Sénégalais, goumiers et partisans

Publié le 8 Novembre 2021

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" Les commémorations du centenaire de 1918 ont célébré beaucoup de choses, mais pas le fait qu'il s'agissait d'une victoire militaire de la France. Les programmes scolaires n'abordent pas non plus cette vérité, insistant sur le ressenti du Poilu, son «expérience combattante», ses sentiments. Victorieux, il n'est pourtant considéré et célébré que comme victime, un «malgré-lui» avant l'heure. De la guerre, de l'état-major, etc... C'est qu'il ne fait pas bon être vainqueur. Désormais, le seul statut reconnu et valorisé est celui de victime."

Fatiha Boudjahlat

Enseignante, essayiste, co-fondatrice du mouvement Viv(r)e la République.                                                

 

 

e jovial guerrier emportant la chèvre qui fera le prochain méchoui de sa section, porte un casque du modèle "assiette à soupe" fourni par l'armée britannique et arbore la fameuse djellaba rayée des goumiers marocains de l'armée française d'Afrique, intégrés aux troupes alliées débarquées en Sicile et à Naples en 1943.

A peine vingt-cinq ans, une génération, après l'héroïque charge de la Force noire dans les tranchées des Ardennes, son armée d'Afrique permettait à nouveau, à la France sèchement défaite en 1940, de tenir sa place au combat, en Italie, en Provence, en Alsace, passant le Rhin et repoussant l'ennemi nazi dans ses retranchements jusqu'au Danube. Menés par des officiers parlant l'arabe et le berbère et intégrés au Maghreb profond depuis la pacification de la période Lyautey, respectant leur religion, condition absolue pour asseoir leur autorité, jusqu'à partager leur mode de vie et porter la même djellaba qu'eux, les goumiers marocains et les tirailleurs de l'Afrique française du Nord sont le fer de lance du Corps Expéditionnaire Français en Italie (CEFI).

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Goumiers à l'assaut pendant la bataille du Garigliano.

A la suite de leur incroyable percée sur les monts Aurunci, contournant le monte Cassino, dans le cadre de la bataille du Garigliano, les goumiers du général Juin, ouvraient la route de Rome aux alliés, bluffant le commandement américain. Le général allemand Kesselring lui-même écrivit « Les Français et surtout les [goums] Marocains ont combattu avec furie et exploité chaque succès en concentrant immédiatement toutes les forces disponibles sur les points qui faiblissaient ». Les cimetières français de Rome et Venafro abritent les stèles musulmanes, juives, animistes et les croix chrétiennes de 6 255 hommes, soldats, sous-officiers et officiers, réunis dans la mort, l'honneur et la victoire.

 

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Lieutenant des goums marocains en progression dans les rizières du Mékong avec ses partisans indochinois.

Dix ans plus tard, à nouveau mis à contribution, les goumiers seront en Indochine, pour résister au communisme international. Mais l'armée française a du mal à se déplacer dans un pays où la cartographie est incomplète et où l'état du terrain et des voies de communication est sans cesse perturbé par le climat tropical. Elle intègre donc à nouveau des partisans indigènes, en particulier ceux des ethnies thaï, muong et nung, hostiles au communisme et à l'influence chinoise. Non seulement ils répondent à l'attente du commandement français, mais ils se révèlent d'extraordinaires combattants. Le commando des "Tigres noirs" de l'adjudant-chef Vandenberghe était parmi les troupes craintes du Viêt Minh. Mais cela ne suffira pas et après le départ de l'armée américaine qui aura succédé aux français, ces combattants se retrouveront souvent parmi les boat people, fuyant la dictature communiste.

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Lectoure a la responsabilité d'entretenir un cimetière où sont enterrés 73 soldats du 141ième bataillon de tirailleurs sénégalais, morts à l'arrière en 1919, de la grippe espagnole pour une part, mais également d'autres pathologies et de leur affaiblissement dans les mauvaises conditions de leur hébergement. Ils sont honorés de la mention "Mort pour la France".

tirailleurs sénégalais Lectoure - force noire 1914-1918
Le carré des Sénégalais de Lectoure

Chaque année, à l'initiative du comité de Lomagne du Souvenir Français, en relation avec les associations de descendants de ces combattants venus non seulement du Sénégal mais aussi de différents pays d'Afrique noire de l'empire colonial français, Mali, Soudan, Bénin, Guinée, Côte-d'Ivoire... une cérémonie leur rend justement hommage. Dans les nécropoles militaires des deux guerres mondiales, les sépultures des milliers de soldats venus d'Afrique et d'Asie, côtoient celles des combattants originaires des régions de France hexagonale, toutes races et toutes religions confondues.

Pour Pierre Vermeren, Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, "les Africains avaient quelque chose de chevaleresque, ils se battaient sans discuter, obéissant aveuglément à leurs chefs. Il n’y a eu aucune reculade. Ils faisaient l’admiration du commandement français, c’est pour cette raison qu’ils ont été couverts de médailles. C’étaient les meilleurs soldats qui soient".

 

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Tirailleurs sénégalais montant au front en 1917.

 

Le souvenir collectif ne peut occulter les questions du peu de reconnaissance accordé aux hommes venus se battre aux côtés des français de France, de leur difficile intégration dans la nation et de l'injuste restriction de leurs droits par l'administration, jusqu'à leur terrible sacrifice enfin pour les harkis d'Algérie honteusement abandonnés par décision gouvernementale à la vengeance de leurs frères de race. Mais s'il y a un temps pour le débat et la réhabilitation, il faut d'abord et indéfectiblement entretenir celui de l'hommage aux combattants, rescapés et morts au feu réunis.

Les tirailleurs, les goumiers, les partisans n'ont pas été enrôlés de force. Bien sûr, la guerre déclarée, la nation mobilise, sans discussion possible, dans les colonies comme en métropole. Mais qu'on ne s'y trompe pas, au fur et à mesure de ses avancées coloniales, la France a toujours reçu le renfort des tribus soumises, fournissant des hommes par tradition voués au combat, fiers de porter l'uniforme français et déployant dans l'action de grandes capacités guerrières. On ne fait pas monter une troupe à l'assaut des lignes ennemies par la contrainte. Ces africains et ces asiatiques ont choisi la France et se sont donnés à la patrie avec toute la vaillance qu'on leur connaît.

Victoires et défaites confondues, les cérémonies du souvenir les honorent.

                                                                             Alinéas

clémenceau - père la victoire - coloniaux

" En visite au front, je rencontre à Epernay les tirailleurs sénégalais.

Une jeune fille me remet un bouquet de fleurs".

Georges Clémenceau.

 

* L'expression « malgré-nous » désigne les Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht, armée régulière allemande, durant la Seconde Guerre mondiale. Substantivée, elle est utilisée plus généralement pour qualifier des recrues que l'on estime enrôlées contre leur gré.

 

Photos ECPAD et collection particulière.

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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