A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
Une façon tout à fait efficace, et zen, de reprendre contact avec le réel après plusieurs mois consacrés à notre Gascogne de légendes, de fantaisie et d'arts graphiques : soigner nos rosiers.
Par exemple, ce rosier Banks qui monte à l'assaut de la Borderie de la Mouline de Belin et qui était déjà là il y a cinq ans, lorsque ce carnet exposait notre petite collection de roses.
Mais précoce, au mieux de sa floraison autour de Pâques, notre Banks avait échappé alors à la prise de vues photographiques effectuée au mois de mai pour une chronique publiée en juin. Voilà qui sera réparé. Depuis, ce rosier liane a été élagué plusieurs fois car il est particulièrement vigoureux et pourrait bien, si l'on n'y prenait garde, passer par-dessus le toit et retomber en cascade sur le pas de porte, à l'opposé, avant d'attaquer, libéré et décidé, le chemin de Saint-Jacques et, comme un treillage gargantuesque, la côte vers Lectoure.
Cinq ans ont passé donc. Les hasards de nos cheminements, la complicité d'une voisine, le joli marché aux rosiers de La Romieu... autant d'occasions de compléter aujourd'hui cette revue de nos effectifs charmants et embaumants.
Rosier Banks ou de lady Banks, Banksiae.
Très vivace on l'a dit, sans épines, au feuillage persistant, le rosier Banks offre une floraison abondante, jaune ou ivoire comme ici, par bouquet de cinq ou six fleurs doubles. Idéal pour un escalier, une pergola, on l'a vu dans Lectoure grimper sur un arbre de Judée pour lancer au ciel, fantasque, une estampe aux mauve et jaune entremêlés.
Cardinal de Richelieu
Un nom quelque peu trop courtisan pour une rose chevrière souriant au passant sur un chemin perdu du parc naturel régional des Monts d'Ardèche. Mais que fait à ce bout du monde cette belle double ? Bouturée, patiemment acclimatée au fond du vallon de Saint-Jourdain, savoureusement parfumée.
Cocktail
Distinguée "rose favorite du monde" par la Fédération mondiale des sociétés de roses en 2015, elle occupe également une place de choix à la Mouline pour saluer nos arrivants de ses bouquets luxuriants qui répondent au souvenir des éclats de rire des lavandières qui travaillaient là autrefois pour le confort des bourgeois de la ville.
Rosier châtaigne, Roxburghii plena
Classé parmi les rosiers de Chine et du Japon, supposé originaire de l'Himalaya, il doit son nom vernaculaire à son drôle de fruit couvert de piquants comme une châtaigne. Photos d'emprunt. Cycle végétatif pas encore observé. Nous sommes impatients...
Vesuvia
Une grande églantine d'un velours ardent, qui persévère jusqu'aux premières gelées. Bouturée derrière le charroi d'un jardinier municipal et ici protégée des chevreuils le temps de bien s'installer.
ALINEAS
La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore.
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embrasser ;
Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;
Alfred de Musset Extrait du poème « La nuit de mai »
- Oui aussi, mais elles sont charmantes, gracieuses et en général, considérées comme sympathiques.
Quel dilemme ! D’ailleurs, si vous avez mon âge, je vous entends d'ici fredonner la virevoltante rengaine d'Angelo Branduardi, dont je vous offre l'enregistrement INA en bas de page. Sympa, non ?
C'est la demoiselle Marchant sur le ruisseau Qui t'a rendu bien malade Elle t'a pris ton ombre Ton rire, ta joie Et ne reviendra pas
Dans le grand silence Des souvenirs perdus Tu trembles et tu t'agites Tu veux ton enfance Ton ombre, ta voix Elles ne reviendront pas
Attention, il y a naïade et naïade !
La larve de libellule ou de demoiselle s'appelle... une naïade. Il y a de quoi se mélanger les antennes. Alors, fragile insecte ou dangereuse beauté ?
Comme d'habitude, je n'y connais rien, mais je me renseigne. Un dictionnaire entomologique en ligne - l'entomologie étant l'étude des insectes - me fait remarquer, que ni "libellule", ni "demoiselle" ne suffisent à qualifier l'animal. Ce ne sont que deux sous-ordres dont le nom de famille officiel est "Odonate". Pas très poétique, j'en conviens mais l’entomologiste n'est pas là pour nous faire des mignardises. Quelle différence entre les deux cousines ? Entre autres différences morphologiques, la libellule est reconnaissable au fait qu'elle garde ses ailes déployées au repos. Au contraire, la demoiselle, plus petite en général, replie ses ailes lorsqu'elle se pose, comme celle que nous avons choisie en titre de cet alinéa, héliportée sur une feuille d'aulne glutineux du ruisseau de Foissin.
En fait, à y regarder de plus près, mais en matière entomologique ce n'est pas toujours rassurant, nous avons affaire à des monstres.
Leurs yeux comportent de 15 000 à 30 000 facettes, ce qui leur assure, avec en outre un cou articulé, une vision à 360°. Mouvement, couleur, forme, distance sont perçues et mesurées avec une précision extrême. La libellule, toutes espèces confondues - au diable l'odonate de l'entomologiste... - vole à une vitesse nettement supérieure par rapport aux autres insectes : 36 km/h pour 22 km/h seulement pour le frelon. Leurs ailes antérieures et postérieures sont indépendantes, ce qui leur permet de faire du surplace et même de passer la marche arrière ! Enfin, je résume, la libellule dispose d'un appareil buccal redoutablement formé et puissant. Je vous passe la photo du sourire. C'est d'ailleurs le sens du nom scientifique odonate : odon, en latin, voulant dire "dent" et ate, "doté de". C'est un animal carnassier, tant la larve dans l'eau que son "imago", l'insecte adulte, qui chasse à proximité du cours d'eau quand vous pensez qu'elle se promène pacifiquement, charmante ballerine de nos vallons. Non, la vie du ruisseau n'est pas un long fleuve tranquille.
Nous nous sommes, il y a quelque temps, reportés dans une forêt de prêle au Dévonien, eh bien à quelques dizaines de siècles près, au Paléozoïque cette fois, entre 320 et 350 millions d'années, nous aurions pu croiser Méganisoptera, une libellule de 70 cm d'envergure. Une gracieuse demoiselle... carnassière je le rappelle.
Ce n'est pas dans les habitudes de ce carnet d'alinéas d'insister sur les pratiques sexuelles des uns et des autres mais, à la Mouline de Belin, nous venons d'observer ce curieux accouplement de deux demoiselles, enfin deux libellules, bref, un mâle et une femelle : celui-ci agrippe celle-ci par le cou avec sa pince anale - encore une disposition physique originale de l'espèce - puis transfère ses spermatozoïdes sur le deuxième segment de l'abdomen de la demoiselle consentante, je veux dire de la femelle, où se situe son pore génital. Elle procèdera elle-même ultérieurement à leur introduction... on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Oui, un peu acrobatique mais ça doit marcher, depuis le temps. L'entomologiste, généraliste de tous les insectes c'est peu dire, est un peu perdu à ce stade. La scène a donc été décryptée par les odonatologues, spécialistes de la libellule et de la demoiselle. Qui précisent que cet acte sexuel étonnant peut être exécuté plus ou moins furtivement, on n'a pas que ça à faire, et même se dérouler en vol ! La biodiversité et la survie de l'espèce exigent des acrobaties. En raison de la forme de l'assemblage ainsi réalisé, le même odonatologue nomme cette scène "le cœur copulatoire", tentative néologique méritoire de mettre un peu de poésie dans cette affaire de mœurs.
Plus intéressant peut-être, à notre niveau d'habitants partageant les mêmes lieux, le genre Odonate est considéré comme un marqueur de la biodiversité et, par conséquent, la raréfaction éventuelle de la libellule comme le signe d'une dégradation de l'environnement : remembrement agricole, emploi de pesticides, eutrophisation, c'est à dire saturation des eaux par le phosphore et l'azote. Paradoxalement, les odonates devraient pourtant profiter du réchauffement climatique qui est favorable à leur cycle de vie, trop longues périodes de sécheresse mises à part. Les organismes scientifiques d'observation des milieux naturels militent pour la mise en œuvre de meilleures pratiques, agricoles comme périurbaines et contre la modification artificielle du cours d'eau, afin de préserver l'écosystème, non pas pour protéger l'insecte pris isolément, en tant que tel, mais bien parce qu'il est le témoin d'un environnement équilibré. Nous avons pu d'ailleurs, au pied de Lectoure, observer fugitivement cette magnifique et rare demoiselle, une Agrion de Mercure, dont on considère qu'elle nécessite pour sa reproduction, un site de qualité exceptionnelle. A préserver.
Alors, avant que les jours ne raccourcissent et que leurs naïades ne plongent dans quelques sombres refuges aquatiques jusqu'à l'année prochaine, nous vous invitons, dans un vallon de Foissin si proche de l'animation de notre ville et en même temps miraculeusement préservé, à profiter de la saison de la libellule et à faire des poses d'observation sur votre chemin, à la jolie cascade de la Mouline de Roques, le long du ruisseau à Lafont-Chaude et sur le pont de la Mouline de Belin. Odonates, libellules et demoiselles, vous charmeront par leur chorégraphie qui n'est pas insouciante, nous le savons à présent, mais qui reste gracieuse à nos yeux et fascinante comme une estampe japonaise.
Alinéas
PS. Le 28.07. Notre invitation à profiter du spectacle a été entendue. Jacques est passé par là et nous a adressé cette jolie photo mise au point sur les ailes de la demoiselle, magnifique condensé de technologie.
"Les ailes des libellules sont des structures très sophistiquées, notamment via la forme et la taille variables de leurs cellules, de leurs veines, et de leurs plissements et jonctions. Autant de paramètres qui modifient ses propriétés de flexibilité et permettent leurs capacités de vol extraordinaire ! Les 2 paires d’ailes indépendantes des libellules leur permettent d’effectuer des manœuvres acrobatiques, de faire du vol statique, à reculons ou même sur le dos ! Elles sont les championnes de la vitesse de vol horizontal chez les insectes avec des pointes à 56 km/h (les abeilles atteignent difficilement les 25 km/h), mais aussi de vol ascensionnel, jusqu’à 1,5 m/s !
Ces performances sont permises par l’anatomie de leurs ailes, très subtile et optimisée à tous niveaux. Les veines permettent de maintenir la géométrie de l’aile et créent des plissements - appelés corrugations - qui améliorent l’écoulement de l’air et augmentent sa portance : un mécanisme semblable aux renforts d’une planche à voile mais avec un niveau de détail sensiblement supérieur.
Les veines de l’aile de la libellule sont reliées par deux types de jonctions :
Les jonctions fixes : des veines fermement connectées qui empêchent les déformations.
Les jonctions mobiles : une veine sert d’axe de rotation/flexion pour une veine transversale ; ces jonctions contiennent en plus des protéines élastiques qui absorbent l’énergie des déformations et permettent un vol de précision !
La circulation sanguine dans ces veines permet également de “regonfler” la structure et redonner sa forme à l’aile après une déformation !
Ces veines sont des sources d’inspiration importantes et ont permis à des chercheurs du département d’architecture de la prestigieuse université de Berkeley de concevoir des façades offrant moins de prise au vent.
Les ailes sont constituées de membranes transparentes, qui font moins de 3 µm d’épaisseur (25 fois plus fin qu’une feuille A4) contre 0.5 mm pour les veines ! Ces membranes très fines ne se contentent pas de créer de la portance et permettre le vol, elles sont elles-mêmes recouvertes de nano-piliers de quelques centaines de nanomètres de haut seulement ! Ces nano-piliers confèrent à l’aile des propriétés d’hydrophobie et donc d’auto-nettoyage - les micro gouttes d’eau n’adhérant pas à la surface irrégulière - mais aussi des propriétés antibactériennes car ces piliers peuvent déformer et percer les membres des cellules des bactéries. Ces nano-piliers sont observables sur des espèces très différentes de libellules. Ils jouent donc probablement un rôle important dans leur survie. En effet l’accumulation de contaminants sur les ailes pourrait réduire leurs capacités de vol et ainsi leur capacité à capturer leurs proies. Eviter la contamination bactérienne grâce à la structure de surface est un mécanisme très répandu dans le vivant qui représente un potentiel très important d'innovations par biomimétisme. Dans le domaine de la santé, ces nano-piliers ont été reproduit par des chercheurs de l’université australienne de Swinburne sur des implants médicaux en titane, ce qui permet de réduire les risques d’infection."
- Libellule, reproduction d'une estampe de Kōno Bairei (1844-1895), maître de la peinture kacho-e (représentations d'oiseaux et de fleurs) pendant l’ère Meiji.
Pour la sixième année consécutive, Berrac Village Gersois, bénéficiant cette fois-ci du partenariat de l'association lectouroise des Amis de la Vallée des Ruisseaux, organisait ce dimanche 29 avril sa journée botanique gourmande. Comme toute recette ancestrale que l'on déguste avec plaisir à chaque fête de famille, il y a un secret : la base, le liant. Pas toujours ce que l'on croit d'ailleurs. Dans le confit de canard aux cerises de la Mouline de Belin par exemple et bizarrement, c'est la compote d'oignons ! Aujourd'hui, je vous livre cet autre secret de bonne femme mais il faut que ça reste entre nous, ça ne doit pas sortir du département : à Berrac, c'est la bonne volonté qui fait tout. Et à cette condition, la recette est immanquable.
Bonne volonté de la météo d'abord. Elle n'est pas toujours levée du bon pied... mais il suffit qu'elle se secoue un peu, et nous avec, au pied du lit, et une fois les godillots enfilés, on oublie la grisaille. La balade passera entre deux ou trois gouttes, tombées là juste pour donner à la nature un petit air pimpant et faire chuter des frondaisons quelques reflets qui rebondissent sur la capuche du ciré. On ne peut pas à la fois réclamer la pluie à grands cris et faire demi-tour au premier petit crachin. La source du Touron elle-même, que l'on va chercher au bout du chemin éponyme, y a mis toute sa bonne volonté. Après ces mois de sécheresse dont on nous rebat les menaces apocalyptiques, elle s'écoule, rassurante, innée, nourricière déjà. Cresson, Ache des marais, le randonneur gourmand qui doit assurer les provisions trouvera là suffisamment de verdure pour remplir sa poche (trait de langage de notre sud-ouest pour dire "sac en plastique de supermarché à usages multiples", mais les poches en papier recyclé sont très très bien aussi).
Gourmands et sauvages, on n'en est pas moins organisés. Pressés de partir fureter le nez au raz du sol, les randonneurs avaient écouté cependant préalablement les instructions des expertes, Helena "au calendula", l'herboriste en herbe, et dans le rôle de Prof', Karen qui avertira le cueilleur qui se risquerait à goûter toute crue la marchandise encore sur sa tige, et donnera les consignes de prudence pour affronter cette nature, belle mais parfois cruelle.
Sur ce petit chemin du Touron, qui ne sent pas la noisette mais bien l’Acacia (oups, le Robinier !), le Frêne à fleurs, Arbre à manne, ou le Sureau noir, le randonneur gourmand ira alors faire son marché. La marchande, Aline, court d'étal en étal pour faire l'article. Ici, l’Alliaire officinale, là le Lierre terrestre, plus loin encore le Plantain lancéolé.
Moi, quand j'étais gamin et galopais les chemins sans me douter le moins du monde de tout ce qu'il y avait-là de mangeable, l'épi de plantain me faisait un tire-boulettes à un seul coup. Mais aujourd'hui, le menu prévoit plutôt d'utiliser cette jeune inflorescence et les feuilles hachées finement pour préparer une brouillade, une omelette, qui aura un délicieux goût de champignon. A chaque âge ses plaisirs.
Les trésors de la nature sont innombrables. Il a fallu faire un choix mais les essentiels de la cuisine berracaise sont là, collectés en suffisance et pas plus car on préserve ce patrimoine que l'on partage en outre avec le petit peuple faunistique du chemin : Ortie, Mauve, parmi la nombreuse compagnie des Gaillets, les variétés "gratteron", "caille-lait" et "croisette", quelques pâquerettes pour l'esthétique qui, en ajoutant au goût le plaisir de la vue, exhaussent la perception de la saveur du canapé sur lequel elles s'allongent.
Le chemin parcouru par l'équipage gourmand était bordé ce jour-là de Respounchou, le Tamier en français, liane se jetant gaiement à l'assaut des frênes, chênes, merisiers et toutes sortes de tuteurs disponibles bien malgré eux. Il y avait alors de ce succédanée d'asperge en quantité mais un quartier de lune trop tard pour apparaître au menu car la fleur commençait à s'épanouir, et d'un met de choix couru dans certaines régions autant que la girolle, le respounchou devient trop dur, amer et bientôt même, toxique. Oui, ici aussi il faut y mettre de la bonne volonté : la nature est maître du temps, et c'est au randonneur-cueilleur de s'adapter à ce qui est disponible lorsqu'il se lance sur le chemin. L'équipe de l'association Berrac Village Gersois avait bien sûr reconnu les lieux la veille, avant d'établir son menu, en fonction de ce que le chemin aurait à offrir ce jour précisément. Demain, le randonneur-cueilleur, livré à lui-même, partira donc à l'aventure et ne saura ce qu'il mangera qu'une fois sa collecte achevée. Plaisir supplémentaire de l'improvisation.
Revenus à la civilisation, à l'abri du clocher-mur de Saint-Marcel, le randonneur-cueilleur se mue en cuisinier. Quatre brigades sont constituées notamment autour de professionnels, Lionel Couasnon du restaurant végan condomois, L'1 pour tous, Camille Bonnet, restauratrice en cours d'installation et Francis Le Cossec qui a exercé dans différents établissements en France et au Royaume-Uni avant de se reconvertir dans la restauration... de bâtiments anciens. Toute l'équipe de bénévoles berracais était là pour mettre la main à la pâte. Pâte végétale allongée il faut l'avouer, de quelques œufs et produits laitiers...
Puis, il est l'heure de passer à table car c'est quand même bien l'objectif. Monsieur le Maire prononce un discours où transparaissent les problématiques locales de coexistence entre la nature et la technologie...
Je passe sur le cocktail de sureau déjà servi sur ce cyber-carnet. Mention très honorable au vin de Séraphin Corne du Rosier d'Angélique, domaine berracais dont les rangs de vigne ne sont pas abandonnés eux, à la nature sauvage, mais après dégustation on lui pardonne. La présidente de l'association, Chantal Laban remercia tous les bénévoles, du latin benevolus, bonne volonté. Bene, bien et velle vouloir. CQFD. Et "la marchande" aussi remerciée bien sûr. Pour ponctuer le service des plats que les randonneurs-cueilleurs-cuisiniers se faisaient passer dans la bonne humeur, Gisèle Daubas évoqua, un peu comme un trou gascon pédagogique, rien moins que les origines de la vie ! Eh oui ! Sauvage et gourmande, voilà une assemblée qui s'est nourrie toutefois, et simultanément, de réflexion ! Pour finir et avant que chacun ne retourne sur son chemin quotidien, Nathalie Abily expliqua l'intérêt de la lacto-fermentation, conservation et valeur nutritive conjuguées. Encore une journée sauvage bien cuisinée à Berrac.
Alinéas
Photos :
- Plantain lancéolé : Bogdan Giuşcă - wikipedia
- Autres photos : Josiane Apriletti et Michel Salanié
«Les feuilles d'un noisetier tremblent sous le vent : rien n'est plus pur que cette clarté d'un feuillage, éparpillée en mille éclats contraires. Rien n'apaise plus que l'humilité de ces feuilles tendres, soumises sans réserve au déluge des lumières. Elles parlent une langue suave, traversée de silence.»
Christian Bobin
remière fleur du printemps, dans ce petit froid dont on avait perdu l'habitude mais pourtant si naturel et ma foi pas désagréable s'il n'y manquait pas la pluie nourricière, il prend la suite des guirlandes de Noël à peine rangées dans les cartons. Il les remplace avantageusement, sans comparaison possible à mon goût. Ribambelles de chatons dorés alignés sur ses faisceaux de branches mouchetées montant à l'assaut des remparts de Lectoure, dans les jardins et les friches entremêlés, et jusqu'à la rue de la Barbacane. Laissez faire la nature, la ville redeviendrait très vite le domaine de l'écureuil, du pic-épeiche et du campagnol. C'est rassurant.
Sur les chemins que l'on a bien voulu laisser courir en tout sens sur nos coteaux, discrète et précieuse réserve botanique, il alterne avec le cornouiller sanguin, le nerprun, l'épine noire et l'églantine, chacun y allant de sa ramure et de sa floraison à son rythme, comme un concert où les solistes font entendre leurs différences pour briller pendant quelques mesures et parfaitement s'accorder au finale.
Le noisetier est la vedette de nos chemins en ce moment. Bouquets de franges mordorées oscillantes au moindre zéphyr. Ces tresses gracieuses sont les fleurs mâles. Pour observer la fleur femelle, il faudra s'approcher très près et observer attentivement. Ressemblant d'abord à un banal bourgeon à bois, elle développe quelques stigmates rouges. Le vent coquin s'en mêlant heureusement, le pollen dégagé par les chatons parviendra à destination sur ces charmants attraits colorés, éloignant au passage les humains allergiques qui n'ont d'ailleurs rien à faire dans cette histoire, privée bien qu'exposée au grand jour... Bien sûr, c'est cette fleur femelle pollinisée qui deviendra noisette, ou bouquet de deux ou trois coques qui se développeront jusqu'à l'automne.
Mais remontons quelque peu dans le temps. Quelque peu à l'échelle géologique, car c'est au Miocène, entre 23 et 5 millions d'années seulement, que les paléobotanistes font remonter l'origine de la famille des Coryloïdées, dont le noisetier est le seul représentant tant ses caractères spécifiques le distinguent des autres membres de l'ordre des Fagus, hêtre, chêne, aulne, bouleau. Nous avons déjà tiré ici le portrait d'un vénérable ancêtre végétal : la prêle, présente dans le paysage du Dévonien, soit il y a 400 à 360 millions d'années ! Non, beaucoup plus près de nous, le pollen du noisetier retrouvé dans les tourbières prouve que notre sujet a "seulement" connu les glaciations du Quaternaire (subdivision du Miocène), lorsque les premiers hommes venus d'Afrique se sont fait surprendre par le refroidissement, mais mon dieu ! trouvant le pays agréable, y sont restés quand même. Il suffisait de s'adapter. Ce qui fait la qualité première de ce cousin du singe que nous sommes... Et précisément, le noisetier va entrer dans la panoplie de notre lointain ancêtre.
Le noisetier est un arbrisseau, c'est à dire qu'il ne dépasse que très rarement la taille de 7 mètres. Il pousse en buisson, donnant naissance chaque année, à partir de la base de sa touffe, à de nombreux rejets adventifs. Ayant besoin de lumière et d'eau, le noisetier se tient à la lisière de la forêt et en bordure des ruisseaux. Les sous-bois de noisetier ont donc certainement été le site de prédilection des tribus préhistoriques. Accessible et de dimension modeste, son bois va pouvoir être prélevé et travaillé aisément par Homo Sapiens. Sa forme rectiligne, sa souplesse en font un matériau idéal pour les palissade, charpente de hutte, lance, arc et flèche... flèche polynésienne plus près de nous, dans le fabuleux territoire de mon souvenir, entre Quercy et Périgord, fabriquée et projetée par certain garnement-scout, le bonhomme faisant simplement pivoter le béret pour passer d'une tribu à l'autre.
Moins guerrier, la baguette de coudrier, précisément une fourche, plonge aux mains du sourcier, par magie, sur l'emplacement ainsi désigné de l'eau souterraine, sachant que le périmètre de recherche préalablement choisi est déjà remarquable pour sa végétation abondante et typique des terrains humides... Serais-je incrédule ? Aujourd'hui le coudrier du sourcier est remplacé par du métal, laiton, acier, ou cuivre, voire par de la matière plastique ou composite ! Finalement je préfère la magie.
D'autres héros ont choisi le noisetier pour instrument de leur office : les dieux Thor et Odin, Mercure ayant perfectionné la chose jusqu'à fournir à la médecine son caducée dressant les serpents, mais selon les récits il y a ici concurrence avec le laurier et l'olivier. Et encore Merlin l'enchanteur, Saint Patrick, une kyrielle de pèlerins de Saint Jacques et leurs bourdons, une autre de garçons-meuniers poussant leurs mules à la trique, Sibylle Trelawney, professeur de divination d'Harry Potter, Petit Gibus et sa bande etc... Avec le sureau dont nous avons parlé ici, le noisetier est bien l'arbrisseau tutélaire de l'Ouest européen.
Bien sûr, la noisette, j'y viens, dont la maturité précède opportunément l'entrée dans la saison froide, présente le très grand avantage de pouvoir être conservée. Riche en lipides, en protéines, en amidon, en sels minéraux et en vitamines, mais ça Homo sapiens ne pouvait pas le savoir, ce fruit est un aliment de grand intérêt. C'est encore aujourd'hui un ingrédient de choix pour une alimentation de l'effort, pour une pâtisserie à la saveur originale et pour la confiserie... mmm !!! Lectoure est bien dotée sur ce terrain-là. Née en 1965, la maison Carayon cultive la noisette sur 6O hectares et propose ses produits : farine, huile, pâte à tartiner. A découvrir ici https://www.maisoncarayon.com/. Au pays gascon, la noisette ne quitte pas le béret.
Au bord du ruisseau de Foissin, les noisetiers sauvages dressent leurs tiges bien trop haut, et portent leurs fruits trop dispersés, pour que l'on puisse espérer y faire une vraie récolte. Mais il y a là, et cela nous réjouit, un garde-manger essentiel pour tous les rongeurs et les oiseaux qui doivent passer l'hiver. La cueilleuse y prélève cependant quelques feuilles réputées pour être un bon tonique veineux, l’écorce étant quant à elle, fébrifuge. Pour remplir notre panier de la précieuse amande, nous irons glaner, nous y sommes invités, dans quelque alignement civilisé, l'arbuste savamment taillé et le sol enrichi. Génie paysan.
Alinéas
PS. Pour nos lecteurs âgés de plus de... disons 50 ans, la lecture du titre de cet alinéa a dû immédiatement provoquer le chantonnement de la ritournelle de Mireille, la-la-la-la-la... "qui sent la noise-ette" interprétée par Jean Sablon, Brassens et France Gall. Si ce carnet vous a fait fredonner gaiement, ce sera une de ses réussites.
BIBLIOGRAPHIE : Elle est abondante, tant imprimée que virtuelle sur le web. On pourra se suffire de ce génial petit ouvrage de la collection "Le nom de l'arbre" des éditions Actes Sud : Le noisetier, Michel Roussillat.
- Scène de chasse de cerfs, peinture murale de la Cave des chevaux du Barranco de Valltorta, province de Castellón, Espagne. H. Obermaier et P Wernert (1919).
On a beau aimer les grands arbres, tous les arbres, il y a des limites.
Ce n'est pas un phantasme, ni une vague menace, l'envahisseur est bien installé chez nous. Alors, disons carrément "l'occupant". Vous le trouverez par bandes compactes, dressé, florissant et semant à tous vents, à la Croix-rouge, chemin de la Boère prolongeant jusque rue Descamps où il porte beau, rue Victor-Hugo, au pied du plateau de Bacqué, sur la N21 en direction de Foissin et sur la Vieille-côte, ou isolé, ici et là, en éclaireur. Il est partout. Et alors ! me direz-vous. C'est un bel arbre, non ? on en supprime tellement à tort. Oui, mais l'Ailanthe présente de très gros défauts.
Ailanthus altissima, Faux vernis du Japon, Frêne puant ou Vernis de Chine, l'Ailanthe glanduleux a été importé d'Orient par curiosité scientifique comme souvent, mais également pour son intérêt décoratif et plus utilement, parce qu'il héberge un papillon, le Bombyx de l'ailante, pour remplacer le Mûrier en raison de maladies touchant les vers à soie, ce qui n'a pas suffi à sauver cette industrie provençale. Arbre du Paradis dans plusieurs langues, Arbre des dieux en allemand, Arbre du ciel en espagnol, rien que ça ! en raison de sa croissance rapide ou de supposées vertus médicinales, il n'a pas fallu longtemps cependant pour s’apercevoir de son incroyable capacité également à se multiplier. Il n'y a qu'un pas du paradis à l'enfer. Oui, l'enfer botanique.
Transporté par le vent, sa graine légère atterrit sans difficulté sur n'importe quel terrain vierge ou en friche. Le bord de route lui convient très bien. Il affectionne les terrains pauvres. L'arbre poussera là, discrètement, et attendra son heure. Des travaux à proximité, une coupe de bois, une zone pavillonnaire ou industrielle en cours d'aménagement et l'Ailanthe colonisera instantanément et intégralement les lieux. Un individu produit jusqu'à 325 000 graines dont la dispersion est facilitée par la présence d'ailettes sur les fruits (samares). Mais là ne s'arrête pas la grande propension de cet arbre à envahir le paysage. Si vous le coupez, il drageonnera c'est à dire que ses racines produiront en quelques semaines des centaines de rejets à plusieurs mètres du pied d'origine. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il occupe tout l'espace disponible. Comme ses lieux de prédilection sont en général mal entretenus, il n'y aura pas d'opposition à cette progression. Et puis se dit-on, "un peu de verdure sur ces terrains vagues, mon dieu, c'est plutôt bienvenu...".
De même lorsque la tempête couche un de nos grands chênes gascons, un frêne ou toute autre variété indigène. En quelques mois, L'Ailanthe aura pris sa place, car les drageons étaient présents dans l'ombre, attendant leur heure. De cette façon, l'envahisseur qui restait en lisière puisqu'il a besoin de beaucoup de lumière pour se dresser, colonisera la clairière provoquée par la chute de l'arbre indigène et ainsi, progressivement, îlot après îlot, le bois en entier.
Il faut reconnaître qu'il a de l'allure. Elancé, poussant de 1 à 2 mètres par an pendant les quatre ou cinq premières années et atteignant plus de 25 mètres, offrant une ombre légère, il apporte une touche japonisante dans notre paysage. Sa floraison jaune sur des rameaux rougeâtres est gracieuse d'autant qu'elle est précoce, d'un parfum puissant, très mellifère. L'odeur désagréable dégagée par son écorce et sa feuille, qui lui a valu le nom de Frêne puant, est comparable à celle du Sureau noir et est exagérément décrite comme nauséabonde. Pour son port altier et son feuillage, on le compare au frêne, ou au sumac, un autre invasif, lorsqu'il est encore jeune et de petite taille. Mais voilà, derrière cette esthétique se cache une traitresse alchimie.
En effet, l'Ailanthe produit une substance chimique, l'ailanthone, qui inhibe la croissance de nombreuses autres plantes. Ainsi, depuis sa position d'attente en lisière, ayant envoyé ses racines alentour, à la première occasion, une coupe, une chute d'arbre ayant libéré un espace et donné de la lumière, ses jeunes plants et ses drageons pourront se développer sans concurrent puisque les autres espèces d'arbres auront été ralenties ou totalement éliminées. L'effet de remplacement est surprenant. Et c'est là le plus grand danger, car en milieu urbain ou périurbain il sera peut-être possible de le combattre, cependant par des opérations d'ensemble, variées et concertées, et sur des espaces dégagés avec des moyens mécaniques traumatisants pour l'environnement, mais lorsqu'il investit la forêt ce sera un long combat à engager pour la défense de la flore locale. Pour autant, malgré quelques indispositions signalées mais peu caractérisées, l'arbre ne serait pas toxique pour l'homme comme on peut le lire parfois. Pas toxique mais dangereux pour la biodiversité. Le mieux étant de lutter contre les jeunes plants : arrachage de la racine, fauchage systématique, annelage du tronc (voir ici les conseils du Centre de Ressources des Espèces Exotiques Envahissantes) Il ne faut pas composter ses feuilles. Le feu est le seul moyen sûr pour se débarrasser des déchets et de fait, l'Ailanthe fournit un bois de chauffage performant. Ce sera toujours ça.
Bien sûr Lectoure n'est pas un cas isolé. L'Ailanthe a été utilisé en ville pendant des décennies comme arbre d’alignement. L'espèce s'est également répandue le long des routes et des voies ferrées. Elle est encore vendue en jardinerie malgré les avertissements de tous les organismes spécialisés ! L'Allemagne est particulièrement touchée. Paris également. De nombreuses collectivités locales ont lancé des opérations de lutte systématique. Ainsi Toulon (voir ici par exemple), les îles de Ré et d'Oléron, le département de Savoie, Nogent-sur-Seine etc...
Revenons chez nous. La vallée du Gers présente un profil répétitif très caractéristique. De petits ruisseaux descendent d'est en ouest ou d'ouest en est, pour rejoindre la rivière. Entre deux ruisseaux parallèles un plateau rocheux, le peyrusquet. Autour du plateau, un décrochement conduit à des zones herbeuses, parfois appelées prairies aux orchidées, au sol pauvre, où paissaient autrefois les troupeaux d'ovins. Aujourd'hui la nature a repris ses droits et des friches bordent un ruban d'arbres, majoritairement de chênes, qui couronne le plateau. Ces zones incultes, buissonneuses et arborées, sont appelées par les géographes, rendails. Elles sont, un refuge pour la faune et la flore et parfois le seul espace naturel de dimension intéressante dans un département très agricole. Or, les rendails sont déjà souvent investis par l'Ailanthe.
On ne peut pas se résoudre à voir disparaître notre flore variée et laisser se développer l'emprise d'un biotope pauvre. Les habitants de ces abords de la ville ne veulent pas voir disparaître ce patrimoine précieux, leur cadre de vie immémorial. Les citadins promeneurs, les randonneurs, les sportifs doivent également pouvoir continuer à profiter de sentiers offrant des points de vue remarquables sur la cité, et les scolaires une leçon de "sciences et vie de la terre" grandeur nature. Les bourgs et les petites villes sauront certainement se mobiliser pour lutter contre l'Ailanthe envahissant leurs rues, leurs voies d'accès et leurs espaces verts. Espérons qu'ils sachent inclure dans la lutte qui se dessine, leur terroir, leur poumon, leur proche campagne.
ier, de très bon matin, alors que je ratissais mon pas-de-porte, un promeneur habitué de notre coin de nature me fit un signe amical. En guise de salut, à mon tour et très banalement, je lui lançais :
- Il fait bon à cette heure !
- Oui mais, répondit-il, j'aurais dû démarrer encore plus tôt.
Évidemment, nous avons la facilité d'habiter sur place. Par ailleurs, après l'avoir assidument pratiquée, pour ma part, je n'apprécie plus la grasse matinée. Et puis notre jardin réclame des soins qu'il est impossible de prodiguer au zénith par ces temps de canicule, alors nous nous levons à l'aube. Nous n'avons donc aucun mérite. Mais ce carnet veut surtout inviter à profiter de ces précieux petits matins frais. La chaleur exceptionnelle, pénible et fatigante, nous oblige à sortir très tôt ou très tard. Dans les deux cas, il y a des avantages, et de jolis tableaux, à faire cet effort. Aujourd'hui, intéressons-nous à la balade matinale et florale. Alors, "A la fraîche", ou "Aahhh, la fraîche !" ?
Les oiseaux virevoltent dans l'air pur avant de trouver un coin à l'ombre et n'en plus sortir. Ainsi nous montrent-ils le chemin qu'il est prudent de suivre, à pied, mais il ne faudra pas tarder car le créneau de température est étroit. La lumière rasante met en valeur les couleurs et les profils. Si les fleurs sont rares ou plus discrètes, elles font assaut d'originalité pour séduire butineurs et leurs suiveurs macro-photographes. Plus résistantes à la cueillette et souvent épineuses, elles n'en sont que plus nobles. Comme la jeunesse, la tendre floraison du printemps n'est qu'un passage éphémère. L'hiver, l'automne et cet été un peu rude ont leurs plaisirs botaniques qu'il faut cueillir, comme disait le poète à propos de la rose.
Allons, dépêchons-nous d'encourager, par notre amoureuse visite, cette nature dont nous ne sommes qu'une brindille, et qui, comme nous, fait le gros dos, en attendant la pluie qui finira bien.
Alinéas
Le nez dans le ruisseau, barricade de Salicaire et de Massette.
Tournesols, évidemment. Ceux-ci ne nous ont même pas vus passer.
Le Faux Sureau ou Yèble, toxique pour l'homme, attire quand même le papillon Demi-deuil et quelques autres affamés.
On a beau avoir les pieds dans l'eau, quand il est l'heure de faner... et de s'égrainer...
En deux temps trois piquants, le Chardon laineux, ou Cirse, développe un étonnant capitule ivoire avant d'y dresser son bouquet parme à destination des butineurs. Enfants, nous croquions ses tiges, tendres et gouteuses comme des asperges. A condition de les peler avec précaution...
Voila un carré de carottes qui n'a pas été souvent biné...
La Mauve. Bourrée de qualités. Il faut penser à prendre son panier.
Millepertuis élégant. Effectivement.
Dialogue quelque peu alambiqué entre Prêle, Vigne vierge de Virginie et Liseron.
Dans quelques semaines, la Clématite des haies offrira ses guirlandes d'akènes au givre. Mais sa floraison est déjà très décorative, ponctuant de myriades d'étoiles le chemin de Saint-Jacques.
Petite Centaurée ou Herbe-à-fièvre. Famille de la Gentiane.
D'habitude, je peste après cette envahisseuse. Mais à distance du potager et à condition d'être bien chaussé et pantalonné, la Picris fausse-épervière, sorte de blonde échevelée, a du charme.
Centaurée-des-près. Famille du Bleuet, autrefois commun, parfois trop dans les cultures de céréales et qui a presque disparu à force d'être chassé par les pesticides. La Centaurée elle, a résisté en suivant les bas-côtés. Pas plus que la vie en communauté, elle ne respecte ni le code couleur ni la coupe de cheveux règlementaire de la tribu. Un sujet vraiment rebelle.
La Cardère sauvage, qui n'est pas un chardon, servait autrefois à carder la laine. A donné son nom au coteau qui fait face à Lectoure au nord, Cardès, car elle devait y être récoltée pour servir à l'industrie textile dans la vallée de Foissin. A également donné son nom à une mouline qui, à notre avis, ne devait pas mouliner la farine.
Comme quoi, l'herbier du Carnet d'Alinéas nous ramène toujours à l'homme, industrieux....
Aujourd'hui, on considère la Cardère comme très importante pour la biodiversité car ses feuilles, assemblées par deux en forme d'abreuvoir, retiennent l'eau de pluie, ou à défaut, de rosée, et ses capitules offrent chacun plus de 500 graines. La Cardère est pour cela, en langage vernaculaire, joliment appelée "Cabaret des oiseaux".
ette abeille du Rucher de Lectoure et cette cétoine dorée qui butinent sur le coteau de Rajocan, nous le disent.
- Foin des symboliques ridicules et des marques infâmes : le jaune est bon !
Ajoutons, bon et beau. Pour les autres rapprochements, glorieux ceux-là, le soleil n'est pas jaune, de plus il est déconseillé de le regarder en face. Quant à l'or, en lingot à l'ombre d'un coffre fort il ne nous intéresse pas. Finement ciselé, bijou se balançant sur le tendre modelé de la gorge d'une jolie fille, je ne dis pas. Il se rapprochera alors de toutes ces œuvres d'art de la nature semées par un bon génie sur notre chemin.
Lumineux, remarquable, chaud, resplendissant, gai, léger, vif... les adjectifs pour qualifier cette couleur dénotent l'émotion que le jaune provoque chez le promeneur avant même d'observer la forme, de rechercher le parfum, de se remémorer le nom de la fleur. Pour le parfum, nous ne pourrons rien pour vous. La forme, ces modestes clichés s'y essaient. Et puis nous avons fait cet agréable travail de recherche botanique pour nous donner le prétexte scientifique d'une petite ribambelle de fleurs de chez nous en livrée dorée.
Alinéas
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La fleur du Pissenlit ou Dent de lion, Taraxacum sect. Ruderalia, que nous mangions en salade cuite il y a deux alinéas à peine (voir ici) n'est pas une fleur mais un bouquet de fleurs ! Car, au bout de la tige creuse, la capitule rassemble jusqu'à deux cents fleurons ligulés (pétales soudés), qui donneront naissance chacun à un akène, sorte de parachute... que "je sème à tout vent".
Le Bouton d'or, Ranunculus repens. Principale vertu : permettait autrefois, au vu de son reflet blanc sur son menton, de deviner si notre petite amie, ou petit ami selon la préférence de chacun, aimait le beurre. Permettait en même temps et surtout d'approcher au plus près le minois convoité... Devenu inutile avec les méthodes modernes.
Cousine renoncule du précédent, la Ficaire, Ficaria verna, ou Herbe aux hémorroïdes (pommade à base des tubercules et de saindoux). Egalement nommée Epinard des bucherons, les jeunes feuilles se mangent en salade. Sans garantie https://cuisinesauvage.org/recipe/salade-de-ficaire-dagrumes/
Beaucoup plus rare, découverte, photographiée et aimablement autorisée par notre amie Isabelle Souriment : une Tulipe sauvage, Tulipa sylvestris. Un peu fanée, son jaune devient joliment mordoré.
Rose Mermaid (Sirène en anglais). Cultivar hybride de Rosa bracteata et d'un hybride de thé. Cette corolle simple peut faire passer cette belle sophistiquée pour une fleur sauvage, une sorte d'églantine qui ne rosirait pas sous le regard du promeneur effronté.
Une Araignée-crabe, ou Thomise, mime le jaune de cet Iris germanica, à l'affut de quelque proie attirée dans ce fascinant traquenard.
Mahonia faux houx, Berberis aquifolium, une sorte de Mimosa qui piquerait. Floraison précoce et très odorante. Lors de la visite d'insectes, le contact induit un mouvement des étamines qui se détendent et se rabattent alors vers le pistil en environ 1/10e de seconde. C'est l'un des mouvements les plus rapides parmi les végétaux (Wikipédia). Le jaune n'a pas de temps à perdre.
Certes, le Tournesol, Helianthus annuus, n'est pas un modèle de biodiversité, quand il ne pose pas de graves problèmes d'érosion pendant les périodes orageuses en raison du sol totalement nu à ses pieds, mais il faut reconnaître qu'il offre de magnifiques compositions et qu'il est souvent associé à la Gascogne dans l'esprit de nos visiteurs. Jaune pub.
Sur les vieux murs de la Mouline de Belin, Sedum reflexum, Orpin des rochers. Un nom commun qui viendrait du latin auripigmentum : de l'or en fleur.
Consoude, Symphytum officinale. Supposée cicatrisant et même accélérant la consolidation des fractures, d'où son nom vernaculaire. Originaire de l'ouest de l'Asie, elle s'est, en raison de ces vertus médicinales, répandue le long des chemins pèlerins (Symphytum peregrinum) qui en avaient bien besoin. De fait, installée sur les ruisseaux de Lectoure en importantes colonies. Famille de la Bourrache et du Myosotis.
La Grande chélidoine, ou Grande éclaire, Chelidonium majus, « grande hirondelle » en latin. Famille du coquelicot. Son latex est utilisé pour bruler les verrues.
La Giroflée, Erysimum cheiri, ou encore Violara en gascon en raison de son parfum de violette. Capable de transformer un vieux rempart négligé en cimaise.
Et pour finir, mais il y en aurait tant d'autres, la Coronille, Hyppocrepis emerus, dont les haies généreuses et embaumées conduisent le pèlerin de saint Jacques vers son étape au pied du clocher cathédral.
olitaire souvent, quelque peu hautain, toujours remarquable, que ce soit au soleil, dans la brume ou par grand vent, il cultive son allure. Rassemblé avec quelques congénères, devisant dans les airs sans se soucier du menu peuple, il dresse une cathédrale de verdure, aristocratique et puissante. Puis, cheminant à la queue-leu-leu, il tend de souples drapés, ondulant gracieusement tout au long du ruisseau, divisant le vallon en deux, sol y sombra, comme un théâtre de plein air dont il est le génial premier rôle.
Cependant, planté au cordeau pour être dressé à servir l'industrie, il paraîtra plutôt soumis et raide comme un enfant de troupe. A l'âge adulte, cette armée deviendra compacte et impressionnante, abritant dans ses rangs obscurs des escouades de rapaces et de sangliers.
Enfin, gracieux, semblant fragile, la littérature lui prête souvent des attitudes féminines.
Peuplier d'Italie ou peuplier noir le plus souvent, bien que le premier n'existât pas dans le paysage du temps des chevauchées de notre bon roi Henri de Navarre*, il est l'un des arbres totémiques de Gascogne. Les myriades de petites vallées perpendiculaires aux rivières qui descendent du plateau de Lannemezan, parmi elles le Gers, lui offrent une terre riche et humide et, contre les vents parfois colériques d'autan et de Bayonne, la protection de coteaux versants profonds. De tradition séculaire, son bois léger a fourni aux paysans-bâtisseurs la volige qui dort sous la tuile canal et la longue poutre faîtière des bordes et des granges postées sur les collines depuis les Pyrénées jusqu'à Garonne. Patiné de cire par des générations de ménagères, au cœur de la bâtisse, le plancher de peuplier offre au pied nu chaleur et souplesse. Malheureusement, hors exploitation forestière, aujourd'hui on le néglige, le laissant trop vieillir et parfois basculer misérablement dans le ruisseau, ce qui n'est pas bon pour les berges. Il est aussi accusé de soulever le macadam et d'envahir les canalisations. On prévient sa chute à proximité des maisons. Les charpentiers préfèrent désormais s’approvisionner auprès de la grande distribution, en différentes espèces souvent importées d'Europe du Nord et d'Amérique. Pour n'avoir pas prélevé les sujets matures au fil du temps, il faudra abattre sans ménagement des compagnies de géants qui fourniront à vil prix l'industrie de la pâte à bois ou entreront dans la fabrication de vulgaires panneaux de particules. Alors, le promeneur découvrira le désastre et un paysage lunaire que le prochain orage ravinera, transformant les sentes dénudées en de vagues traînées boueuses. Triste fin. Salut l'artiste.
Heureusement notre arbre ne se laisse pas définitivement abattre... Il recèpe et drageonne abondamment. Il croît rapidement et l'on peut espérer, en quelques années, retrouver l'ombre frémissante de son feuillage, la neige mousseuse de ses graines au vent printanier, l'or de sa livrée d'automne et, pour les connaisseurs, le goût subtil d'une fricassée de pholiotes, bouquet gourmand cueilli à l'étal de sa souche.
Au pied de Lectoure, entre Tulle et Boulouch, avant qu'on ne l'y cultive intensivement, il régnait là naturellement de toute antiquité, au débouché du Pont-de-pile, au lieu-dit ayant hérité de son nom gascon, Au Bioule. Des milliers de pèlerins ont quitté la ville en direction de Santiago sous la bénédiction de ses rameaux agités d'un souffle de vent. Dans le sens inverse, sans message, Pertuzé y figure l'arrivée d'André Gide dans un magnifique dessin déjà reproduit dans ce carnet, le lactorate illustrateur prouvant encore une fois sa très fine perception de l'environnement de sa ville. Je trouve personnellement que si l'on soigne beaucoup, et à raison, nos remparts, nos monuments, nos kilomètres de routes et de chemins communaux, il y a là une facette de Lectoure qui mériterait d'être aménagée. Une promenade dans la peupleraie au bord du Gers participerait au charme de notre ville, qui doit beaucoup à la rivière et à la vallée soit dit en passant, historiquement et économiquement, au moins autant qu'à ses sommets qui ont aujourd'hui le privilège d'être au sec.
Pour les amateurs de pharmacopée, le peuplier se voit attribuer un certain nombre de propriétés tisanières, modestes en général au point qu'un grimoire du 18ième siècle précise qu'il "apaise l’inflammation des hémorroïdes surtout si on y ajoute de l'opium". C'est sûr. Cependant, indirectement, le peuplier est l'un des fournisseurs les plus généreux d'une médication naturelle précieuse : la propolis. Cette cire fabriquée par les abeilles pour bâtir et protéger leur habitat contre les envahisseurs et les maladies est le produit d'une macération par l'insecte d'une résine qui protège au printemps les bourgeons de certains arbres et tout particulièrement ceux du peuplier. Antibiotique, riche en oligo-éléments, récoltée par les apiculteurs sur les cadres de la ruche, la propolis est commercialisée à l'état brut, à mâcher, ou bien transformée et conditionnée en spray, gélule, infusion... pour lutter contre les petites affections de l'hiver et prévenir certains l'espèrent ... le Covid ! Voilà notre artiste évaporé, cassant, encombrant, mauvais combustible, se révélant finalement utile là où on ne l'attendait pas. Il suffisait de monter mettre le nez là-haut, sur son fragile bourgeon.
Enfin, le peuplier a inspiré la mythologie, on y revient toujours, pour la morale de l'histoire, et la poésie. A la mort de leur frère Phaéton, imprudent fils du soleil, tombé dans la rivière après un prétentieux rodéo céleste -déjà à l'époque !- les Héliades ses sœurs, sont inconsolables. Leurs larmes se transforment en ambre et elles-mêmes se changent en peupliers.
Des arbres qui chantent et dansent dans les nuages ne pouvaient pas ne pas inspirer nos anciens. Et nous également.
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* Monluc et sa piétaille gasconne ne l'ont même pas ramené de leurs campagnes d'Italie successives sous Charles VII, Louis XII et François 1er. Certains attribuent l'importation du peuplier d'Italie à Napoléon ! Et donc possiblement dans la sacoche de notre maréchal lectourois. Ce qui confirmerait le sens esthétique de Napoléon. Mais ne lui attribue-t-on pas trop ?
ILLUSTRATIONS :
Les photos de peuplier sont nombreuses et souvent spectaculaires, poétiques et très graphiques en même temps. Pour sélectionner les peupliers de Gascogne, il suffit de faire l'expérience de lancer une recherche sur Google Images. Saisir sur le champ de recherche [ Pierre-Paul Feyte / peuplier ] du nom du fameux photographe de Saint-Puy aujourd'hui exilé dans le Lot. Le résultat est surprenant. Notre premier alinéa de la rubrique Beaux-arts avait sélectionné, avec son aval, celle-ci, digne d'un Pizzarro.
vec un cadrage légèrement moins serré, apparaîtrait sur ces photos un pan de mur familier ou bien un bout de chemin dont la perspective provoquerait une distraction, un échappatoire. Au contraire, en zoomant par trop, ce serait une tentative de macrophotographie, un regard sur le monde merveilleux et impitoyable de Microcosmos. Entre ces deux extrêmes, la nature nous offre des tableaux sans intention, tendres et sereins. Ni titre, ni mouvement artistique, lieu de prise de vue indéterminé... Seuls l'entrelacs des formes et l'accord des couleurs. Parfois une vague géométrie. Naturelles abstractions. Sauf cet insecte qui s'obstine à rester dans le champ de vision.
Pour cela, il suffit de renoncer à penser par monts et par vaux, ne pas se situer dans un paysage qui, de fait, nous renvoie fatalement à notre propre dimension. Pour cela, il faut également organiser l'absence de l'autre, humain ou animal, qui pourrait troubler la neutralité de la scène. Tableaux de la nature intermédiaire, art botanique. Tout ceci sur le pas de ma porte. Et il faut l'avouer, voilà un pas-de-porte photogénique.
Restons modestes, la technologie de nos appareils fait l'essentiel de ce petit exercice. J'ai une pensée admirative, vraiment, pour l’œuvre de Kandinsky, Soulages ou d'autres, moins systématiques, Gauguin ou Van Gogh, dont le génie magnifie cette focalisation du regard. Bien sûr, votre œil exercé et la puissante vitalité de la nature vous conduira à mettre un nom, scientifique ou vernaculaire, sur ce qui n'est, dans mon intention, qu'une esthétique. J'aurais pu, d'un petit coup de logiciel Photoshop, flouter ou déformer chacun de ces tableaux, pour en accentuer l'abstraction, pour créer un anonymat botanique. Mais on ne triche pas avec la nature. Voilà un spectacle à deux temps : appartenir à notre environnement puis s'en extraire, pour l'admirer.
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Comme d'habitude, en fonction de votre navigateur internet, et de votre dextérité à manier votre ordinateur, vous pourrez sélectionner la photo, clic droit en principe, et [ouvrir dans une autre fenêtre] pour profiter de chaque tableau, sans la perturbation visuelle de la mise en page de cet alinéa.
crire un alinéa à propos du chêne me paraissait risqué, voire irrespectueux. Quelques lignes seulement pour un monument botanique, historique et culturel ? Quelle prétention ! C’est la raison pour laquelle j’ai d’abord chroniqué sur ses frêles voisins, la prêle (ici), le sureau noir (ici), l’arum (ici)… reportant prudemment l’instant d'oser. Mais, si ce cybercarnet devait finir un jour, et il finira, je m’en voudrais de ne pas avoir rendu hommage à l’arbre-roi. Je me souviens qu’enfant, je cueillais par poignées, de jeunes plants - gland germé, tige, première couronne de feuilles, racine pivotante et radicelles tout ensemble - pour approvisionner fièrement chacun et chacune de mes camarades de classe pendant la leçon de choses. Ça n’existe plus la leçon de choses ? Alors bloguons.
En 2009, pendant la tempête Klaus qui ravagea la Gascogne, nous sommes restés confinés (déjà) plusieurs heures à l’abri de la partie supposée être la plus solide de notre maison, alors en chantier. Les rafales de plus de 120 km/h se succédaient, faisant trembler murs et plafond. Un fenestrou donnant sur le bois de Rajocan, au pied de la corniche calcaire s'étirant face à la citadelle de Lectoure, nous offrit l’une des plus terrifiantes visions de la nature déchaînée qu’il nous fut donné d’observer. Comme un gigantesque et invisible outil tranchant, chaque coup de vent imprimait aux chênes pluricentenaires ourlant le plateau de Bacqué, une gîte de quelques degrés, ouvrant autant de blessures béantes dans le paysage. Il fallut quatre à cinq heures de ce titanesque combat pour que ces mastodontes de plus de dix tonnes finissent de s’affaisser, vaincus par celui-là même qui tant de fois avait brassé mollement et pénétré intimement leur ramure offerte. Quelques touffes de racines léchant encore la glèbe, les chênes mirent plusieurs mois à agoniser, misérables dinosaures rampants blessés à mort, réclamant le coup de grâce de la tronçonneuse.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, dans l’année qui suivit, les espaces libérés par les chênes abattus étaient colonisés à une vitesse et avec une densité invraisemblables par l’ailante, cet intrus importé de Chine au 18ième siècle pour son aspect ornemental, pour la culture du ver à soie et enfin à cause de notre incorrigible goût pour l’exotisme. Résultat, l’ailante, aux propriétés toxiques, désormais classé hautement invasif, sera très difficile à éradiquer. La citadelle de Lectoure est aujourd’hui cernée d’une armée qui ne lèvera pas le siège de sitôt.
Revenons à notre héros. En Gascogne, nous n’avons ni or ni pétrole, mais le chêne. Et cet arbre a offert à la région parmi ses plus précieux trésors. Allez, dans l’ordre : un toit, une table et les œuvres de l’esprit.
Voyons l'abri. Au Moyen-Âge, les cagots, ces parias suspects d’être descendants de lépreux et, pour faire bon poids, accusés de maux héréditaires et contagieux, totalement imaginaires, par l’ignorance des élites et par la malfaisance populaire qui va avec, interdits de tout contact avec l’eau et la terre nourricière, contre mauvaise fortune bon cœur, firent du travail du bois, matière encore par erreur considérée inerte, qui leur était concédée, leur spécialité. Et de père en fils, solidaires dans l’adversité, pratiquant une sorte de compagnonnage tribal, ils constituèrent la corporation des charpentiers, le métier englobant à cette époque la maçonnerie, progressant dans leur savoir-faire sur plusieurs générations, parvenant ainsi à une excellence que l’Église et la noblesse remarquaient, leur accordant alors protection et avantages financiers. Nous leur devons le château de Gaston Phébus, Montaner, et des charpentes de grande facture, par exemple celle qui nous est magnifiquement parvenue de l’église Saint-Girons de Monein dans les Pyrénées-Atlantiques ou celle de la cathédrale Notre-Dame de Paris au XIIIième siècle dont on connaît malheureusement le sort récent. Les chênes qui ont fourni les poutres maîtresses de ces ouvrages monumentaux ont poussé en futaille dense, bien droits, sans nœuds, donnant des billes de dix à vingt mètres de haut et d'un diamètre d’un mètre à la base. Incomparable et noble matière première.
La table à présent. J’aurais pu choisir le porc noir gascon qui transforme goulûment, élevage complété de quelques mois d’affinage, le tapis de glands de chêne en une joyeuse charcutaille. Ou bien une bonne poêlée de ceps tête-de-nègre (oups, il semble que ce nom ne soit plus politiquement correct, on dira "bronzés" à présent…) poussés en une nuit, tiède et humide, dans un coin de chênaie qui ne se partage pas. Mais il fallait choisir, et j’optais pour l’aygue ardente, l’eau de vie d’Armagnac.
Si l’alambic armagnacais n’est plus chauffé au bois, et cela n’a pas d’effet sur la qualité du distillat, l’eau-de-vie elle, devra vieillir en fut de chêne, exclusivement Sessile ou Pédonculé, les variétés gasconnes par excellence. Elle y gagnera cette belle couleur ambrée mais surtout son parfum et son goût spécifiques, composés par les aromatiques lentement restitués par le cœur de l'arbre, le duramen : vanilline, lactone, furane et tanins. « Comment a-t-on pu imaginer de faire tenir un liquide dans un montage de morceaux de bois fort difficile à assembler ? La barrique est bien une invention de poètes, l'imagination d'un peuple de rêveurs, insoucieux du temps et de la vie pratique, nos ancêtres les Celtes»*. Pour faire court, je dirais que celui qui a inventé la barrique … a eu du nez. Coupez du chêne, avec une scie à main bien sûr, ou bien avec une hachette ou une herminette de menuisier et humez. Vous sentez ? Peut-être la toute première fois a-t-on oublié un peu de fine blanche dans un gobelet en bois tout simplement ? Et puis, il faut dire que la barrique laisse s’évaporer lentement une part de l’alcool, qui se rapproche ainsi du degré recherché, et concentre les parfums. Évaporation que l'on appelle "part des anges", qui fait l’objet de savants calculs... de la part des agents du fisc cette fois.
Vins et spiritueux, part des anges, pays béni des dieux : nous sommes à table... et déjà ailleurs.
Au-dessus des contingences de nos besoins primaires, l'art sacré ne connaît pas l'urgence. Par exemple, l'artisan qui a taillé ce jovial angelot violoniste dans un bloc de chêne n'était probablement pas né, en tout cas pas à l'art de la sculpture, lorsque l'arbre a été abattu, débité, et mis à desséver pendant plusieurs décennies, en milieu anaérobie, à l'abri des champignons lignivores et des insectes xylophages, dans le secret de quelque étang abbatial. Prophètes, saints, scènes bibliques, sibylles de la mythologie gréco-romaine, figures fantastiques du bestiaire médiéval, faune et flore, plus de 1500 sujets composent les stalles de chêne du chœur de la cathédrale Sainte-Marie d'Auch. Un ensemble inestimable, trésor de la sculpture flamboyante, exécuté par des artistes restés anonymes, sur une période de 50 ans à partir de 1515. Ici, pierre, mosaïque, vitrail et bois s'agencent merveilleusement pour figurer la foi, mais aussi le doute métaphysique, le questionnement, incoercibles, et enfin l'esprit humaniste qui habitent ensemble la dernière cathédrale gothique.
Notre arbre est roi donc, mais nous l'avons vu, des dangers le guettent. Aux tempêtes successives, aux concurrents exotiques déloyaux s'ajoutent l'abroutissement des jeunes pousses par les chevreuils, aujourd'hui sans prédateurs, le développement urbain... Le réchauffement climatique lui, affecte certaines espèces plus que d'autres. Le chêne Pédonculé, très présent en Gascogne, se révèle sensible au déficit hydrique. Sur les conseils des scientifiques et au vu d'expériences menées déjà depuis plusieurs décennies, les exploitants forestiers privilégient les plantations de chêne Sessile, gascon également mais moins gourmand, voire celles de la variété Pubescent, d'origine méditerranéenne. Ces techniques de "migration assistée" prouvent que l'exploitation du chêne, à condition qu'elle soit organisée, raisonnable et professionnelle, est garante de son avenir. Un chêne arrivé à maturité, 150 à 200 ans tout de même, doit être abattu, avant de dépérir sur pied et de n'être plus exploitable. En outre, sans intervention humaine préparatoire puisque nous ne vivons plus en harmonie avec ce milieu, que nous ne sommes plus là pour utiliser le bois mort ni les animaux domestiques pour limiter le développement des broussailles, sous le vieux houppier une végétation désordonnée s'installe, empêchant l’émergence d'une nouvelle génération d'arbres, provoquant le développement d'un écosystème anarchique, inextricable, inaccessible, voire hostile pour l'homme. Quelques années avant l'abattage d'une parcelle de grands chênes, des coupes d'éclaircie sélectives doivent donc être entreprises. Des semis de glands sélectionnés organisés. Rapidement, à l'échelle de la nature, les jeunes arbres, protégés et éclaircis progressivement, se dresseront alors pour prendre la place de l'ancêtre avant qu'il ne soit abattu et ainsi régénérer régulièrement la forêt dont a besoin le bâtisseur et accueillante au promeneur.
Le poète lui, saura toujours cheminer un peu plus loin, en secret, là où la nature prend son temps et fait bien les choses malgré tout. Là où le chêne né, grandit et meurt libre.
ALINEAS
PS. Parmi les chênes européens, le chêne pédonculé et le chêne sessile sont les principales essences à vocation économique. La France, avec 4,5 millions d’hectares, possède 30 à 40 % de la superficie couverte par ces deux essences en Europe. Elle est ainsi le premier pays producteur de chênes en Europe et deuxième dans le monde, après les États-Unis. La France est donc par excellence, le pays des chênes. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%AAne
* Pierre Boujut, tonnelier, dans Des métiers et des hommes au village, de Bernard Henry, 1975.
BIBLIOGRAPHIE : Elle pourrait être abondante mais on se contentera du magnifique et lui-même très documenté " Le chêne, arbre roi de Gascogne " de Chantal Armagnac, photos de Jean-Bernard Laffitte, aux Editions Le vert en l'air.
PHOTOS Avec nos remerciements aux photographes et sociétés:
Titre : Johan Jaritz . Wikimedia Commons
Église Saint-Girons de Monein : Marjac . Wikimédia