L'affaire des cagots de Lectoure et de Saint Clar - 1ère partie (1/3)

Publié le 14 Mars 2023

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assemblés et séparés du reste de la population dans un quartier écarté, contraints de porter un signe distinctif, une pièce de tissu en forme de patte de palmipède, pénible similitude avec notre histoire récente, ne pouvant ni vendre les produits de la terre ni exercer les commerces alimentaires, interdits d'accès aux fontaines publiques, réduits à se marier entre eux, il a fallu aux cagots de Lectoure et de Saint-Clar près de 70 ans ans de procédure obstinée pour obtenir la reconnaissance de leur normalité, contribuant ainsi, au-delà de leur cas, à mettre fin à cette terrible persécution, quasiment raciale, d'une frange de la population, plus particulièrement en Gascogne, en Espagne et dans l'ouest de la France.

En effet, en 1560, lors d'une fête religieuse, les cagots de notre ville sont empêchés de se joindre à la procession publique. Une bagarre s'en suit. Le litige est porté devant la justice royale du Sénéchal de Lectoure qui donnera tort aux cagots, confirmant leur mise au ban de la société. Mais ils n'en resteront pas là. 

Qui sont ces parias de la société médiévale ? Quelle est la cause de leur exclusion ? Comment ont-ils trouvé, à Lectoure, la force de se battre contre les mauvais traitements qu'ils subissaient sur la base d'antiques superstitions, tant de la part de la population que des autorités, de génération en génération, et ce depuis plusieurs siècles ?

 

QUI SONT LES CAGOTS ?

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Agotes, cagots de Navarre (Espagne)

Il a beaucoup été écrit sur les cagots : littérature, tentatives d'explication historiques, phantasmes. Evidemment les chroniques de l'époque ne sont pas toujours fiables. Essayons d'y voir clair, et de faire court.

Les Cagots, ou Capots, apparaissent dès le 13ième siècle, sous le nom de Crestias ou Chrestians, c'est-à-dire chrétiens, ce qui est censé leur assurer la protection de l'Eglise et deviendra parfois leur nom de famille, car ils n'ont pas le droit d'en avoir d'autre. Ils sont nombreux en Gascogne et sur le versant sud des Pyrénées où on les nomme Agotes. Un chercheur a relevé 137 sites concernés. Ils sont recensés en Gironde, les Gaffets, plus loin en Poitou-Charente et en Bretagne où ils portent le nom de Caquous. Le nom de Gézitains viendra plus tard et seulement dans les ouvrages érudits, en référence à un serviteur malhonnête de l'Ancien Testament condamné par Dieu à être lépreux et sa descendance avec lui. Enfin, parce qu'ils ne sont autorisés à exercer que ces quelques métiers, on les appellera Charpentiers, Mestres en gascon, c'est à dire maîtres, ce qui a au moins le mérite de reconnaitre leur art et leur fonction sociale, et ce sera le cas à Lectoure et Saint Clar, ou ailleurs Cordiers, fabricants de cordages. Car le bois et le chanvre, matières inertes, sont réputés ne pas transmettre les maladies, la lèpre en particulier dont on a une peur panique. Un dernier terme synonyme de cagot découle directement de cette phobie : Ladre, déformation de Lazare, du nom du lépreux dans une parabole attribuée à Jésus.

Car voilà bien la raison principale de l'exclusion des cagots : ils sont accusés de porter en eux le germe de la lèpre, que l'on considère de surcroît héréditaire. Un lépreux, ou seulement supposé tel car la suspicion et la rumeur suffisent, fait de ses enfants des cagots qui à leur tour transmettront l'infâme héritage à leur descendance. On naît cagot et on le reste. On ne sort pas de la cagoterie.

Plusieurs autres théories tentent d'expliquer le phénomène cagot. La plus fréquente et toujours défendue aujourd'hui mais réfutée par les linguistes, s'appuie sur l'étymologie du nom qui découlerait du passage des goths en Gascogne, peuple d'obédience arienne, c'est à dire ne reconnaissant pas la divinité du Christ et pour cela honnis et rejetés. Cagot, traduction "chien de goth". Les wisigoths chassés vers l'Espagne par les Francs au début du 6ième siècle auraient abandonné sur place quelques-uns des leurs qui se seraient trouvés en butte avec les chrétiens canonistes. Une histoire vieille de mille ans, et sans doute inconnue de la population à l'époque ou apparaît le phénomène cagot.

De fait, tout dissentiment, même supposé, pouvait vous faire traiter de cagot et, dit c'est dit, sans procès c'en était fini de votre citoyenneté : sarrasin, bohémien, juif... il ne faisait pas bon être étranger ou simplement différent à cette époque et les cagoteries devaient servir de ghettos pour toutes les sortes de parias de la société médiévale.

Tous ces noms sont bien sûr, devenus des insultes. De cagot à cagar, déféquer en gascon, évidemment. Car l'exclusion et la haine sont sœurs.

Enfin, il faut mentionner le cas particulier des personnes atteintes de crétinisme, c'est à dire de troubles physiques, nanisme en particulier, et de retard mental, tares génétiques ou dues à une carence en iode, qui furent isolées du reste de la population jusqu'au 19ième siècle, particulièrement dans les Pyrénées, mais le phénomène est connu également dans le Massif-Central et dans les Alpes, isolement poussant à l'endogamie, favorisant et perpétuant ainsi le risque de dégénérescence. Les crétins des Pyrénées ont contribué à alimenter une autre théorie, celle d'une race aux caractéristiques physiques spécifiques : petite taille, nez épaté, voire pieds palmés, d'où l'insigne palmé... Peuple aux origines mystérieuses et au destin tragique, disséminé entre la Grèce antique et la Celtique druidique. L'imaginaire est sans limite. Aussi, nous vous passerons toutes les autres théories ésotériques, dont une origine extraterrestre bien sûr, qui ont alimenté et alimentent encore aujourd'hui, la légende des cagots.

Mais revenons aux faits.

 

EXCLUSION, MÉPRIS et CONTRAINTES

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Les cagots sont donc rassemblés dans des quartiers à l'écart du bourg. A Lectoure, les historiens les situent au Barry, notre actuel faubourg, c'est-à-dire hors le bourg, et au Pont-de-Pile, où sont implantés également les hospices, respectivement de Saint-Jacques et de Sainte-Catherine, celle-ci traditionnellement patronne des lépreux. Ailleurs en Lomagne, des lieux-dits ont conservé précisément au cadastre et dans la signalétique actuelle, la mémoire de ces quartiers : Au Mas-d'Auvignon, "Aux Charpentiers", à la sortie du village en direction de Terraube, également à Fleurance, et beaucoup plus isolé, "Aux capots", un hameau situé sur la route de Sainte-Radegonde, où l'on peut aujourd'hui aller acheter son vin de table en toute sécurité au domaine ayant conservé le toponyme pour sa commercialisation.

Pourquoi ces populations ne portent-elles pas, généralement, de nom de famille ? C'est un point mal compris. Peut-être pour ne pas susciter le soupçon envers ceux qui portent le même nom dans le bourg, parents ou non. Autrement dit, tout est fait pour les désocialiser. Un cagot de Lectoure qui apparaît dans un acte juridique s'appelle Dupont, sans doute parce qu'il vit au Pont-de-pile. Une acquisition de patronyme classique, éponyme du lieu de résidence, mais ici une autre façon de désigner et de "marquer au fer" un cagot, au moins localement, en lui donnant le nom de la cagoterie.

Il fallait que l'endroit dispose d'une source bien sûr, qui sera réservée aux soi-disant porteurs de la lèpre. Le simple fait que le cagot s'y soit abreuvé suffisait à faire déguerpir les voisins épouvantés.

L'une des causes de la multiplication des cagoteries dans notre région serait le manque d'institutions officielles, religieuses ou communales, pour accueillir les malades. Le docteur Fay dans sa très complète thèse, recense une trentaine de léproseries seulement en Gascogne, dont une à Lectoure, pour 2000 en France. Il faut d'ailleurs lire les chroniques et les archives avec précaution : les quartiers cagots sont parfois indistinctement appelés cagoterie, ladrerie, crestianie, maladrerie, tout autant que léproserie. Faute de structure d'accueil, le lépreux, livré à lui-même, était chassé de la ville, puis rejoint, par la force de la vindicte populaire et des édiles eux-mêmes, par sa famille et au premier signe d'infection ou supposé tel, par toute sorte de malades. Les premiers abris durent être quelques ruines ou des cabanes construites à la va-vite. Puis, les valides bâtirent de vraies maisons dont certaines ont encore été désignées par la rumeur, jusqu'à nos jours, comme "maisons des cagots".

On l'a dit, les cagots ne peuvent pas participer aux manifestations publiques aux côtés de la population "saine". Chrétiens et protégés par l'église, ils ont cependant accès aux offices, rassemblés à l'arrière de l'assistance, mais ils doivent emprunter une porte qui leur est affectée et utiliser un bénitier à part. Il a été dit que le prêtre leur donnait la communion au bout d'un bâton. Cet ostracisme religieux peut nous apparaitre aujourd'hui comme accessoire mais dans une société médiévale fortement soumise aux impératifs de la foi, c'est un signe d’infamie et ceci pèse lourdement dans les esprits. Sur les registres fiscaux, où ils ne sont pas oubliés bien sûr, les cagots viennent en fin de liste, après le curé et affectés d'un seul patronyme, crestian. Au cimetière, un secteur distinct, voire écarté, leur est désigné.

En 1460, les états de Béarn demandent à Gaston de Béarn, Prince de Navarre, "Qu'il leur fust défendu de marcher pieds nus par les rues, de peur de l'infection et qu'il leur fust permis, en cas de contrevention, de leur percer les pieds avec un fer rougi au feu ; et, de plus, pour les distinguer des autres hommes, il leur fust enjoint de porter sur leurs habits, l'ancienne marque de pied d'oye". L'origine de cette marque est, elle aussi, très discutée. La croyance populaire, nous y reviendrons, voulait que le cagot ait une patte de canard empreinte sur la peau sous l'aisselle gauche... Ce signe aurait également été imposé aux descendants de sarrasins restés sur place, 3 à 400 ans auparavant, après le retrait de l'envahisseur mahométan. Un arrêt du Parlement de la Soule (Pays basque) mentionne que le Coran (information non vérifiée) considère cette marque comme le moyen le plus sûr et le plus salutaire pour la purgation des péchés. Enfin, l'insigne viendrait de l'histoire, ou de la légende, de la reine Pédauque, toulousaine de l'époque wisigothique, on y revient, et donc hérétique. Nous ne devons pas sous-estimer la sévérité de la brimade concernant la marche pieds-nus. En effet, le petit peuple ne se chausse qu'aux grandes occasions, par économie et également par confort, le port des sabots ou de brodequins rigides et peu ajustés n'étant pas un plaisir.

Bien sûr, la rigueur de ces impératifs discriminants et la persistance de leur application a pu fortement varier sur le territoire et dans le temps, le phénomène cagot ayant existé sur environ quatre siècles.

Les cagots ne peuvent épouser quelqu'un d'une autre condition que la leur, ceci conduisant à faire de cet état une nature transmise par la naissance et définitive. C'est ce qui a conduit certains à comparer les cagots, peut-être de façon excessive, aux intouchables du continent indien. Pour éviter les risques de l'endogamie, les hommes, et les femmes parfois, vont chercher leurs conjoints dans les cagoteries voisines. Ces mouvements ont été étudiés. Il en ressort une forte vitalité de cette population et une extension de son implantation, en particulier vers Bordeaux, Toulouse et la vallée de la Garonne. Parfois, en raison de leur savoir-faire réputé, certain charpentier sera invité par les édiles d'une bourgade voisine à venir s'installer pour exécuter des travaux que l'on ne sait à qui d'autre confier. Le signe précurseur d'un retournement de fortune.

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En effet, sans que ce soit un monopole, ne leur sont permises que les seules activités où le matériau est supposé ne pas transmettre la maladie: bois, chanvre, osier... Ils en deviendront les experts. Par ailleurs, la charpenterie, qui est confondue à l'époque avec la maçonnerie, exige une organisation collective. La manipulation des poutres et chevrons, le portage, l'ajustage, autant de tâches exécutées en équipe. Les cagots travailleront donc en famille, ou en tribu, en entreprise pourrait-on dire avant l'heure. La corderie est également parmi les métiers qui leur sont ouverts et qui ont une grande importance au Moyen-Âge. A Lectoure, le quartier des cagots du Pont-de-Pile aurait été situé en aval du Gers, c'est à dire vers la cote de Pébéret ou vers Foissin. Or, progressivement, la règle devenant plus souple, le cuir fut admis dans la matière première cagote. Nous l'avons dit ailleurs, le ruisseau de Foissin était appelé au 13ième, riu correge, ruisseau des corroyeurs. Enfin, et ceci est attesté en différents endroits, les moulins hydrauliques qui sont actionnés par une mécanique monumentale entièrement agencée en bois seront un nouveau domaine de diversification de l'activité des cagots au 15ième et 16ième siècles, parvenant ainsi, contre le cours de l'histoire de leur persécution, à la maîtrise des métiers les plus exigeants mais aussi les plus rémunérateurs.

Enfin, très bizarrement à nos yeux, ces activités étant alors assimilées à la sorcellerie, et peut-être précisément pour cela, les femmes cagotes purent se consacrer aux accouchements et certains médecins cagots furent appelés auprès de la population qui les excluait. A suivre.

                                                                       Alinéas

 

SOURCES :

  • La référence en la matière : Histoire de la lèpre en France. Lépreux et cagots du Sud-Ouest. 1910. Docteur H.M. Fay. Que l'on peut lire en ligne ici https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57243705.texteImage
  • Une minorité marginale du Sud-Ouest : les Cagots. in Histoire, économie et société, 1987. Bériac Françoise.
  • Les signes d'infamie au moyen âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques. Ed. Champion 1891. Ulysse Robert.
  • Histoire des cagots. 1963. Osmin Ricau.
  • L'énigme des cagots. ed. Sud Ouest 1995. Gilbert Loubès.
  • Histoire de Lectoure. 1972. Collectif.

 

ILLUSTRATIONS :

  • Titre : Ancienne église de Saint Girons - Hagetmau (Landes). Détail d'un chapiteau.
  • Agotes de la localité de Bozate (Navarre-Espagne) , à la fin du XIXe siècle. Jmenj-wikipedia.
  • Cabanes à Cabanac-et-Villagrains (Gironde) : gravure de Léo Drouyn. Village où une léproserie a été recensée.
  • Charpentiers. Gilles de Rome. 16ième siècle. BnF.

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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O
J'aimerais rajouter, tardivement, quelques précisions à cet article intéressant.<br /> Les cagots étaient de fameux artisans, tout comme les "cathares", mais comme précisé dans l'article, ils exercaient aussi d'autres métiers (praticiens, chirurgiens, sage-femmes -et non pas matrones- arpenteurs et meuniers aussi...)<br /> Doués dans leur art, ils étaient souvent plus éduqués que le reste de la population (on le vérifie notamment à leur belle signature sur les actes).<br /> Présenter les cagots sous la forme de crétins difformes est un folklore ridicule. L'endogamie dans leur communauté n'étant pas pire que dans le reste de ces populations pyrénéennes isolées.<br /> Leur prétendue lèpre fut quant à elle le meilleur moyen que trouva l'Eglise de Rome pour écarter ces hérétiques qui, par leur prosélytisme, auraient pu contaminer les bons catholiques. Ainsi, pour éviter qu'ils fassent des adeptes, on les a affligés d'une prétendue lèpre, tenus à l'écart des bourgs et marqués au fer rouge pour des générations et des générations.<br /> Mais il faut relativiser l'impact de ce traitement. Quoi que l'on prétende, les cagots sont très présents dans les registres notariés. Leur enrichissement leur garantissait une vraie respectabilité et ils leur arrivait fréquemment de marier leurs enfants dans la noblesse.<br /> On remarque aussi que lors des baptêmes, l'enfant est souvent présenté au curé plusieurs jours après sa naissance. Ce baptême n'etant qu'une formalité, le vrai sacrement ayant déjà été administré par la sage femme elle-même.<br /> Persécuté, le cagot, assurément. Mais les termes paria et intouchable me paraissent aussi loin de la réalité que celui de crétin.<br /> Redonnons au cagot ses lettres de noblesse !<br /> Et... À Diou Biban !
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W
Merci pour cet article passionnant.
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K
Tu l'avais promis... tu l'as fait !... C'est passionnant !<br /> J'attends la suite avec impatience.<br /> bises à vous deux
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M
Lecture très intéressante.<br /> Je ne connaissais pas cette partie de l'histoire de notre région.<br /> Merci encore Alinéas !
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