L'Ailanthe glanduleux, ou Faux vernis de Chine
Publié le 19 Septembre 2022
On a beau aimer les grands arbres, tous les arbres, il y a des limites.
Ce n'est pas un phantasme, ni une vague menace, l'envahisseur est bien installé chez nous. Alors, disons carrément "l'occupant". Vous le trouverez par bandes compactes, dressé, florissant et semant à tous vents, à la Croix-rouge, chemin de la Boère prolongeant jusque rue Descamps où il porte beau, rue Victor-Hugo, au pied du plateau de Bacqué, sur la N21 en direction de Foissin et sur la Vieille-côte, ou isolé, ici et là, en éclaireur. Il est partout. Et alors ! me direz-vous. C'est un bel arbre, non ? on en supprime tellement à tort. Oui, mais l'Ailanthe présente de très gros défauts.
Ailanthus altissima, Faux vernis du Japon, Frêne puant ou Vernis de Chine, l'Ailanthe glanduleux a été importé d'Orient par curiosité scientifique comme souvent, mais également pour son intérêt décoratif et plus utilement, parce qu'il héberge un papillon, le Bombyx de l'ailante, pour remplacer le Mûrier en raison de maladies touchant les vers à soie, ce qui n'a pas suffi à sauver cette industrie provençale. Arbre du Paradis dans plusieurs langues, Arbre des dieux en allemand, Arbre du ciel en espagnol, rien que ça ! en raison de sa croissance rapide ou de supposées vertus médicinales, il n'a pas fallu longtemps cependant pour s’apercevoir de son incroyable capacité également à se multiplier. Il n'y a qu'un pas du paradis à l'enfer. Oui, l'enfer botanique.
Transporté par le vent, sa graine légère atterrit sans difficulté sur n'importe quel terrain vierge ou en friche. Le bord de route lui convient très bien. Il affectionne les terrains pauvres. L'arbre poussera là, discrètement, et attendra son heure. Des travaux à proximité, une coupe de bois, une zone pavillonnaire ou industrielle en cours d'aménagement et l'Ailanthe colonisera instantanément et intégralement les lieux. Un individu produit jusqu'à 325 000 graines dont la dispersion est facilitée par la présence d'ailettes sur les fruits (samares). Mais là ne s'arrête pas la grande propension de cet arbre à envahir le paysage. Si vous le coupez, il drageonnera c'est à dire que ses racines produiront en quelques semaines des centaines de rejets à plusieurs mètres du pied d'origine. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il occupe tout l'espace disponible. Comme ses lieux de prédilection sont en général mal entretenus, il n'y aura pas d'opposition à cette progression. Et puis se dit-on, "un peu de verdure sur ces terrains vagues, mon dieu, c'est plutôt bienvenu...".
De même lorsque la tempête couche un de nos grands chênes gascons, un frêne ou toute autre variété indigène. En quelques mois, L'Ailanthe aura pris sa place, car les drageons étaient présents dans l'ombre, attendant leur heure. De cette façon, l'envahisseur qui restait en lisière puisqu'il a besoin de beaucoup de lumière pour se dresser, colonisera la clairière provoquée par la chute de l'arbre indigène et ainsi, progressivement, îlot après îlot, le bois en entier.
Il faut reconnaître qu'il a de l'allure. Elancé, poussant de 1 à 2 mètres par an pendant les quatre ou cinq premières années et atteignant plus de 25 mètres, offrant une ombre légère, il apporte une touche japonisante dans notre paysage. Sa floraison jaune sur des rameaux rougeâtres est gracieuse d'autant qu'elle est précoce, d'un parfum puissant, très mellifère. L'odeur désagréable dégagée par son écorce et sa feuille, qui lui a valu le nom de Frêne puant, est comparable à celle du Sureau noir et est exagérément décrite comme nauséabonde. Pour son port altier et son feuillage, on le compare au frêne, ou au sumac, un autre invasif, lorsqu'il est encore jeune et de petite taille. Mais voilà, derrière cette esthétique se cache une traitresse alchimie.
En effet, l'Ailanthe produit une substance chimique, l'ailanthone, qui inhibe la croissance de nombreuses autres plantes. Ainsi, depuis sa position d'attente en lisière, ayant envoyé ses racines alentour, à la première occasion, une coupe, une chute d'arbre ayant libéré un espace et donné de la lumière, ses jeunes plants et ses drageons pourront se développer sans concurrent puisque les autres espèces d'arbres auront été ralenties ou totalement éliminées. L'effet de remplacement est surprenant. Et c'est là le plus grand danger, car en milieu urbain ou périurbain il sera peut-être possible de le combattre, cependant par des opérations d'ensemble, variées et concertées, et sur des espaces dégagés avec des moyens mécaniques traumatisants pour l'environnement, mais lorsqu'il investit la forêt ce sera un long combat à engager pour la défense de la flore locale. Pour autant, malgré quelques indispositions signalées mais peu caractérisées, l'arbre ne serait pas toxique pour l'homme comme on peut le lire parfois. Pas toxique mais dangereux pour la biodiversité. Le mieux étant de lutter contre les jeunes plants : arrachage de la racine, fauchage systématique, annelage du tronc (voir ici les conseils du Centre de Ressources des Espèces Exotiques Envahissantes) Il ne faut pas composter ses feuilles. Le feu est le seul moyen sûr pour se débarrasser des déchets et de fait, l'Ailanthe fournit un bois de chauffage performant. Ce sera toujours ça.
Bien sûr Lectoure n'est pas un cas isolé. L'Ailanthe a été utilisé en ville pendant des décennies comme arbre d’alignement. L'espèce s'est également répandue le long des routes et des voies ferrées. Elle est encore vendue en jardinerie malgré les avertissements de tous les organismes spécialisés ! L'Allemagne est particulièrement touchée. Paris également. De nombreuses collectivités locales ont lancé des opérations de lutte systématique. Ainsi Toulon (voir ici par exemple), les îles de Ré et d'Oléron, le département de Savoie, Nogent-sur-Seine etc...
Revenons chez nous. La vallée du Gers présente un profil répétitif très caractéristique. De petits ruisseaux descendent d'est en ouest ou d'ouest en est, pour rejoindre la rivière. Entre deux ruisseaux parallèles un plateau rocheux, le peyrusquet. Autour du plateau, un décrochement conduit à des zones herbeuses, parfois appelées prairies aux orchidées, au sol pauvre, où paissaient autrefois les troupeaux d'ovins. Aujourd'hui la nature a repris ses droits et des friches bordent un ruban d'arbres, majoritairement de chênes, qui couronne le plateau. Ces zones incultes, buissonneuses et arborées, sont appelées par les géographes, rendails. Elles sont, un refuge pour la faune et la flore et parfois le seul espace naturel de dimension intéressante dans un département très agricole. Or, les rendails sont déjà souvent investis par l'Ailanthe.
On ne peut pas se résoudre à voir disparaître notre flore variée et laisser se développer l'emprise d'un biotope pauvre. Les habitants de ces abords de la ville ne veulent pas voir disparaître ce patrimoine précieux, leur cadre de vie immémorial. Les citadins promeneurs, les randonneurs, les sportifs doivent également pouvoir continuer à profiter de sentiers offrant des points de vue remarquables sur la cité, et les scolaires une leçon de "sciences et vie de la terre" grandeur nature. Les bourgs et les petites villes sauront certainement se mobiliser pour lutter contre l'Ailanthe envahissant leurs rues, leurs voies d'accès et leurs espaces verts. Espérons qu'ils sachent inclure dans la lutte qui se dessine, leur terroir, leur poumon, leur proche campagne.
ALINEAS
Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ailanthus_altissima