Monluc a fait une brèche dans le rempart, à peu près là où se trouve la piscine mais à l'époque il n'y a pas la piscine, ni même les terrasses des Marronniers et les jardins en-dessous, il y a des maisons et des rues. En plus on n'y voit pas grand-chose parce que l'assaut s'est passé la nuit (et vous trouvez que je fais un boulot facile ?)".

siège de lectoure - monluc - guerres de religion - pertuzé

Siège de Lectoure par la troupe catholique de Monluc. 1562.

Complétons le descriptif car c'est remarquable : la position des troupes de Monluc, sur le plateau de Lamarque (côté lycées aujourd'hui) est exacte, la porte Boucouère est suggérée par deux tours jumelles de flanquement (à la place de l'actuelle entrée de la rue Nationale), on semble distinguer au fond le clocher de l'église Saint-Esprit et la tour d'Albinhac. A gauche, la tour d'angle de notre chemin de Saint-Clair est imposante. L'illustrateur s'est documenté sur l'armement de l'époque. La crémaillère de réglage de la hausse des canons de Monluc et le flacon de poudre noire attaché à la ceinture de l'arquebusier ne s'inventent pas... Le feu de camp qui divise le dessin en deux devait être prévu pour marquer la pliure de l'ouvrage projeté. Que nous ne verrons pas puisque Pertuzé n'a pu mener son projet Lactorates à terme. Fin de l'histoire.

                                                                                                       Alinéas

PS. Je vous suggère de cliquer (clic droit en principe) sur cette dernière illustration et de sélectionner la fonction [ouvrir l'image dans un nouvel onglet] et vous pourrez ainsi observer cette très belle illustration de plus près.

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 6 Juin 2023

 

 

ue s'est-il passé à Lectoure, en 1560, ce jour de fête? Les cagots ont osé se mêler à une procession religieuse. Supposés descendants de lépreux et d'autres maladies honteuses puisque provoquées comme châtiment, pense-t-on alors, par la justice divine, reclus dans leur quartier réservé (1er volet de cette série), à l'extérieur de la citadelle, ces parias ont enfreint l'interdit. Scandale. Quelle audace ! Ces maudits... ces gueux. La bagarre qui s'en est suivie a dû faire des dégâts des deux côtés. Provocation ou simple évolution dans leur comportement et leur intégration sociale puisque le comte d'Armagnac lui-même a ordonné, il y a déjà plus d'un siècle, que cessent les violences dont ils étaient l'objet ? Oui mais voilà, l'autorité ne suffit pas face à la mentalité populaire, profonde et obtuse. Et, de surcroît, il n'a pas supprimé la raison même de leur exclusion, cette supposée descendance maudite. Ce comte, paternaliste et intéressé (2ème volet), a disparu dans la chute dramatique de la maison d'Armagnac en 1473, et à présent, le Sénéchal, représentant du roi, bien loin, lui, de la Gascogne nouvellement directement attachée à la couronne et de ses archaïsmes, par conviction ou prudence vis à vis d'une population nombreuse et toujours prompte à se révolter, prend le parti de la race dite "franche". La cause est effectivement raciale. Pour le moins sociale.

Mais les cagots de Lectoure en ont assez. Assez de cette situation que l'on qualifierait aujourd'hui d’apartheid. Pour oser se rebeller, ils sont certainement dans notre ville assez nombreux, rendus solidaires dans l'adversité et en outre, certains d'entre eux sont riches. Car contraints de n'exercer que dans la maçonnerie, la charpente et la ferronnerie, ils en sont devenus experts, indispensables socialement et par conséquent sûrs d'eux.

Les cagots vont demander au tribunal du Sénéchal que leur soit rendu justice de cette exclusion. Mais ils perdent ce procès en première instance. Qu'à cela ne tienne, ils feront appel devant le parlement de Toulouse. La justice de cette époque n'est pas plus rapide qu'aujourd'hui et ils attendront jusqu'en 1579 pour que le juge provincial se prononce. Or, par rapport à la Gascogne stricto sensu, outre Garonne, la région de Toulouse est relativement peu touchée par le phénomène cagot. Et ce sera la chance des charpentiers de Lectoure, c'est ainsi qu'ils sont dénommés dans les actes juridiques, car les magistrats de la ville rose seront peu sensibles aux arguments du Sénéchal : en effet, la lèpre est en recul et à présent contenue dans les léproseries, les cagots travaillent et paient l'impôt, ceci est déterminant à l'époque où le pouvoir est très gourmand, enfin rien ne permet de distinguer physiquement les deux populations et ne justifie l'exclusion desdits plaignants.

A ce stade, les documents font apparaitre que les cagots de Lectoure et de Saint-Clar sont à présent associés dans la procédure. A leur tête, deux frères Belin, charpentiers dans chacune de ces deux villes. La solidarité tribale joue. Ceux de nos lecteurs qui connaissent notre maison d'hôte avaient deviné pourquoi nous nous sommes évidemment intéressés à cette affaire. Les Belin ont essaimé à Saint-Clar, où un quartier porte encore leur nom. Or, nous savons depuis nos chroniques consacrées à l'hôpital du Saint-Esprit qu'un couple d'hospitaliers nommé Belin est arrivé à Lectoure en 1497 (voir ici). Le mari, prénommé Vital, meurt brutalement d'une maladie, que l'on peut supposer contagieuse. Sa femme, Domenge, c'est à dire Dominique, est atteinte par le mal mais survivra et poursuivra avec dévotion sa tâche à l'hôpital durant plusieurs années. Les cagots sont fréquents dans le périmètre d'influence du Saint-Esprit, employés, locataires, prestataires. L'hôpital joue là son rôle charitable et a sans doute compris l'inutilité et l'injustice de l'exclusion des survivants et des descendants de toutes les maladies qui sévissent alors. Ainsi, parce que son père est mort dans ces conditions douteuses au regard d'une époque qui craint au plus haut point les épidémies, le fils Belin, sera contraint d'intégrer la communauté des charpentiers, monopole des cagots on l'a vu. Il est sans doute parent - à quel degré ? cela n'est pas établi - de ceux qui décident de se rebeller à présent contre leur exclusion et qui ont acquis suffisamment de moyens, moraux, intellectuels et surtout financiers pour assumer cette audacieuse et très longue action de justice.

 

LA CAUTION MÉDICALE

On ne connaît pas la décision du premier appel à Toulouse en 1579. Elle n'a peut-être pas été favorable aux cagots ou bien les vexations se sont reproduites incitant les victimes à reprendre leur action en justice. Car en 1599 et 1600, les charpentiers de Lectoure et de Saint-Clar plaident à nouveau devant le Parlement et celui-ci décide alors de faire procéder à un examen médical "ce afin d'apprécier si réellement il y avait injure dans la bouche de ceux qui les avaient traités de cagots et résisté à leur immixtion au commun peuple".

Voici le rapport des experts, Emmanuel d'Albarus et Antoine Dumay, docteurs en faculté de médecine de l'Université de Toulouse et Raymond Valadier et François, maîtres chirurgiens: "...[ils] attestèrent avoir visité 22 personnes dont un enfant de 4 mois, tous charpentiers ou menuisiers, soi disant cagots, et après avoir palpé, regardé exactement chacun à part, en tous endroits de leurs corps, par plusieurs et divers jours, et fait saigner du bras droit, sauf l'enfant à cause de son bas âge, non plus que sa mère parce qu'elle était nourrice, lui ayant fait néanmoins tirer du sang par ventouses appliquées sur les épaules, observé et coulé le sang d'un chacun d'eux, et avoir fait les preuves accoutumées, examiné les urines et discouru diligemment sur tous les signes de la dite maladie, le tout selon les règles de l'art de médecine et chirurgie, sans avoir omis aucune chose nécessaire pour porter le bon et utile jugement en fait de si grande importance; et pour si les soupçonnés ou quelques uns étoient atteints de ladrerie ou de quelque autre maladie qui y eût quelque affinité et qui par communication put préjudicier au public ou au particulier; examiné aussi si les accusés avoient quelque disposition à la dite maladie, ou inclination; le tout mûrement considéré par les dits chirurgiens et médecins, ils rapportèrent d'un commun accord dans leur relation, qu'ils déclaroient avoir trouvé les 22 personnes dont il s'agit toutes bien saines et nettes de leur corps, exemptes de toutes maladies contagieuses, et sans aucune disposition à des maladies qui dût les séparer de la compagnie des autres hommes ni personnes saines; qu'il leur devoit, au contraire, être permis de hanter, commercer et fréquenter toutes sortes de gens, tant en public qu'en particulier et former tous les actes de société permis par les lois, sans criante d'aucun danger d'infection, comme étant tous bien disposés et sains de leur personnes".

Les experts ont donc discouru selon les règles de l'art. Nous pouvons sourire à la lecture de la science hasardeuse de ces Diafoirus, mais le fait est qu'ils ont bien jugé.

Le Parlement inversera alors la charge de la preuve, c'est à dire acceptera que les avocats des consuls des deux villes fassent la démonstration inverse, ce dont ils seront incapables. Mais il faut attendre août 1627 pour parvenir au jugement définitif: " ...donnant pleine satisfaction aux charpentiers et les délivrant de toutes les coutumes et préjugés d'exception qui jusqu'alors avaient pesé sur eux, les déclare aptes à être nommés et pourveus de toutes charges, indiférament comme les autres habitants desdites villes de Lectoure et de Saint-Clar, et a fait inhibitions et deffences aux dits Consuls et habitants de en ce leur donner aucun trouble n'y empêchement, les injurier ny les appeler capots et gésites"....

Nous trouvons là exprimé et atteint, de façon très explicite, le but que s'étaient fixés les charpentiers : faire reconnaître la légitimité de leurs prétentions sociales. L'affaire des cagots de Lectoure et de Saint-Clar est un procès en égalité devant la loi, devant l'administration et le pouvoir établi. Leur réussite économique  ouvre aux cagots de nouvelles perspectives, métiers et charges publiques. La rixe de 1560 intervenue à l'occasion d'une procession religieuse à Lectoure a conduit à une véritable révolution de classe sociale.

 

UN SIGNE DES TEMPS

L'affaire de Lectoure et Saint-Clar n'est pas isolée. Et à chaque fois, à partir d'un prétexte futile, il y a bien deux catégories sociales au litige : les cagots opposés à l'institution, l'establishment : édiles, consuls, bourgeois, artisans et concurrents.

En 1610, les Etats de Béarn reprochent aux cagots de Nay de vendre des graines, de la laine au grand souci des riches laneficiers, cardeurs, filateurs, bonnetiers et tisserands de laine d'Oloron. En 1706, le parlement de Bordeaux dessaisit le tribunal de Condom, dont les juges devaient être trop proches des plaignants, dans une affaire née lorsqu'on avait empêché l'enterrement d'un charpentier dans le cimetière commun. En 1718, le meunier bayonnais Arnaud et un autre habitant s'étant mariés avec deux cagotes, les édiles de la ville prétendent leur interdire l'accès aux tribunes de l'église. De même, en 1722, un charpentier de Biarritz s'étant placé à l'église dans la tribune des hommes, il en fut expulsé rudement par trois hommes, jurats de la paroisse, l'un étant en outre adjoint au maire. Le parlement de Bordeaux aura à intervenir plusieurs fois dans cette affaire mouvementée, y compris sous la signature de Montesquieu qui fut un temps son président, et devra aller jusqu'à faire intervenir la force publique pour mettre en application ses décisions malgré l'opposition violente de la foule manipulée par des hommes déguisés en femmes... En 1738, deux jurats et un meunier de la ville d'Orx dans les Landes sont bannis de leur ville pour avoir refusé d'exécuter une décision du parlement de Bordeaux favorable à un cagot injurié.

On le voit, la lèpre et sa soi-disant transmission par la naissance ne sont plus en cause. Le combat des cagots pour la reconnaissance de leur normalité s'inscrit dans la montée des luttes catégorielles, corporatistes, qui marquent le développement économique et social de la Renaissance et ses crises.

En 1683, Louis XIV projetait l'édiction de lettres patentes reconnaissant les droits des cagots. " La liberté ayant toujours été l'apanage de ce royaume, et un des principaux avantages de nos sujets, l'esclavage et tout ce qui pourrait en donner des marques en ayant été banni, nous avons appris avec peine qu'il en reste encore quelque marque dans notre royaume de Navarre et dans les provinces qui étaient autrefois connues sous le nom de Novempopulanie..." Son ministre Colbert ayant prévu en échange de cet affranchissement (on ne peut pas mieux avouer l'esclavagisme) de ponctionner lesdits cagots de 50 000 livres. Lettres patentes restées toutefois... lettre morte. Le Roi-Soleil ne rejoindra pas le pape Léon X et le comte Jean IV d'Armagnac dans la galerie des bienfaiteurs des cagots.

Malgré les décisions de justice favorables, que l'on peut, pour faire le lien avec l'histoire des idées politiques, attribuer à l'esprit des Lumières, et les vexations se poursuivant dans la France rurale profonde, il faudra attendre la Révolution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour que l'affaire des cagots soit réglée officiellement au même titre que toutes les autres sortes d'exclusion, au niveau national.

Sans attendre, de nombreux cagots avaient choisi l'exil. Leur nombreuse présence dans le nouveau monde est connue*.

 

BÂTIR UN NOUVEAU MONDE

On l'a vu plus haut, du fait des rigueurs de leur exclusion les cagots sont organisés et travailleurs. Nombreux, ils quittent leurs cagoteries pour s'installer où on les réclame pour leurs compétences et leur énergie. Ils le furent dans les administrations et les armées de la République et de l'Empire. Le cagot Bertrand Dufresne, né à Navarrenx (64) en 1736, monta à Paris, devint commis de Necker, passa au ministère des Finances au début de la Révolution ; en disgrâce sous le Directoire, rappelé par le Premier Consul qui le nomma directeur du Trésor, il contribua au rapide rétablissement des finances publiques, mourut Conseiller d'Etat en 1801 et Napoléon fit placer son buste dans une des salles du Trésor Public (Osmin Ricau).

L'immigration vers les Amériques sera également leur soupape de décompression. Le 28 février 1725, Joseph Lalague de Montcrabeau (47) et son cousin Bertrand Baltère de Saint-Léonard, près de Saint-Clar (32), tous deux charpentiers, s'engagent pour le sieur Fleury de la Gorgendière, sur le navire "La Marguerite" et participeront à la fondation de Saint-Joseph-de-Beauce au Québec où ils feront souche. Les Lalague cagots sont très nombreux en Occitanie et Nouvelle Aquitaine. Un Georges-Camille Lalague était horloger à Lectoure en 1898. Notre ville honorera dans quelques semaines Maurice Lalague, pseudonyme Delbeck, sergent-chef de la Légion étrangère mort pour la France en Indochine en 1954. Le rapprochement est rapide, je le reconnais, et le lien de parenté précis entre ces différents personnages méritera d'être tracé. Il y a là dans tous les cas, un destin exceptionnel de descendants de lépreux, parvenus à la normalité, après les siècles de maladie et de misère, par la justice, le travail et l'engagement.

                                                                              Alinéas

 

SOURCES :

Idem première et deuxième parties de cette série de chroniques. voir ici

*Osmin Ricau en particulier, dans son Histoire des cagots, évoque leur ascension sociale au sein de l'armée et leur émigration vers les Amériques. Le sujet mériterait d'être étudié avec précision et méthode. Si quelqu'un est disponible...

 

ILLUSTRATIONS :

  • Titre. Histoire épisodique du vieux Lourdes. Les parias des Pyrénées. Une procession de cagots arrive sur les bords du Lapacca.
  • Le Coutumier de Poitou : André Bocard pour Jean de Marnef à Poitiers, 1500. Une scène de justice au XVe siècle : le procès de deux paysans devant un juge royal. L’enluminure représente un prétoire et décrit une audience mettant en scène six personnages. Centre et sommet de la représentation, le juge royal, qui procède à un interrogatoire, se reconnaît à sa robe doublée d’hermine, longue et rouge, et à son bonnet carré.
  • La bagarre des apprentis orfèvres. Pointe sèche du Cabinet d'Amsterdam. BNF.
  • View of Quebec City, Canada, lithographie de Thomas Asburton Picken (1818–1891) d'après l'oeuvre de Benjamin Beaufoy (1814–1879). Storye - wikimedia commons.

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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Publié le 15 Avril 2023

cagots - agots -gafets - gezitains - ladres - lépreux - crestians - ambroise paré - gaston fébus - Jean IV d'armagnac

 

 

histoire des cagots est le parfait exemple de ce que peut provoquer la vindicte populaire, la foule qui panique, que rien n'arrête, ni la raison, ni la mesure.

La bagarre qui a opposé les cagots de Lectoure et les habitants de la citadelle, donnant lieu à un retentissant procès devant le Parlement de Toulouse, trouve son origine dans cet aveuglement de l'opinion publique. 

Mais bien entendu, il convient de se resituer dans le contexte historique et ne pas juger avec notre mentalité et notre héritage scientifique. La gravité de la lèpre, ses effets visibles, l'absence totale de traitement médical, ne pouvaient que provoquer la phobie et, au moindre indice ou à la moindre supputation, l'éloignement des "suspects". En outre, les élites, l'Eglise et la noblesse, si elles ont atténué, dans une certaine mesure, le sort des cagots, la médecine elle-même, très longtemps restée dans l'erreur, toutes trois cautionneront le système d'exclusion des descendants de lépreux et de toutes sortes de malades, pestiférés et autres victimes du feu de saint Antoine (voir ici), tous réunis dans le même ostracisme, ignorant et incapable de remise en cause.

 

UNE MALADIE AUX EFFETS TERRIFIANTS

 

La science peine à remonter aux origines de la lèpre mais il semble qu'elle ait été présente de toute antiquité en Europe et dans les régions voisines, du Proche-Orient et de l'Afrique, chez l'homme et chez l'animal. Cependant, deux phénomènes auraient accéléré son développement au Moyen-Âge, les pèlerinages et les croisades. Cependant, pèlerins et croisés n'ont pas été désignés comme boucs émissaires à l'époque, contrairement aux Goths, aux Sarrasins et aux Juifs, ceci a été évoqué dans le premier volet de cette série de chroniques.

La bactérie coupable de la lèpre se transmet aisément par les postillons, secrétions nasales, salive, plaies cutanées, objets souillés, linge et oreillers. La promiscuité familiale est, de ce fait, la cause principale de l'épidémie. Mais la maladie n'est pas héréditaire. Pour nos ancêtres peu importait la nuance : la transmission progressive du mal dans l'entourage justifiait l'exclusion de tous les membres de la famille du malade, conjoint, enfants...

Après une période d'incubation qui peut être très longue, le moment de la contamination ne pouvant pas être repéré et donc évité, le malade voit ses membres anesthésiés, puis apparaissent les plaies et les brûlures. Les articulations sont infectées. Puis, arrive l'atteinte la plus spectaculaire, l'extrémité des membres est mutilée. Aujourd'hui, toujours présente, la maladie est soignée mais les pays sous-développés ne parviennent pas à l'éradiquer en raison de conditions d'hygiène misérables et d'une intervention médicale trop tardive. Des organisations internationales charitables tentent de compenser la faiblesse des systèmes de santé nationaux.

lèpre - lépreux - maladie de Hansen - moyen âge - époque contemporaine

 

Dès lors, on peut très bien imaginer le déroulement des évènements à Lectoure dans ce Moyen-Âge archaïque où la population, démunie, de plus considérant la maladie comme une punition divine, se trouve confrontée à ce phénomène effrayant dont il faut se protéger à tout prix.

Les puissants n'interviennent pas et pire, les savants, qui ne savent rien, en rajoutent

 

ÉGLISE ET SEIGNEURS : UNE AUTORITÉ DE FAÇADE

 

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Le clocher-tour de l'église de Sabazan construit par les cagots

L'Eglise et les seigneurs gascons ont largement fait appel aux services des maîtres maçons et charpentiers cagots pour leurs églises* et leurs châteaux. L'exemple le plus connu est celui de Gaston III de Foix-Béarn, dit Gaston Fébus. En décembre 1379, les cagots de Béarn passèrent un traité avec Gaston, par lequel ils s’engageaient à réaliser la charpente et les ferrures du château de Montaner à leurs frais. En échange le prince leur accordait une remise sur l'imposition de chaque feu (c'est à dire sur chaque foyer fiscal, chaque famille) et les dispensait du versement de la taille, impôt touchant les paysans. Le bois serait prélevé sur les forêts du seigneur.  On admire ici la capacité de négociation des cagots, qui, tout parias qu'ils sont, savent où est leur intérêt. Par ailleurs, rien ne dit que Gaston les considère à ce point "normaux" qu'il les libère de leur exclusion. Il sait qu'il doit en passer par eux puisqu'ils ont de fait, le monopole de la charpenterie mais il s'agit simplement d'un bon contrat, où les deux parties trouvent leur intérêt. Le statut social des cagots n'en est absolument pas amélioré pour autant.

Un demi-siècle plus tard, en 1425, dans son château de l'Isle-Jourdain, le comte Jean IV d'Armagnac reçoit une plainte des Crestias de sa ville de Lectoure. Il écrit au juge de Lomagne, Odet de Bartère : "... ces Crestias sont tous les jours inquiétés et molestés par nos bayles, - sortes de prévôts, ceci démontrant au passage que le petit peuple n'est pas le seul responsable des agressions subies par les cagots - bien qu'ils n'aient commis aucun crime ou délit justifiant ces vexations, mais pour leur extorquer une certaine somme... Quant à nous, poursuit le comte, informés de ce que ces dits Crestias sont bien utiles et conviennent à notre cité de Lectoure, nous voulons et désirons que nos sujets et vassaux soient préservés de pareilles oppressions et extorsions. Le comte s'engage donc nettement plus explicitement que Fébus aux côtés des cagots. Mais encore une fois parce qu'ils lui sont utiles ! Pas de remise en question de leur mise au ban de la collectivité. On peut penser que la construction du château de Lectoure est en cours à cette date et que les cagots sont à l'ouvrage. Bénéficiant ici aussi d'exemptions fiscales. De quoi provoquer la jalousie de la population, dont les prévôts finalement ne sont que les représentants avant d'être les agents du comte.

Les historiens ont montré qu'ainsi, à de nombreuses occasions, le pouvoir féodal a pris le parti des cagots, non par un refus raisonné de leur injuste exclusion, mais par intérêt économique et afin d'asseoir son autorité sur l'ensemble de la population. Or, cette position n'a en général pas été suivie d'effets. Un pouvoir féodal en réalité bien impuissant face à la vindicte populaire, entretenue par la bourgeoisie locale.

Et l’Église ? C'est elle qui crée le statut du lépreux libre, c'est à dire guéri et non cloitré dans une léproserie, c'est-à-dire du cagot, libre mais sous contrôle. En 1179 en effet, le concile de Latran décrétait qu'il (le cagot) devait vivre à l'écart des personnes saines, et disposer d'une église et d'un cimetière particuliers. Tout vient de là, de la ségrégation territoriale, et l'ostracisme suivra.

Le concile d’Auch en 1290 précisera : « Il est interdit aux lépreux de fréquenter foires et marchés sous peine de cinq sous d’amende. Les lépreux doivent vivre à part des fidèles sains et ne doivent entrer ni dans les tavernes, ni dans les églises, marchés ou boucheries. Ils ne doivent pas être ensevelis avec les autres. Qu’ils ne portent pas d’étoffes vergées (à fil saillants et plus foncés, signe de distinction), ni des bonnets de couleur, ni des cheveux longs… Et qu’ils soient tenus, tant les juifs qu’eux-mêmes, de porter un insigne visible afin qu’on les distingue des autres. Item, que les lépreux aient seulement à répondre de leurs actes devant l’ordinaire du diocèse ou bien l’officinal » (Livre Rouge du Chapitre métropolitain de Sainte-Marie d’Auch, Editions J. Duffour, Paris-Auch, 1907. p. 1907).

Ils doivent annoncer leur présence au moyen d'une cliquette dont le bruit caractéristique sera pour la population le signal d'un terrible danger.

cliquette - lépreux
Lépreux actionnant sa cliquette

 

En 1514 les cagots de Navarre (Espagne) adressent une supplique au pape Léon X se plaignant de discriminations dans les églises. Le souverain pontife répondit par une bulle enjoignant de "les traiter avec bienveillance sur le même pied que les autres fidèles". Bien qu'elle émane de l'autorité suprême, cette décision, ambiguë, fut très peu suivie d'effet et les procès se sont multipliés, à charge en général, les cagots étant accusés de transgresser les interdits. Pourquoi ? Il semble que le bas clergé, officiant auprès du peuple, issu lui-même de cette population, à peine plus instruit qu'elle, a sans doute parfois limité les agressions mais tout en maintenant l'accès à l'église et au culte de façon séparée, il a justifié et perpétué l'exclusion. "... aucun document, aucune pièce de ces nombreux procès ne signale jamais qu'un prêtre soit intervenu, en actes ou en paroles, pour rompre avec les vieux usages et manifester quelque sympathie aux Agots (cagots)"*.

Après même les décisions des tribunaux, celle de l'affaire des cagots de Lectoure et de Saint-Clar que nous évoquerons dans un troisième volet, et enfin malgré les interventions du pouvoir royal, la persécution se poursuivant, certains ecclésiastiques durent affronter les résistances de la population. Ainsi Louis d'Aignan du Sendat (1681-1764), Vicaire général du diocèse d'Auch, se trouvant un jour dans l'élise du village de Guizerix (Hautes-Pyrénées), à la fin de l'office, sortit sans prévenir par la porte des cagots, affichant ainsi officiellement devant toute la population, dont le curé du lieu, la volonté de mettre fin au traitement discriminatoire des cagots dans la vie religieuse. Action exemplaire mais si rare.

Les historiens considèrent que, plus instruits, et originaires souvent, au gré de leurs carrières, de régions éloignées où le phénomène cagot n'existait pas, les évêques et les membres du haut clergé ne cautionnaient pas le régime d'exclusion. Mais ils n'avaient pas pour autant le moyen de s'y opposer, en particulier face aux autorités locales, officiers royaux et municipaux, issus du peuple, eux, et attachés à un système social hiérarchisé qui leur était favorable, du moins le pensaient-ils. La coutume de Marmande oblige les gafets (un autre nom pour cagots) s’ils rencontrent homme ou femme, de se mettre à l’écart autant que possible jusqu’à ce que le passant se soit éloigné. Celle de Condom prévoit que leurs soient abandonnées les viandes corrompues saisies chez les bouchers. Autant de vexations inacceptables au regard de la charité chrétienne mais que les officiers publics appliquent avec zèle et que l'église n'a pas été capable de dénoncer et de faire cesser.

Toutefois, n'oublions pas le travail admirable des soignants, la plupart personnel religieux, dans les léproseries où les malades sont cloitrés. Nombreux seront ces femmes et ces hommes guidés par leur foi charitable qui contracteront la lèpre à leur tour.

 

LA MÉDECINE ENFONCE LES CAGOTS

 

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Nous ne disposons pas de chiffres sur le phénomène mais il est certain que, comme les soignants religieux ou bénévoles, les médecins qui approchaient les lépreux furent souvent touchés par la maladie.

Les soins apportés aux malades nous paraissent aujourd'hui extravagants, mais encore une fois essayons de nous mettre à la place de ces "savants" : saignées, inhalation d'herbes, bain de vinaigre. Si pas de résultat : procession publique sur le chemin de croix du bourg...

Le médecin lectourois d'Henri IV, Joseph Duchesne (issu comme son nom francisé l'indique, de la tribu Ducassé de Navère), recommande l'esprit de vipère. La chair de l'animal doit être hachée menue et mise à chauffer pendant 3 à 4 jours dans une cucurbite de verre sur un bain de vapeur ou, à défaut, sur le fumier. A ce stade de l'élaboration de la mixture il faut cependant faire attention de ne pas humer ce fumet qui peut être encore vénéneux. On associera au produit obtenu de l'aneth, du safran et de la poudre de perle... Après différentes opérations de laboratoire très minutieusement ordonnées, la médication est mélangée avec du pain de froment pour permettre la fabrication de tablettes à administrer aux lépreux selon une posologie tout à fait savante. Duchesne est considéré comme le père de la médecine médicamenteuse. Il fallait bien commencer avec les moyens du bord et de façon empirique. Mais évidemment, vue la composition de la mixture, les résultats se feront attendre.

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Le très illustre médecin Ambroise Paré lui, a observé attentivement les malades de la lèpre. Voici son diagnostic. " Une ardeur et chaleur estrange leur sort du corps. L'un d'eux tenant dans sa main l'espace d'une heure une pomme fresche, celle-ci apparut aussi aride et ridée que si elle eut été l'espace de huit jours au soleil ". Cette chaleur est d'ailleurs analysée comme un signe de lubricité et l'on craint la sexualité débridée du cagot. Le père de la chirurgie moderne poursuit : " Le tempérament des ladres (lépreux) est fort semblable à celui du chat, à savoir sec et mélancholique, comme aussi les mœurs, en ce qu'ils sont malicieux comme eux... ils sont cauteleux, trompeurs et furieux". Du chat au diable, il n'y a qu'une rafale de vent mauvais.

On voit bien là que l'affaire des soi-disant descendants de lépreux est mal engagée, le pouvoir politique, l'Eglise et la médecine étant incapables de maîtriser l'opinion publique. A Lectoure, la tension monte entre la population, les officiers du roi et les cagots. A suivre.

                                                                                                     Alinéas

 

* L'église de Monein (Pyrénées-Atlantiques) fait aujourd’hui encore notre admiration ( voir ici notre alinéa sur le chêne )

** Osmin Ricau, Histoire des cagots.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

ILLUSTRATIONS

  • Titre. Ambroise Paré et l'examen d'un malade - Jean-Baptiste Bertrand (1823-1887) Musée Charles de Bruyères, Remiremont (Vosges). Wikipedia - Ji Elle.
  • Journée mondiale des lépreux 2020, Ordre de Malte.
  • Eglise de Sabazan (Gers), wikimedia commons - Mossot
  • Lépreux actionnant sa cliquette, enluminure d'un manuscrit de Barthélemy l'Anglais, fin du XVe siècle. BNF.
  • Inspection du lépreux, gravure sur bois attribuée à Hans Waechtlin. In Feldbuch der Wundarzney (Manuel de chirurgie) Hans von Gersdorff 1517.
  • L'alchimiste, David Teniers dit Le jeune (1610-1690).

 

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Publié le 14 Mars 2023

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assemblés et séparés du reste de la population dans un quartier écarté, contraints de porter un signe distinctif, une pièce de tissu en forme de patte de palmipède, pénible similitude avec notre histoire récente, ne pouvant ni vendre les produits de la terre ni exercer les commerces alimentaires, interdits d'accès aux fontaines publiques, réduits à se marier entre eux, il a fallu aux cagots de Lectoure et de Saint-Clar près de 70 ans ans de procédure obstinée pour obtenir la reconnaissance de leur normalité, contribuant ainsi, au-delà de leur cas, à mettre fin à cette terrible persécution, quasiment raciale, d'une frange de la population, plus particulièrement en Gascogne, en Espagne et dans l'ouest de la France.

En effet, en 1560, lors d'une fête religieuse, les cagots de notre ville sont empêchés de se joindre à la procession publique. Une bagarre s'en suit. Le litige est porté devant la justice royale du Sénéchal de Lectoure qui donnera tort aux cagots, confirmant leur mise au ban de la société. Mais ils n'en resteront pas là. 

Qui sont ces parias de la société médiévale ? Quelle est la cause de leur exclusion ? Comment ont-ils trouvé, à Lectoure, la force de se battre contre les mauvais traitements qu'ils subissaient sur la base d'antiques superstitions, tant de la part de la population que des autorités, de génération en génération, et ce depuis plusieurs siècles ?

 

QUI SONT LES CAGOTS ?

moye-âge - gascogne - navarre - occitanie - poutou-charentes - bretagne
Agotes, cagots de Navarre (Espagne)

Il a beaucoup été écrit sur les cagots : littérature, tentatives d'explication historiques, phantasmes. Evidemment les chroniques de l'époque ne sont pas toujours fiables. Essayons d'y voir clair, et de faire court.

Les Cagots, ou Capots, apparaissent dès le 13ième siècle, sous le nom de Crestias ou Chrestians, c'est-à-dire chrétiens, ce qui est censé leur assurer la protection de l'Eglise et deviendra parfois leur nom de famille, car ils n'ont pas le droit d'en avoir d'autre. Ils sont nombreux en Gascogne et sur le versant sud des Pyrénées où on les nomme Agotes. Un chercheur a relevé 137 sites concernés. Ils sont recensés en Gironde, les Gaffets, plus loin en Poitou-Charente et en Bretagne où ils portent le nom de Caquous. Le nom de Gézitains viendra plus tard et seulement dans les ouvrages érudits, en référence à un serviteur malhonnête de l'Ancien Testament condamné par Dieu à être lépreux et sa descendance avec lui. Enfin, parce qu'ils ne sont autorisés à exercer que ces quelques métiers, on les appellera Charpentiers, Mestres en gascon, c'est à dire maîtres, ce qui a au moins le mérite de reconnaitre leur art et leur fonction sociale, et ce sera le cas à Lectoure et Saint Clar, ou ailleurs Cordiers, fabricants de cordages. Car le bois et le chanvre, matières inertes, sont réputés ne pas transmettre les maladies, la lèpre en particulier dont on a une peur panique. Un dernier terme synonyme de cagot découle directement de cette phobie : Ladre, déformation de Lazare, du nom du lépreux dans une parabole attribuée à Jésus.

Car voilà bien la raison principale de l'exclusion des cagots : ils sont accusés de porter en eux le germe de la lèpre, que l'on considère de surcroît héréditaire. Un lépreux, ou seulement supposé tel car la suspicion et la rumeur suffisent, fait de ses enfants des cagots qui à leur tour transmettront l'infâme héritage à leur descendance. On naît cagot et on le reste. On ne sort pas de la cagoterie.

Plusieurs autres théories tentent d'expliquer le phénomène cagot. La plus fréquente et toujours défendue aujourd'hui mais réfutée par les linguistes, s'appuie sur l'étymologie du nom qui découlerait du passage des goths en Gascogne, peuple d'obédience arienne, c'est à dire ne reconnaissant pas la divinité du Christ et pour cela honnis et rejetés. Cagot, traduction "chien de goth". Les wisigoths chassés vers l'Espagne par les Francs au début du 6ième siècle auraient abandonné sur place quelques-uns des leurs qui se seraient trouvés en butte avec les chrétiens canonistes. Une histoire vieille de mille ans, et sans doute inconnue de la population à l'époque ou apparaît le phénomène cagot.

De fait, tout dissentiment, même supposé, pouvait vous faire traiter de cagot et, dit c'est dit, sans procès c'en était fini de votre citoyenneté : sarrasin, bohémien, juif... il ne faisait pas bon être étranger ou simplement différent à cette époque et les cagoteries devaient servir de ghettos pour toutes les sortes de parias de la société médiévale.

Tous ces noms sont bien sûr, devenus des insultes. De cagot à cagar, déféquer en gascon, évidemment. Car l'exclusion et la haine sont sœurs.

Enfin, il faut mentionner le cas particulier des personnes atteintes de crétinisme, c'est à dire de troubles physiques, nanisme en particulier, et de retard mental, tares génétiques ou dues à une carence en iode, qui furent isolées du reste de la population jusqu'au 19ième siècle, particulièrement dans les Pyrénées, mais le phénomène est connu également dans le Massif-Central et dans les Alpes, isolement poussant à l'endogamie, favorisant et perpétuant ainsi le risque de dégénérescence. Les crétins des Pyrénées ont contribué à alimenter une autre théorie, celle d'une race aux caractéristiques physiques spécifiques : petite taille, nez épaté, voire pieds palmés, d'où l'insigne palmé... Peuple aux origines mystérieuses et au destin tragique, disséminé entre la Grèce antique et la Celtique druidique. L'imaginaire est sans limite. Aussi, nous vous passerons toutes les autres théories ésotériques, dont une origine extraterrestre bien sûr, qui ont alimenté et alimentent encore aujourd'hui, la légende des cagots.

Mais revenons aux faits.

 

EXCLUSION, MÉPRIS et CONTRAINTES

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Les cagots sont donc rassemblés dans des quartiers à l'écart du bourg. A Lectoure, les historiens les situent au Barry, notre actuel faubourg, c'est-à-dire hors le bourg, et au Pont-de-Pile, où sont implantés également les hospices, respectivement de Saint-Jacques et de Sainte-Catherine, celle-ci traditionnellement patronne des lépreux. Ailleurs en Lomagne, des lieux-dits ont conservé précisément au cadastre et dans la signalétique actuelle, la mémoire de ces quartiers : Au Mas-d'Auvignon, "Aux Charpentiers", à la sortie du village en direction de Terraube, également à Fleurance, et beaucoup plus isolé, "Aux capots", un hameau situé sur la route de Sainte-Radegonde, où l'on peut aujourd'hui aller acheter son vin de table en toute sécurité au domaine ayant conservé le toponyme pour sa commercialisation.

Pourquoi ces populations ne portent-elles pas, généralement, de nom de famille ? C'est un point mal compris. Peut-être pour ne pas susciter le soupçon envers ceux qui portent le même nom dans le bourg, parents ou non. Autrement dit, tout est fait pour les désocialiser. Un cagot de Lectoure qui apparaît dans un acte juridique s'appelle Dupont, sans doute parce qu'il vit au Pont-de-pile. Une acquisition de patronyme classique, éponyme du lieu de résidence, mais ici une autre façon de désigner et de "marquer au fer" un cagot, au moins localement, en lui donnant le nom de la cagoterie.

Il fallait que l'endroit dispose d'une source bien sûr, qui sera réservée aux soi-disant porteurs de la lèpre. Le simple fait que le cagot s'y soit abreuvé suffisait à faire déguerpir les voisins épouvantés.

L'une des causes de la multiplication des cagoteries dans notre région serait le manque d'institutions officielles, religieuses ou communales, pour accueillir les malades. Le docteur Fay dans sa très complète thèse, recense une trentaine de léproseries seulement en Gascogne, dont une à Lectoure, pour 2000 en France. Il faut d'ailleurs lire les chroniques et les archives avec précaution : les quartiers cagots sont parfois indistinctement appelés cagoterie, ladrerie, crestianie, maladrerie, tout autant que léproserie. Faute de structure d'accueil, le lépreux, livré à lui-même, était chassé de la ville, puis rejoint, par la force de la vindicte populaire et des édiles eux-mêmes, par sa famille et au premier signe d'infection ou supposé tel, par toute sorte de malades. Les premiers abris durent être quelques ruines ou des cabanes construites à la va-vite. Puis, les valides bâtirent de vraies maisons dont certaines ont encore été désignées par la rumeur, jusqu'à nos jours, comme "maisons des cagots".

On l'a dit, les cagots ne peuvent pas participer aux manifestations publiques aux côtés de la population "saine". Chrétiens et protégés par l'église, ils ont cependant accès aux offices, rassemblés à l'arrière de l'assistance, mais ils doivent emprunter une porte qui leur est affectée et utiliser un bénitier à part. Il a été dit que le prêtre leur donnait la communion au bout d'un bâton. Cet ostracisme religieux peut nous apparaitre aujourd'hui comme accessoire mais dans une société médiévale fortement soumise aux impératifs de la foi, c'est un signe d’infamie et ceci pèse lourdement dans les esprits. Sur les registres fiscaux, où ils ne sont pas oubliés bien sûr, les cagots viennent en fin de liste, après le curé et affectés d'un seul patronyme, crestian. Au cimetière, un secteur distinct, voire écarté, leur est désigné.

En 1460, les états de Béarn demandent à Gaston de Béarn, Prince de Navarre, "Qu'il leur fust défendu de marcher pieds nus par les rues, de peur de l'infection et qu'il leur fust permis, en cas de contrevention, de leur percer les pieds avec un fer rougi au feu ; et, de plus, pour les distinguer des autres hommes, il leur fust enjoint de porter sur leurs habits, l'ancienne marque de pied d'oye". L'origine de cette marque est, elle aussi, très discutée. La croyance populaire, nous y reviendrons, voulait que le cagot ait une patte de canard empreinte sur la peau sous l'aisselle gauche... Ce signe aurait également été imposé aux descendants de sarrasins restés sur place, 3 à 400 ans auparavant, après le retrait de l'envahisseur mahométan. Un arrêt du Parlement de la Soule (Pays basque) mentionne que le Coran (information non vérifiée) considère cette marque comme le moyen le plus sûr et le plus salutaire pour la purgation des péchés. Enfin, l'insigne viendrait de l'histoire, ou de la légende, de la reine Pédauque, toulousaine de l'époque wisigothique, on y revient, et donc hérétique. Nous ne devons pas sous-estimer la sévérité de la brimade concernant la marche pieds-nus. En effet, le petit peuple ne se chausse qu'aux grandes occasions, par économie et également par confort, le port des sabots ou de brodequins rigides et peu ajustés n'étant pas un plaisir.

Bien sûr, la rigueur de ces impératifs discriminants et la persistance de leur application a pu fortement varier sur le territoire et dans le temps, le phénomène cagot ayant existé sur environ quatre siècles.

Les cagots ne peuvent épouser quelqu'un d'une autre condition que la leur, ceci conduisant à faire de cet état une nature transmise par la naissance et définitive. C'est ce qui a conduit certains à comparer les cagots, peut-être de façon excessive, aux intouchables du continent indien. Pour éviter les risques de l'endogamie, les hommes, et les femmes parfois, vont chercher leurs conjoints dans les cagoteries voisines. Ces mouvements ont été étudiés. Il en ressort une forte vitalité de cette population et une extension de son implantation, en particulier vers Bordeaux, Toulouse et la vallée de la Garonne. Parfois, en raison de leur savoir-faire réputé, certain charpentier sera invité par les édiles d'une bourgade voisine à venir s'installer pour exécuter des travaux que l'on ne sait à qui d'autre confier. Le signe précurseur d'un retournement de fortune.

Charpentiers - maçons - lectoure - saint clar - cagots - procès -cordiers - chanvriers - corroyeurs - vallée de Foissin - saint esprit

 

En effet, sans que ce soit un monopole, ne leur sont permises que les seules activités où le matériau est supposé ne pas transmettre la maladie: bois, chanvre, osier... Ils en deviendront les experts. Par ailleurs, la charpenterie, qui est confondue à l'époque avec la maçonnerie, exige une organisation collective. La manipulation des poutres et chevrons, le portage, l'ajustage, autant de tâches exécutées en équipe. Les cagots travailleront donc en famille, ou en tribu, en entreprise pourrait-on dire avant l'heure. La corderie est également parmi les métiers qui leur sont ouverts et qui ont une grande importance au Moyen-Âge. A Lectoure, le quartier des cagots du Pont-de-Pile aurait été situé en aval du Gers, c'est à dire vers la cote de Pébéret ou vers Foissin. Or, progressivement, la règle devenant plus souple, le cuir fut admis dans la matière première cagote. Nous l'avons dit ailleurs, le ruisseau de Foissin était appelé au 13ième, riu correge, ruisseau des corroyeurs. Enfin, et ceci est attesté en différents endroits, les moulins hydrauliques qui sont actionnés par une mécanique monumentale entièrement agencée en bois seront un nouveau domaine de diversification de l'activité des cagots au 15ième et 16ième siècles, parvenant ainsi, contre le cours de l'histoire de leur persécution, à la maîtrise des métiers les plus exigeants mais aussi les plus rémunérateurs.

Enfin, très bizarrement à nos yeux, ces activités étant alors assimilées à la sorcellerie, et peut-être précisément pour cela, les femmes cagotes purent se consacrer aux accouchements et certains médecins cagots furent appelés auprès de la population qui les excluait. A suivre.

                                                                       Alinéas

 

SOURCES :

  • La référence en la matière : Histoire de la lèpre en France. Lépreux et cagots du Sud-Ouest. 1910. Docteur H.M. Fay. Que l'on peut lire en ligne ici https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57243705.texteImage
  • Une minorité marginale du Sud-Ouest : les Cagots. in Histoire, économie et société, 1987. Bériac Françoise.
  • Les signes d'infamie au moyen âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques. Ed. Champion 1891. Ulysse Robert.
  • Histoire des cagots. 1963. Osmin Ricau.
  • L'énigme des cagots. ed. Sud Ouest 1995. Gilbert Loubès.
  • Histoire de Lectoure. 1972. Collectif.

 

ILLUSTRATIONS :

  • Titre : Ancienne église de Saint Girons - Hagetmau (Landes). Détail d'un chapiteau.
  • Agotes de la localité de Bozate (Navarre-Espagne) , à la fin du XIXe siècle. Jmenj-wikipedia.
  • Cabanes à Cabanac-et-Villagrains (Gironde) : gravure de Léo Drouyn. Village où une léproserie a été recensée.
  • Charpentiers. Gilles de Rome. 16ième siècle. BnF.

 

 

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Publié le 13 Janvier 2023

hopital moyen-âge - docteurs - pistoia - salle d'hôpital - médecine - médecin

 

L'épidémie de Covid que nous avons vécu, que nous vivons encore, a mis en évidence la distance qu'il y a entre les différentes préoccupations, celle d'assistance due à la souffrance, celle de l'organisation de la vie en société avec la maladie et enfin, celle de la recherche scientifique d'un traitement médicamenteux. Distance et incompréhension entre les acteurs, les priorités des uns provoquant les revendications des autres. Les argumentations sont souvent catégoriques. Les oppositions peuvent se révéler violentes.

Le lien avec l'histoire de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure du 14ième au 16ième siècle, me direz-vous ? J'y viens.

 

GAGNER LE PARADIS

Nous l'avons évoqué en mars 2021 dans la première partie de cette histoire consacrée à l'origine de l'hôpital, il est très probable que la commanderie d'Auray du Saint-Esprit ait été invitée à s'installer à Lectoure par le vicomte de Lomagne. Le seigneur des lieux se devait en effet de contribuer à soulager les maux de ses sujets, maux infinis et profonds qu'il pouvait mesurer sur son parvis et dans la citadelle, tous les jours en sortant de son château. Il faut redire que l'espérance d'une vie meilleure, et éternelle, et la peur des feux de l'enfer qui en est le corollaire, est au Moyen Âge, un discours, devenu fantaisiste à nos yeux mais très réaliste à l'époque, en permanence ressassé par le clergé, textes bibliques et interprétations savantes à l'appui, qui permet à l'église de mobiliser les esprits et d'imposer sa loi, y compris aux élites. Le seul moyen d'échapper au supplice infernal, c'est de faire la charité, le premier devoir du bon chrétien. Le vicomte pouvait sans trop débourser, affecter un terrain à l'institution charitable, éventuellement contribuer à la construction du bâtiment et s'appuyer ensuite sur l'Ordre et sur les bourgeois de la ville pour le fonctionnement de ce qui n'est en fait qu'un hospice, un refuge temporaire pour les malades qui pourront repartir une fois guéris ou pour le moins soulagés, un mouroir pour les autres. Accueillir, loger, protéger c'est le seul rôle attribué à l'hôpital à l'origine. Le donateur bienfaiteur, chacun à la mesure de sa bourse, pouvait alors dormir la conscience tranquille et rassuré pour sa vie outre-tombe.

En ce sens, la spécificité de l'Ordre du Saint-Esprit, et son originalité par rapport aux autres ordres religieux, plus sélectifs et pas uniquement consacrés à la fonction hospitalière, se comprend mieux : accueillir toutes les misères, car chaque malade se présentant à la porte de l'hospice représente potentiellement le christ en souffrance.

La charité n'est pas une option, une valeur chrétienne parmi d'autres. Elle est la première obligation du chrétien, l'assurance de son salut.

gagner sa place au paradis - charité - dix commandements - bon chrétien - élus - ordre du saint-esprit
Pratiquer la charité pour espérer faire partie des élus

Cette valeur souvent dénigrée aujourd’hui et réduite à un pis-aller, était fondamentale à l'époque, et de surcroît l'unique recours du peuple dans sa condition misérable. En contribuant à l'action hospitalière, le donateur s'achète, ceci dit vulgairement, une conduite. C'est cette conjonction entre l'omniprésence de la misère, l'injonction dogmatique de l'église et la croyance en un paradis qui conduit au développement considérable du réseau des hôpitaux du Saint-Esprit.

La ville et ses édiles ne pouvaient pas rester à l'écart de ce phénomène omniprésent dans la société médiévale, phénomène moral, social et économique.

 

LA MISÈRE ENTRE DANS LE CHAMP

DE COMPÉTENCE DE LA CITÉ

Les édiles, les consuls des cités dont le pouvoir et la responsabilité s'étendent au Moyen-Âge, n'étaient pas exempts de la crainte de l'enfer, et donc comme tout le monde, étaient soumis au commandement charitable. Mais en outre, évidemment, la bonne administration de la ville conduisait naturellement la collectivité à prendre en charge la gestion de la misère et de toutes ses conséquences : mendicité, vols, agressions et désordres de toutes natures, hygiène, risque d'épidémie... Aussi, en l'absence d'initiative religieuse, les communes se sont très vite investies dans la fonction hospitalière, mission publique au même titre que la sécurité, la voirie, l'approvisionnement... Une fonction d'ordre public dirait-on en droit. Des hôpitaux ont donc, ici et là, été créés par les villes elle-mêmes.

Le phénomène mériterait une étude documentaire approfondie, mais il semble bien que l'Ordre du Saint-Esprit, de son côté, ait choisi dès l'origine, d'impliquer systématiquement les villes dans la gouvernance de ses établissements. Ainsi se délestait-il d'une partie de la charge et espérait-il associer les forces vives du lieu à l'action dont la maison-mère prévoyait de tirer des dividendes par ailleurs, en prélevant sa quote-part des quêtes par exemple, dont nous avons déjà parlé. Une sorte de coentreprise privé-public en quelque sorte.

Plus tard, et c'est probablement ce qui s'est passé à Lectoure, l'Ordre perdant de son influence et de sa capacité d'action, la cité prenait le relais et poursuivait l’œuvre charitable et d'utilité publique sans le concours de l'effectif religieux. Tant bien que mal. L'hôpital aurait pu changer de nom pour marquer cette "publicisation", ce fut probablement le cas ailleurs. A Lectoure, le nom du Saint-Esprit s'est maintenu jusqu'au 18ième siècle. Cela ne pouvait pas nuire.

Nous disposons des comptes de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure de 1457 à 1558 (voir ici le 2ième volet de notre étude en janvier 2022) ou derrière le simple enregistrement des dépenses et des recettes, transparaît la vie de l'institution. Il ne semble plus dès cette époque, y avoir à Lectoure de religieux de l'Ordre, sauf peut-être en 1459 la mention d'un "frère" Vital de Sebas. Deux consuls de la ville sont élus pour l'année, procèdent aux actes de gestion, et doivent rendre compte. L'accueil des indigents, pauvres et malades, est confié à des hospitaliers, laïcs, souvent en couple.

"L'an 1497 et le 16ième jour du mois de juin, les sieurs Gayssion Foassin et Bertrand de Sarcy, gouverneurs dudit hôpital, donnèrent et délivrèrent à Vital Begue et Domenge de Belin sa femme, hospitaliers dudit hôpital, à savoir les biens et les choses contenues dans le précédent inventaire, lesquels hospitaliers reconnurent avoir eu et reçus et promirent et jurèrent de bien régir et gouverner lesdits biens et de les rendre et restituer toutes les fois qu'ils en seront requis, en présence de Johan de la Crotz et Bernard de Labat, habitants de Lectoure".

On perçoit bien derrière ce recrutement du couple d'hospitaliers, que le droit et l'organisation administrative prennent le pas sur la charte de l'Ordre du Saint-Esprit qui évoquait "nos seigneurs, les malades".

béguine - femme de salle - soeur soignante - religieuse dans le monde - béguin hospitalier - hospitalière
Une béguine, mi-infirmière, mi-religieuse.

 

Ceci ne veut pas dire que les moyens matériels de l'hôpital seront développés. La noblesse, à Lectoure comme ailleurs, consacre sa fortune à tenir son rang militaire auprès des rois d'Angleterre ou de France dans leur dispute plus que centenaire et celles qui suivront, la contribution aux œuvres charitables passant au second plan. Quant à eux, les bourgeois de la ville pensent d'abord à leurs affaires. Et la commune ne dispose pas de moyens financiers propres permettant de développer une politique sociale véritable.

En outre, malheureusement, l'hôpital n'est pas à l'abri des maux mêmes qu'il est censé soigner. L'hospitalier Vital Begue meurt brutalement d'une maladie que l'on ne sait pas nommer mais épidémique probablement puisque Domenge de Belin  et ses enfants sont touchés. Il faudra faire appel à des aides extérieures en attendant que l'hospitalière puisse reprendre sa tâche. Outre son salaire, elle obtient la fourniture de vêtements, chaussures et robe en rousset (robe de bure, qui préfigure l'uniforme des sœurs soignantes et des béguines*). Mais, pour sa consommation, elle doit acheter son blé, récolté par les fermiers de l'hôpital qui ne lui fait pas de cadeau. Cette fonction hospitalière, occupée soit par nécessité, un travail comme un autre, soit par vocation, si elle est respectable et probablement respectée, ne permet pas à ses titulaires d'être considérés comme ils le mériteraient. Un débat toujours vif de nos jours.

Il faudrait, pour honorer leur mémoire, recenser tous les hospitaliers évoqués au gré des années. Avec le couple Vital Begue et Domenge de Belin pris en exemple ici et que nous retrouverons dans l'histoire des cagots de Lectoure, citons Pey de la Coustère et sa femme, Vital de Arromat, Jacques de Bologne, Felipot...

La situation matérielle de l'hôpital continuera à se dégrader. Le royaume de France prendra des dispositions qui présenteront le mendiant comme un personnage dangereux pour l'ordre public, transformant ainsi l'hôpital en prison. Jusqu'à ce que l'église reprenne l'initiative. En 1535 est créé à Lectoure un bureau des pauvres présidé par l'évêque et comprenant des dignitaires ecclésiastiques, le lieutenant général de la sénéchaussée, l'avocat du roi audit tribunal, les consuls et plusieurs notables**. On voit bien que la seule administration communale ne suffit plus. L'hôpital du Saint-Esprit est déplacé pour laisser la place au collège des Doctrinaires et subsiste cahin-caha jusqu'au 18ième siècle***. Au Premier Empire, l'hôpital-manufacture imaginé par l'évêque Narbonne-Pelet offrira enfin une alternative économique à ce dénuement chronique de la santé publique.

 

LE VIATIQUE POUR TOUTE MÉDECINE

Il ne faut pas regarder l'histoire de l'hôpital à l'aune de nos références du 21ième siècle en matière de santé. Accueillir les pauvres et les malades est une œuvre admirable. Mais évidemment, la médecine est archaïque. Si les médecins sont appelés, c'est in extremis et pour l'application de soins expérimentaux.

D'ailleurs l'église se méfie de la médecine. En 1219, le pape Honorius interdisait l'enseignement de la médecine aux religieux, sous peine d'excommunication ! Il voulait de cette façon contraindre le personnel d'église à prioriser les études théologiques. D'une part la médecine s'apparente parfois à de la sorcellerie et le fait que le médecin se fasse rémunérer n'est pas admis, le "bon malade" avant d'accepter les soins, devant remettre sa guérison dans les mains de la providence divine.

Les ordres religieux et le Saint-Esprit parmi eux, ne feront pas avancer la médecine. Les Antonins (voir ici) seront considérés comme de bons chirurgiens, mais médecine et chirurgie ne sont pas confondues au Moyen-Âge. Et la seconde restera longtemps très hasardeuse, jusqu'à Louis Pasteur en fait, en raison de la pratique des opérations sans une hygiène suffisante.

Le feu de Saint-Antoine, provoqué par l'ingestion de seigle avarié et parce qu'il provoque les mêmes bubons est confondu avec la peste. Le mal de Naples, la syphilis, qui se caractérise au départ par le développement d'un chancre est pris pour la lèpre. On applique de la graisse sur les éruptions cutanées... Au mieux utilise t-on les simples, plantes médicinales, cultivées dans un jardinet à portée de main où cueillies dans la campagne voisine. La pharmacopée à base de plantes ou de substances animales (on trouve dans les grimoires les recettes de terribles mixtures dont on peut se demander si elles n'étaient pas plutôt faites pour achever le patient) ou minérales pouvait obtenir certains résultats mais l'état des malades admis à l'hôpital du Saint-Esprit était probablement tellement avancé que les effets de cette médecine du pauvre devaient être décevants, ou bien miraculeux.

Dans certains cas, sans que l'on sache ce qui justifie ce traitement, une faiblesse physique trop prononcée sans doute et la crainte du pire, les malades se voient soigner par l'amélioration de leur ordinaire et les comptes, régulièrement, enregistrent une dépense pour de la viande, du sucre, des épices, de l'huile, du fromage et d'autres douceurs... des chandelles... Ce qui ne suffit pas toujours : quatre morts en 1461, malgré ce régime exceptionnel note le comptable.

Et puis il y a le passage, la mort. En effet, les pensionnaires se sont souvent rapprochés de l'hôpital du Saint-Esprit, non pas dans l'espoir de la guérison, inespérée, pour un soulagement bien sûr, mais plus sûrement pour chercher à s'assurer d'une place dans le cimetière autour de l'église du Saint Esprit (située à l'époque sur notre place Boué-de-Lapeyrère, puis sur l'emplacement de l'hôtel des Doctrinaires). Car pour accéder au paradis, mieux vaut être au premier rang, et un chrétien dont la dépouille ne trouve pas de sépulture sur une terre consacrée, risque bien, une autre croyance fortement ancrée dans les esprits, de voir son accession au paradis échouer.

Alors, voyant venir le trépas, l'hospitalière requiert l'extrême-onction administrée par le prêtre affecté au service de l'hôpital. Qui facturera sa prestation, il faut bien vivre.

                                                                      Alinéas

lectoure - hopital du saint-esprit - boulevard du nord - fontaine - croix

Sur le boulevard du Nord, à proximité de l'emplacement d'origine de l'hôpital, la fontaine du Saint-Esprit, où notre hospitalière venait chercher l'eau des pauvres avec sa cruche sur la tête, disparaît aujourd'hui sous la mousse et la croix du Saint-Esprit est soumise à signaler l'avenue du Souvenir Français, ce qui n'est pas une mauvaise compagnie. Toutefois, la mémoire de cinq siècles de dévouement charitable mériterait mieux.

 

* L'Ordre du Saint-Esprit a institué les hospitaliers laïcs. Mais cette fonction s'est également développée en périphérie des couvents et des hôpitaux laïcs en particulier avec les béguines et les béguins  : https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9guine

"Dès leur constitution, les béguines furent les premières « religieuses dans le monde ». La plupart des béguines vivent seules dans une maisonnette où elles prennent leur repas. Les plus pauvres rejoignent la maison communautaire, le couvent. Le travail, moyen d'émancipation économique, fait partie de leur existence. Elles s'occupent du blanchissage des draps, du lavage de la laine, travaillent à la ferme, fabriquent des bougies. Les plus instruites se tournent vers l'enseignement. Enfin, grâce aux infirmeries présentes dans les béguinages, elles acquièrent un savoir-faire médical. Beaucoup d'entre elles vivent aussi leur foi en s'adonnant à l'art. Bien que se réunissant souvent en petites communautés, elles se proclamaient religieuses mendiantes et menaient une vie spirituelle très forte. Leur caractéristique était l’absence de règle : elles pouvaient choisir de faire un vœu, souvent de chasteté (avec l’accord de leur époux si elles étaient mariées), parfois de pauvreté, exceptionnellement d’obéissance".

Le rapprochement entre le nom de "béguin" et notre hospitalier nommé Vital Begue est troublant.

** Maurice Bordes, Histoire de Lectoure.

*** Sur la suite de l'histoire de l'hôpital du Saint-Esprit, à partir de la Renaissance, il faut rappeler les travaux de Jules de Sardac, l'Etude sur l'assistance publique à Lectoure aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, Imp. de Cocharaux, 1908 et Notes sur la médecine à Lectoure au XVIe siècle, Extrait du Bulletin de la Société archéologique du Gers, Auch, Imp. de Cocharaux , 1910.

ILLUSTRATIONS :

- Titre. Détail de la frise en terre cuite polychrome de l'Ospedale del Ceppo, hôpital ancien de Pistoia, en Toscane.

- L'ascension des élus, Dirk Bouts, vers 1470, Palais des Beaux-Arts de Lille, Wikipédia.

- Gravure sur bois représentant une béguine, tirée de l'ouvrage Des dodes dantz, Lübeck, 1489.

- Photos de la fontaine et de la croix du Saint-Esprit à Lectoure, Michel Salanié.

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Publié le 9 Décembre 2022

carte lomagne - duché aquitaine - royaume de france - comté de toulouse - famille de got - famille de goth - royaume d'aragon - comté d'armagnac

 

Par chauvinisme, facilité ou ignorance, nous disons souvent que Lectoure est la capitale de l'Armagnac. Ce qui est relativement faux, en tout cas géographiquement et chronologiquement.

 

L'ARMAGNAC

Les comtes d'Armagnac, une province historiquement centrée plus au sud-est et dont la capitale, si ce terme a un sens au Moyen-Âge, est Eauze, ont hérité de la Lomagne tardivement et fait de Lectoure leur refuge au 14ième siècle seulement, lorsque leurs possessions, comprenant le Fézensaguet et l'Astarac, s'étendent démesurément au nord jusqu'à Rodez et la Bourgogne et qu'ils avancent de téméraires prétentions. Leur lignée s'y est éteinte dramatiquement en 1473 sous les coups de boutoir du royaume de France

carte gascogne - comtés - vicomtés - armagnac et lomagne - lectoure Auvillar

Lectoure est la capitale de la Lomagne, un petit pays qui occupe la partie nord-est de la Gascogne, entre, au sud, le pays de Gaure, Fleurance, et le pays d'Auch, et au nord, la Garonne, physiquement plus garonnais que pyrénéen ou océanique, comparé par les géographes au Quercy, sur l'autre versant du fleuve, ce qui le distingue des autres pays gascons.

Au onzième siècle, l'Histoire est relativement obscure, le duché de Gascogne est dépecé par les partages successoraux et les affrontements entre parents qui donnent progressivement à l'ancienne puissante province, l'image d'une mosaïque désordonnée et ingouvernable. La Lomagne est alors érigée en vicomté et attribuée à une branche cadette de la maison de Gascogne divisée.

 

LECTOURE et AUVILLAR

En fait, deux vicomtés ont coexisté, sans doute rapidement tenues par le même homme. Mais, Lectoure est vassale de la Gascogne, pro-anglaise, alors qu'Auvillar rend hommage à Agen, qui occupe une position relativement indépendante entre la Guyenne (Aquitaine) et le comté de Toulouse, dans le périmètre des rois de France. L'origine de cette superposition se perd dans les dédales de l'Histoire. Voilà une première et significative cause de dispute pour ces deux seigneuries, sujettes simultanément de deux suzerains ennemis.

Auvillar doit sa noblesse à une position dominante en bord de Garonne, lui permettant de prélever un droit de péage, plus ou moins excessif et souvent perçu brutalement. Ainsi, en 1204, les consuls de Toulouse organisent-ils une expédition militaire pour s'opposer à de nouvelles taxations, preuve de l'importance stratégique du site, tant militaire qu'économique, pour toute la région.

 

LE DUCHÉ D'AQUITAINE, ROYAUME D'ANGLETERRE

Anglais par le mariage d'Aliénor avec Henri Plantagenet devenu roi outre-Manche, par le traité de Paris (1259) le duché d'Aquitaine se voit restituer la quasi totalité de la Gascogne ancienne, jusqu'aux portes de Toulouse. Ainsi, en 1273, Lectoure est soumis à l'autorité de deux co-seigneurs, l'évêque et le roi d'Angleterre. La Lomagne fait office de frontière et les Lomagnols ne savent pas à quelle bannière se rallier. En même temps, les consuls renouvellent leur soumission au vicomte, un gars du coin...

 

LE ROYAUME DE FRANCE

La lignée des vicomtes issus de la maison de Gascogne s’éteint en 1280. La Lomagne passe brièvement, par alliance, au Périgord. A la mort de Philippa de Lomagne, Hélie de Talleyrand cède la vicomté à Philippe le Bel. En même temps, la France occupe Bordeaux, qu'elle devra quitter par traité, en échange de l'hommage rendu par Édouard à Philippe, mais, tout au long de la Garonne, la stratégie de pression sur l'anglais est évidente.

Edouard 1er - edward 1rst - philippe le bel - Arnaud-garcie de got de goth - Bertrand de got - régine de got - matha d'armagnac - clément V - jean 1er d'armagnac

L'hommage d'Edouard 1er à Philippe le Bel

 

LA FAMILLE DE GOT

En 1305, Philippe le Bel donne la vicomté à Arnaud-Garcie de Got et à son fils Bertrand "pour services rendus". En effet, la famille de Got, originaire de Villandraut, près de Bordeaux, a pris fait et cause pour le royaume de France et se voit ainsi récompensée. A quelques jours d'intervalle, le frère d'Arnaud-Garcie, Bertrand son neveu est élu pape, devenu Clément V. Philippe le Bel ayant mis tout son poids dans cette élection. Le roi de France, en conflit avec Rome, en particulier sur le plan financier, se dote ainsi des moyens de manipuler l'église de France. Clément sera reçu par son frère, à Lectoure, sur son trajet triomphal vers Avignon (voir ici) où il installe la papauté. Il résistera mais trop faiblement, à l'agression de Philippe contre l'ordre du Temple, une affaire longuement revue depuis Lectoure sur ce carnet (voir ici).

Le fils d'Arnaud-Garcie, Bertrand, devenu vicomte d'Auvillar et de Lomagne à son tour occupera des fonctions importantes auprès de Clément. A la tête d'une troupe de gascons, il assure la sécurité de la cour papale, itinérante, dans ses longs déplacements. Cour composée de plusieurs centaines de personnes, ecclésiastiques et serviteurs. Le trésor suit aussi. A la mort de son oncle en 1314, Bertrand de Lomagne essaiera de faire pression sur le conclave pour faire élire à nouveau, un de ses parents. N'y parvenant pas, acoquiné à deux autres capitaines gascons, Raymond Guilhem de Budos et Arnaud-Bernard de Preissac, il mettra la ville de Carpentras à sac et quittera la Provence avec le trésor de son oncle, confondant fortune personnelle et finances de l’Église. Bertrand sera rattrapé dans son nid d'aigle d'Auvillar par un long procès que lui imposera le nouveau pape, Jean XXII, et sera contraint de restituer une bonne partie de ce butin.

La fille de Bertrand de Got, Régine, épouse Jean 1er d'Armagnac en 1324. Elle décède dans l'année qui suit. En 1325, la Lomagne rentre donc dans les possessions d'Armagnac, ce qui n'était sans doute pas le projet de Philippe le Bel. L'Armagnac qui étend son domaine se positionne comme un interlocuteur obligé qui alternera imprudemment les alliances et les manœuvres entre l'Angleterre et la France.

 

La Lomagne, du duché de Gascogne au comté d'Armagnac

 

LE ROYAUME D'ARAGON

Matha d'Armagnac, la fille de Jean 1er, vicomte de Lomagne et comte d'Armagnac, et de sa deuxième épouse, est mariée à l'infant Jean d'Aragon en 1373. Le contrat est signé à Lectoure le 6 mars et le mariage a lieu en grande pompe à Barcelone le 24 juin de la même année. Pour le royaume d'Aragon, ce mariage permet de se prémunir d'une alliance de l'Armagnac avec son ennemi héréditaire, la Castille, et de se doter d'une frontière tampon entre, ce que l'on nomme à l'époque "les Espagnes" et une France qui convoite ses marches du sud.

 

Entrée dans le domaine d'Armagnac, la Lomagne, avec Lectoure devenue effectivement capitale, représente donc toujours un enjeu pour les puissants domaines qui l'entourent. Louvoyant pendant la guerre de cent ans et ambitionnant de faire jeu égal avec les puissants, les comtes d'Armagnac s'exposeront à la volonté d'expansion du royaume de France, inarrêtable dans son périmètre naturel. Après le siège de Lectoure en 1473 et la fin de la lignée d'Armagnac, la Lomagne échoit à la maison d'Albret, au royaume de Navarre, et rentrera dans le giron de la France avec Henri III de Navarre devenu Henri IV. Les citadelles seront abandonnées. Seule restera la terre, grasse, amoureuse dira-t-on plus joliment, et généreuse. Le petit pays de Lectoure et d'Auvillar, la Lomagne a fini de servir de pion sur le jeu des ambitions des grandes nations.

 

                                                                  Alinéas

 

 

COPYRIGHT BLASONS : Wikipedia

LECTOURE : Syryatsu

ARMAGNAC : Syryatsu

TOULOUSE : Fhiv

PHILIPPE le BEL : Carlodangio

AQUITAINE : Sodacan

FAMILLE DE GOT : ByacC

ARAGON : Heralder

 

ILLUSTRATIONS :

Hommage d'Edouard 1er à Philippe le Bel : Wikipedia Commons - Gallica Digital Library

Très riches heures du duc de Berry - Juin - Fenaison  : Wikipedia -Frères de Limbourg (Herman, Paul et Jean)  - R.M.N. / R.-G. Ojéda

 

GRAPHIQUE CHRONOLOGIQUE :

M. Salanié

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Publié le 8 Novembre 2022

 

Appelé "Piquette" par ses camarades, ce jovial Poilu de 14-18 doit son surnom au métier de maître de chai qu'il exerçait aux établissements Groscassand de Fleurance. Ayant déjà servi sous les drapeaux avant le conflit, il a le grade de sergent à la déclaration de guerre. Ses qualités et son action lui valent d'être nommé adjudant à peine un an plus tard. Entre 1915 et 1919, il sera cité trois fois, à l'ordre de l'armée et du régiment. Voici la dernière citation : "Chef de section qui a fait preuve du plus grand courage au cours des derniers combats. Le 2 octobre 1918, a brillamment conduit sa section à l'assaut sous les feux violents de mitrailleuses, s'accrochant au terrain et progressant malgré les nombreuses pertes subies." On le voit ici en famille, lors d'une permission en 1917. Démobilisé à l'armistice, il meurt en 1920 des suites de la guerre, comme beaucoup d'autres, atteints physiquement, blessés, diminués, et psychologiquement abattus. Il est déclaré Mort pour la France, parmi les 119 Fleurantins inscrits sur le monument de la Commune.

Voilà une histoire, simple, poignante et dramatiquement illustrative de la ponction que la "grande guerre" a opéré sur la population des jeunes hommes partout en France, avec ses conséquences dramatiques sur la population civile, sur l'économie, sur la santé qui seront douloureusement mesurées pendant plusieurs années, jusqu'au drame suivant... Une histoire parmi les nombreuses que racontent les frères Xavier et Elian Da Silva, concepteurs du Musée des Anciens Combattants pour la Liberté installé à proximité de Fleurance, en direction de Mauvezin. Ils sont également rédacteurs de deux recueils, "Visages des combattants - Fleurance 1914-1918" et "Visages de combattants - Fleurance 1939-1945". Les galeries de portraits de ces deux ouvrages qui évoquent aussi bien les Morts pour la France que les blessés, les appelés, les résistants, les soignants, le clergé, les élus enfin, sont un magnifique hommage aux Fleurantins de l'époque, au courage et aux faits d'arme, et une mine d'informations pour alimenter le travail de mémoire qui s'impose. Un travail pour l'Histoire, avec un grand H.

Ce n'est ni Confucius, ni Marx, ni Churchill comme on le lit souvent, qui se sont néanmoins, bien sûr, exprimés sur l'idée, mais le philosophe Georges Santayana (1863-1952) qui nous a alerté : " Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé, sont condamnés à le répéter " (The life of reason). Pendant trente ans, la génération d'après-guerre, la seconde du siècle, a vécu dans l'illusion d'une paix et d'un bien-être qui pouvaient sembler définitifs, en Europe du moins. L'éclatement de la Yougoslavie dans les années 90 et aujourd'hui la guerre en Ukraine montrent que le feu couve très près de nous.

Le musée des frères Da Silva embrasse les trois guerres franco-allemandes de 1870, 14-18 et 39-45. Malgré une surface d'exposition relativement réduite, sont rassemblés ici de nombreux témoignages des combats qui ont opposés les deux pays et entrainé le monde entier dans le conflit : uniformes, armement, coupures de presse, photos de famille, objets personnels... Les pièces exposées proviennent autant d'acquisitions par les propriétaires du musée, que de sauvetages in extremis de la décharge publique (!) et de donations par les particuliers, heureux de voir la mémoire familiale trouver un espace de conservation, de mise en valeur et de pédagogie. Et en effet, les établissements d'enseignement de la région sont nombreux à profiter du lieu et de la richesse de sa collection pour aborder avec la génération montante les causes et les conséquences des trois conflits. Marc Bloch, historien, résistant assassiné en 1944 par les allemands, analysait le phénomène, dans L'étrange défaite : " Or, tout professeur le sait bien, et un historien, peut-être, mieux que personne, il n’est pas, pour une pédagogie, de pire danger que d’enseigner des mots au lieu de choses. Piège d’autant plus mortel, en vérité, que les jeunes cerveaux sont, à l’ordinaire, déjà trop enclins à se griser de mots et à les prendre pour des choses ".

Et Xavier et Elia Da Silva montrent les choses. Et les expliquent de façon particulièrement vivante. La visite du musée se déroule avec leur commentaire qui sait si bien s'adapter aux différents publics, susciter les questions, aller à l'essentiel  qui est la vie du combattant, la peur, le courage, la blessure, l'évènement imprévu, l'épilogue, heureux ou malheureux. Car les cérémonies du souvenir, qui marquent au pied des monuments aux morts dans les communes de France, le temps de mémoire officiel, l'anniversaire du jour de paix, peuvent sembler à la longue pauvrement incantatoires et irréelles. Le nom des morts ne nous dit plus rien, sauf leur nombre impressionnant bien sûr. Mais il faut dire ce qui s'est passé, comment la guerre est-elle provoquée ?, le pays était-il prêt à se défendre ?, les erreurs et la lucidité du commandement, du politique, qui sont ces hommes et ses femmes venus souvent des anciennes colonies, ces alliés, qui ont pu renverser le cours d'un scénario bien mal engagé ? La Résistance également, qui tient à Brugnens une place importante, car, lors de la dernière guerre, la France étant rapidement et lourdement défaite, c'est à l'arrière que s'est préparé le renouveau, qu'ont été organisées les exfiltrations vers l'Espagne, l'Afrique du nord et l'Angleterre. Le maquis gascon, à Meilhan, à Castelnau-sur-l'Auvignon, paiera le prix fort pour que l'on se souvienne que le pays profond ne s'est pas soumis.

Il faut souhaiter que l’œuvre admirable des frères Da Silva trouve une suite. La Lomagne, le Gers et la Gascogne méritent que ces histoires vraies, ces vies et ces morts mises bout à bout, nous montrent le chemin, le chemin de l'effort et de la liberté.

                                                                            ALINEAS

 

L'UNIFORME

Le musée présente une très belle collection d'uniformes, depuis le pantalon rouge garance très beau mais très repérable, jusqu'au moderne treillis kaki en passant par le bleu horizon du poilu. Chaque évolution de la tenue du combattant est à la fois guidée par la conception d'un meilleur camouflage et par la recherche du confort et de la souplesse pour le déplacement et l'assaut.

Les uniformes ennemi et allié sont également exposés.

 

 

 

 

L'ARMEMENT

Fusils, pistolets, grenades... l'armement, léger à Brugnens pour des raisons d'espace disponible, mais impressionnant tout de même, fait apparaître de façon flagrante une évolution technique ultra rapide en moins d'un siècle. Le poilu auquel on demandait de sortir de sa tranchée pour charger à la baïonnette, à la suite d'un jeune officier sabre au clair, comme depuis le Moyen-Âge finalement, a eu à subir les premières rafales de mitrailleuses, si meurtrières.

 

LA MÉDECINE MILITAIRE

L'armée allemande se repliant en 1944, dans sa précipitation a abandonné dans une maison qu'il occupait dans le Gers un équipement infirmier jamais servi et particulièrement complet : médicaments, instruments, attelles, manuel de soins... Une pièce rare.

 

LA PROPAGANDE

La communication officielle associe de façon très synthétique d'une part la réponse au besoin de protection du faible, de la mère et de l'enfant, d'autre part le patriotisme, paix et victoire entremêlées aux nécessités du financement de l'effort de guerre. On ne peut pas reprocher cette acrobatie intellectuelle au pouvoir politique. Le temps presse et il est bien dans son rôle.

 

LA PRESSE

De l'inévitable censure en 14-18, justifiée par l'Union sacrée, jusqu'à la sinistre soumission à l'occupant allemand en 39-45, l'information devient douteuse.

 

LA FAMILLE

Loin de son foyer, le combattant espère toujours recevoir des nouvelles. Et doit en donner lui-même. Les relations d'affection prennent d'autant plus d'importance que le risque est grand. Cet officier qui vient de toucher son nouveau casque, un évènement qui n'est pas anodin dans le contexte, veut plaire et rassurer sa mère. Mais le "boche" reste son principal objectif. Voici les termes de sa lettre : " Le 1er décembre 1915. Ma chère Maman, je t'envoie une nouvelle photo de moi. J'y suis pris avec le nouveau casque, auprès d'une de mes pièces [...]. Hier j'ai tiré un obus sur deux boches qui avaient l'allure d'officiers, l'obus est arrivé en plein dessus, c'est la deuxième fois que je vois le travail que je fais, cela fait plaisir, au moins on se rend compte qu'on sert à quelque chose [...]". Capitaine Robert Ferrière, 62ème régiment d'artillerie.

 

LA VIE A L’ARRIÈRE

La monnaie officielle faisant défaut (thésaurisation de la bonne monnaie, marché noir, panique...), afin de maintenir une activité économique normale, les communes, ici Gimont, Lectoure et Fleurance, sont autorisées à émettre des coupons divisionnaires (petite monnaie). La vie continue. Il le faut.

 

DANS LE CIEL DE GASCOGNE

Ce fier résistant gascon a peut-être été doté de son pistolet automatique par un largage de matériel parachuté de nuit par l'aviation alliée en 39-45. Le container a été retrouvé plusieurs années plus tard, oublié, dans la remise de la caserne de gendarmerie de Lectoure, et offert au musée. L'histoire précise des circonstances de la récupération de ce vestige et de sa conservation n'est pas connue mais les recherches des frères Da Silva montrent que la gendarmerie était souvent de mèche avec la résistance.

 

Comment y aller ?

 

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Publié le 29 Août 2022

La présence des Templiers à Lectoure a été totalement négligée par les historiens. Le Carnet d'alinéas en a retrouvé la trace dans les archives de l'ordre de Malte qui a hérité des biens du Temple après sa suppression par le pape gascon, Clément V.

Clément V n'a pas pu, ou pas voulu, s'opposer à Philippe le bel qui avait mis la main sur l'immense domaine du Temple. Or, nous savons que Clément est passé à Lectoure dont le seigneur est alors son propre frère, Arnaud-Garcie de Got, Vicomte de Lomagne et d’Auvillar par faveur de Philippe le Bel. Il y nommera évêque un de ses cousins, Guillaume des Bordes. Enfin, son secrétaire, également son cousin, le cardinal Arnaud d'Aux, qui construira en un temps record et à grand frais la collégiale de La Romieu, prononcera la sentence que dénoncera Jacques de Molay, le grand maître, ce qui le conduira sur le bucher, un épisode célèbre de "l'affaire". Ces avantages accordés à sa famille par Philippe le Bel et par lui-même, ont jeté sur l'action de Clément V, et donc sur le procès fait aux templiers, un doute qui ne sera jamais dissipé.

A la mort de Clément, son neveu Bertrand de Got, devenu vicomte de Lomagne à son tour, s'emparera de son trésor avant d'être rappelé à l'ordre, sous la menace de l'excommunication, par Jean XXII.

Et Lectoure fait partie du décor de cette incroyable épisode de l'Histoire de France.

Nous rassemblons ici les articles consacrés aux Templiers depuis 2017 sur ce blog. Ils ont été rédigés et publiés au fur et à mesure de nos recherches. Il peut donc y avoir quelques redites, des nuances et des évolutions. De plus, il reste encore matière à recherche mais d'ores et déjà le Carnet d'alinéas est heureux de vous proposer cette chevauchée dans l'Histoire de notre ville, accessible en permanence au menu PAGES.

 

 

  1. La découverte de la présence des Templiers à Lectoure
  2. Le nom de Naplouse
  3. Le passage du pape Clément à Lectoure
  4. La famille du pape Clément. Guillaume des Bordes, évêque de Lectoure
  5. La fin du Temple
  6. Les rois maudits de Maurice Druon, le rôle du cardinal Arnaud d'Aux
  7. Les héritiers du Temple à Lectoure: l'ordre de Malte

 

Et de cette histoire, pourquoi ne pas tirer... 8. Un conte

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Publié le 21 Janvier 2022

Nous avons révélé dans un précédent alinéa les origines de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure. Créé par la commanderie bretonne du Saint-Esprit d'Auray au 14ième siècle, installé à l'emplacement de l'actuel hôtel des Doctrinaires, cet établissement  a probablement été doté à l'origine par le vicomte de Lomagne soucieux de respecter ainsi la première des obligations du bon chrétien, la charité. Puis, nobliaux ou bourgeois, les lectourois plus ou moins fortunés également désireux d'assurer leur vie éternelle, ce qui n'est pas exclusif d'une pure générosité, ont complété progressivement le domaine du Saint-Esprit.

Il faudra aménager ce bâtiment et ses dépendances, les entretenir, et louer ce qui peut l'être, en particulier le domaine agricole, afin de générer des revenus réguliers permettant de loger, nourrir et soigner les malades et les pauvres, qui sont légion à l'époque, et de rémunérer les hospitaliers laïcs. 

Le cadastre napoléonien garde la mémoire du domaine de l'hôpital, ici à Navère

 

Les comptes de l'hôpital, Condes de l'espitau deu Sant Esperit de Laytora de 1457 à 1558 * nous sont parvenus et sont une source précieuse d'informations sur la vie, non seulement de l'établissement charitable, mais également celle de la ville elle-même. En 1457, le comte Jean V est surtout préoccupé par sa relation orageuse avec Louis XI. Cependant, il reçoit les délégations des représentants de la ville dans l'église Saint-Esprit, probablement du fait de sa capacité d’accueil et peut-être pour éviter d'ouvrir la porte de son château.

L'hôpital lui, est géré par deux bourgeois élus pour un an, les gouverneurs, sous le contrôle des consuls de la ville. Cette situation n'est pas spécifique à Lectoure. L'ordre du Saint Esprit a, dès l'origine, sollicité ce contrôle laïc et ce parrainage dans ses maisons, pour libérer les hospitaliers de cette tâche, et sans doute afin d'intéresser la collectivité et se mettre sous sa protection. Mais en même temps, un trop grand nombre d'établissements a été créé, dispersé en France et dans les royaumes voisins, et il semble que les effectifs religieux soient insuffisants voire absents. A Lectoure comme dans toutes les villes, les municipalités vont donc devoir prendre le relais lorsque l'ordre du Saint-Esprit sera défaillant.**

Un comptable au Moyen-Âge

 

Jugeons-en. Le premier état des lieux dressés par les gouverneurs de l'hôpital en 1457 est éloquent :

Il fut trouvé dans la chambre où dorment les pauvres quatre couettes de petite valeur

- quatre traverses de peu de valeur

- trois couvertures de lit de peu de valeur

- cinq ciels de lits de bois dont deux neufs et les autres de peu de valeur

- deux petits bancs de bois

- deux tables à quatre pieds de cœur de chêne de peu de valeur

- 23 draps desquels 7 étaient bons et les autres de peu de valeur

- deux coffres, un avec clef, l'autre sans clef ni couvercle,

- un tonneau de bois assez bon

- trois vieilles cuves de peu de valeur

- une serpillière bonne

On le voit la capacité de l'hôpital est très limitée et le mobilier réduit à l’extrême. Les instruments de cuisine sont évoqués l'année suivante : un vieux chaudron...  une canette d'étain et une crémaillère... Il n'y est aucunement question de pharmacie ou de médecine.

On estime que la capacité du Saint-Esprit s'est élevée plus tard jusqu'à vingt à trente lits.

Il faut à l'origine, voir dans cette institution essentiellement un lieu d'accueil, un refuge pour les indigents, plus qu'un établissement de soins. Le terme ospital en vieux français ou espitau en gascon étant d'ailleurs traduit indifféremment par hôpital ou hospice.

L'hôpital, appelons-le ainsi, a des revenus agricoles que les deux gouverneurs enregistrent sur le livre de compte et réclament en temps et heure aux débiteurs. Parmi les terres de rapport nous relevons Navère, Lesquère, les Pierres-blanches (autour de notre actuel quartier des Justices), Boulan, Mourenayre, des vignes à Cardès, Manirac et Corn, à Ricarde sur la rive gauche du Gers, une plantation de saule pour la vannerie, aubareda que es dela Gers etc... Les loyers sont payables en nature bien sûr. Le vin et les céréales sont revendus pour être consommés sans délai. La céréale conservée pour la consommation de l'hôpital est stockée dans la même pièce que les draps, non pas par manque de place mais parce que ce sont tous deux des biens précieux qu'il convient de surveiller et que la pièce est choisie pour son hygrométrie. A une époque où les bâtiments sont humides et froids, le problème de la conservation alimentaire est difficile.

L'hôpital est également doté de matériels et de locaux dont ne disposent pas les petits exploitants et auxquels il facture son utilisation : pressoir, chai, greniers pour le séchage des noix ou d'autres récoltes... Mais le local du pressoir est souillé à plusieurs reprises, par les moutons du Sénéchal puis les chevaux des pauvres (pauvres mais cavaliers !).

Le Saint-Esprit est copropriétaire du moulin de Repassac, en partage avec l'évêque et le comte, avec le seigneur de Galard, officier de Louis XI, après le siège de la ville et la fin de la maison d'Armagnac. Il reçoit à ce titre du meunier son quota de farine tout au long de l'année. Mais il faut régulièrement remplacer les meules. Une meule coûte 1 écu, 13 gros 1/2 (le gros vaut 16 deniers tournois). Ceci est une preuve s'il en fallait, de la dotation originelle noble de l'hôpital Saint-Esprit qui est également copropriétaire pour un cinquième d'une ferme, lo bordiú, que nous ne localisons pas.

 

Les donations se poursuivent, plus ou moins importantes. Nous reçûmes d'Arnaud Guilhem Depossi trois couettes et trois traversins neufs, sans plume.... Il fut donné par certaines autres personnes de la ville, deux serpillères et deux draps assez bons. Si l'établissement d'accueil paraît sommaire, mais il faut resituer ces données à l'époque, les revenus sont donc conséquents. Ainsi, les gouverneurs peuvent-ils faire entretenir le matériel et les bâtiments. Les cuves sont recerclées à neuf... On achète de la graisse pour colmater le bois du pressoir, des clous pour latter le toit... L'équipement destiné à l'accueil et aux soins des pauvres et des malades lui-même est complété. Nous dépensâmes et payâmes au tisserand qui fit le drap... nous achetâmes une cruche et un cruchon pour tenir l'eau pour les pauvres... et 22 livres de plume. Nous achetâmes de Gayssion Foassin deux canes de rousset pour faire une robe (robe de bure) à l'hospitalière à 11 gros la cane.

L'hôpital n'est pas dispensé de l'impôt : 1 écu, 2 gros au titre de la taille versée aux consuls de la ville en 1458.

Ceux qui viennent mourir à l'hôpital espèrent bénéficier d'une sépulture, au plus près de l'église, qui leur assure, ils l'espèrent, d'être présentés au jugement dernier. C'est une des missions essentielles du Saint-Esprit. Or, pour la remplir tout à fait, l'hôpital devra régler le prix de la messe funéraire de l'indigent au chanoine titulaire de la chaire du Saint-Esprit ! Tout se monnaie et le clergé séculier ne fait pas de cadeau.

Nous fîmes faire des draps de lit que nous donnâmes à l'hospitalier pour les mettre aux lits des pauvres en plusieurs fois, 6 draps et un linceul pour un jeune homme qui était mort à l'hôpital ; coût 30 livres de lin et d'étoupe données pour l'amour de Dieu, que nous fîmes filer à 3 liards par livre, total 15 gros.

 

Les morts laissent en général leurs biens à l'hôpital qui les a soignés. Un bâtard, fils adultérin de quelque noble qui ne s'est pas fait connaître, laisse son cheval. L'hôpital l'adopte pour son service et pour cela lui fait fabriquer un bât. On suppose que s'il eût été destrier et de valeur, on aurait plutôt choisi de le vendre. Ailleurs, une morte lègue son champ, un autre une maison.

Le Saint-Esprit gère plusieurs petits hospices répartis sur son domaine eux-mêmes qualifiés "espitau". Ainsi voit-on apparaître dans les comptes, des dépenses pour l'hôpital Nostra Dona de Correge c'est-à-dire Notre Dame des corroyeurs, que nous situons approximativement dans l'actuelle vallée de Foissin, ruisseau un temps nommé "riú correge" avant que "Saint-Jourdain" puis "Ruisseaux" ne s'imposent. Les dépenses concernant cette annexe reviennent souvent et sont conséquentes (37 journées de deux âniers et leurs bêtes pour y porter de la pierre !). On y accroche une lanterne (coût : deux gros). Les dames y font la quête, ce qui laisse supposer un potentiel important, dira-t-on aujourd'hui en langage de marketing, à rapprocher du calme de l'actuel quartier des Ruisseaux.

Le Saint-Esprit gère également l'hôpital Saint-Jean de Somonville, parfois dit "Saint-Jean d'Abrin", rive gauche du Gers. La maison dite "À espitau" est proche de la ferme de Saint-Jean de Somonville, qui existe toujours aujourd'hui et qui appartiendra dans les dernières années du 15ième siècle à Manuel et Jean Despitau. Un nom de famille qui laisse supposer que l'on est en présence de descendants d'un pensionnaire de l'hôpital ayant progressivement pris possession de ce domaine. Les comptes précisent effectivement que la terre y est louée à la commanderie d'Abrin située au sud de La Romieu, travaillée par un cagot, descendant de lépreux et attaché au Saint-Esprit, et que les deux hôpitaux sont "unis". Nous sommes-là sur le domaine de l'ordre de Malte, peu actif à Lectoure sauf pour prélever la dîme, qui a délégué au Saint-Esprit la gestion de cette annexe et sa mission hospitalière.

Le Saint-Esprit installera également un hospice dans les environs du ruisseau de Bournaca, dit Espitau de Santa-Ribeta, dont nous savons peu de choses. Pour le construire, on vend les terres de Boulan. Rapport : 13 écus pour un premier versement.

Ce processus de création d'annexes est caractéristique de l'époque. L'hôpital va vers la population qui ne peut pas se déplacer que ce soit pour bénéficier de son secours ou pour contribuer à son financement. Le Saint-Esprit ne peut pas espérer remplir sa mission en restant intramuros. De même que l'église installe des oratoires et des chapelles pour rassembler une population disséminée sur un grand territoire, et drainer des prébendes il faut bien l'avouer, l'hôpital investit les campagnes en s'appuyant sur son domaine et sur les donations dont il bénéficie. Cependant, cette dispersion des moyens ne favorisera pas son efficacité.

Les charrois de toute sorte coûtent très cher à l'hôpital. Le pays est étendu et le relief escarpé. Pour un transport de pierres et de charpenterie, il faut louer jusqu'à trois paires de bœufs. La charrette et les conducteurs en sus. L'hôpital ne peut pas se contenter, comme le fait certaine noblesse, d'entretenir son périmètre. Les pauvres (entre 20 et 40% de la population) et les malades sont nombreux et l'entreprise est colossale.

Sur le chemin de Lagarde-Fimarcon à Lectoure, À Espitau, propriété des Sieurs de Marcous Despitau. Détail du plan du dîmaire de l'Ordre de Malte.

L'hôpital du Saint-Esprit est en relation avec les autres hôpitaux de la ville et l'on se rend des services. " Il fut pris de l'hôpital Sainte-Catherine du Pont-de-pile un cent de tuiles que nous devrons leur rendre". En effet, les comptes du Saint-Esprit démontrent l'intense activité charitable de Lectoure. Parce que la misère règne et, il faut le redire, parce que le message des évangiles interprété par le clergé est comminatoire. La ville dénombre une demi-douzaine d'hospices, à La Peyronelle sur le chemin de Saint-Jacques, au Castanh, au faubourg Saint-Jacques et un autre Saint-Jean... et là encore, on peut s'interroger sur les conséquences de la dispersion des efforts.

Les pèlerins, nombreux, souvent malades, handicapés ou épuisés, ont recours à la charité de l'hôpital. Mais la lèpre et toutes sortes de maladies que l'on craint contagieuses amènent les consuls à interdire l'entrée des étrangers en ville. Le Saint-Esprit fait alors construire à ses frais une cabane au-dessus de l'hôpital Saint-Jacques, au faubourg, avant la barbacane de la porte d'entrée est.

Mais les religieux, les hospitaliers et les gouverneurs de l'hôpital ne sont pas isolés. La charité est l'affaire de tous. Chaque année "las damas", évidemment bourgeoises, parmi lesquelles certainement les épouses des gouverneurs et des consuls qui doivent apporter leur écot à l'engagement généreux de leurs maris et ainsi tenir leur rang, procèdent à la "quête du fil". La quête en monnaie sonnante et trébuchante ne rapportant que peu, les dames charitables quêtent également du fil qui permettra la confection de linge. On file dans toutes les maisons, qui pourrait refuser ? "Nous dépensâmes et payâmes au tisserand qui fit le drap du fil qu'on avait donné aux dames pour l'amour de Dieu : 9 gros". On quête à pâques, le vendredi saint, à la saint Martin, les dimanches, les dames mais également les hospitaliers, rémunérés pour ce faire. Et certains bénévoles à tour de rôle, mais les gouverneurs sont amenés à leur payer à boire ! sans doute un jour de grande chaleur. On quête à Pentecôte bien sûr, la fête de l'Esprit saint et ce jour-là, par décision papale, jusque sur le territoire de monseigneur l’Évêque. Concurrence...

Si l'hôpital génère une certaine activité économique, il semble que ce soit pour une part en circuit fermé. Le livre de comptes fait apparaître que les débiteurs sont souvent également créanciers. Cependant, quelques achats de produits introuvables sur place conduisent des commissionnaires à se déplacer, engageant une dépense exceptionnelle, à Toulouse pour un couvre vitre (?), le livre de compte lui-même, il n'y a pas de papetier à Lectoure, et encore, à la foire de la saint André, quatre couvertures, ou à Layrac pour une meule dite de Buzet...

Malheureusement les détournements de fonds charitables ne sont pas un dévoiement réservé à notre époque moderne. L'histoire est racontée par le docteur de Sardac, ancien maire de Lectoure dans son Étude sur l'assistance publique à Lectoure aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, déjà citée. La clôture des comptes annuels de l'hôpital donne lieu à des agapes rassemblant gouverneurs et consuls. Certaines assemblées sont très raisonnables, d'autres dépensent allègrement et de façon disproportionnée en regard du budget général. En 1497 on mangea un repas digne de Pantagruel, des oies, des œufs, des épices, du mouton, une salade de viande, des tartes, du lait caillé, de la fressure de chèvre, tout ceci arrosé de vin blanc et rouge. Le tout pour 1 écu et 2 gros, soit un mois de dépenses générales de l'hôpital et la moitié de ce qui est donné aux malades sur une année !

 

Sont-ce ces errements, le désintérêt croissant de la bourgeoisie pour la religion ou bien le besoin de fédérer les bonnes volontés ? le 16ième siècle verra la reprise en mains de l'ensemble des activités charitables par l'église. Dès 1535, un Bureau des pauvres présidé par l'évêque contrôle les comptes des gouverneurs de l'hôpital et l'ensemble des activités charitables des consuls. En 1566, délabré, l'hôpital au nord-est de la ville est abandonné. Les pauvres et les malades sont regroupés au quartier Guilhem Bertrand (au sud de la ville). En 1656, sous le règne de Louis XIV, les hôpitaux généraux sont institués pour régler de façon autoritaire le problème de la mendicité. L' hôpital refuge devient asile d'internement. Un recul sur le plan de l'évolution de la santé publique qui s'exprime dans le dicton "C'est l'hôpital qui se moque de la charité" tant les deux systèmes étaient dans le même état d'indigence sur le plan des connaissances et de la pratique de la médecine. A Lectoure, il faudra attendre encore un siècle (1758) pour que la construction d'un hôpital digne de ce nom débute à l'emplacement du vieux château des comtes d'Armagnac et un siècle de plus pour qu'il soit totalement achevé. Avant l'avènement de la médecine moderne, la mission que s'était donnée Gui de Montpellier en 1180 et la présence bicentenaire de l'ordre du Saint-Esprit à Lectoure ont toutefois, pendant deux siècles, permis de soulager les maux de générations de malades, estropiés, indigents, femmes seules, orphelins et pèlerins. Il faudra évoquer les hospitaliers qui ont consacré leur vie à cette œuvre admirable.

A suivre.

                                                                        Alinéas

 

 

* Comptes de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure, 1457-1558, transcription et traduction d'Elie Ducassé, Société Archéologique du Gers.

** Une autre analyse existe pour expliquer cette gestion municipale : " Nous voyons à cette époque (1320) les édiles des communes (nouvellement crées) et les Sénéchaux (lieutenants du Roi) obtenir droit de regard sur les hospices et hôpitaux, institutions d'Eglise et amorcer un glissement continu qui aboutira au statu civil actuel." Osmin Ricau, Histoire des cagots.

 

ILLUSTRATIONS :

- L'hospice, Jacques Caillot, 1617.

- Cadastre napoléonien, Lectoure section de Navère, www.archives32.fr

- Un comptable au travail. Lettrine du compte de Mathieu Regnault, receveur général du Duc de Bourgogne pour l’année 1426-1427. Archives départementales de Côte d'Or.

- Calendrier du Rustican, 1306. Pietro de Crescenzi. Juillet et octobre.

- Sépulture, Ordre charitable protestant de Saint Jean , ville de Weibensee, détail.

- Dimaire de l'ordre de Malte, 1782, Archives de Lectoure.

- Le banquet du paon, Le Livre des conquêtes et faits d’Alexandre, vers 1446. Musée du Petit-Palais, Paris.

 

 

 

 

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Publié le 8 Novembre 2021

goumier - armée française d'afrique - CEFI - campagne d'italie - goums marocains



" Les commémorations du centenaire de 1918 ont célébré beaucoup de choses, mais pas le fait qu'il s'agissait d'une victoire militaire de la France. Les programmes scolaires n'abordent pas non plus cette vérité, insistant sur le ressenti du Poilu, son «expérience combattante», ses sentiments. Victorieux, il n'est pourtant considéré et célébré que comme victime, un «malgré-lui» avant l'heure. De la guerre, de l'état-major, etc... C'est qu'il ne fait pas bon être vainqueur. Désormais, le seul statut reconnu et valorisé est celui de victime."

Fatiha Boudjahlat

Enseignante, essayiste, co-fondatrice du mouvement Viv(r)e la République.                                                

 

 

e jovial guerrier emportant la chèvre qui fera le prochain méchoui de sa section, porte un casque du modèle "assiette à soupe" fourni par l'armée britannique et arbore la fameuse djellaba rayée des goumiers marocains de l'armée française d'Afrique, intégrés aux troupes alliées débarquées en Sicile et à Naples en 1943.

A peine vingt-cinq ans, une génération, après l'héroïque charge de la Force noire dans les tranchées des Ardennes, son armée d'Afrique permettait à nouveau, à la France sèchement défaite en 1940, de tenir sa place au combat, en Italie, en Provence, en Alsace, passant le Rhin et repoussant l'ennemi nazi dans ses retranchements jusqu'au Danube. Menés par des officiers parlant l'arabe et le berbère et intégrés au Maghreb profond depuis la pacification de la période Lyautey, respectant leur religion, condition absolue pour asseoir leur autorité, jusqu'à partager leur mode de vie et porter la même djellaba qu'eux, les goumiers marocains et les tirailleurs de l'Afrique française du Nord sont le fer de lance du Corps Expéditionnaire Français en Italie (CEFI).

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Goumiers à l'assaut pendant la bataille du Garigliano.

A la suite de leur incroyable percée sur les monts Aurunci, contournant le monte Cassino, dans le cadre de la bataille du Garigliano, les goumiers du général Juin, ouvraient la route de Rome aux alliés, bluffant le commandement américain. Le général allemand Kesselring lui-même écrivit « Les Français et surtout les [goums] Marocains ont combattu avec furie et exploité chaque succès en concentrant immédiatement toutes les forces disponibles sur les points qui faiblissaient ». Les cimetières français de Rome et Venafro abritent les stèles musulmanes, juives, animistes et les croix chrétiennes de 6 255 hommes, soldats, sous-officiers et officiers, réunis dans la mort, l'honneur et la victoire.

 

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Lieutenant des goums marocains en progression dans les rizières du Mékong avec ses partisans indochinois.

Dix ans plus tard, à nouveau mis à contribution, les goumiers seront en Indochine, pour résister au communisme international. Mais l'armée française a du mal à se déplacer dans un pays où la cartographie est incomplète et où l'état du terrain et des voies de communication est sans cesse perturbé par le climat tropical. Elle intègre donc à nouveau des partisans indigènes, en particulier ceux des ethnies thaï, muong et nung, hostiles au communisme et à l'influence chinoise. Non seulement ils répondent à l'attente du commandement français, mais ils se révèlent d'extraordinaires combattants. Le commando des "Tigres noirs" de l'adjudant-chef Vandenberghe était parmi les troupes craintes du Viêt Minh. Mais cela ne suffira pas et après le départ de l'armée américaine qui aura succédé aux français, ces combattants se retrouveront souvent parmi les boat people, fuyant la dictature communiste.

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Lectoure a la responsabilité d'entretenir un cimetière où sont enterrés 73 soldats du 141ième bataillon de tirailleurs sénégalais, morts à l'arrière en 1919, de la grippe espagnole pour une part, mais également d'autres pathologies et de leur affaiblissement dans les mauvaises conditions de leur hébergement. Ils sont honorés de la mention "Mort pour la France".

tirailleurs sénégalais Lectoure - force noire 1914-1918
Le carré des Sénégalais de Lectoure

Chaque année, à l'initiative du comité de Lomagne du Souvenir Français, en relation avec les associations de descendants de ces combattants venus non seulement du Sénégal mais aussi de différents pays d'Afrique noire de l'empire colonial français, Mali, Soudan, Bénin, Guinée, Côte-d'Ivoire... une cérémonie leur rend justement hommage. Dans les nécropoles militaires des deux guerres mondiales, les sépultures des milliers de soldats venus d'Afrique et d'Asie, côtoient celles des combattants originaires des régions de France hexagonale, toutes races et toutes religions confondues.

Pour Pierre Vermeren, Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, "les Africains avaient quelque chose de chevaleresque, ils se battaient sans discuter, obéissant aveuglément à leurs chefs. Il n’y a eu aucune reculade. Ils faisaient l’admiration du commandement français, c’est pour cette raison qu’ils ont été couverts de médailles. C’étaient les meilleurs soldats qui soient".

 

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Tirailleurs sénégalais montant au front en 1917.

 

Le souvenir collectif ne peut occulter les questions du peu de reconnaissance accordé aux hommes venus se battre aux côtés des français de France, de leur difficile intégration dans la nation et de l'injuste restriction de leurs droits par l'administration, jusqu'à leur terrible sacrifice enfin pour les harkis d'Algérie honteusement abandonnés par décision gouvernementale à la vengeance de leurs frères de race. Mais s'il y a un temps pour le débat et la réhabilitation, il faut d'abord et indéfectiblement entretenir celui de l'hommage aux combattants, rescapés et morts au feu réunis.

Les tirailleurs, les goumiers, les partisans n'ont pas été enrôlés de force. Bien sûr, la guerre déclarée, la nation mobilise, sans discussion possible, dans les colonies comme en métropole. Mais qu'on ne s'y trompe pas, au fur et à mesure de ses avancées coloniales, la France a toujours reçu le renfort des tribus soumises, fournissant des hommes par tradition voués au combat, fiers de porter l'uniforme français et déployant dans l'action de grandes capacités guerrières. On ne fait pas monter une troupe à l'assaut des lignes ennemies par la contrainte. Ces africains et ces asiatiques ont choisi la France et se sont donnés à la patrie avec toute la vaillance qu'on leur connaît.

Victoires et défaites confondues, les cérémonies du souvenir les honorent.

                                                                             Alinéas

clémenceau - père la victoire - coloniaux

" En visite au front, je rencontre à Epernay les tirailleurs sénégalais.

Une jeune fille me remet un bouquet de fleurs".

Georges Clémenceau.

 

* L'expression « malgré-nous » désigne les Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht, armée régulière allemande, durant la Seconde Guerre mondiale. Substantivée, elle est utilisée plus généralement pour qualifier des recrues que l'on estime enrôlées contre leur gré.

 

Photos ECPAD et collection particulière.

 

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