Frêne à fleurs - Orne - Arbre à manne

Publié le 21 Avril 2017

LE PARADOXE DE

L’ARBRE À MANNE

 

Je voulais vous parler des plantes qui ont nourri ou servi nos ancêtres, l'ortie, le pissenlit, le tamier, le sureau noir, la courroie de Saint Jean, la ronce, le chêne, l'aulne glutineux, de ces variétés dont on se dit qu'elles ont toujours été là, autour du moulin.... Et voilà qu'un intrus se mêle de ma rubrique botanique à peine baptisée pour contrecarrer ce projet testimonial, cette ode à la nature généreuse d’un pays de cocagne.

Un intrus? Oui, ce végétal insolent était caché là, au milieu de l'abondante broussaille qui masquait il y a encore peu de temps notre ruine médiévale au regard du passant. Mais trahi par sa floraison précoce, gracieuse, embaumée, d'un blanc mousseux. On le dégage donc précautionneusement. Renseignement pris, il s'agit d'une variété de frêne: Fraxinus ornus, Frêne à fleurs, Frêne des jardins ou encore Orne. Excusez du peu, il s'agit de l'arbre à manne de la Bible. Petit rappel, utile sans doute: Chapitre 16. Livre de l'Exode. Les Hébreux sont dans le désert après avoir quitté l'Egypte. "Alors le Seigneur dit à Moïse: «Je vais faire pleuvoir pour vous du pain depuis le ciel. Le peuple sortira pour en recueillir chaque jour la quantité nécessaire; ainsi je le mettrai à l'épreuve pour voir s'il suit ou non ma loi»". Saine règle de vie et de modération des instincts.

La raccolta della manna - Bacchiacca (détail - 16ième)

Une manne. Ça alors, c'est providentiel ! Nous qui tirons le diable par la queue pour faire avancer notre chantier (oui, je sais, rapprochement stylistique osé). Finalement, faute de manne, pas plus comestible que financière, nous devrons nous contenter d'avoir là un sujet décoratif peu ordinaire. Mais que fait cet étranger, loin de ses bases, dans notre fraîche vallée de Gascogne? Autour de la Méditerranée d'où il est originaire et particulièrement en Sicile, le Frêne à fleurs est exploité, un peu à la façon du pin des Landes, pour en extraire une sève, un suc extrêmement précieux, utilisé dans différents domaines, phytothérapie et cosmétique en particulier. A t-il été introduit chez nous pour son parfum par une lavandière du ruisseau de Saint Jourdain? Pour des vertus secrètes et inavouables par quelque rebouteux? Ou bien par un menuisier innovant appréciant la souplesse de son bois? Voilà un cheminement botanique qui restera à jamais inexpliqué. Il faut bien laisser un peu de place au mystère.

Il n'y a pas à hésiter, c'est une manie chez nous: vite reproduire le sujet isolé, en faire l'étalon d'une nouvelle génération. La graine est collectée, mise à germer avec réussite. Les jeunes plants sont disposés en terre et, dès l'année suivante, l'heureuse découverte a donné naissance à une allée, disons prudemment un espoir d'allée, dont la perspective enchantera nos vieux jours, et plus sûrement le promeneur qui passera par là dans vingt ans. On disait au Maréchal Lyautey que faire pousser des arbres pour limiter la progression de zones désertiques prendrait beaucoup temps. La réponse fut limpide: "Raison de plus pour se dépêcher".

A ce stade, je me suis demandé ce que serait notre paysage gascon sans le cèdre, le cyprès, le palmier, l'arbre de Judée, le platane, la rose ! Et au jardin potager, sans la tomate, ni le melon... dans la basse-cour, sans le maïs. Boun Diou ! Sur l’ensemble des végétaux présents en Europe aujourd'hui on évalue à 50% le nombre de variétés exogènes, originaires d'autres régions du monde. Formidable. Maintenant, qui nous dit que la Gaule chevelue comme la nommaient les romains -adjectif au sens discuté d’ailleurs- n'était pas plus belle dans sa végétale virginité?

 

"Que seraient nos paysages de Lomagne sans le cèdre, le cyprès, le palmier, l'arbre de Judée..."

 

 

 

 

Parallèlement certaines variétés disparaissent. L'Orme évidemment, qui a donné son nom à notre pays de Lomagne ("Olmo", Orme en gascon). Le Buis, lui, est en grand danger et cela ne concerne pas que les parcs à la française; chez nos voisins Quercynois, ce sont de véritables forêts antiques, sombres, impénétrables et odorantes, qui sont grignotées sur pied en deux temps et trois saisons par une cohorte de chenilles, elles aussi importées d’ailleurs. Le Frêne d'Europe, oui notre frêne commun, Fraxinus excelsior, est touché doublement, par un champignon et par un insecte. Les botanistes cherchent la parade, la course contre la montre est lancée. Ici, précisément dans le Gers, l'impact de la disparition de ce bel arbre serait considérable.

A côté de cela, pour compliquer un peu plus le bilan des échanges botaniques internationaux, certains végétaux importés sont invasifs. C'était le cas par exemple de l'Acacia (Robinier-faux acacia) venu d'Amérique, avant qu'on ne lui trouve des qualités, en particulier celle de fournir un bois pouvant remplacer celui des espèces tropicales, menacées elles aussi mais par la surexploitation cette fois, à l'autre bout de notre petite planète. Acacia à son tour concurrencé par l'Ailante venu d'Asie, envahisseur « inarrêtable » dont le bilan avantages/inconvénients ne semble pas positif à ce jour.

Ainsi va le monde.

Puisqu'elle s'impose à nous, profitons de cette manne végétale, certaine ramenée d’outre-mer comme butin par une France conquérante pendant un millénaire, une autre au gré des vols d'oiseaux migrateurs, des cheminements de l'humanité, et aujourd'hui, certes de façon accélérée et prosaïquement, au rythme de l’industrie et du commerce international des végétaux de jardinerie.

Alors le paradoxe de ce premier alinéa de la rubrique botanique serait de laisser penser qu'on ne s'intéressera qu'à l’extraordinaire, au nouveau, au lointain, au rare. Non, nous voudrons ici et malgré tout, nous consacrer à des espèces à priori indigènes, ou acclimatées depuis longtemps, et claironner fièrement la défense de notre patrimoine végétal gallo-gascon... Une manne à cueillir sur le bord de nos chemins. Redécouvrir et protéger, tout près de chez nous, les arbres, les fleurs et les légumes, auxiliaires de nos laborieux anciens: menuisier, laboureur, teinturier, herboriste, marmiton... Tout simplement parler des plantes connues de notre Mamie à tous, une de ces grands-mères qui ont fait les "jardins de bonne-femme".

Une rubrique pour égrainer les trouvailles et bouturer les possibilités.    

ALINEAS

 

 

Sur la récolte de la manne, deux petits films de 1936 et 2013:

 

Publicité gratuite pour une entreprise bien connue:

 

Sur l'origine du nom manne dans les textes sacrés:

http://biblique.blogspirit.com/archive/2011/10/07/la-manne-c-est-quoi.html

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fraxinus_ornus

Photos Salanié, Grandmont, Kohler.

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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D
Merci pour cette évocation botanique. Moi qui ne le suis pas tellement, botanique, je n’ai que le vieux souvenir d’un passage de notre classe du collège Maréchal-Lannes (le vieux), sous la férule de monsieur Féral, professeur certifié d’histoire-géographie, aux abords le la Mouline qui n’était alors la Mouline de personne, et où poussait les pieds dans l’eau cette plante qu’on appelle carex. Il y en avait bien d’autres, mais je n’ai retenu que le carex. Y a-t-il toujours des carex sous les frênes à manne ?
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A
Oui le carex est toujours là, et nous le "cultivons" lui aussi. Carex pendula exactement ou Laîche pendante! Mais votre professeur s'est bien gardé de vous livrer ce nom commun dont votre petit groupe aurait fait des gorges chaudes... Je ne l'ai pas encore étudié mais d'ores et déjà un premier bilan avantage-inconvénient: sacré enracinement bien utile pour conforter le lit du ruisseau face aux crues mais attention à ne pas vous frotter à ses feuilles, coupantes comme des lames de rasoir. Merci pour ce commentaire-souvenir.