Arminius et le trésor de Commarque, un roman d'Alain Armagnac

Publié le 5 Avril 2022

Armagnac Arminius Hermann Herman
UNE SAGA
AUX PORTES DE LACTORA

 

Le genre littéraire du roman historique connaît un lectorat divisé en trois catégories plus ou moins réceptives, dont deux peuvent aller jusqu’à renâcler à ouvrir le livre proposé. Dans la première catégorie, les lecteurs historiens, amateurs ou professionnels, a fortiori s’ils sont spécialistes de l’époque où se déroule l’action, seront méfiants, butant sur la première erreur ou sur un anachronisme insupportable. Le second segment, celui des liseurs... comment les qualifier ? romanesques ? sera parfois dérangé par le lien du récit avec la trame historique, souvent sujette à polémique voire à contradiction politique, empêchant la fiction de se développer et le plaisir de lire de s’installer totalement. Enfin, il y a les amateurs du genre, libres de toute référence et bon public, qui se laissent emporter par l’intrigue avec en arrière-plan un décor profond et dramatique créant l’ambiance, d’un réalisme plus ou moins familier, les lecteurs séduits par un roman dans le roman de l'Histoire.

Les exemples sont nombreux, et pour nous rapprocher de notre sujet du jour, dans le sous-genre saga, citons l’inépuisable aventure égypto-maniaque de Christian Jacq, ou bien Les enfants de la terre, succès planétaire et néandertalien de Jean M. Auel, et plus près de nous dans le temps, La rivière Espérance de Christian Signol, plus modeste mais si évocatrice pour tous ceux qui ont quelque racine en Dordogne.

Encore faut-il que le style soit à la hauteur de l’Histoire, celle qui s'écrit avec un grand H.

Sans doute son patronyme a-t-il conduit Alain Armagnac à situer sa saga en Gascogne. L’anthropo-toponymie, l’étude des noms de lieux dérivés des noms de personnes suggère effectivement que le substantif régional Armagnac viendrait du germain Hermann, romanisé en Arminius. Les Francs de Clovis ayant chassé les Wisigoths de notre région en l’an 500 et quelques, les historiens ont supposé qu’un lieutenant du premier roi de France nommé Hermann se serait vu, en récompense de ses exploits, déléguer la direction de la région conquise. Mais sans que le fait soit documenté, ceci autorisant toutes les fictions et cet auteur lui-même à proposer sa version, qu’il situe cependant cinq cents ans plus tôt. Pourquoi pas.

Alain Armagnac s’inspire d’un fait historique célèbre, documenté celui-ci, la vie d'Arminius le Germain.

 

La bataille de Teutobourg, an 9.

Arminius, né vers 17 av. J.-C. et mort vers 21, est le fils d’un chef de la tribu des Chérusques, établie sur le fleuve Weser, au nord de l’Allemagne. Otage des Romains, il est emmené à Rome, éduqué et élevé à la citoyenneté romaine. Il devient membre de l’ordre d’élite équestre et revenu en Germanie en 9 ap. J.-C. aux côtés du gouverneur Varus, il trahit son protecteur, prend la tête de sa tribu, fédère les chefs germains et attire l’armée romaine dans un piège. La bataille de Teutobourg est le pire désastre militaire subi par Rome. Trois légions et leurs auxiliaires sont décimés. Varus et ses officiers se suicident. Les survivants sont emmenés en esclavage. Rome abandonnera durablement son avancée à l’est du Rhin, ce qui a fait pour les historiens nationalistes allemands, de cette bataille un évènement fondateur. Mais en fait, les Germains ne sont pas unis et Arminius sera plus tard assassiné par ses alliés.

L’éducation d’Arminius à Rome et son intégration à l’armée romaine fait inévitablement penser à Piso, le supposé roi des Lactorates, tribu gauloise établie dans notre actuelle Lomagne. Mais Piso, lui, n’a pas trahi son tuteur, au contraire. Il est mort au combat aux côtés de César, lequel lui rendra hommage dans La guerre des Gaules, ce qui nous le fit connaître. Et de ce fait, contrairement aux Chérusques de Germanie, les Lactorates seront considérés, sinon jugés, par l’Histoire comme "alliés" de Rome. Et Lactora pourra offrir le cadre du roman d’Alain Armagnac.

Mais auparavant, à la suite du massacre de Teutobourg et pour prévenir les représailles, le romancier fait transiter la fuite de la famille Arminius en Périgord, pays de Focilla, mère du héros et chamane de surcroît, dans la mythique "Vallée de l'Homme", où sera dissimulé le trésor de guerre pris sur les romains de Teutobourg dans la grotte de Commarque, devenue de ce fait vénérable, d'où le sous-titre du roman. Faire d'une bataille une renaissance... Toujours pour le symbole, dès l’installation du décor, l’auteur tente un rapprochement phonético-linguistique très osé en établissant un lien de parenté entre le fleuve allemand « Weser », berceau des Chérusques, et la rivière « la Vézère », sur laquelle se trouvent les sites préhistoriques de Lascaux, des Eyzies et de Commarque. Armagnac scénarise également une vertigineuse distribution des rôles, attribuant aux parents d’Arminius des origines géographiques extrêmes, mère Vascone côté Périgord, père né en Sicile, d’ascendance troyenne, belle-mère Ibère tendance Berbère, et beau-père Scythe venu des steppes d’Asie centrale ! Une Germanie interraciale. Un métissage dans l’espace-temps du récit, non pas impossible mais quelque peu accéléré. Passons.

Et notre Lactora dans ce monde antique observé par un esprit œcuménique, dans un espace pré-européen ? Direction le sud.

Alain Armagnac est Sarladais et, encore une fois patronyme oblige, il englobe le Périgord dans une grande Gascogne débordant largement au nord de la Garonne. Nous éviterons d’ouvrir un débat sur ce point de géopolitique historico-régionaliste. Il y faudrait une session universitaire. Et je sais quelques risques d’affrontements, doctes mais potentiellement partisans.

 

Pour finir de conduire le proscrit et sa famille au cœur de l’Armagnac, point d’orgue du récit et berceau de la saga qui se profile, Alain éponyme imagine un domaine dit "de la Baïse" à quelques bornes milliaires de la cité gallo-romaine de Lactora, l'antique Lectoure, pour y bâtir une villa. Nous y voilà. Cité et villa vasco-romaines faudrait-il me corriger, car l'auteur voit ou veut voir une Vasconie préexistant à la conquête par Publius Crassus, lieutenant de César, à cheval sur les Pyrénées, mi-ibérique, mi-aquitaine, même pas bousculée par les celtes qui n'auraient fait que passer, unie, radieuse et civilisée. Une autre disputatio universitaire en vue.

Pour choisir le cadre de ce refuge, on suppose qu'Alain Armagnac connaît et aime notre ville pour ne pas lui avoir préféré Eauze, pourtant capitale de la Novempopulanie, subdivision de l'Aquitaine gallo-romaine, et à sa porte, la villa de Séviac posée effectivement sur une berge de la rivière Baïse. C’est le droit le plus strict du romancier et en outre cela justifie notre chronique.

Le récit, au fur et à mesure de la construction de ladite villa rurale, fait une peinture de Lactora relativement conforme à ce que l’on sait. L’établissement à l’intersection de deux voies romaines, celle reliant Agen aux Pyrénées et au-delà, et la via Aquitania conduisant de Toulouse à Bordeaux. La colonisation par les vétérans de l’armée romaine, dont le beau-père d’Arminius, fait historique, peut se réclamer. L’organisation politique sur le modèle romain, le principe électif, les consuls, la monnaie à l’effigie d’Auguste, l’impôt prélevé par l’administration impériale, la Civita romana à rapprocher de la Res Publica Lactoratium gravée sur nos célèbres autels tauroboliques, auxquels Alain Armagnac ne fait du tout allusion d'ailleurs. Il y aurait eu là pourtant matière à romancer.

Faut-il faire remarquer, dans ce tableau antique, une anticipation d'au moins deux ou trois siècles à situer Lactora sur son éperon rocheux alors qu'on nous a enseigné que la ville romaine était installée dans la plaine de Pradoulin, sans remparts, grâce à la pax romana ? Là, j’avoue faire partie de la première catégorie des lecteurs qui focalisent petitement sur l’orthodoxie historique.

Pour compléter le décor offert par Lactora, l’auteur nous invente généreusement, des thermes, un gymnase, un forum, une école où l’on enseigne le latin, le grec, le droit romain, les sports olympiques, les belles lettres et l’art oratoire, autant de monuments et d’institutions que l’archéologie n’a pas situés et pourtant probables ou du moins possibles. Mais l’action ne s’y développe pas, ce qui aurait pu donner consistance à notre antique cité, et au roman aussi !

mosaïque - école d'aquitaine - Séviac - villa gallo romaine

 

On devine dans le personnage du consul de Lactora, Publius, qui accueille le fils d’Arminius dans l’école lactorate, l'auteur lui-même. « Tout ce discours était destiné à faire comprendre insensiblement à Nelda (la compagne d’Arminius, NDLR) que s’il (Publius) apparaissait comme gallo-romain aux yeux de tous, il était Vascon et fier de l’être. En fait, l’avenir lui donnera raison puisqu’il n’est pas douteux qu’à travers l’histoire des deux derniers millénaires, ce vaste territoire a toujours montré son attachement à des mœurs où l’autonomie, la liberté, les décisions prises collectivement, un certain esprit de résistance et de laïcité, une langue ancienne qui se pratique encore des deux côtés des Pyrénées et que des habitudes culturelles, sportives, alimentaires et autres, bref, un certain art de vivre entre eux et avec la nature, sont encore observés de nos jours. »

Voilà une profession de foi sympathique mais pour le moins péremptoire, gasconnade à la Cyrano de Bergerac.

Le vocabulaire employé par Alain Armagnac est moderne, les tournures de phrases actuelles, ceci facilitant la lecture certes, toutefois jusqu’à la pauvreté. Au-delà des approximations et des hypothèses historiques, trop d’informations superficielles, dans des registres intéressants mais ici mal agencés, la place de la femme dans le système tribal, la préhistoire, la vie près de la nature, l’agriculture, la génétique, le chamanisme, les loups, la lithothérapie, la tannerie, tout à trac… troublent le développement de l'action romanesque au lieu de la servir. Lectoure cité gallo-romaine et creuset de civilisations aurait mérité mieux.

 

Lactora Lectoure gallo-romains Piso Guerre des gaules Gascogne Vasconie

Lupus, le fils d’Arminius et de Nelda, épousera la fille du consul lactorate. Ils seront les géniteurs d’une dynastie, Les descendants d’Arminius, qu’Alain Armagnac suivra dans deux tomes supplémentaires : Loup le Vascon qui fréquentera Charlemagne et Juan l’Occitan qui croisera le fer pendant la guerre entre Armagnacs et Bourguignons. Mais nul lecteur, et pas plus le chroniqueur, ne sera contraint de suivre contre son gré une saga littéraire, fût-elle passée par Lectoure.

 

                                                                           Alinéas

 

Arminius et le trésor de Commarque, Alain Armagnac, Ed. France Libris 2020.

Sur Arminius et la bataille de Teutobourg : https://fr.wikipedia.org/wiki/Arminius

Très romancées mais spectaculaires, l'histoire d'Arminius et la bataille de Teutobourg ont fait l'objet d'une série grand public diffusée sur Netflix. Voir la bande annonce ici : https://www.youtube.com/watch?v=dAfi16oMZVs

Illustrations :

  • Titre : Statue de jeune homme, parfois identifié comme étant Arminius. Musée Pouchkine Moscou. Wikipedia Commons / Shakko.
  • Arminius à la bataille de la forêt de Teutobourg, par Peter Janssen, 1873. Wikipedia Commons / Mharrsch.
  • Restitution de la villa gallo-romaine des Alleux,  © Gaëtan Le Cloirec, Inrap. Responsable de la fouille des Alleux à Taden, Côtes d'Armor : Romuald Ferrette.
  • Mosaïque de style école d'Aquitaine, villa de Séviac (Gers). Michel Salanié.
  • Mariage romain, Mythologica.

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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K
Je fais partie des lecteurs qui aiment les romans dans l"Histoire. Notamment de Jean d'Aillon, la série des aventures de Guilhem d'Ussel, chevalier troubadour qui commence à "Marseille en 1198", puis "1199 Paris", puis "1200 Londres" etc...(la jeunesse de Guilhem est paru après les 8 ou 10 premiers romans, comme la saga de la guerre des étoiles, le premier film est sorti après le 3è !). On y rencontre des personnages illustres, tels le médecin Averroès, Robert de Luxley (robin des bois), Aliénor d'Aquitaine et son fils Richard coeur de Lion...<br /> Il a également écrit d'autres séries dont une qui se situe sous le règne de Louis XIV. <br /> Des romans très bien écrits, et passionnants.<br /> Il y a aussi Anne de Leseleuc qui situe ses personnages à l’époque gallo-romaine : "les vacances de Marcus Aper" et les suivants.<br /> Tous ces romans sont sortis en formats de poche.<br /> En vérifiant quelques dates, j'ai découvert qu'un épisode de Guilhem d'Ussel se passe à Lectoure en 1199... Je vais de ce pas le rechercher pour faire honneur à Alinéas !
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A
Merci chère abonnée... récente. Jean d'Aillon est déjà "alinéalisé" : http://www.carnetdalineas.com/2017/10/les-perdrix-de-lectoure-de-jean-d-aillon-une-enquete-au-coeur-du-moyen-age