Les poèmes lectourois de François-Paul Alibert (1909)
Publié le 10 Février 2023
En 1907, le poète François-Paul Alibert passe à Lectoure en voiture, avec ses amis André Gide et Eugène Rouart. Nous avons relaté cet évènement dans une chronique consacrée à Gide ici.
Deux incidents vont amener les trois hommes à découvrir notre ville. Un orage violent les oblige à s'abriter dans une ferme, probablement à l'ouest de la ville, sur la route de Condom. Puis, une panne de mécanique immobilise leur véhicule en ville pendant un certain temps, qu'ils mettent à profit pour déambuler. Ils découvriront en particulier la fontaine Diane, qui les charme.
Alibert écrira deux poèmes qui seront publiés dans le premier numéro de la Nouvelle Revue Française (NRF), le 1er mars 1909. Dans le n° 2 de la même revue, Alibert livrait de profondes pensées à lui venues "Sur la terrasse de Lectoure" :
Je ne connais pas d'endroit au monde d'où l'on puisse prendre plus pleinement conscience de la construction et de la continuité françaises que de la terrasse qui surplombe Lectoure. Au pied de rampes abruptes, les vallons du Gers viennent expirer avec une moutonnante douceur. Mais ce paysage monotone et borné, tout en grasses cultures et en courbes lentes, prend un air singulier de noblesse et de majesté, quand on l'embrasse du roide plateau où Lectoure, engorgée dans le tortueux resserrement de ses places et de ses rues, prélève encore sur sa gêne de quoi faire courir à son flanc un large balcon à balustres, planté de vieux ormes, où la rêverie peut venir s'accouder et plonger dans l'abîme. La suite ici https://assets.edenlivres.fr/medias/ef/37b5810eefd2af2994702653199f094a18106e.pdf
Faisons remarquer qu'ainsi, Lectoure occupe une place éminente dans l'histoire de la NRF, prestigieuse institution qui a publié les premiers textes d'André Malraux et de Jean-Paul Sartre, et ceux d'auteurs déjà confirmés bénéficiant-là de l'onction de leurs pairs, Apollinaire, Saint-John Perse, Aragon, Proust, Saint-Exupéry... Cependant Alibert n'a pas eu le même succès.
Le premier des deux poèmes que nous reproduisons aujourd'hui est une ode à l'hospitalité gasconne qui, derrière le compliment, décrit parfaitement l'ambiance rustique de l'époque et tire le portrait de l'hôtesse, personnage attachant et étonnament si proche de nous tous qui avons eu une grand-mère paysanne.
Le second poème, plus allégorique, illustre, une fois de plus, après l'étanchement de la soif, l'attractivité de notre belle source sur les esprits.
A l'occasion de la soirée du 10 février qui réunit ce carnet et l’association Lectoure à voix haute, sur le thème "Lectoure dans la littérature", nous sommes heureux, à notre tour, de reproduire intégralement ces deux magnifiques textes.
A L’HÔTESSE INCONNUE
Tu nous versais le vin de ta vigne, et ta main
Par tranches nous coupait encore de ce pain,
Le plus tendre de ceux dont ta huche était pleine,
Qui te restait depuis la dernière huitaine,
Mais certes présenté d'un ton si confiant
Que l'on n'offrit jamais à ma faim apaisée
Festin plus délicat ni plus fortifiant.
Tu nous entretenais, à nous plaire empressée,
Des hasards de l'année et des fruits à venir,
Du rapport de ton champ, de la ville prochaine
Où tendait notre course, et de cette fontaine
Vers qui nous entrainait un mobile désir.
Et nous goûtions, touchés d'une douceur soudaine,
L'humble et frugal asile au toit hospitalier
Que ton charme aussitôt nous rendait familier,
La cuisine aux murs blancs sur la terre durcie,
Dans le noyer taillée et par les ans noircie,
Ton armoire massive aux panneaux refermés,
Et l'étroite fenêtre aux carreaux enfumés,
Et les vases de cuivre où s'allonge la flamme,
Et surtout, accordés à l’air de ta maison
Avec tant de justesse et d'honnête raison,
Ta parole chantante et cet accent de l'âme
Qui donne un si haut prix aux plus simples pensers.
Et je laissais en moi, le long des jours passés,
A ta voix remonter ma plus lointaine enfance,
Et de mes souvenirs s'éveiller l'indolence.
Je retrouvais, s 'ouvrant sur un plant de lilas,
Une autre salle, obscure et fraiche, au plafond bas,
Où le soleil, parmi les feuilles remuées,
Entre et fait poudroyer de dansantes buées.
Et dans ce mouchoir sombre à ton front recroisé,
Dans ce geste à la fois rapide et reposé
Par où tu t'essuyais les lèvres en silence,
Sur ces traits éclatant d'une pure bonté,
Je ne sais quelle vive et chère ressemblance
Dont j'avais près de toi l'esprit tout habité.
Par instants, soucieux de la nue épaissie,
Nous cherchions le dehors et, guettant l'éclaircie,
Sous les branches, où perce une humide sueur,
Des pruniers aux fruits bleus vernissés de fraîcheur,
Nous regardions, de peur que la foudre n'éclate,
Tes servantes rentrant les gerbes à la hâte,
Sous ton ordre activer le travail de leurs bras,
Et l’ombre pluvieuse à l’horizon s’étendre.
Mais le ciel menaçait toujours, et, sur tes pas,
Nous revenions, émus et ravis de t'entendre,
Sous l’ample cheminée assise et devisant,
Amicale et pressante encor nous proposant,
Nourriture aux couleurs vermeilles et dorées,
Une dernière fois les espèces sacrées.
Hélas ! il faut partir devant qu'il fasse noir.
Savons-nous dans quel lit nous coucherons ce soir ?
Entre l'aube indistincte et la nuit périlleuse,
La route est malaisée et l’auberge douteuse.
·Adieu, ma mère, adieu, adieu chère hôtesse au grand cœur.
J'aurais peine à trouver ton nom et ton village,
Mais j'emporte avec moi, comme une bonne odeur
Dont s'embaume et s’enchante à jamais mon voyage,
Ce jour d'été, grondant d'une obscure chaleur,
Où tu nous convias au foyer qui t'abrite,
La mare somnolant sous les lentilles d'eau,
L'aire de pailles d'or jonchée, et le hameau
Où dans chaque maison la bienveillance habite,
Et dont la tuile fume avec tant de lenteur
Au-dessus de la haie épaisse et reverdie
Où l'azur par lambeaux s'égoutte de bonheur,
Qu'on voudrait y couler insensible sa vie…
A LA SOURCE FONTÉLIE
Sous ta haute muraille où verdissent confus
Le lierre et le figuier sauvage aux bras touffus,
Parmi ta grotte épaisse et froide ensevelie,
Obscure et sans témoins, tu règnes, Fontélie,
Et, vers toi ramenant et croisant leurs détours,
Les femmes de la ville, à toute heure du jour,
Leurs cruches au long col à leur nuque penchantes,
Disposent une rampe élancée et mouvante
A l'escalier glissant, tortueux et secret,
Qui laisse pendre sur ton humide retrait
L'oblique et hasardeux abîme de sa pente.
Ta gloire te précède, insinuée et lente,
Et, d'aussi loin qu'il vienne, attire à sa rumeur
L'inquiet pèlerin que hâte la ferveur
De te voir au jour libre inépuisable éclore.
Mais il croit te surprendre, et te recherche encore,
Soucieux de scruter une claire naissance
A travers les barreaux obstruant ta présence,
Et, pressentant tes eaux équivoques, à peine
Te discerne, à la fois reculée et prochaine.
Couche immobile et glauque affleurant à la pointe
D'une herbe par ton onde invisible rejointe,
Et qui force au regard d'hésiter la fontaine.
Déesse, ils t'ont contrainte et t'ont faite chrétienne,
Et, sur toi dirigeant d'injurieuses mains,
Comme un cloître muré ce temple souterrain
Où seules, désormais, aux fentes de la pierre,
Vous croissez, sombre foule, hélas ! pariétaires
J'ai vu, j'ai vu percer du milieu de tes limbes,
Images qu'on devine au défaut de leur nimbe,
Les Saintes à qui fut ta source consacrée.
Elles vont s'effaçant, âmes décorporées,
Lasses de mesurer aux tiens leurs tristes charmes
Que ta limpide humeur goutte à goutte désarme,
Et, dans l'ombre muette et la roche absorbées,
Célébrant avec toi des noces dérobées,
Te résignent en paix leur longue patience,
Heureuses de se fondre à ta fluide essence.
Ainsi, dans ta caverne aveugle retirée,
Tu l'emportes, en vain captive et conjurée,
Arcadienne, ô toi dont le souhait jaloux
Fut de ne desserrer un seul jour tes genoux.
Comme au siècle où par l'antre en silence pressée,
Et d'un trait fraternel purement caressée,
Tu ne pouvais souffrir qu'un mortel eût guetté,
Se trahissant à l'air, ta chaste nudité,
Ainsi, scellant la nymphe à tes flancs recelée,
Fidèles à ton vœu d'être toujours voilée,
Ils font, contre leur gré, se changer en honneur
L'offense convertie aux lois de ta pudeur
Par nul autre que toi réduite et dominée,
Et de tout soin profane à jamais détournée.
Je veux un soir encore, entendre, ô Fontélie,
Dont j'aime aux yeux humains l 'apparence abolie,
Sous ta voûte, du moins, offusquée et profuse,
S'égoutter sourdement la déesse recluse,
Et ses pleurs, affluant à des bouches d'airain,
Je veux sentir encore une pieuse main,
Avant qu'elle se trace un chemin par les dalles,
A mes doigts amicaux tendre leur eau lustrale.
Une face d'enfant magnifique et rieuse,
Sur le mur inclinant sa crête sourcilleuse
Où des flammes de pourpre éclatent au soleil,
Balancerait son fruit mûrissant et vermeil.
Et revêtant, comme une adamantine écorce,
Ta magnanimité, ta justice et ta force.
0 Mère toujours vierge, ô Courage, ô Beauté,
J'élèverais bien haut, vers ton cœur indompté,
Mon cœur trempé trois fois à ta vertu profonde,
Substance incorruptible et divine du monde !