litterature

Publié le 26 Mars 2024

En 1996, Pertuzé participe à un hommage à Georges Brassens. Un collectif d'une trentaine des meilleurs bédéistes du moment illustre, chacun à sa façon, un choix des chansons du célèbre et irremplaçable poète-chanteur. Pertuzé choisit L'amandier, dont nous vous proposons la vidéo, ci-dessous en pied de page. Pour une fois, nous passerons sur la symbolique érotique, de l'amandier et de son fruit. Texte à double sens comme souvent chez Brassens. A cette époque, il s'agissait non pas de prude précaution mais d'un exercice de style. Le premier degré est très beau et se suffit à lui-même. Restons-en là.

Pertuzé respecte à la lettre le texte de Brassens. Comme à son habitude, dans ses reprises d'auteurs ou ses collaborations, il se tient très proche du sens, de l'esprit de l'original. Il est au service du texte. Ce n'est pas le cas de tous les autres illustrateurs de ce collectif. En effet, certains interprètent et détournent les paroles de Brassens, ce qui conduit parfois à dénaturer et le style, et le sens de la chanson, comme le fait par exemple Tronchet, spécialiste de l'humour noir, avec Les passantes, l'une des plus belles chansons de la langue française, ode à la femme, caricaturée ici. Ce n'était pas une bonne idée.

Revenons à notre amandier. Pertuzé choisit un style coloré, vif, romantique et faussement naïf, comme Brassens finalement. Sauf la dernière vignette. Car l'histoire d'amour finit mal. La chute est brutale, quelque chose comme un désastre, un bombardement, une fin du monde. La fin d'un rêve pour le moins. Le narrateur-amant s’effondre dans le décor des ruines de sa vie. Une chanson qui n'est légère qu'apparemment.

Brassens 1956-1962, Editions Vents d'Ouest.

Vidéo de L'amandier chanté par Brassens

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #La Pertuzé de la semaine, #Beaux arts, #Littérature

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Publié le 19 Septembre 2023

lecture à voix haute - festival lectoure

 

Un individu qui déparle, seul dans la rue, c'est un malade ? Deux individus ? Peut-être un couple qui se dispute.  Mais tout un attroupement pour entendre un orateur dire de la belle prose ? Ahhh ! Alors là, c'est un partage, une connivence, un complot culturel !  A Lectoure, ce type de manifestation se multiplie partout où le silence résiste encore heureusement, il est de mise pour qui veut entendre, dans les ruelles qui dévalent vers le Gers, les jardins oubliés au pied des remparts, au cœur de quelque noble bâtisse, à l'ombre de la cathédrale, autant de belles estrades.

Figurez-vous même qu'il y a quelque temps, un marchand de fruits et légumes qui ne voulait pas quitter son chaland et cependant, pour ne pas rester rue Nationale sans réagir face au phénomène, a tagué* du Flaubert sur sa vitrine. " Elle mordait dans une grenade et le rouge du fruit se confondait avec la pourpre de ses lèvres."  La phrase, tirée de L'Education sentimentale, est en fait plus longue mais le commerçant ne pouvait pas retarder la vente au risque de la perdre**. Il s'agissait en effet de suggérer le charme d'une bouche gourmande récitant un boniment pour son étal de jus de fruits. Une tresse d'ail en sus, condiment obligé en Lomagne, probablement disposé ici en guise de bijou, boucles d'oreilles ou pendentif de poitrine gargamellesques. Certes, il y avait-là essentiellement un intérêt marchand. Mais qu'importe la scène, ou la vitrine, pourvu qu'on ait l'éloquence. Imaginez que tous les commerçants s'y mettent. Une épidémie de lecture à voix haute, un accès de tags littéraires se répondant d'un trottoir marchand, et marchant, à l'autre. Lectoure ville-livre à ciel ouvert.

Aussi le fait n'est-il pas passé inaperçu.

 

tag littéraire - culture lectoure gers gascogne

Un lecteur de tag, ou bien faisait-il ses courses, posta ou courrielisa la photo de ladite vitrine à son amie Marie-Hélène Lafon, flaubertiste essentielle. Et c'est ainsi qu'avec la publication de cette auteure qui suivit la manifestation du primeur de la rue Nationale, Lectoure entrait dans le cercle flaubertien.

" Dans la vitre se reflètent les façades pâles de hautes demeures aux persiennes closes sur des chambres vides striées de lumière dansante et dorée. On bascule vers l'automne, les enfants et petits-enfants sont repartis, vont repartir samedi ou dimanche vers Bordeaux, Toulouse, Paris, Londres, l'Australie ; le monde est vaste autour du Gers assoupi dans le chaud du jour. "

C'est beau. C'est exactement ça. Mais il faut avoir l’œil pour deviner dans le reflet d'une vitrine, et la plume pour le dire en quelques mots, l'essence de la vie lectouroise ou du moins de son profil bourgeois. La maison de famille cossue, l'atmosphère doucereuse, l'été. Et puis le monde autour.

Mais le monde intra-muros ?

Intra-muros, outre le marchand de fruits et légumes, certains s'en chargent. Ainsi, cinq ans plus tard, l'occasion était trop belle, l'association Lectoure à voix haute qui invitait Marie-Hélène Lafon avec un programme nourri : une rencontre avec son public, dédicaces s'en suivant, une représentation théâtrale d'un de ses écrits, "Alphonse", et des lectures, dont certaines par elle-même, se prêtant à l'exercice avec conviction et plaisir visible. Cependant pratique obligée, méthode de travail explique-t-elle dans Chantiers : " La lecture à voix haute m’a été nécessaire dès « Liturgie », nécessaire pour ajuster la chose, phrase à phrase, mot à mot. Le corps dans l’écriture et le corps à corps dans l’écriture, c’est aussi cet exercice crucial et charnel de la lecture à voix haute. Je ne sais rien faire d’autre pour ajuster le tir verbal que dire et lire à voix haute, recommencer, relire et redire, et donc émettre le texte par le corps, avec lui, soumettre le texte au risque de l’air, de sa densité, le tendre, le pousser, l’ériger, le respirer, le humer, l’expectorer… ". Style asymptotique où les verbes ici, ailleurs les adjectifs ou les propositions successives, principale, conjonctive, relative, interrogative indirecte, s'accumulent, se complètent et se disputent, cherchant à tangenter le mot juste. Parfois abandonnant, laissant le lecteur planté là. Ecriture allusive, elliptique, essoufflée. "Je cherche une langue" dit-elle. Ne cherchez plus, vous l'avez trouvée chère Marie Hélène. Devant un auditoire captivé, usant à l'oral comme à l'écrit des acrobaties grammaticales et syntaxiques, réjouissances chez l'agrégée de Lettres classiques, la conférencière n'est pas avare de ses cheminements, de ses inspirations, de son quotidien, pour l'auditoire curieux du encore et toujours mystérieux phénomène créatif. Incisive, drôle, terrible parfois. Lucide, éminemment lucide. Tâche ardue, incessante, obsédante. " Je suis seule " dit-elle encore. Regret. Ou nécessité ? Seule sauf un hommage à une collaboratrice relectrice, précieuse avant-public, premier partage, première critique, ultime complice ajustement.

L'éloquence de cette lectrice à voix haute de sa propre écriture est la preuve, s'il en fallait, que l'éloquence n'est pas uniquement verbale. Depuis toute antiquité, le genre théâtral l'avait mise en scène. Cependant, inversement, certains orateurs éloquents sont de piètres écrivains. Beaucoup de tribuns d'ailleurs. Heureusement, car de ce fait subsiste ici le domaine réservé du génie admirable de la création littéraire. Celle de MH Lafon, à l'entendre et à lire ses confidences, relève d'un travail obstiné. " Les opiniâtres sont les sublimes " a écrit Hugo à propos d'une autre pêche que la pêche au verbe.

Mais il y a plus, c'est sûr. Une flamme ardente. Au tréfonds, une eau ancienne qui sourd.

 

marie hélène lafon

 

Prix Renaudot 2020 pour L'histoire du fils, plus récemment auteure d'un Les sources, une tragédie familiale si banale avant 68, où le père, tout puissant, terrorise une femme soumise et des enfants, dont on suppose l'auteure elle-même, qui trouvera là l'énergie de partir. La banalité et la nausée. " Elle a le front large " lui disait-on, elle s'en amuse aujourd'hui en dégageant son auréole bouclée. Larges les épaules aussi, malgré ce petit gabarit, pour coucher cette catharsis sur sa page blanche.

Et donc, Marie-Hélène Lafon publiait en 2018 son Flaubert où Lectoure apparaît, hommage tout personnel à l'inventeur de cette Emma qui occupe dans la littérature française, et de fait aux yeux du monde entier, la cimaise du portrait psychologique." Je l'appelle le Bon Gustave. Alors que. Je vis un peu avec lui ; nous faisons bon ménage ; c'est facile avec les morts. L'amour de loin. "

 

jeanne alleman - jean balde - jean françois bladé - henri pourrat - conteur - occitanie - auvergne

Il y a cent ans à peu près, Jeanne Alleman***, alias Jean Balde, la nièce de notre collecteur de contes de Gascogne Jean-François Bladé, est également venue conférencer dans notre ville, une causerie disait-on alors, à propos de sa biographie consacrée à cet oncle, Un d'Artagnan de plume. En conversant quelques minutes avec Marie-Hélène Lafon au pied de notre clocher cathédral pour décor de théâtre, nous avons évoqué cette similitude. Hasard, ou bien synchronicité diront les psy car l'auteure de ce début de vingt-et-unième siècle se rapprochait ainsi sans le savoir de sa généalogie. Généalogie littéraire s'entend. En effet, la thèse de doctorat universitaire de Marie-Hélène Lafon a porté sur l’œuvre d'Henri Pourrat (1887-1959), Auvergnat comme elle, l'auteur du célèbre Gaspard des Montagnes. Pourrat est, comme Bladé, grand collecteur de contes populaires. Mais à la différence du Lectourois, il n'hésitera pas à retravailler cette matière première à sa façon, romancée pour lui redonner un public. Pourrat sera l'ami de Francis Jammes, le poète patriarche béarnais, lequel entretint une abondante correspondance avec... Jeanne Alleman, nous y revoilà. On pourrait également inviter à cette table littéraire familiale François Mauriac, et l'Occitan exclusif Jean Boudou, et le populaire Claude Michelet, et... et..., on ne se ressemble pas nécessairement dans la famille mais tous fils et filles de la terre, frères et sœurs des gens d'Occitanie, de l'Auvergne aux Pyrénées, du Bordelais à la Provence, réunis virtuellement dans la citadelle gasconne, par la magie du livre. " J'en suis " (du Cantal n.d.r.) , écrit MH Lafon dans un inventaire paru en 2012, Album. " De là-haut. J'en descends. Comme d'une lignée profonde. Lignée de vie, lignée de sens. Je n'en reviens pas de cette grâce insigne que c'est d'en être. Je n'en reviens pas et n'en veux pas finir de n'en pas revenir. " Non pas une fierté régionaliste, une résistance, mais un héritage, un sentiment profond d'appartenance, illuminations et blessures côte à côte, une manne à mettre en mots.

cantal occitanie

De ce pays profond, de cette terre vient l'histoire. De cet humus. Humus humain à labourer encore et encore. L'histoire, les histoires, vécues ou inventées, transmises et rapportées, redites, écrites, travaillées à haute voix. Le génie du roman. Il y a la misère d'un certain monde paysan, misère affective surtout, les drames, les caractères pour vivre avec. Ou les enfouir dans sa mémoire et vivre malgré tout. Les maisons de famille que l'on ferme. Définitivement, souvenirs emportés. Et les relents aussi, emportés avec soi, malgré soi. Et de toute façon la mort toujours au bout. Les cimetières ponctuent les histoires de Marie-Hélène Lafon, la nôtre en filigrane. On toise l'inévitable point final, un brin gouailleuse : à la traditionnelle visite de la Toussaint " le cimetière est garni, décoré, à bloc, ça bat son plein...". La mort, mais l'enfance. Le recommencement. Le roman de l'enfance. Des odeurs de cuisine. Les mots de grand-mère. La rivière qui irrigue, terre et souvenir, et rafraîchit les après-midi d'été. La balançoire. Atmosphère ici aussi. " Depuis toujours, depuis qu'elle a pris conscience d'être, elle se sent comme ça, plantée en terre comme un arbre, comme l'érable dans la cour de la ferme ; la balançoire est sous l'érable et on se jette de toute la force du jeune corps d'enfance contre le vitrail mouvant de l'érable tout tailladé de verts et de bleus...".

                                                            Alinéas

 

PS. Je me suis laissé dire récemment que l'association Lectoure à voix haute ne serait pas innocente dans la manifestation littéraire du marchand de fruits et légumes. C'est bien ce que je disais : c'est un complot.

 

* On sera peut-être surpris du choix de cet anglicisme dans un carnet qui a fustigé le franglais [ici]. " Inscription manuscrite" eut été banalement creux. MH Lafon précise joliment " au blanc d'Espagne ", ce qui change tout. Le marchand lectourois lui c'est sûr, a voulu afficher un " slogan publicitaire ". On ne le lui reprochera pas ; si la littérature pouvait sauver un tant soit peu nos commerces de proximité...  Nous avons également penché un instant vers " graffiti ", mais ce rital est devenu trop policé, chatoyant et sentant son festival de quartier subventionné. "Tag" a plutôt un côté noir sur blanc, une connotation choc et militant. C'est ça ! Assumons : militants-tagueurs de belles lettres.

 

** La phrase exacte, tirée de L'Education sentimentale, est celle-ci :" Elle mordait dans une grenade, le coude posé sur la table ; les bougies du candélabre devant elle tremblaient au vent, cette lumière blanche pénétrait sa peau de tons nacrés, mettait du rose à ses paupières, faisait briller les globes de ses yeux ; la rougeur du fruit se confondait avec la pourpre de ses lèvres, ses narines minces battaient ; et toute sa personne avait quelque chose d’insolent, d’ivre et de noyé qui exaspérait Frédéric, et pourtant lui jetait au cœur des désirs fous."

 

*** Jeanne Alleman dans le carnet d'alinéas.

 

SOURCES :

. On trouve beaucoup d'articles, de citations, d'avis sur MH Lafon en cherchant sur Google.

Sa biographie sur wikipedia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-H%C3%A9l%C3%A8ne_Lafon

. Site de l'association Lectoure à voix haute.

https://lectoure-voixhaute.fr/

 

ILLUSTRATIONS :

. Photo titre : festival 2023 de Lectoure à voix haute. © Michel Salanié Remerciements à Joël Dupressoir. Association Le lire et le dire, de Canteleu, Seine-Maritime.

. La vitrine du primeur. Crédit X. Courtoisie Lectoure à voix haute.

. Marie-Hélène Lafon à Lectoure. © Michel Salanié.

. Jeanne Alleman conférencière, archives journal Sud-Ouest.

. Paysage du Cantal. © Michel Salanié.

 

 

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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Publié le 10 Février 2023

En 1907, le poète François-Paul Alibert passe à Lectoure en voiture, avec ses amis André Gide et Eugène Rouart. Nous avons relaté cet évènement dans une chronique consacrée à Gide ici.

Deux incidents vont amener les trois hommes à découvrir notre ville. Un orage violent les oblige à s'abriter dans une ferme, probablement à l'ouest de la ville, sur la route de Condom. Puis, une panne de mécanique immobilise leur véhicule en ville pendant un certain temps, qu'ils mettent à profit pour déambuler. Ils découvriront en particulier la fontaine Diane, qui les charme.

Alibert écrira deux poèmes qui seront publiés dans le premier numéro de la Nouvelle Revue Française (NRF), le 1er mars 1909. Dans le n° 2 de la même revue, Alibert livrait de profondes pensées à lui venues "Sur la terrasse de Lectoure" :


Je ne connais pas d'endroit au monde d'où l'on puisse prendre plus pleinement conscience de la construction et de la continuité françaises que de la terrasse qui surplombe Lectoure. Au pied de rampes abruptes, les vallons du Gers viennent expirer avec une moutonnante douceur. Mais ce paysage monotone et borné, tout en grasses cultures et en courbes lentes, prend un air singulier de noblesse et de majesté, quand on l'embrasse du roide plateau Lectoure, engorgée dans le tortueux resserrement de ses places et de ses rues, prélève encore sur sa gêne de quoi faire courir à son flanc un large balcon à balustres, planté de vieux ormes, la rêverie peut venir s'accouder et plonger dans l'abîme. La suite ici https://assets.edenlivres.fr/medias/ef/37b5810eefd2af2994702653199f094a18106e.pdf

Faisons remarquer qu'ainsi, Lectoure occupe une place éminente dans l'histoire de la NRF, prestigieuse institution qui a publié les premiers textes d'André Malraux et de Jean-Paul Sartre, et ceux d'auteurs déjà confirmés bénéficiant-là de l'onction de leurs pairs, Apollinaire, Saint-John Perse, Aragon, Proust, Saint-Exupéry... Cependant Alibert n'a pas eu le même succès.

Le premier des deux poèmes que nous reproduisons aujourd'hui est une ode à l'hospitalité gasconne qui, derrière le compliment, décrit parfaitement l'ambiance rustique de l'époque et tire le portrait de l'hôtesse, personnage attachant et étonnament si proche de nous tous qui avons eu une grand-mère paysanne.

Le second poème, plus allégorique, illustre, une fois de plus, après l'étanchement de la soif, l'attractivité de notre belle source sur les esprits.

A l'occasion de la soirée du 10 février qui réunit ce carnet et l’association Lectoure à voix haute, sur le thème "Lectoure dans la littérature", nous sommes heureux, à notre tour, de reproduire intégralement ces deux magnifiques textes.

 

A L’HÔTESSE INCONNUE

 

Tu nous versais le vin de ta vigne, et ta main

Par tranches nous coupait encore de ce pain,

Le plus tendre de ceux dont ta huche était pleine,

Qui te restait depuis la dernière huitaine,

Mais certes présenté d'un ton si confiant

Que l'on n'offrit jamais à ma faim apaisée

Festin plus délicat ni plus fortifiant.

Tu nous entretenais, à nous plaire empressée,

Des hasards de l'année et des fruits à venir,

Du rapport de ton champ, de la ville prochaine

Où tendait notre course, et de cette fontaine

Vers qui nous entrainait un mobile désir.

Et nous goûtions, touchés d'une douceur soudaine,

L'humble et frugal asile au toit hospitalier

Que ton charme aussitôt nous rendait familier,

La cuisine aux murs blancs sur la terre durcie,

Dans le noyer taillée et par les ans noircie,

Ton armoire massive aux panneaux refermés,

Et l'étroite fenêtre aux carreaux enfumés,

Et les vases de cuivre où s'allonge la flamme,

Et surtout, accordés à l’air de ta maison

Avec tant de justesse et d'honnête raison,

Ta parole chantante et cet accent de l'âme

Qui donne un si haut prix aux plus simples pensers.

Et je laissais en moi, le long des jours passés,

A ta voix remonter ma plus lointaine enfance,

Et de mes souvenirs s'éveiller l'indolence.

Je retrouvais, s 'ouvrant sur un plant de lilas,

Une autre salle, obscure et fraiche, au plafond bas,

Où le soleil, parmi les feuilles remuées,

Entre et fait poudroyer de dansantes buées.

Et dans ce mouchoir sombre à ton front recroisé,

Dans ce geste à la fois rapide et reposé

Par où tu t'essuyais les lèvres en silence,

Sur ces traits éclatant d'une pure bonté,

Je ne sais quelle vive et chère ressemblance

Dont j'avais près de toi l'esprit tout habité.

Par instants, soucieux de la nue épaissie,

Nous cherchions le dehors et, guettant l'éclaircie,

Sous les branches, où perce une humide sueur,

Des pruniers aux fruits bleus vernissés de fraîcheur,

Nous regardions, de peur que la foudre n'éclate,

Tes servantes rentrant les gerbes à la hâte,

Sous ton ordre activer le travail de leurs bras,

Et l’ombre pluvieuse à l’horizon s’étendre.

Mais le ciel menaçait toujours, et, sur tes pas,

Nous revenions, émus et ravis de t'entendre,

Sous l’ample cheminée assise et devisant,

Amicale et pressante encor nous proposant,

Nourriture aux couleurs vermeilles et dorées,

Une dernière fois les espèces sacrées.

Hélas ! il faut partir devant qu'il fasse noir.

Savons-nous dans quel lit nous coucherons ce soir ?

Entre l'aube indistincte et la nuit périlleuse,

La route est malaisée et l’auberge douteuse.

·Adieu, ma mère, adieu, adieu chère hôtesse au grand cœur.

J'aurais peine à trouver ton nom et ton village,

Mais j'emporte avec moi, comme une bonne odeur

Dont s'embaume et s’enchante à jamais mon voyage,

Ce jour d'été, grondant d'une obscure chaleur,

Où tu nous convias au foyer qui t'abrite,

La mare somnolant sous les lentilles d'eau,

L'aire de pailles d'or jonchée, et le hameau

Où dans chaque maison la bienveillance habite,

Et dont la tuile fume avec tant de lenteur

Au-dessus de la haie épaisse et reverdie

Où l'azur par lambeaux s'égoutte de bonheur,

Qu'on voudrait y couler insensible sa vie…

 

 

A LA SOURCE FONTÉLIE

 

Sous ta haute muraille où verdissent confus

Le lierre et le figuier sauvage aux bras touffus,

Parmi ta grotte épaisse et froide ensevelie,

Obscure et sans témoins, tu règnes, Fontélie,

Et, vers toi ramenant et croisant leurs détours,

Les femmes de la ville, à toute heure du jour,

Leurs cruches au long col à leur nuque penchantes,

Disposent une rampe élancée et mouvante

A l'escalier glissant, tortueux et secret,

Qui laisse pendre sur ton humide retrait

L'oblique et hasardeux abîme de sa pente.

Ta gloire te précède, insinuée et lente,

Et, d'aussi loin qu'il vienne, attire à sa rumeur

L'inquiet pèlerin que hâte la ferveur

De te voir au jour libre inépuisable éclore.

Mais il croit te surprendre, et te recherche encore,

Soucieux de scruter une claire naissance

A travers les barreaux obstruant ta présence,

Et, pressentant tes eaux équivoques, à peine

Te discerne, à la fois reculée et prochaine.

Couche immobile et glauque affleurant à la pointe

D'une herbe par ton onde invisible rejointe,

Et qui force au regard d'hésiter la fontaine.

Déesse, ils t'ont contrainte et t'ont faite chrétienne,

Et, sur toi dirigeant d'injurieuses mains,

Comme un cloître muré ce temple souterrain

Où seules, désormais, aux fentes de la pierre,

Vous croissez, sombre foule, hélas ! pariétaires

J'ai vu, j'ai vu percer du milieu de tes limbes,

Images qu'on devine au défaut de leur nimbe,

Les Saintes à qui fut ta source consacrée.

Elles vont s'effaçant, âmes décorporées,

Lasses de mesurer aux tiens leurs tristes charmes

Que ta limpide humeur goutte à goutte désarme,

Et, dans l'ombre muette et la roche absorbées,

Célébrant avec toi des noces dérobées,

Te résignent en paix leur longue patience,

Heureuses de se fondre à ta fluide essence.

Ainsi, dans ta caverne aveugle retirée,

Tu l'emportes, en vain captive et conjurée,

Arcadienne, ô toi dont le souhait jaloux

Fut de ne desserrer un seul jour tes genoux.

Comme au siècle où par l'antre en silence pressée,

Et d'un trait fraternel purement caressée,

Tu ne pouvais souffrir qu'un mortel eût guetté,

Se trahissant à l'air, ta chaste nudité,

Ainsi, scellant la nymphe à tes flancs recelée,

Fidèles à ton vœu d'être toujours voilée,

Ils font, contre leur gré, se changer en honneur

L'offense convertie aux lois de ta pudeur

Par nul autre que toi réduite et dominée,

Et de tout soin profane à jamais détournée.

Je veux un soir encore, entendre, ô Fontélie,

Dont j'aime aux yeux humains l 'apparence abolie,

Sous ta voûte, du moins, offusquée et profuse,

S'égoutter sourdement la déesse recluse,

Et ses pleurs, affluant à des bouches d'airain,

Je veux sentir encore une pieuse main,

Avant qu'elle se trace un chemin par les dalles,

A mes doigts amicaux tendre leur eau lustrale.

Une face d'enfant magnifique et rieuse,

Sur le mur inclinant sa crête sourcilleuse

Où des flammes de pourpre éclatent au soleil,

Balancerait son fruit mûrissant et vermeil.

Et revêtant, comme une adamantine écorce,

Ta magnanimité, ta justice et ta force.

0 Mère toujours vierge, ô Courage, ô Beauté,

J'élèverais bien haut, vers ton cœur indompté,

Mon cœur trempé trois fois à ta vertu profonde,

Substance incorruptible et divine du monde !

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 12 Juillet 2022

Les pastoureaux devant Verdun-sur-Garonne

Lectoure n’apparaît que très fugitivement dans la célèbre saga de Maurice Druon, Les rois maudits, au prologue du tome 6 précisément, La louve de France. Fugitivement mais dramatiquement.

Quel élan aveugle et vaguement mystique, quels rêves élémentaires de sainteté et d'aventure, quel excès de misère, quelle fureur d'anéantissement poussèrent soudain garçons et filles des campagnes, gardiens de moutons, de bœufs et de porcs, petits artisans, petites fileuses, presque tous entre quinze et vingt ans, à quitter brusquement leurs familles, leurs villages, pour se former en bandes errantes, pieds nus, sans argent ni vivres ? Une certaine idée de croisade servait de prétexte à cet exode.
La folie, en vérité, avait pris naissance dans les débris du Temple. Nombreux étaient les anciens Templiers que les prisons, les procès, les tortures, les reniements arrachés sous le fer rouge et le spectacle de leurs frères livrés aux flammes avaient rendus à demi fous. [...]
  Ce fut ces hommes-là qui, un hiver, se muèrent soudainement en prêcheurs de village, et pareils au joueur de flute des légendes du Rhin, entraînèrent sur leurs pas la jeunesse de France. Vers la Terre sainte, disaient-ils. Mais leur volonté véritable était la perte du royaume et la ruine de la papauté.

Dix mille, vingt mille, cent mille... les "pastoureaux" marchaient vers de mystérieux rendez-vous. Prêtres interdits, moines apostats, brigands, voleurs, mendiants et putains se joignaient à leurs troupes. Une croix était portée en tête de ces cortèges où filles et garçons s'abandonnaient à la pire licence, aux pires débordements. [...] Les pastoureaux ravagèrent la France pendant toute une année, avec une certaine méthode dans leur désordre, n'épargnant ni les églises, ni les monastères. [...]. Paris vit cette armée de pillards envahir ses rues [...]. Puis un nouvel ordre, aussi mystérieux que celui qui les avait assemblés, les lança sur les chemins du sud. [...] Le pape Jean XXII, inquiet de voir le flot se rapprocher d'Avignon, menaça d'excommunication ces faux croisés. Ils avaient besoin de victimes ; ils trouvèrent les juifs. Les populations urbaines, dès lors, applaudissant aux massacres, fraternisèrent avec les pastoureaux. Ghettos de Lectoure, d'Auvillar, de Castelsarrasin, d'Albi, d'Auch, de Toulouse ; ici cent quinze cadavres, ailleurs cent cinquante-deux... [...] Les juifs de Verdun-sur-Garonne se servirent de leurs propres enfants comme projectiles, puis s'entr'égorgèrent pour ne pas tomber aux mains des fous.

Maurice Druon a écrit son roman avec l'assistance d'historiens, chercheurs et documentalistes. Le fil historique est tout-à-fait attesté : affaire des Templiers, scandale de la tour de Nesle, administration d’Enguerrand de Marigny, fin de la dynastie des Capétiens directs faute d'héritier mâle, origine de la guerre de Cent Ans. La petite histoire sert parfaitement l'intrigue : luttes fratricides, assassinats, trahisons, échange de bébés, mœurs dépravées, sorcellerie... Enfin, le drame de l'amour impossible du jeune banquier génois et de la fille de famille noble et désargentée donne à l'ensemble son tour purement romantique.

Maurice Druon en tenue d'académicien

Pour ce qui concerne la présence de juifs à Lectoure, elle n'est pas attestée . Pour Geneviève Courtès, chercheuse Lectouroise qui a étudié la présence d'enfants juifs réfugiés à Lectoure pendant la deuxième guerre mondiale, il n'y a pas eu ici de ghetto, c'est à dire de communauté juive (voir ci-dessous rectificatif le 7.12.22).  Compte tenu de l'importance de la ville au Moyen-Âge, on peut imaginer que ponctuellement, quelque commerçant ou artisan ait pu s'intégrer comme il en a été relevés ailleurs en Gascogne, qui se seront pour y être autorisés, convertis officiellement.  En l'occurrence, en 1306, Philippe le Bel à la recherche de revenus pour soutenir ses guerres, expulsait les juifs du royaume et confisquait leurs biens. Le roi d'Angleterre Edouard III sera plus accueillant, et dans son domaine d'Aquitaine auquel Lectoure appartiendra momentanément, on connaîtra ici ou là quelques établissements juifs réfugiés.

Alors, l'information, ou l'expression, de Maurice Druon est-elle erronée ? Elle revient cependant souvent chez d'autres chroniqueurs. Plus précisément, il est dit que la troupe des Pastoureaux parvenue à Agen se serait partagée en deux, une partie empruntant la vallée de la Garonne, l'autre celle du Gers, ce qui explique que les massacres signalés dans différents endroits puissent être simultanés. On suppose alors qu'il y a confusion entre juifs et cagots, cette population de parias, contenue dans des quartiers séparés et gravement persécutée. La présence des cagots à Lectoure est attestée celle-ci. Ils sont traités selon les endroits et les époques, de différentes origines méprisantes : Wisigoths, Maures, Cathares, hérétiques ariens, lépreux… et juifs.

Le massacre de ces cagots par les Pastoureaux, peut-être encouragés par la populace de la ville toujours à la recherche de boucs émissaires responsables de la peste qui sévit alors, a dû ressembler à tous les misérables pogroms que les minorités ethniques et religieuses subissent encore aujourd'hui.

Et Maurice Druon, parce que cela sert son récit, reprend donc à son compte l'hypothèse, non prouvée celle-ci, d'une responsabilité des templiers dans la révolte des pastoureaux.

" Maudits ! Tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races. "

Depuis la publication, en 1956, du premier tome de la saga, Le roi de fer, la malédiction lancée par Jacques de Molay, le grand maître de l'Ordre du Temple, sur son bûcher, à l'encontre de Philippe le Bel, de son ministre Nogaret et du pape Clément V a donné naissance à d'innombrables ouvrages littéraires et productions cinématographiques, de qualité variable, et où, souvent, le fantastique domine voire travestit le fait historique. Or, s'il s'est effectivement rétracté de ses aveux, cette apostrophe n'a probablement jamais été prononcée par le grand maître. Elle est l'invention, plusieurs années après les faits, de l'historiographe Paolo Emilio (1455-1529). Par contre, le rôle du pape Clément V dans la fin de l'Ordre du Temple, lui, est bien connu, bien que toujours discuté, et ceci nous rapproche à nouveau de Lectoure.

Gérard Depardieu, campant le grand maître de l'Ordre du Temple, dans Les Rois maudits de Josée Dayan

 

Clément V, dit le pape gascon. Né Bertrand de Got à Villandraut, près de Bazas, à quelques kilomètres au sud de la Garonne et archevêque de Bordeaux en 1300, il est donc sujet du roi d'Angleterre qui tient la Guyenne, c'est à dire l'Aquitaine. Cette origine gasconne explique, dit-on, son élection en 1305 au pontificat suprême par un conclave qui n'arrivait pas à choisir entre cardinaux italiens et français, la Gascogne étant encore à cette époque une nation distincte. Ce qui n'empêchera pas les historiens de considérer Clément sous l'influence de Philippe le Bel, roi de France.

Le 29 novembre 1308, Clément V et sa cour s'arrêtent pour plusieurs jours à Lectoure. En 1305, l'année même de son élection, le frère de Clément, Arnaud-Garcie de Got, avait été doté par Philippe le Bel des Vicomtés d'Auvillar et de Lomagne, dont Lectoure fait partie, territoire de France à la frontière de l'Aquitaine. Pour services rendus dans la lutte contre l'anglais semble-t-il. De plus, l'évêque de la ville est également de la famille, probablement cousin, Guillaume de Bordes, nommé cette année même, par dérogation puisqu'il n'a pas l'âge canonique. Le frère de ce jeune évêque, Bertrand de Bordes, est également chanoine de la cathédrale, rémunéré à ce titre, mais camérier du pape, c'est à dire son premier serviteur, il ne résidera jamais à Lectoure. Il deviendra plus tard évêque d'Albi, puis cardinal. Un troisième frère de Bordes est seigneur à Astaffort. Il se fera remettre par la commanderie du Temple d'Agen et Gimbrède la moitié des droits sur le moulin de Roques. Ici aussi pour service rendus... La simonie, autrement dit les cadeaux qu'il fait à ses parents, sera reprochée à Clément.

Rappelons également que l'ordre du Temple a possédé un domaine à Lectoure que nous pensons pouvoir situer à l’emplacement du Couloumé**. Etait-il dirigé par un chevalier qui aura été arrêté comme tous ses frères lors de la rafle du 13 octobre 1307 menée par la police de Guillaume de Nogaret ? Clément et ses proches conseillers se sont-ils intéressés à ce domaine lors de leur étape dans la ville ?

Cette venue du pape à Lectoure est un évènement exceptionnel. Il est le personnage le plus important de la chrétienté, le vicaire du christ dans un monde éminemment religieux. A cette époque, basée à Avignon pour cause de désordre à Rome, la cour papale est itinérante. Arrivés à Lectoure, plusieurs dizaines de personnes de la suite de Clément s'installent au château vicomtal, dans les monastères et les maisons bourgeoises réquisitionnées : secrétaires, soldats, serviteurs affairés à la table et à la livrée du pape et de ses cardinaux. Parmi ceux-ci, un personnage important qui apparaît dans la scène du bûcher des templiers qui sert d'introduction dramatique à Maurice Druon : Arnaud d'Aux de Lescout*, encore un cousin de Clément, auparavant son secrétaire à Bordeaux, né à La Romieu, plus tard devenu camerlingue de l'Eglise c'est à dire ministre des finances, qui construira à grands frais la collégiale que l'on connaît. Arnaud d'Aux était diligenté à Paris par le pape, avec deux autres cardinaux, auprès du tribunal inquisitorial que Philippe le Bel avait organisé, pour prononcer la sentence qui graciait les dignitaires du Temple, puisqu'ils avaient avoué leurs fautes. Mais à l'énoncé de la sentence par le cardinal émissaire du pape, l'évènement est historique si la malédiction ne l'est pas, Jacques de Molay ne pu supporter cette infamie et revint sur ses aveux. Relaps, c'est à dire coupable de retomber dans l'hérésie, la plus grave des fautes d'un chrétien à cette époque, le grand Maître et ses compagnons étaient passés par le bûcher le lendemain même, le 18 mars 1314, sur l'Ile aux juifs, Arnaud d'Aux, malgré l'autorité papale dont il était investi, ne pouvant s'y opposer, ou ne le voulant pas car il fallait en finir avec cette affaire.

Arnaud d'Aux - Vitrail de la collégiale de La Romieu

 

De fait, cette sentence qui se voulait indulgente bien que les aveux des templiers aient été extorqués par le supplice et après sept longues années de détention dans des culs-de-basse-fausse, était effectivement infamante. La réaction d'honneur du grand Maître, qu'importe qu'il y ait eu malédiction ou pas, est peut-être la plus grande preuve de l'innocence des templiers. Clément V, et Arnaud d'Aux qui mènera les débats pendant le concile de Valence en 1311 et 1312, voudront sans doute reconnaître de facto l'innocence des Templiers en supprimant l'Ordre sans le condamner, et en transférant ses biens aux Hospitaliers de Saint-Jean, privant ainsi in fine Philippe le Bel du butin convoité, ce qu'il en restait du moins. Maigre sanction celle-ci, pour une affaire politico-financière considérable qui aura entaché le règne du dernier grand roi capétien et empoisonné celui du pape Clément.

Le roman de Maurice Druon, richement documenté, captivant de part en part, aux inoubliables portraits de Mahaut d'Artois et de son colossal neveu Robert, du tragique Edouard II, d'Isabelle de France et de son amant Roger Mortimer, du génial banquier lombard Tolomei, pourrait faire l'objet d'une version intitulée "Les Rois maudits vus depuis Lectoure", mais on ne plagie pas un chef-d’œuvre.

 

                                                                           Alinéas

 

PS. Ministre des affaires culturelles en 1973, il n'hésite pas à dresser contre lui une grande partie de l'intelligentsia en affirmant que pour les subventions il faudra « choisir entre la sébile et le cocktail Molotov ». Homme de haute culture, il voudra aussi - ce sera son ultime combat - défendre la langue française. « La civilisation, disait-il, est d'abord un langage. »

Son indépendance d'esprit le pousse même, lui, petit-fils de Samuel Kessel, médecin juif d'origine lituanienne, à refuser en 1997 le principe d'un procès Papon. Cette filiation juive, il était pourtant loin de la renier. Dans son adieu vibrant au cardinal Lustiger, en août 2007, il exalte le lien entre judaïsme et christianisme : « Vous fûtes pendant un quart de siècle une manière de miracle : vous fûtes le cardinal juif. »

L'hommage que Mauriac rendit à Joseph Kessel peut être repris pour Maurice Druon : « Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d'abord la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l'univers sans perdre son âme. »

in La Croix le 15 avril 2009.

 

* Maurice Druon utilise la graphie "Arnaud d'Auch", que l'on trouve effectivement dans certains documents mais qui prête à confusion et n'est plus utilisée aujourd'hui.

** Nous avons révélé la présence des templiers de Lectoure dans la rubrique "Histoire" de ce carnet :

 

A propos de la présence des juifs à Lectoure au Moyen-Âge - Rectificatif

 

Une heureuse découverte documentaire nous permet de revenir sur l’épisode du massacre des juifs à Lectoure par les Pastoureaux, au 14ième siècle. Nous avions imaginé qu’il y avait dans le récit de Maurice Druon, et dans ses sources, confusion entre juifs et cagots, catégorie de population paria.

Mais, contrairement à ce qui nous avait été dit et que nous avons repris en confiance trop vite, il y avait bien, à cette époque, une communauté juive à Lectoure. En effet, nous découvrons que les archives nationales britanniques de Kew conservent une supplique conjointe de l’évêque Géraud de Montlezun et des consuls de la ville adressée au roi Edward 1er pour qu’il confirme que les juifs de Lectoure jouiraient toujours des libertés qui leur avaient été concédées auparavant. La missive est datée du 31 décembre 1281.

Il faut rappeler qu’à cette date le duché d’Aquitaine, domaine du royaume d’Angleterre, s’étend sur l’Armagnac et la Lomagne. On le sait, Edward 1er est venu à Lectoure pour établir les termes du paréage avec l’évêque, c’est-à-dire une répartition des rôles et des pouvoirs. Les consuls ont cependant obtenu que les anciennes coutumes de la ville soient maintenues et également l’autorité du Vicomte de Lomagne. Le cadre juridique local ancestral a ainsi été confirmé, cependant sous l’autorité éminente du co-seigneur, duc d’Aquitaine et roi d’Angleterre.

Il faut apprécier, à propos de cette supplique pour la défense des juifs, le rôle positif de l’église et des édiles pour la protection de cette population allogène ou cultuellement minoritaire et souvent persécutée. Ce sera également le cas pour la protection des cagots, les parias que nous supposions avoir été les victimes des Pastoureaux.

Quelques années plus tard, Philippe le Bel, lui, ne prendra aucune précaution pour chasser les juifs du royaume de France et mettre la main sur leurs biens, comme ceux du Temple.

 

MS

Le 7.12.2022

 

ILLUSTRATIONS :

- Les pastoureaux massacrent les juifs de Verdun-sur-Garonne, Chroniques de France ou de St Denis, British Library, Royal MS.

- Portrait de Maurice Druon, photo AFP.

- Les Rois maudits, mini-série télévisée de Josée Dayan, 2005

- Arnaud d'Aux, collégiale de La Romieu, photo M. Salanié

 

 

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Publié le 5 Avril 2022

Armagnac Arminius Hermann Herman
UNE SAGA
AUX PORTES DE LACTORA

 

Le genre littéraire du roman historique connaît un lectorat divisé en trois catégories plus ou moins réceptives, dont deux peuvent aller jusqu’à renâcler à ouvrir le livre proposé. Dans la première catégorie, les lecteurs historiens, amateurs ou professionnels, a fortiori s’ils sont spécialistes de l’époque où se déroule l’action, seront méfiants, butant sur la première erreur ou sur un anachronisme insupportable. Le second segment, celui des liseurs... comment les qualifier ? romanesques ? sera parfois dérangé par le lien du récit avec la trame historique, souvent sujette à polémique voire à contradiction politique, empêchant la fiction de se développer et le plaisir de lire de s’installer totalement. Enfin, il y a les amateurs du genre, libres de toute référence et bon public, qui se laissent emporter par l’intrigue avec en arrière-plan un décor profond et dramatique créant l’ambiance, d’un réalisme plus ou moins familier, les lecteurs séduits par un roman dans le roman de l'Histoire.

Les exemples sont nombreux, et pour nous rapprocher de notre sujet du jour, dans le sous-genre saga, citons l’inépuisable aventure égypto-maniaque de Christian Jacq, ou bien Les enfants de la terre, succès planétaire et néandertalien de Jean M. Auel, et plus près de nous dans le temps, La rivière Espérance de Christian Signol, plus modeste mais si évocatrice pour tous ceux qui ont quelque racine en Dordogne.

Encore faut-il que le style soit à la hauteur de l’Histoire, celle qui s'écrit avec un grand H.

Sans doute son patronyme a-t-il conduit Alain Armagnac à situer sa saga en Gascogne. L’anthropo-toponymie, l’étude des noms de lieux dérivés des noms de personnes suggère effectivement que le substantif régional Armagnac viendrait du germain Hermann, romanisé en Arminius. Les Francs de Clovis ayant chassé les Wisigoths de notre région en l’an 500 et quelques, les historiens ont supposé qu’un lieutenant du premier roi de France nommé Hermann se serait vu, en récompense de ses exploits, déléguer la direction de la région conquise. Mais sans que le fait soit documenté, ceci autorisant toutes les fictions et cet auteur lui-même à proposer sa version, qu’il situe cependant cinq cents ans plus tôt. Pourquoi pas.

Alain Armagnac s’inspire d’un fait historique célèbre, documenté celui-ci, la vie d'Arminius le Germain.

 

La bataille de Teutobourg, an 9.

Arminius, né vers 17 av. J.-C. et mort vers 21, est le fils d’un chef de la tribu des Chérusques, établie sur le fleuve Weser, au nord de l’Allemagne. Otage des Romains, il est emmené à Rome, éduqué et élevé à la citoyenneté romaine. Il devient membre de l’ordre d’élite équestre et revenu en Germanie en 9 ap. J.-C. aux côtés du gouverneur Varus, il trahit son protecteur, prend la tête de sa tribu, fédère les chefs germains et attire l’armée romaine dans un piège. La bataille de Teutobourg est le pire désastre militaire subi par Rome. Trois légions et leurs auxiliaires sont décimés. Varus et ses officiers se suicident. Les survivants sont emmenés en esclavage. Rome abandonnera durablement son avancée à l’est du Rhin, ce qui a fait pour les historiens nationalistes allemands, de cette bataille un évènement fondateur. Mais en fait, les Germains ne sont pas unis et Arminius sera plus tard assassiné par ses alliés.

L’éducation d’Arminius à Rome et son intégration à l’armée romaine fait inévitablement penser à Piso, le supposé roi des Lactorates, tribu gauloise établie dans notre actuelle Lomagne. Mais Piso, lui, n’a pas trahi son tuteur, au contraire. Il est mort au combat aux côtés de César, lequel lui rendra hommage dans La guerre des Gaules, ce qui nous le fit connaître. Et de ce fait, contrairement aux Chérusques de Germanie, les Lactorates seront considérés, sinon jugés, par l’Histoire comme "alliés" de Rome. Et Lactora pourra offrir le cadre du roman d’Alain Armagnac.

Mais auparavant, à la suite du massacre de Teutobourg et pour prévenir les représailles, le romancier fait transiter la fuite de la famille Arminius en Périgord, pays de Focilla, mère du héros et chamane de surcroît, dans la mythique "Vallée de l'Homme", où sera dissimulé le trésor de guerre pris sur les romains de Teutobourg dans la grotte de Commarque, devenue de ce fait vénérable, d'où le sous-titre du roman. Faire d'une bataille une renaissance... Toujours pour le symbole, dès l’installation du décor, l’auteur tente un rapprochement phonético-linguistique très osé en établissant un lien de parenté entre le fleuve allemand « Weser », berceau des Chérusques, et la rivière « la Vézère », sur laquelle se trouvent les sites préhistoriques de Lascaux, des Eyzies et de Commarque. Armagnac scénarise également une vertigineuse distribution des rôles, attribuant aux parents d’Arminius des origines géographiques extrêmes, mère Vascone côté Périgord, père né en Sicile, d’ascendance troyenne, belle-mère Ibère tendance Berbère, et beau-père Scythe venu des steppes d’Asie centrale ! Une Germanie interraciale. Un métissage dans l’espace-temps du récit, non pas impossible mais quelque peu accéléré. Passons.

Et notre Lactora dans ce monde antique observé par un esprit œcuménique, dans un espace pré-européen ? Direction le sud.

Alain Armagnac est Sarladais et, encore une fois patronyme oblige, il englobe le Périgord dans une grande Gascogne débordant largement au nord de la Garonne. Nous éviterons d’ouvrir un débat sur ce point de géopolitique historico-régionaliste. Il y faudrait une session universitaire. Et je sais quelques risques d’affrontements, doctes mais potentiellement partisans.

 

Pour finir de conduire le proscrit et sa famille au cœur de l’Armagnac, point d’orgue du récit et berceau de la saga qui se profile, Alain éponyme imagine un domaine dit "de la Baïse" à quelques bornes milliaires de la cité gallo-romaine de Lactora, l'antique Lectoure, pour y bâtir une villa. Nous y voilà. Cité et villa vasco-romaines faudrait-il me corriger, car l'auteur voit ou veut voir une Vasconie préexistant à la conquête par Publius Crassus, lieutenant de César, à cheval sur les Pyrénées, mi-ibérique, mi-aquitaine, même pas bousculée par les celtes qui n'auraient fait que passer, unie, radieuse et civilisée. Une autre disputatio universitaire en vue.

Pour choisir le cadre de ce refuge, on suppose qu'Alain Armagnac connaît et aime notre ville pour ne pas lui avoir préféré Eauze, pourtant capitale de la Novempopulanie, subdivision de l'Aquitaine gallo-romaine, et à sa porte, la villa de Séviac posée effectivement sur une berge de la rivière Baïse. C’est le droit le plus strict du romancier et en outre cela justifie notre chronique.

Le récit, au fur et à mesure de la construction de ladite villa rurale, fait une peinture de Lactora relativement conforme à ce que l’on sait. L’établissement à l’intersection de deux voies romaines, celle reliant Agen aux Pyrénées et au-delà, et la via Aquitania conduisant de Toulouse à Bordeaux. La colonisation par les vétérans de l’armée romaine, dont le beau-père d’Arminius, fait historique, peut se réclamer. L’organisation politique sur le modèle romain, le principe électif, les consuls, la monnaie à l’effigie d’Auguste, l’impôt prélevé par l’administration impériale, la Civita romana à rapprocher de la Res Publica Lactoratium gravée sur nos célèbres autels tauroboliques, auxquels Alain Armagnac ne fait du tout allusion d'ailleurs. Il y aurait eu là pourtant matière à romancer.

Faut-il faire remarquer, dans ce tableau antique, une anticipation d'au moins deux ou trois siècles à situer Lactora sur son éperon rocheux alors qu'on nous a enseigné que la ville romaine était installée dans la plaine de Pradoulin, sans remparts, grâce à la pax romana ? Là, j’avoue faire partie de la première catégorie des lecteurs qui focalisent petitement sur l’orthodoxie historique.

Pour compléter le décor offert par Lactora, l’auteur nous invente généreusement, des thermes, un gymnase, un forum, une école où l’on enseigne le latin, le grec, le droit romain, les sports olympiques, les belles lettres et l’art oratoire, autant de monuments et d’institutions que l’archéologie n’a pas situés et pourtant probables ou du moins possibles. Mais l’action ne s’y développe pas, ce qui aurait pu donner consistance à notre antique cité, et au roman aussi !

mosaïque - école d'aquitaine - Séviac - villa gallo romaine

 

On devine dans le personnage du consul de Lactora, Publius, qui accueille le fils d’Arminius dans l’école lactorate, l'auteur lui-même. « Tout ce discours était destiné à faire comprendre insensiblement à Nelda (la compagne d’Arminius, NDLR) que s’il (Publius) apparaissait comme gallo-romain aux yeux de tous, il était Vascon et fier de l’être. En fait, l’avenir lui donnera raison puisqu’il n’est pas douteux qu’à travers l’histoire des deux derniers millénaires, ce vaste territoire a toujours montré son attachement à des mœurs où l’autonomie, la liberté, les décisions prises collectivement, un certain esprit de résistance et de laïcité, une langue ancienne qui se pratique encore des deux côtés des Pyrénées et que des habitudes culturelles, sportives, alimentaires et autres, bref, un certain art de vivre entre eux et avec la nature, sont encore observés de nos jours. »

Voilà une profession de foi sympathique mais pour le moins péremptoire, gasconnade à la Cyrano de Bergerac.

Le vocabulaire employé par Alain Armagnac est moderne, les tournures de phrases actuelles, ceci facilitant la lecture certes, toutefois jusqu’à la pauvreté. Au-delà des approximations et des hypothèses historiques, trop d’informations superficielles, dans des registres intéressants mais ici mal agencés, la place de la femme dans le système tribal, la préhistoire, la vie près de la nature, l’agriculture, la génétique, le chamanisme, les loups, la lithothérapie, la tannerie, tout à trac… troublent le développement de l'action romanesque au lieu de la servir. Lectoure cité gallo-romaine et creuset de civilisations aurait mérité mieux.

 

Lactora Lectoure gallo-romains Piso Guerre des gaules Gascogne Vasconie

Lupus, le fils d’Arminius et de Nelda, épousera la fille du consul lactorate. Ils seront les géniteurs d’une dynastie, Les descendants d’Arminius, qu’Alain Armagnac suivra dans deux tomes supplémentaires : Loup le Vascon qui fréquentera Charlemagne et Juan l’Occitan qui croisera le fer pendant la guerre entre Armagnacs et Bourguignons. Mais nul lecteur, et pas plus le chroniqueur, ne sera contraint de suivre contre son gré une saga littéraire, fût-elle passée par Lectoure.

 

                                                                           Alinéas

 

Arminius et le trésor de Commarque, Alain Armagnac, Ed. France Libris 2020.

Sur Arminius et la bataille de Teutobourg : https://fr.wikipedia.org/wiki/Arminius

Très romancées mais spectaculaires, l'histoire d'Arminius et la bataille de Teutobourg ont fait l'objet d'une série grand public diffusée sur Netflix. Voir la bande annonce ici : https://www.youtube.com/watch?v=dAfi16oMZVs

Illustrations :

  • Titre : Statue de jeune homme, parfois identifié comme étant Arminius. Musée Pouchkine Moscou. Wikipedia Commons / Shakko.
  • Arminius à la bataille de la forêt de Teutobourg, par Peter Janssen, 1873. Wikipedia Commons / Mharrsch.
  • Restitution de la villa gallo-romaine des Alleux,  © Gaëtan Le Cloirec, Inrap. Responsable de la fouille des Alleux à Taden, Côtes d'Armor : Romuald Ferrette.
  • Mosaïque de style école d'Aquitaine, villa de Séviac (Gers). Michel Salanié.
  • Mariage romain, Mythologica.

 

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 19 Octobre 2021

 

Axel Kahn, décédé récemment, n'était pas un littérateur. Très engagé dans son époque, médecin, généticien, il fut parmi de nombreuses autres fonctions et successivement, directeur de Recherche à l'Inserm, président de l'université Paris-Descartes, président de la Ligue nationale contre le cancer... un personnage ! Connu du grand public pour ses qualités de vulgarisateur, son humanisme, son engagement politique à gauche, il est cependant aussi essayiste à succès dans son domaine de compétence scientifique qui le conduit naturellement à aborder des sujets philosophiques et de société. Enfin, randonneur au long cours. C'est ainsi qu'il passe à Lectoure en 2013, à l'occasion d'un voyage en solitaire imaginé pour inaugurer sa retraite. Axel Kahn, 69 ans, parcourt en trois mois la France en diagonale, sur 2000 kilomètres ! Il relatera cette aventure dans un ouvrage "Pensées en chemin, ma France des Ardennes au pays basque". Il fallait évidemment dans notre galerie de portraits d'auteurs ayant connu ou évoqué Lectoure un marcheur de grands chemins. Il en passe tant. Celui-ci à beaucoup à raconter, de déserts en renaissances économiques, de merveilles de la nature en cicatrices dans le paysage, de pensées profondes en anecdotes drolatiques. Il nous permet de mieux connaître ce passant furtif avant qu'il nous arrive, du côté de la Croix-rouge et ce qui l'attend, lorsqu'il nous quitte au petit matin.

Kahn fait partie de ces chemineaux qui pensent en marchant, ou qui marchent pour penser ce qui revient au même mais relève toutefois d'une double et profonde intention, repassant le film de leur vie, réussites et échecs, joies et douleurs, questionnement toujours, espoirs encore. Et de nouvelles belles découvertes sont au bout du chemin, ou au coin de la rue, ici avant de traverser le Pont-de-Pile en l'occurrence. "Je ne connaissais pas Lectoure mais en avais entendu parler comme d'une petite ville attachante méritant une visite et avais donc décidé d'y faire une halte d'une journée, la dernière avant la fin de mon périple. Ce fut là une décision dont je me réjouis aujourd'hui". Voilà qui commence bien. On ne sait pas qui a conseillé au célèbre randonneur de faire étape chez nous, mais il y a fort à penser que le Bleu de Lectoure dont la notoriété était faite et rejaillit toujours aujourd'hui sur la ville, y a été pour quelque chose. En tout cas, après avoir découvert évidemment la rue Nationale, les remparts, les comtes d'Armagnac et notre maréchal, Axel Kahn descend la côte du Marquisat pour rejoindre l'ancienne tannerie, sur le bord du Gers, qui a été de 1994 à 2016, le creuset de la renaissance du bleu de pastel.

 

Henri et Denise Lambert, créateurs du Bleu de Lectoure

On ne fera pas dans cette rubrique Littérature, l'histoire du Bleu de Lectoure qui occupe dans le livre d'Axel Kahn pas moins de trois pages (!) et auquel chacun pourra se reporter. Bel hommage que l'on doit bien sûr au caractère exceptionnel de l'aventure artisanale d'Henri et Denise Lambert, à la place du pastel dans l'histoire de France, histoire que commente à sa façon Axel Kahn tout au long de son périple, et hommage que l'on doit peut-être enfin au talent de conteuse d'une certaine conférencière que les milliers de visiteurs de la tannerie du Pont-de-Pile, touristes, clubs du troisième âge, scolaires, pèlerins... ou le célèbre chemineau  donc, ont écouté sous le charme. Conteuse dont il nous semble reconnaître la trame sous la plume d'Axel Kahn.

pastellières - bleu de lectoure le Puy-en-Velay - la fête du roi de l'oiseau
Les pastellières de Lectoure à la fête du Roi de l'Oiseau au Puy-en-Velay

Généticien, homme public, administrateur, Axel Kahn présente un style de rédaction disons cartésien. Bien que la nature, les éléments, les sentiments y aient leur part, la plume est directe, sujette aux élans, à la poésie ou au subjectif, mais plutôt toujours guidée par l'analyse et tendant à la pédagogie. Pour répondre aux nombreuses questions sur le sens de son échappée solitaire, celles des journalistes, des participants à ces conférences programmées sur le parcours, de ses hôtes, ses amis et même sa famille, Axel Kahn invoque la quête du beau. "Il apparaît probable que la capacité à ressentir le beau, inductrice de celle à le créer, ait joué un rôle essentiel tout à la fois dans la socialisation des humains et dans l'accroissement de leurs capacités cognitives, deux processus liés. C'est là d'abord une qualité qui est à l'origine de l'artiste-artisan, au centre des processus civilisationnels. L'émotion partagée fait lien et est un important facteur de cohésion sociale. Par ailleurs, la perception du beau est à l'origine d'une diversification des motifs de l'action. Celle-ci est déterminée bien sûr, par l'intérêt et les besoins chez tous les animaux, y compris les humains. Cependant ces derniers peuvent aussi faire des choix car un projet, une idée a cette qualité de ce qui provoque l'émotion esthétique. Il existe de ce point de vue une relation évidente entre le sens moral et la reconnaissance du beau".

Partir de l'économie pour parvenir à la morale en passant par le beau, voilà un compliment, un cheminement qui vaut de l'or pour tous les savoir-faire artisanaux, parmi lesquels celui du pastellier. Bleu émotion.

 

Axel Kahn randonneur - Axel Kahn sur le gr 65 - Axel Kahn pensées en chemin

 

Kahn n'est pas croyant. Élevé dans la religion chrétienne, scout, tenté même par la prêtrise, il dit avoir perdu la foi à l'adolescence, "radicalement [] sans m'en réjouir ni m'en désoler". Mais il conserve cependant toute sa vie le regard et la pratique des valeurs chrétiennes. Et sur son chemin, le plaisir de jouir des paysages où l'espérance naît et renaît indéfiniment. L'émotion pour guide. Après avoir traversé le nord du pays, touché par la récession économique, la Champagne de son enfance et la Bourgogne, opulentes, et avant de choisir le chemin du Puy-en-Velay, parce qu'il est balisé et accueillant pour le randonneur, pèlerin ou non, Kahn admire Vézelay, la "colline inspirée" selon le mot de Maurice Barrès, lieu où souffle l'esprit. "Il existe bien sûr une dimension purement esthétique à cette émotion : Vézelay est sans conteste l'un des plus beaux endroits du monde, par son village, le site et la basilique. [] On sait que la disposition du bâtiment et de ses ouvertures a été pensée pour qu'opère la féérie du solstice d'été lorsque des flaques éclatantes de lumière se projettent avec une parfaite régularité sur le sol de la nef, témoignant de la perfection de l'univers divin et de la richesse de l'homme, la créature à son image. Il y a plus, cependant, qui fait que l'incroyant dont je suis un exemple est saisi par ces lieux aussi bien que le fidèle. [] ... l'émotion évoquée ne procède pas seulement [] de la beauté incroyable des œuvres mais aussi de l'atmosphère globale qui se dégage d'elles et des lieux où elles se trouvent".

 

la citadelle de lectoure - promotoire de lectoure - cathédrale de lectoure - arrivée sur lectoure GR 65 chemin de saint jacques de compostelle

Nous aurions aimé faire quelques pas aux côtés d'Axel Kahn, et surtout l'entendre, lorsque, parti au petit matin fringuant d'Auvillar, déjeunant à Castet-Arrouy, sous les marronniers, dans un restaurant bien connu des lectourois, sur une jouissive "nappe de soleil", et parcourant entre le Petit-Vaucluse et la Chapelle les derniers mètres de l’étape du jour, il pouvait admirer une autre colline, Lectoure posée sur le camino borné de son clocher-tour, dominant le Gers et la vieille tannerie du Pont-de-pile.

                                                                        ALINEAS

Axel Kahn, Pensées en chemin. Ma France, des Ardennes au pays basque. Ed.Stock 2014.

PHOTOS :

Photos 2 © Alain Félix et 3 © Sophie Boss, avec l'aimable autorisation de Denise Lambert

Photo 4 © Collection Axel Kahn

Photos 1 et 5 © Michel Salanié

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Publié le 26 Juin 2021

garonne - lavandière - marinier - pont canal - batelier

 

Écrire une chronique à propos d’un philosophe, contemporain et réputé qui plus est, serait une audace. Le format ne se prête pas à l’expression de raisonnements complexes. Et le chroniqueur touche à tout ayant tendance à donner son point de vue, le risque est grand de confusion et de platitude.

Mais Michel Serres n’est pas n’importe quel philosophe. Gascon, il a cultivé, au-delà de l’auditoire de ses élèves et de ses pairs, une recherche d’expression intelligible pour le grand public, entretenu la mémoire d’un monde agricole et ouvrier modeste qui nous est également cher, tout en essayant d’entrevoir un futur porteur d’espoir. En outre, il était lectourois par amitié. Alors, le chroniqueur n’aura qu’à copier-coller et s’assurer des transitions.

Notre cathédrale de Lectoure résonne encore de la profondeur de l’adresse funèbre qu’il prononça en 2010, lors des funérailles de son ami Pierre Gardeil, directeur du lycée Saint Jean : « Pierre, nous avons connu et subi, tous les deux, trois ou quatre guerres infernales, dont nous portons en nous la blessure encore ouverte, au cours d’une paix si longue que tout le monde en oublie les délices ; nous avons connu, aussi, les campagnes peuplées, le foirail aux veaux résonnant de patoiserie, puis le crépuscule brusque de la langue d’oc ; nous assistâmes à la mort de la culture paysanne, assassinée par ces conflits et le marché mondial : à l’agonie des humanités gréco-latines dont les sonorités entraînaient nos parlers vers leur source ; à l’extinction du petit commerce, tué par les grandes surfaces : ton père boulanger, le mien marinier ; à la mutité annoncée de la musique classique, alors que ton expertise et ta voix éduquaient encore tes élèves et tes enfants à ses partitions ; nous voilà enfin plongés dans le silence désertique d’une société jadis travaillée, transcendée de sainteté. »

Il faut un grand esprit, pour résumer en quelques mots une époque. S’il y associe son ami lectourois, Michel Serres lui-même s’y trouve également, là, tout entier. Ailleurs et toujours préoccupé par l'impact du temps et de la mondialisation sur son pays, il protestera :  « ... à ne lire que de l'anglais sur les murs, comme ailleurs dans le monde - mon pays a t-il sauté du gascon à l'anglais sans passer par le français, renouant brusquement avec les temps d'avant Jeanne d'Arc ? -, à m'égarer dans des banlieues bétonnées bordant des autoroutes assez larges pour masquer le paysage, à entendre des gens répéter la télé d'hier soir, que ferais-je ici plutôt qu’ailleurs et, d’ailleurs là-bas mieux qu'ici ? Nous allons par la monotonie. Coca-Cola cache aussi les déserts d'Arabie et les horizons d'Himalaya.» Philosophe et témoin de son temps.

Né à Agen dans une famille de paysans et de mariniers, de dragueurs s’amusera-t-il à souligner, mais de sables et de graviers, réussissant dans de brillantes études, académicien, il enseignera à la Sorbonne et à Stanford aux États-Unis, et sera invité à intervenir dans le monde entier. L’histoire des sciences, les mathématiques, la communication sont ses domaines de prédilection. Il s’attache plus particulièrement à la problématique morale des progrès de la science.

Michel Serres revient souvent à ses origines, auxquelles il attribue, malgré son ascension sociale et l’exil de par le monde qui en a découlé, l’amour de l’effort physique et de ceux qui en vivent modestement, l’intérêt pour les éléments naturels, Garonne, dit et écrit sans article défini, comme une personne de connaissance, et l’obstination à transcrire les abstractions philosophiques en phénomènes concrets, mécaniques, géographiques ou botaniques. « Si les philosophes avaient travaillé à la pelle et à la pioche, ils eussent pu relire le pagus (le territoire et leur champ d’étude) en sentant, gravée dans les mains et la flèche du dos, la mémoire douloureuse du paysage creusé. »

Entre 2012 et 2017, Michel Serres publie deux ouvrages que l’on peut, sans les dévaloriser, qualifier de vulgarisation, et qui auront un grand retentissement. Le premier, Petite Poucette, porte un regard résolument optimiste sur le monde numérique et sur la génération qui y évolue, pianotant des deux pouces sur son téléphone portable, d’où le titre. Cette vision rassurante en regard des inquiétudes souvent énoncées face à l’envahissement de l’informatique, de l’image et des réseaux de communication, sera critiquée par certains parce qu’elle serait naïve, fantasmatique, et qu’elle réduirait à sa plus simple expression le rôle de l’instruction, Petite Poucette étant libre, d’après le philosophe, de piocher dans l’immense dictionnaire à présent à sa disposition. Le second de ces ouvrages, C’était mieux avant, veut répondre précisément à ces détracteurs et démontrer l’erreur d’une vision nostalgique du passé. La lavandière, que le Carnet d’alinéas a portraituré (ici) et qui apparaît sur notre carte postale agenaise tellement opportune en introduction de cet alinéa, fait la couverture de cet ouvrage jouant sur le paradoxe : « Avant c’était mieux pour nos compagnes. Qui se levaient à l’aube pour mettre le bois ou le charbon dans la cuisinière ; une bonne heure avant que chauffe l’eau du café ; il fallait tuer la poule, la plumer, la vider avant de la rôtir ; la préparation des repas, la vaisselle, l’entretien du garde-manger, le nettoyage des dalles à grande eau, entre deux tétées du dernier-né, plus les maladies infantiles de ses frères et sœurs… Comment achever la liste des occupations qui écrasaient la mère et les filles à l’intérieur de la maison ? »

Un débat qui n’est pas près de s’éteindre et où Michel Serres aurait su évoluer. Car devant le cercueil de son ami lectourois décédé, il concluait modestement ainsi : « Tu sais, tu connais maintenant, car tu savais, comme moi, qu’aussi savant qu’on soit, l’on ne connaît rien, ici-bas ».

Paradoxal philosophe qui pleure son pays disparu et idéalise les enfants du siècle connectés et mondialisés, qui refuse de prendre les armes mais s’enflamme au combat des avants du SUA, le club de Rugby d’Agen : « …voir un seul match de charme, illustré par autant d'ancêtres superbes, inondés de la lumière d'extraordinaires exploits… capitaines, internationaux, avants, demis ou trois-quarts… tout aussi célèbres à Murrayfield, Johannesburg, Christchurch, Bucarest ou Buenos-Ayres qu'au Passage, Lectoure ou Astaffort ».

Serait-ce philosophie de bord de touche ?

rugby - agen - SUA - michel serres - philosophie de vie

« On a reçu des gnons ou on n’en a pas reçu, certes, mais, de plus, il ne faut pas les rendre, voilà toute la différence ; sinon les copains prennent trois points. On n’envoie pas le voisin au carton, mais on le prend soi-même pour libérer la course de l’autre. On offre l’essai à son arrière ou à son ailier, démarqués. On protège son demi. Et ainsi de suite : tout pour le suivant qui vous soutient dans le relais. Peu ou rien pour soi. Les plus grands, dans cette affaire, demeurent souvent dans l’ombre et ne deviendront jamais les étoiles dont on parle. Ils resteront au secret.

Incompréhensibles, ce travail et ce sacrifice pour autrui, dans la bagarre et le chacun pour soi de l’usuelle et animale vie. On sort de cette école altruiste ou on n’en sort pas. On a ou non appris cette gentillesse. Gentil, vieux mot français qui veut dire : noble. De l’aristocratie que fait entrer dans le cou et les cuisses cette dure et loyale école. Oui, le rugby perpétue, de l’intérieur, la chevalerie ancienne et ses traditions, publiques mais secrètes. Je me souviens d’un pilier d’Agen qui se nommait Paladin… ».

Philosophie de vie.

Le paysan et le marinier, la femme courbée, l’athlète, l’équipe… Éloge de l’effort. Et de la communauté. Y compris devant la mort, car le philosophe y revient, naturellement.

michel serres - philosophe - adichats - adieu - gascogne - lectoure

« Quand sonne l’heure, et elle sonnera, pour moi, encore, demain matin, mieux vaut jeter au feu tout ce qu’on possède, y compris ses souliers, ne prendre avec soi que le plus léger, laisser toujours le plus lourd.
Si partir équivaut à mourir, qu’emporterons-nous quand sonnera ce jour de colère-là ?

Voici donc la vraie, la profonde, à la lettre la sublime question : elle concerne les fardeaux, le poids, la pesanteur, la grâce ; où trouver de très maniable, du si léger que vous n’aurez aucun mal à le porter ?

Cherchez ce que, sur les grands chemins, nul, jamais ne pourra vous voler. Autrement dit : trouvez un impondérable.
Voici donc le précepte en réponse, encore : n’emmenez rien de ce qui diffère du corps, nu ».

Adichats Michel ! Soyez à Dieu !

                                                         Alinéas

 

l'homme et la terre - elysée reclus - géographie - philosophie - corps nu

 

SOURCES :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Serres

Outre l'éloge funèbre à Pierre Gardeil, les citations sont tirées de

  • Adichats ! Éditions Le Pommier 2020
  • C'était mieux avant, Éditions Le Pommier 2017

 

Pour un débat contradictoire à propos de Petite Poucette : http://skhole.fr/petite-poucette-la-douteuse-fable-de-michel-serres

 

ILLUSTRATIONS :

- Carte postale Agen Collection privée

- Rugby : Wikiwand, Championnat de France de rugby à XV, 1929 demi-finale Agen-Quillan.

- Adichats : photo Ed. Le Pommier

- L'homme et la terre, Elysée Reclus.

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Publié le 20 Avril 2021

Jean Lannes - Maréchal d'empire - Lectoure - André Laffargue - polytechnique - général - Ligardes - Gers - Gascogne

 

" ... Masséna traversait le Danube sur le grand pont que le génie venait d'achever à midi. On n'entendait plus que le bruit de trente mille pas qui frappaient les planches. A l'aide de gaffes et de rames, debout, en mauvais équilibre sur leurs embarcations légères, attachés pour ne pas tomber dans les remous, des sapeurs détournaient les troncs d'arbres que charriaient les eaux, pour qu'ils ne coupent pas les filins d'amarrage. Le Danube devenait sauvage".

                                                         Patrick Rambaud, La bataille

Dans quelques heures, ni l'un ni l'autre des deux camps ne pourra revendiquer la "victoire" d'Aspern-Essling. Statu quo des positions française et autrichienne sur le terrain et 45 000 hommes mis hors de combat ! 34 000 blessés, 3 200 prisonniers et 9 800 morts. Parmi eux, le premier des maréchaux de Napoléon morts au combat, Lannes, fauché par un boulet, amputé dans les conditions de l'époque et du champ de bataille, agonisant de longues heures.

________________________

Né à Lectoure en 1769, Jean Lannes meurt sur l'île de Lobau, près de Vienne (Autriche), le 31 mai 1809, à l'âge de 40 ans. Déjà blessé huit fois auparavant, il aurait pu disparaître sur le fleuve Brenta, à Bassano del Grappa, Vénétie ou sur le Nil, au pied des pyramides... Parti volontaire de Lectoure pour défendre la Révolution sur la frontière pyrénéenne, il rencontre Bonaparte en Italie et ne le quittera plus. Courageux jusqu'à l'audace, meneur d'hommes exceptionnel, il n'assistera donc pas à l'épuisement de l'Empire que Napoléon mène à marche forcée, de bataille en bataille, au-delà des frontières et des ressources physiques et morales du pays.

André Laffargue, Général, né en 1892 à Ligardes, à 20 km de Lectoure, est mort en 1994 âgé de 103 ans, au bout d'une longue et paisible retraite, revenu dans son village natal après avoir participé aux deux grandes guerres du 20ième siècle. S'il n'a pas connu la gloire de son prestigieux compatriote, il a mené une noble carrière. Pendant la première guerre mondiale, jeune officier frais émoulu de l'école Polytechnique, il connaît la vie éprouvante des tranchées. Il est gravement blessé en conduisant sa section à l'assaut, baïonnette au fusil. Convalescent, puis intégré à l'état-major de Joffre, il rédige différentes études dont celle développant la théorie d'une tactique d'infiltration des rangs ennemis, idée qui trouvera application, mais plus tard, dans les actions de surveillance et d'espionnage de la guerre moderne.

tranchées - assaut - baïonette au fusil - lignes ennemies - grande guerre - guerre de position
Croquis d'André Laffargue, paru dans L'illustration en octobre 1915.

En 1939, emporté avec sa compagnie dans la débâcle de l'armée française balayée par la poussée allemande dans les Ardennes, il refuse de se rendre, traverse les lignes ennemies, franchit la Seine de nuit sur un radeau de fortune, et après maintes péripéties à travers le quadrillage du pays par l'envahisseur, se réfugie au jardin de son enfance qu'il affectionne, à Ligardes. Sous l'occupation, il est appelé à l'état-major du général Weygand à Vichy. Après le débarquement allié, il est intégré à la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, ce qui le conduira du Rhin libéré, jusqu'au Danube à son tour, 135 ans après Jean Lannes, mais pour la victoire cette fois-ci.

Rhin et Danube - 1ère armée - de Lattre - armée d'afrique - débarquement provence
Ecusson de la 1ère armée française en 1944

André Laffargue consacrera sa retraite à la rédaction de ses souvenirs militaires, enrichis de commentaires personnels sur les évènements qu'il a vécu auprès des chefs de guerre, mais également d'essais sur les grandes figures de son pays gascon, Monluc, un autre grand conducteur "de piétaille", la maison d'Albret - Jeanne d'Albret, Marguerite de Valois, Henri IV - d'Artagnan et enfin le Jean Lannes, Maréchal de France, Duc de Montebello qui nous intéresse.

On pourra trouver cette biographie de Lannes relativement épurée, concentrée sur les batailles napoléoniennes, stratégie, tactique, échecs et coups de génie. Cela n'étonnera pas venant d'un observateur militaire et il faut toutefois profiter de ce regard averti. Ceux qui veulent plus d'Histoire, plus de politique, grandes et petites, un contexte évènementiel plus élargi, pourront compléter leurs connaissances par la lecture des biographies très riches qui suivirent, de Jean-Claude Damamme (1987) ou Ronald Zins (1994). Mais il fallait bien un fantassin, baptisé au feu, pour restituer avec réalisme l'épopée du "pygmée devenu géant" selon l'expression de Napoléon. Un biographe fantassin et gascon.

 

Saint jean d'acre - Egypte - palestine - Napoléon
Bataille de Saint-Jean d'Acre - 1799

Les premiers chapitres consacrés aux campagnes des Pyrénées, d'Italie et d'Orient permettent de focaliser, au fil des évènements, sur la proximité de Lannes avec ses compatriotes lectourois, ceux de la pépinière : Jacques-Gervais Subervie, réformé lorsque que la Convention ne peut plus nourrir son armée, puis rappelé et nommé aide de camp de Lannes, Joseph Lagrange qui se révèlera en Egypte, Jérôme Soulès qui plus tard, votera la mort du Maréchal Ney, Pierre Banel bien sûr sous les ordres duquel Lannes servait, qui meurt à Casserio, Jean-Baptiste Dupin à ses côtés. Nous avons là, le canevas d'une épopée lectouroise qui débuterait lorsque se bagarraient autrefois ces garnements, sur les remparts de la citadelle médiévale, menant leurs joyeuses cavalcades d'une ruelle à l'autre, compatriotes se retrouvant à la fleur de l'âge au cœur d'une bataille, où l'on ne joue plus cette fois, à mille lieux de leur étroite patrie et, pour ceux qui en réchapperont, jusqu'à la triste retraite au pays (Dupin) ou l'allégeance à la Restauration (Soulès et Lagrange) ...

Bien sûr, le biographe trace dans le détail, l'ombre portée de Napoléon sur la carrière de Lannes. La relation entre les deux hommes est faite d'une profonde amitié et d'une confiance forgées dans le combat. Mais la (trop) grande sensibilité du gascon aux gestes et aux paroles de son ami et néanmoins maître, le ronge. Napoléon manage dira-ton aujourd'hui, en fonction de sa vision et de son génie, sur son champ de guerre et de politique, un grand nombre d'officiers supérieurs, mis en valeur ou pressés voire réprimandés alternativement, caractère latin ou méthode de motivation, dans le but unique de la victoire telle que la conçoit le grand stratège. Lannes pense être le plus honnête et le plus dévoué. Il vit mal cette relation complexe et anxiogène. André Laffargue sait de quoi il parle, car il a travaillé au plus près des centres de décision, tant en 14/18 qu'en 39/45. Dans son recueil de souvenirs "Fantassin de Gascogne - De mon jardin, à la Marne et au Danube", il évoque de nombreuses situations où il a dû prendre de la distance par rapport aux sentiments et aux relations humaines pour ne s'en tenir qu'à la fonction. André Laffargue a en particulier été appelé à témoigner au procès du maréchal Pétain. Il eut le courage, devant un tribunal convoqué à charge, de défendre le vieux soldat, particulièrement sur le point de l'utilité de l'armistice qui a permis de préserver et de renforcer l'armée d'Afrique. 260 000 hommes, dont François Laffargue lui-même, jeune fils du général, évadé de France, officier de Tirailleurs marocains, débarqués en 44 en Italie aux côtés des américains, puis en Provence, intégrés à la 1ère armée de Lattre, sur le Rhin et jusqu'au Danube, feront que la France tiendra son rang parmi les alliés et à la table de la reddition nazie. Le lendemain de sa déposition, le général Laffargue fut mis en disponibilité. De Gaulle n'appréciant pas qu'on lui tienne tête. On a avancé que Lannes avait parfois tenu tête à Napoléon mais ce n'est pas attesté.

danube - Lannes et Murat - 1805 - pont tabour - Vienne - Autriche
Lannes au pont de Tabour, Danube 1805.

Enfin et très précieusement, André Laffargue apporte également à la connaissance et la compréhension des évènements de la carrière de Lannes, sa propre expérience ayant successivement agi sur le terrain de bataille en tant que conducteur d'hommes, et participé à la stratégie et au commandement au sein des états-majors, deux fonctions qui, si elles sont évidemment dépendantes, ne réclament pas le développement des mêmes qualités.

" En effet la guerre d'alors plaçait les officiers généraux dans une situation paradoxale, que ne connaissent plus ceux d'aujourd'hui... Sous le Premier Empire [il fallait] rien moins qu'un général, venant payer de sa personne au premier rang, pour déterminer une troupe à se lancer carrément à l'abordage.

C'est ce que Lannes a dû faire à Montebello, à Austerlitz, à Iéna, à Pultusk et à Essling où il est venu prendre, à la tête d'une division, la place du général de Saint-Hilaire tué .../...

Passer d'un rôle à l'autre, se plonger dans la mêlée et reprendre du recul, changer ainsi, parfois à plusieurs reprises, de perspective, de mentalité, même de tempérament exigeait donc une maîtrise qui n'était pas à la portée de tous .../...

Il a déclaré aussi : « Il faut que tous les officiers paraissent sur le champ de bataille, aux yeux du soldat, comme s'ils étaient à la noce ». C'est ainsi que, pour donner l'exemple, Lannes se boutonnait, se corsetait de calme et de sérénité au milieu de l'orage. Il est donné à peu d'hommes d'être capables de se rendre de marbre .../...

C'est à cette aptitude à se dominer en même temps qu'à la vivacité de son intelligence qu'il devait, sur le champ de bataille, « le coup d’œil sûr et pénétrant » que l’Empereur lui a reconnu. En particulier « il lisait » très vite le terrain et les dispositions de l'adversaire et en déduisait instantanément la manœuvre à exécuter. Peut-être devait-il aussi ce sens du terrain à son atavisme paysan.

Et c'est pourquoi « a-t-il été supérieur à tous les généraux de l’armée française sur le champ de bataille pour faire manœuvrer vingt-cinq mille hommes d'infanterie »".

                                                                                                   Alinéas

 

lannes lectoure - logo ville de lectoure - statue maréchal lannes

 

BIBLIOGRAPHIE :

- Jean LANNES, Maréchal de France, Duc de Montebello, Général André Laffargue, 1975, Office de Tourisme de Lectoure

- Fantassin de Gascogne, de mon jardin à la Marne et au Danube, André Laffargue, 1962, Flammarion

- La bataille, Patrick Rambaud, 1997, grand prix du roman de l'Académie française, prix Goncourt.

- sur Wikipédia  https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Lannes

ILLUSTRATIONS :

- Titre

. Portrait de Jean Lannes, Lithographie d'après Gérard, Zéphirin Bélliard

. Portrait d'André Laffargue, sous-lieutenant en tenue de saint-cyrien

- Croquis d'André Laffargue, publié dans le journal L'illustration le 23 octobre 1915

- Écusson de la 1ère armée française. Aux couleurs de Colmar libérée le 10 février 45. Gérard Ambroselli, officier maquettiste de l'état-major de Lattre

- La bataille de Saint-Jean d'Acre, auteur inconnu, wikipédia

- La surprise du pont Tabour, Danube 1805, détail, Guillaume Lethière, château de Versailles

- Lannes-Lectoure. Photo montage © Michel Salanié

 

 

 

 

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Publié le 12 Janvier 2021

Pey de Garros - Lectoure - Gascogne - Gascon - Lomagne - guerres de religion - littérature occitane

Il est l'un des personnages historiques lectourois les plus étudiés. Avec Jean Lannes et Jean-François Bladé, bien avant tous les autres "illustres Lactorates" pour reprendre la terminologie du regretté Pertuzé. Et pourtant, illustre inconnu pour la plupart de ses compatriotes, il est chichement honoré par sa ville natale d'une minuscule ruelle piétonne, un carrelot, certes charmante et avec vue sur les Pyrénées mais tout de même bien modeste, et d'une fontaine, qu'il partage avec son frère Jean, à l'écart des voies les plus passagères et en piètre état, l'un ne justifiant pas l'autre. Dans le même temps il fait l'objet de thèses savantes, de commentaires, d'emprunts, d'éloges dans les cercles littéraires et historiques, français et étrangers, aux côtés de Clément Marot, Ronsard et Montaigne, excusez du peu. Les exégètes, les philologues, les milieux gasconisants, les spécialistes de la littérature et de la poésie occitane, les historiens des maisons d'Albret et de Navarre, ceux des guerres de Religion, tous attribuent à Pey de Garros, une place importante, de penseur sinon d'acteur, dans l'histoire de la difficile construction de la France moderne au 16ième siècle, de fait celle de la fin du rêve d'une Gascogne indépendante. Et un rôle de premier plan dans le renouveau de la langue gasconne.

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La vie et l’œuvre de Pey de Garros sont marquées par les guerres de Religion qui ont ravagé pendant plus de trente ans le triangle Nérac-Agen-Mauvezin, où Lectoure tenait le rôle de place forte stratégique.

guerres de religion - Lectoure - Monluc - réforme protestante - protestants - Pertuzé
Le siège de Lectoure par Monluc - Illustration de Pertuzé

 

Né entre 1525 et 1530, d'une famille de la bourgeoisie lectouroise aisée, marchands et consuls, après des études au réputé collège de la ville, foyer des idées humanistes qui furent le germe de la Réforme, Pey (Pierre en gascon) de Garros obtient un doctorat en droit à l'université de Toulouse. Devenu avocat, en 1557, par lettres d'Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, seigneurs d'un immense mais morcelé domaine étiré de la Loire aux Pyrénées, il est nommé conseiller du prestigieux Sénéchal d'Armagnac, siégeant à Lectoure. Quelques années plus tôt, en 1551, un marchand allemand et un notaire lectourois étaient condamnés par le Parlement de Toulouse pour l'édition d'un opuscule contraire à la tradition catholique. Les deux coupables devront faire pénitence et assister à l'autodafé de leur écrit hérétique sur le parvis de la cathédrale Saint Gervais, pieds nus, en chemise, le cierge à la main. Les idées de la Réforme étaient donc déjà largement répandues, mais sévèrement réprimées, pendant la formation et l'accès de Garros aux responsabilités. Face à une noblesse pauvre et arcboutée sur ses privilèges que l'église catholique favorise, l'élite bourgeoise de la ville, particulièrement les professions du droit dont il est l'un des représentants, est séduite par les idées colportées de Suisse. Pey de Garros aurait fait un séjour à l'Ecole protestante de Lausanne. En 1560, il adhère à la nouvelle religion.

En février 1562, dans le lectourois, les premiers affrontements ont lieu à Saint Mézard. Monluc, héros des guerres d'Italie, adjoint au lieutenant du Roi de France en Guyenne et Gascogne, après avoir tenté de mater les révoltes de Montauban, Agen ou Toulouse, sort de sa retraite de Saint-Puy pour mettre le siège devant Lectoure, tombée aux mains des huguenots. Il faudra qu'il s'y reprenne à nouveau en 1567. Les combats sont acharnés. Les agressions des deux camps sont brutales. Monluc ne se cache pas d'avoir employé la manière forte : « On pouvoit cognoistre par là où j'estois passé, car par les arbres, sur les chemins, on en trouvoit les enseignes. Un pendu estonnoit plus que cent tuez »

Dans ce conflit de plus de trente ans, Pey de Garros prendra le parti et mettra son talent au service de la maison d'Albret et de Navarre qu'il espère être garante de l'indépendance de la province gasconne. La chronologie de sa vie, foi, œuvre littéraire et carrière juridique confondues, s'accordera à celle de Jeanne d'Albret à laquelle il dédie les Psaumes viratz, traduction du latin au gascon des psaumes de David, roi d'Israël, prophète et poète biblique, comme Théodore de Bèze et Clément Marot les avaient traduits avant lui en français, pour servir la nouvelle religion et dire aux fidèles les préceptes pieux dans leur langue ordinaire.

Jeanne d'albret - maison de Navarre - Réforme - huguenots - Nérac - gascogne
Jeanne d'Albret, l'inspiratrice

 

Philosophe, historien, humaniste délicat, Pey de Garros est profondément éprouvé par le spectacle de la division et les horreurs de la guerre. Il analyse les raisons de la situation en Gascogne au sortir des guerres d'Italie qui laissent la soldatesque désœuvrée. Entre autres caractères de la race gasconne mal employés, il attribue aux mœurs belliqueuses des cadets de familles nobles, engagés dans des guerres qui leur sont étrangères, loin du sol natal, la perte d'influence et la décadence du pays et de sa langue, face à la France et au français dit "celtique".

Pour retrouver cette influence, celle d'un supposé âge d'or qu'aurait connu l'antique nation, il prône le retour à la tradition, à la vie bucolique, et en premier lieu, fixe comme impératif la rénovation de la lenga laytoreza, langue lectouroise, nom qu'il donne au gascon, amalgame de différents dialectes locaux, proposant de les unir par un travail collectif. Garros n'aura de cesse de protéger cet héritage charnel, maternel, la lenga de ta noyritud, l'idiome du pays nourricier. Soumission aux commandements divins et langue sont étroitement liées pour constituer le terreau du renouveau national qu'appelle toute l’œuvre du poète lectourois. Les Poësias gasconas, les Eglògas (poèmes bucoliques), Vers heroïcs, Cant nobiau (Chant nuptial), sont autant d'odes à la vie pastorale où apparaît un tableau réaliste de la société gasconne du 16ième siècle.

filles de lectoure - gascogne - travaux des champs - lomagne - pey de garros - cant nobiau

André Berry, dans sa thèse (1948) consacrée à Pey de Garros insiste sur le caractère ethnique de l’œuvre : " Si Lectoure n'est nommé que dans le Cant nobiau, c'est bien la campagne lectouroise qui [...] prête son théâtre aux "entreparleurs" de Garros ; la maison, c'est la borde. L'arbre, c'est le noyer à l'ombre dangereuse, la bête, c'est l'oie gardée par son auquêra [gardienne d'oies] .../... voici sous la maison de Bonine, gardée par le gros alan [chien], la carrera juzana [inférieure], évocatrice de ces constructions perchées au-dessus des routes comme à Lectoure, Terraube ou à Sainte-Mère. [...] non loin de l'authentique Gers, tel qu'il rampe entre ces collines, troublé par les moutons boueux qui font la cabriole sur ses hautes berges, apparaissent l'étable aux murs troués, rapetassés tant bien que mal, et la métairie confortable [...]. En attendant le marché dont la seule vision nous rappelle les grandes foires urbaines du vendredi qui voient monter, serpentant au long des lacets, des bêtes par milliers. Cette véritable Gascogne, c'est dans une époque véritable que l'arpente de ses jambes bottées l'arlot [le fripon] des Eglogues, quand la guerre de religion dévaste tout, jusqu'à ces montagnes que le gavache [immigré du pays d’oïl, homme venu du nord] franchit en tremblant, quand les grandes haies protègent à peine les vignes, les pommiers, les aubiers, la mare aux porcs. En refermant le livre, nous aurons bien dans l'esprit, ici hantée par une calme population, là ravagée par les hommes d'armes, la grasse Lomagne aux coteaux verts, grouillant de taureaux, de moutons, de chèvres, de cochons, d'oies et de poules, et qui voit de loin, par les jours clairs, bleuir les Pyrénées. Chez les personnages, même fidélité au lieu et à l'époque : tous des hommes et des femmes de l'ordinaire gascon, tels qu'on pouvait les rencontrer en 1560 (et tels que quelques-uns se rencontrent encore aujourd'hui). Dans l'Eglogue I, c'est la paysanne avec son cabedau [chiffon-coussin sur la tête], les rustiques en guenilles. La troisième Eglogue [...] est ouverte par une vieille campagnarde apportant aux travailleurs le barillet de piquette et le panier de noix".

lectoure - rue pey de garros - carrelot
La rue Pey de Garros, à Lectoure

Mais cette Gascogne naturaliste n'aura pas l'heur de plaire. Garros n'a pas accédé, en son temps, à la célébrité. Parti étudier à Toulouse, il avait pourtant été primé dès 1557, d'une violette prometteuse aux Jeux floraux du Consistori del Gay Saber qui se déroulaient à l'époque en français. Revenu au pays, certainement la concordance d'une prise de position politique avec un choix purement littéraire, toute son œuvre s'exprimera désormais en gascon. Il fera un énorme travail technique de discipline phonétique et orthographique, de consolidation de la grammaire, d'enrichissement du vocabulaire, de prosodie c'est à dire de rythmique poétique, travail qui le fait aujourd'hui considérer comme l'un des principaux artisans du renouveau de la langue gasconne, son "inventeur" dira l'un de ses exégètes. Mais aujourd'hui seulement.

Car, les trois fils de Catherine de Médicis régnant et disparaissant successivement sans descendance, la maison de Navarre regarde de plus en plus vers le trône. Jeanne d'Albret quitte Nérac pour la cour de France. L'ambition dépassant le cadre de la province. Elle meurt en 1572, trois mois avant le massacre de la Saint Barthélémy. En 1589, son fils Henri devient roi de France, quatrième du nom, en ayant embrassé la religion catholique. Paris valait bien une messe. La langue gasconne et l'accent gascon y seront moqués.

Peu avant, en 1571, Pey de Garros avait été nommé avocat général à la Cour de Pau. Récompense pour services rendus ? Retraite dorée ? Mais piètre satisfaction pour le poète nationaliste. A partir de cette date, il semble qu'il ne se consacre plus qu'à sa fonction juridique. Il meurt en 1583. On peut imaginer dans quelle déception face au cours de l'Histoire.

Les chercheurs s'interrogent toujours sur la cause du manque de succès de Garros en son temps. Trop austère, grammairien, trop rustique, ethnocentré ? Trop leytorès ?

Deux poètes gascons voisins, Saluste du Bartas à Montfort, et Dastros à Saint-Clar, auront plus de succès. Les exégètes considèrent que leur gascon est marqué par le travail de Garros, bien qu'ils n'en fassent pas état eux-mêmes. Saluste du Bartas sera plus fin courtisan que Garros. En 1578, à Nérac, accueillant Marguerite de Valois, la reine Margot, et sa mère Catherine de Médicis, il déclamera une ode où trois muses symbolisant les langues française, latine et gasconne se disputèrent l'honneur d'accueillir les deux reines ; au terme de cette joute oratoire, la muse gasconne l'emporte, car c'est la langue du lieu, se justifie adroitement le poète. Mais l'œuvre majeure de Du Bartas, La semaine, ou la création du monde, sera bien écrite en français. Il se verra confier des ambassades en Europe pour le compte d'Henri IV. Sachant emprunter le train de l'histoire... Toutefois cela n'assure pas la renommée durablement. Immensément célébré de son vivant, à l'égal de Pierre de Ronsard, Du Bartas est également relégué au second rang aujourd'hui.

Il faudra attendre le 19ième siècle et le développement des études régionalistes pour que Pey de Garros soit révélé. Nous devons sa mémoire aux travaux de Léonce Couture (1832-1902) sur l'histoire littéraire de la Gascogne. En 1895, le lectourois Alcée Durrieux, le traduira et le rééditera heureusement. Pour Robert Lafont (1923-2009), réputé professeur de linguistique à l'université de Montpellier, les Psaumes de Garros représentent « le coup d'éclat de la Renaissance gasconne et la première œuvre de la littérature occitane moderne ».

Du Bartas et Dastros ont leurs bustes, le premier à Auch, le second chez lui, à Saint-Clar. A Agen, le poète occitan Jasmin a sa place et sa statue, si éloquente, dans la perspective du boulevard de la République. A Toulouse, sur la belle place Wilson ornée de sa statue de marbre, œuvre de Falguière, Pèire Godolin, la muse Garonne alanguie à ses pieds, rassemble autour de lui, touristes du monde entier, retraités, couples d'amoureux et pigeons. Nulle part en Gascogne, qu'il a pourtant si haut célébrée et voulu servir, Pey de Garros n'a son portrait.

                                                                        Alinéas

 

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Statue de Pèire Godolin, place Wilson, Toulouse

SOURCES :

Les éditions anciennes de Pey de Garros se trouvent chez les libraires d'ouvrages d'occasion.  Une quantité de commentaires et des extraits de l’œuvre du poète lectourois sont disponibles sur internet. Les deux documents les plus approfondis qui nous ont guidés sont :

- L’œuvre de Pey de Garros, Poète gascon du XVI ième siècle, André Berry, thèse Sorbonne 1948, réédition PUF Collection Saber.

- "Est-ce pas ainsi que je parle ?": La langue à l’œuvre chez Pey de Garros et Montaigne, Gilles Guilhem Couffignal, thèse Toulouse Le Mirail 2014, disponible sur internet https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01259019/document

Pour faire simple on pourra évidemment commencer par https://fr.wikipedia.org/wiki/Pey_de_Garros

Sur la Réforme à Lectoure :

- Histoire de Lectoure (Collectif), Lectoure au XVI ème siècle, Pierre Féral 1972

 

ILLUSTRATIONS :

- Illustration titre : La tempête, Giorgione, 1506, Gallerie dell' Academia de Venise. Vestiges antiques, ambiance bucolique, maternité, ciel menaçant : un tableau célèbre qui illustre parfaitement l'époque de Garros.

- Le siège de Lectoure (détail), Pertuzé.

- Jeanne d'Albret, Musée Condé.

- L'été, Henri Martin, Capitole - Toulouse.

- La rue Pey de Garros à Lectoure, Michel Salanié

- Statue de Godolin à Toulouse, Falguière, photo Travus, Wikipédia.

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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Publié le 24 Mars 2020

UN TYPE

LES PIEDS

BIEN SUR TERRE

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e meunier est un personnage de premier plan en littérature. "Etait" devrais-je dire, et préciser, dans la littérature d'avant la première guerre mondiale, miroir d’une époque où l’homme, sa mécanique et sa farine occupaient une position essentielle dans le paysage et la vie quotidienne de toutes les couches sociales, noble, bourgeoise et populaire, citadines et rurales.  Il est, au sens théâtral du terme, le type même de l'artisan industrieux, présentant les caractéristiques habituellement attribuées aux membres de la corporation. Il y a là matière à de nombreux alinéas. Commençons par notre littérature, gasconne, ancestrale, orale et populaire, oui tout à la fois.  Le travail de collecte et de transcription des « Contes populaires de la Gascogne » par le lectourois Jean-François Bladé est réputé dans le monde entier.  Bladé n’est pas un moraliste à la façon de Charles Perrault ou de Jean de La Fontaine. Plutôt un régionaliste. S’il y a du fantastique dans certains de ces contes, les personnages sont en général bien ancrés dans le terroir, et souvent très vrais. Chez Bladé non plus, les moulins ne plaisantent pas avec les Don Quichotte. Son meunier n’est pas un meunier de fantaisie. L’indécision brocardée par La Fontaine dans Le meunier, son fils et l’âne n’a pas sa place dans la salle des meules des moulins du pays lectourois. Quant au Chat botté de Perrault, il a beau tenir sa ruse de son expérience de chat du moulin, il ne sert qu’à marier le fils du meunier avec la fille du roi. La réputation de la profession n’y a rien gagné.

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Le genre littéraire est évidemment passé de mode, remisé au rang des antiquités, soumis à la puissance des médias modernes et à la révolution des esprits, petits et grands. Seuls quelques nostalgiques ayant connu la première moitié du 20ième siècle où la flamme n’était pas définitivement éteinte, aiment à se rappeler les veillées familiales, lorsque la voix grave et la verve d’un ancien pouvaient donner au récit cent fois entendu un intérêt renouvelé. Et bien sûr, Bladé n’est pas oublié des défenseurs de la langue gasconne, dont il est honoré comme l’un des illustres auteurs. Nostalgiques et défenseurs de notre patrimoine donc, pour combien de temps encore ?

Mise à part cette résistance, honorable mais très locale, la littérature populaire gasconne et Bladé en particulier font, en France et à l’étranger, l’objet d’études savantes menées par des spécialistes, sociologues, ethnologues, historiens, qui y recherchent certains les liens culturels entre les pays et les peuples, d’autres les aspects du folklore régional ou d’autres encore, les spécificités de la technique narrative de nos ancêtres. Ceux-ci étant praticiens d’une science qui porte le nom de « narratologie » ! Je n’en dirai pas plus. Je ne me moque pas. Bien au contraire, je trouve cette tâche tout-à-fait louable mais un peu pointue pour ma chronique.

Enfin, il y a bien un renouveau du genre en tant qu’expression artistique et littéraire, mais il est probable que Bladé n’y retrouverait pas… son compte. Facile. Le personnage du meunier qui nous intéresse non plus d’ailleurs car il a perdu sa place dans le référentiel collectif. Il n’est pas le seul. Les acteurs préférés de Bladé et de ses pourvoyeurs sont le métayer, le maître et seigneur, le bourgeois, sans autre précision sur l’origine de son aisance, et le curé très souvent. On ne dira rien du diable, des hommes cornus qui vivent dans les rochers de Cardès, de l’homme vert… Ce ne sont pas des métiers, quoiqu’il y faille un certain savoir-faire.

Mais les métiers d’autrefois ? Charron et forgeron font partie du décor. Ils manient le feu, toujours prestigieux, et leur ouvrage est évidemment essentiel à la vie rustique. Cuisinier et cuisinière également. D’ailleurs, nous dirons plutôt que la cuisine  elle-même tient une place importante, ses odeurs, ses tentations, nous sommes en Gascogne mordiu ! Notaire et médecin, eux, sont plutôt considérés comme d’aimables escrocs monnayant cher l’un son autorité déléguée, l’autre sa science encore douteuse.

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NOTRE MOULIN QUOTIDIEN

Quant à la meunerie, venons-y, le bâtiment, le métier ou l’homme apparaissent à plusieurs reprises dans le cours de ces Contes populaires de Gascogne. Parfois par un détail : « …l’Oisillon Noir s’alla percher tout en haut d’un moulin à vent ». Ou bien pour signifier la richesse absolue : «… assez d’or et d’argent pour acheter un beau moulin sur la rivière  du Gers, et un château, avec un bois et sept métairies ». Plus poétique, et musical : «… au moulin dont le tric-trac fait riou chiou chiou ». Un moulin rapportant au quotidien des auditeurs du conteur enfin, dans La pâte qui chante,  "...riches et pauvres n’avaient pas de pain à manger. Il fallait aller faire moudre si loin, que ceux qui partaient se perdaient en chemin". Nous ne concevons plus aujourd’hui l’effort que nos anciens devaient fournir pour assurer chaque jour leur subsistance.

Plus profond et intéressant pour situer l’importance du meunier dans la société ancestrale, Bladé rapporte deux contes où notre personnage est central : "Les Esprits" et "L’évêque et le meunier". Le premier meunier est celui du moulin d’Aurenque, commune de Castelnau-d’Arbieu, sur le Gers entre Lectoure et Fleurance. Le second celui de La Hillère, au nord de la commune de Lectoure, aux pieds du Castéra-Lectourois.

En quoi ces récits sont-ils remarquables ? Dans les deux cas, le conteur choisit le meunier plutôt qu’un autre métier, parce que le personnage est habituellement doté des qualités spécifiques qui seront essentielles à l’intention du conte et qui lui sont attribuées sans hésitation par l'auditoire.

 

UN ARTISAN TOUT À SON AFFAIRE

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Le meunier d’Aurenque voit sa mécanique brutalement endommagée. Il ne fait ni une, ni deux et décide, nuitamment, d’aller quérir un charpentier réputé. Priorité au travail. Voilà bien un trait de caractère constant et profond certainement dans cette profession. Là où d’autres attendraient le lever du soleil. Car depuis l’antiquité, au fin fond du pays, sans électricité peut-on se l’imaginer ? tout s’arrête à la tombée du jour, sauf…  Sauf toutes sortes de choses surnaturelles. Or la meunerie est la première activité industrielle où l’inactivité n’est plus admise et où le temps est compté.  Oui mais voilà, le nez sur son métier, ou sur son revenu, le meunier n'écoute plus son environnement naturel et méconnait les dangers qui courent la campagne. Par exemple celui de rencontrer les Mauvais Esprits.  Vous aurez remarqué les majuscules. Parti chercher son mécanicien, en pleine nuit, épuisé, le meunier d’Aurenque s’endormira sur son cheval et se perdra dans la grande forêt jusqu’à ce qu’il soit immobilisé, pris dans les ronces, les arbres couchés et les branches mortes. Le meunier comprit alors qu’il était tombé dans une assemblée de Mauvais Esprits, qui prennent toutes sortes de formes. Il tira sur la bride, n’éperonna plus sa bête, et attendit le jour en priant Dieu. Les Mauvais Esprits évanouis, le meunier sera recueilli et soigné par une dame charitable, qui ira même jusqu’à faire avertir le charpentier pour moulins… Car la chute nous y ramène, malgré tout le travail n’attend pas. Le monde moderne est en route.

 

UNE FORTE TÊTE

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Le meunier de La Hillère lui, est capable de tenir tête à l’évêque de Lectoure. Cela ne nous parle plus aujourd’hui, mais il y a un ou deux siècles, c’était exceptionnel. Voire osé. Dans une société soumise dans le moindre détail aux instructions de l’Eglise et supportant les difficultés quotidiennes avec pour seul secours l’espoir de l’avènement d’un monde meilleur, l’évêque est l’autorité suprême, fors le roi. Et encore, car il côtoie Dieu ! La connaissance, l’esprit, l’autorité lui sont sans conteste reconnus. Mais avec cela, il est parfois injuste. C’est ainsi que dans ce conte, l’évêque de Lectoure en veut au pauvre curé du Castéra-Lectourois. Risquant la déchéance et mal armé pour répondre à la provocation de son supérieur, le curé ira chercher soutien auprès du meunier son ami.

L'indispensable métier farinier dans la société, sa richesse supposée, sa capacité à dialoguer avec les puissants, font du meunier, ici toutefois resté proche et solidaire des petites gens, un recours. Qui relèvera, à la place du pauvre curé, le défi de l’évêque. Au point d’oser enfourcher son mulet, nu comme un ver, le meunier pas le mulet, à peine recouvert d’un filet de pêche et de se rendre ainsi accoutré, à Lectoure, à dix kilomètres de là, passant les murailles de la citadelle, remontant la grand’ rue, jusqu’au pied de la célèbre cathédrale. On imagine la joie de l’auditoire à l’évocation de cette chevauchée drolatique. Il nous faudrait un Pertuzé pour illustrer la scène.

 

Tu reviendras ici, mais ni à pied, ni à cheval.

Tu ne seras ni nu, ni vêtu.

Tu me diras ce que je pense.

Tu me diras combien pèse la lune.

 

Le meunier remporte haut la main, la joute oratoire qui aura sans doute donné lieu à maintes redites dans le public et au quotidien, comme une joyeuse rengaine.

Par son audace, notre artisan se hisse au niveau de l’élite. Il est une sorte de contre-pouvoir, dans un monde sous contrôle. Les contes rapportés par Bladé témoignent donc à la fois, des archaïsmes de l’ancien régime et du milieu rural, mais surtout de la capacité de dérision du petit peuple, qui s’exprime à n’en pas douter par l’entremise des conteurs, comme une bonne thérapie, en attendant mieux. Les moulins activant leur mécanique à la frontière de deux mondes : celui de nos aïeux qui disparaît et la bourrasque des temps modernes qui se lève et emportera tout ensemble, conteur et meunier.

 

Alinéas

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PS. L'évèque et le meunier existe sous d’autres formes dans d’autres régions mais il ne nous a pas été donné de le retrouver. Il est rapporté par certains étymologistes, que la joute oratoire y met en présence  les deux mêmes adversaires et de surcroît cette fois, le roi. Le meunier y a toujours le beau rôle et l’évêque sera ridiculisé devant le roi. Cette version pourrait être à l’origine de l’expression « Devenir d’évêque meunier », aujourd’hui inusitée et dont le sens reste controversé. Pierre-Marie Quitard. Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française.

 

ILLUSTRATIONS

Gustave Doré qui mit en images avec génie Jean de La Fontaine, Charles Perrault et le Don Quichotte de Cervantes, est contemporain de Bladé. Nos illustrations, tombées dans le domaine public et elles-mêmes trésor de notre patrimoine national, sont donc à peine détournées.

 

Pour connaître Jean-François Bladé, de sa naissance à Lectoure jusqu'à sa notoriété, suivre ce lien vers Wikipédia:

 

Les deux contes :

 

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Rédigé par ALINEAS

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