La ronce commune - Rubus fruticosus.

Publié le 9 Juin 2025

ronce lectoure gascogne lomagne - mûrier

 

 

NE sauvageonne au pied de mon moulin ? Une fille des bois ? Rebelle ? Il ne s'agit donc pas de la meunière. Qui est civile et accueillante, elle. Non.

Cela fait longtemps que je tourne autour du sujet, au propre et à bonne distance remarquez, car la belle n'est pas commode. Lorsque nous avons investi les lieux, elle était bien installée autour du vieux moulin, lançant ses lianes à l'assaut de la ruine, tricotant sur le cours d'eau un dôme inextricable. L'été dernier, une charmante personne qui ne goûtait pas l'ordonnance de notre bassin de nage rectiligne et hygiénisé selon les règles en vigueur dans les maisons d'hôte, voulait que je lui aménage sur le ruisseau un trou d'eau rustique, pour y plonger sa plastique, une petite plage à l'herbe tendre pour son pied délicat. Diane à son bain. J'aurais bien voulu...

- Mais madame, la ronce ne le permet pas !

Et la ronce est une fille du coin, à la forte personnalité, dominante, rude à la tâche. Et quelque peu jalouse. Mais pleine de qualités cependant. Alors, voici le portrait à notre façon d'un des végétaux les plus méprisés de nos jours intolérants. Car on entend de plus en plus souvent invoquer la biodiversité mais de préférence... 

- Pas devant chez moi !

ou bien:

- Ah non ! pas le pissenlit, pas le plantain ou le liseron. La ronce ? Vous n'y pensez pas !

 

UNE PRÉCIEUSE PIONNIÈRE

De quelle bio-diversité parle-t-on en effet ? Celle des jardins publics et boboïsés ? Celle des aires de repos sur l'autoroute ? Ou bien celle des endroits modestes, difficiles d'accès, des terres ingrates, des lieux abandonnés entre deux époques, entre deux soumissions à l'ordre urbain ou agricole. La ronce n'aime rien tant que ces intermèdes où la civilisation déserte et concède à la nature une opportunité de reconquête, une ré-appropriation du lieu de ses origines, un droit au désordre, provisoire parfois mais une ou deux saisons lui suffiront. Place aux espèces dites pionnières, c'est à dire les premières à réinvestir les lieux, à régénérer le substrat végétal, à préparer le terrain pour les autres. Et parmi les pionnières la ronce est championne.

marcotte de ronce - geotropisme positif

Cette marcotte de ronce, dotée d'un joli et vigoureux bourgeon rosé dit "axillaire" prêt à rebondir, à poursuivre la progression sur l'espace libre, est à peine vieille de quelques semaines. Parti au printemps dernier du roncier depuis la berge du ruisseau où je le confine, profitant de mon inattention, un sarment s'est élevé à un ou deux mètres de hauteur, puis a plongé vers le sol, rampant discrètement sur la prairie jusqu'à trouver le substrat nécessaire pour raciner et donner naissance à un nouvel arbrisseau. Un phénomène spectaculaire que les botanistes nomment le géotropisme positif. Ainsi, de marcotte en marcotte, la ronce pourra investir la prairie sur quatre ou cinq mètres en seulement deux saisons. Ce qui représente sur une parcelle d'un hectare, si la ronce attaque de tous côtés, 800 M² par an ! Perdus. Ou gagnés selon le point de vue.

Ainsi, si nous et nos voisins abandonnions les lieux, la vallée de Foissin pourrait redevenir sauvage, et inaccessible, en moins de dix ans. Et au milieu de la ronce, qui aurait investi la totalité des prairies, les arbres pourraient à leur tour commencer à s'installer, car il leur faut du temps et ne pas attirer les gourmands. Or, le jeune arbre est un mets de choix pour les chevreuils en particulier, que le nouvel ordre anthropomorphiste nous empêche de chasser. De fait, cet animal "charmant" pullule. Et ravage les vergers. Quand ce n'est pas les fraises et les salades de la maraîchère lectouroise qui se désespérait et a quitté les lieux par une inversion des rôles chasseur-chassé.

chevreuil dégats

Le bel animal que voilà en train de se délecter à l'automne des baies d'une aubépine à quelques mètres de ma fenêtre se trouvera fort dépourvu lorsque l'hiver sera venu. Il se rabattra alors sur l'écorce des arbres, de préférence nos fruitiers, exposés, sans défense, ici un prunier cerise. Le tronc ainsi rongé jusqu'à l'aubier sèchera et la ramure dépérira. Adieu savoureuses prunes, tartes et confitures. Que faire ? Tout clôturer ? Couteux, aléatoire et pas à notre goût.

 

roncier

Ici la ronce peut intervenir de façon inattendue. Regardez ce petit chêne pédonculé  encore couvert de ses feuilles desséchées de l'année précédente et s'étirant par un beau soleil de mars aux côtés d'un prunier Mirobolan. Issu d'un gland venu là tout seul, c'est à dire au gré d'un vol de geai, repéré et tuteuré il y a quelques années, il se dresse dans un roncier dense et impénétrable. De cette façon, il est protégé des agressions cervidées. Oui, le roncier est un écosystème invasif mais paradoxalement protecteur qui contribue à l'installation naturelle des arbres. Lorsque ceux-ci auront pu développer leur ramure, leur ombre avançant sur l'ancienne prairie, alors la ronce modèrera naturellement son exubérance et les végétaux des différents niveaux pourront à leur tour trouver leur place : strates arbustive (sureau noir, chèvrefeuille...), herbacée (jonquilles, fragon...) et muscinale (les mousses). Il y faudra du temps mais on peut rêver... aux champignons peut-être ! Une forme d'entraide entre les espèces, une complémentarité du rez-de-chaussée aux étages supérieurs de cette admirable architecture végétale. Un équilibre avec cette autre loi de la nature qui veut que chaque espèce mange l'autre sans pitié, végétaux et animaux confondus dans une semblable voracité. Mais on peut donc aussi s’entraider.

Alors, le jardinier doit-il manipuler son outil débroussailleur avec circonspection. Composer avec la ronce comme avec les autres sauvages tapis à la frontière entre nature et civilisation : le lierre, l'ortie, la prêle... toutes respectables et précieuses, bien que gênantes, je le reconnais, lorsqu'elles s'approchent trop près de notre petit univers engazonné.

 

FORS L’ÉPINE, 

LA TENDRESSE MÊME

Il en va de la ronce comme de la femme : piquante elle est délicieuse. Mais comment la prendre ? Avec précaution, commençons par un effeuillage.

feuille de ronce - sommité

Effeuillage printanier et superficiel toutefois car elle devient vite revêche.  Les jeunes sommités sont très tendres, y compris les épines naissantes, inoffensives et souples, et peuvent agrémenter une salade ou offrir une tisane étonnamment laiteuse. Tout en finesse.

Plus tard, les feuilles matures et les brindilles, la belle devant être abordée avec des gants cette fois, sont également utilisées en tisane. Les racines aussi, ce qui donne au défrichage des parcelles à reconquérir une double utilité mais ceci n'est pas affaire de tisanier amateur.

Rubus fructicosus présente de nombreuses vertus médicinales. Notre sauvageonne a séduit un grand nombre de soignants, littérateurs, commerçants. Pour une fois nous allons simplement copier-coller. Le site recommandé ci-dessous, dit les choses, pourtant exceptionnelles, très clairement. Effectivement, la ronce est une grande de la pharmacopée des médecines naturelles.

"L’infusion de feuilles permet de lutter contre la diarrhée. En gargarisme les bourgeons luttent contre les inflammations buccale et sur la système respiratoire, dont l’angine.

Les mûres et les feuilles ont une vocation sédative. Le fruit contient de la vitamine A, B, C et E en grande quantité. Chaque feuille de 100 g contient 90 mg de vitamine C. Ce qui est énorme. Le fruit apporte à l’être humain du magnésium et du fer. Elle possède des oligo-éléments comme le cuivre, le manganèse et le zinc. Plus le fruit est noir, plus il contient des pigments antioxydants. La ronce est une plante aux multiples vertus. 

Les mûres contiennent jusqu’à 14% de glucides dont 4 à 7% de sucre. Les acides organiques comme le malique et le citrique s’y trouvent à hauteur de 0,5 à 1,5%. On y trouve aussi du mucilage, des pectines et des pigments anthocyanes.

Et si les épines de la ronce vous griffent jusqu’au sang, il suffit de frotter la feuille d’une ronce, sur la blessure pour refermer la plaie ! La ronce vous griffe pour se défendre et vous donne le médicament pour vous soigner. C’est magnifique cela ! Rien que les épines apportent déjà des solutions pour le soin des muqueuses qui sont des tissus fragiles. Quel contraste ! Ce qui fait le plus mal peut aider le plus fragile !

La médecine chinoise utilise les baies vertes concassées pour la dégradation osseuse, l’insuffisance sexuelle. Elle est aussi diurétique. Et que dire des sirops de mûres dont il existe quelques recettes comme le sirop de vinaigre ou le thé médicinal qui permettent d’apporter un mieux-être général à notre corps.

Passons aux atouts gustatifs de la belle. La fleur de ronce, qui préfigure la mûre, est particulièrement mellifère et riche en pollen. Le département des Landes et les Pyrénées, le Marais poitevin, la Montagne limousine, pour nous en tenir à notre grand Sud-Ouest, qui bénéficient d'une couverture forestière importante et d'un climat doux et humide, abritent un nombre assez important d'exploitations apicoles qui se sont spécialisées en miel de ronce. S'il est monofloral, ce miel est joliment ambré et développe très subtilement des arômes boisés et fruités. Du fait de la forte teneur en fructose, relativement à celle du glucose, il cristallisera très peu. Un cadeau de la nature, rare et délicat.

fleur de ronce - miel - abeille - compostelle
Une abeille s'égaye copieusement dans un bouquet d'étamines. Une petite abeille sauvage, de la variété maçonne, attend son tour.

 

Enfin, bien entendu, vous l'attendiez, la mûre est la vedette des tartes et des confitures vacancières. Les recettes abondent dans la littérature, sur le web et dans les cahiers de cuisine des familles et Alinéas n'a pas de secret capable de renouveler le genre à vous proposer.  Dans une autre vie, plus septentrionale et plus atlantique, nous récoltions la mûre par seaux entiers. Mais en Gascogne, sauf été pourri, ce que nous ne souhaitons à personne malgré notre faible pour cette brune, les fortes chaleurs du mois de juillet ont souvent raison de la fragile fructification. Alors, ces années de disette, nous disputons sans attendre les quelques fruits arrivant à maturité aux pèlerins en chemin vers Compostelle qui se laissent tenter par cette belle exposée à la maraude, a minima pour agrémenter notre petit déj'. La rareté a son charme.

Toutefois, si la récolte s'avérait abondante, pourquoi de pas préparer un coulis ? Simple et rapide à faire, et qui sera précieux, congelé, pour vous procurer en hiver précieuses vitamines, couleur et originalité.

Mettre un peu d'eau au fond d'une casserole à fond anti-adhésif si possible. Faire cuire la mûre en tournant au moyen d'une cuillère en bois 5 minutes. Laisser reposer 5 minutes. Passer la purée ainsi obtenue au moulin à légumes (grille fine). Ajouter du sucre, 1/2 volume par volume de purée. Ou moins, au goût. Faire cuire à feu doux 10 minutes. Ajouter une cuillère de jus de citron. Conserver au réfrigérateur, à consommer dans les 3 jours. Ou bien congeler en barquette ou en bouteille.

Alors oui, nous pouvons vous offrir la recette de la maison d'hôtes de la Mouline de Belin. Mais si simple que nous en sommes confus.

                                                                              Alinéas

 

MOUSSE DE FROMAGE BLANC AU COULIS DE MÛRE

Recette de la maison d'hôtes de la Mouline de Belin

coulis de mûre

(pour 2 personnes)

- 125 grammes de fromage blanc

- 3/4 cuillères à café de sucre glace

- 2 blancs d’œuf

- 4 spéculos

- Coulis de mûre

_________________________

Monter les blancs d’œuf en neige. Les réserver au frigidaire. Mélanger le sucre glace et le fromage. Réserver. Réduire les spéculos à la fourchette en brisures. Réserver.

Au dernier moment, incorporer délicatement le blanc en neige au fromage blanc Dans une coupe, disposer une première couche de mousse. Répartir les brisures de biscuit. Recouvrir du reste de la mousse. Arroser du coulis de mûre. Servir.

Peut être accompagné d'un côtes de Gascogne rosé moelleux.

Ou pourquoi pas d'un Armagnac ?

mûre lectoure gascogne

 

 

 

DOCUMENTATION

Nous recommandons vivement le site belge "Pas à Pas - Vers une Terre vivante" consacré à la permaculture https://pas-a-pas.be/ auquel nous avons emprunté le passage sur les vertus médicinales de la ronce https://pas-a-pas.be/la-ronce/.

PHOTOS

- Abeille butinant une fleur de ronce : © Jean-François Irasforza https://jardin-marais-poitevin.com/

- Sommité de ronce : © Pieple 2000. Wikimedia commons

- Autres photos : © Michel Salanié

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Cuisine, #Botanique

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Y
Bonne idée que cet article, à la fois piquant et sucré.
Répondre
D
Merci pour cette nouvelle publication.<br /> De l'instruction, savamment rédigée, suivie d'une belle touche gastronomique !
Répondre