La journée botanique gourmande de Berrac
Publié le 1 Mai 2023
IMMANQUABLE !
Pour la sixième année consécutive, Berrac Village Gersois, bénéficiant cette fois-ci du partenariat de l'association lectouroise des Amis de la Vallée des Ruisseaux, organisait ce dimanche 29 avril sa journée botanique gourmande. Comme toute recette ancestrale que l'on déguste avec plaisir à chaque fête de famille, il y a un secret : la base, le liant. Pas toujours ce que l'on croit d'ailleurs. Dans le confit de canard aux cerises de la Mouline de Belin par exemple et bizarrement, c'est la compote d'oignons ! Aujourd'hui, je vous livre cet autre secret de bonne femme mais il faut que ça reste entre nous, ça ne doit pas sortir du département : à Berrac, c'est la bonne volonté qui fait tout. Et à cette condition, la recette est immanquable.
Bonne volonté de la météo d'abord. Elle n'est pas toujours levée du bon pied... mais il suffit qu'elle se secoue un peu, et nous avec, au pied du lit, et une fois les godillots enfilés, on oublie la grisaille. La balade passera entre deux ou trois gouttes, tombées là juste pour donner à la nature un petit air pimpant et faire chuter des frondaisons quelques reflets qui rebondissent sur la capuche du ciré. On ne peut pas à la fois réclamer la pluie à grands cris et faire demi-tour au premier petit crachin. La source du Touron elle-même, que l'on va chercher au bout du chemin éponyme, y a mis toute sa bonne volonté. Après ces mois de sécheresse dont on nous rebat les menaces apocalyptiques, elle s'écoule, rassurante, innée, nourricière déjà. Cresson, Ache des marais, le randonneur gourmand qui doit assurer les provisions trouvera là suffisamment de verdure pour remplir sa poche (trait de langage de notre sud-ouest pour dire "sac en plastique de supermarché à usages multiples", mais les poches en papier recyclé sont très très bien aussi).
Gourmands et sauvages, on n'en est pas moins organisés. Pressés de partir fureter le nez au raz du sol, les randonneurs avaient écouté cependant préalablement les instructions des expertes, Helena "au calendula", l'herboriste en herbe, et dans le rôle de Prof', Karen qui avertira le cueilleur qui se risquerait à goûter toute crue la marchandise encore sur sa tige, et donnera les consignes de prudence pour affronter cette nature, belle mais parfois cruelle.
Sur ce petit chemin du Touron, qui ne sent pas la noisette mais bien l’Acacia (oups, le Robinier !), le Frêne à fleurs, Arbre à manne, ou le Sureau noir, le randonneur gourmand ira alors faire son marché. La marchande, Aline, court d'étal en étal pour faire l'article. Ici, l’Alliaire officinale, là le Lierre terrestre, plus loin encore le Plantain lancéolé.
Moi, quand j'étais gamin et galopais les chemins sans me douter le moins du monde de tout ce qu'il y avait-là de mangeable, l'épi de plantain me faisait un tire-boulettes à un seul coup. Mais aujourd'hui, le menu prévoit plutôt d'utiliser cette jeune inflorescence et les feuilles hachées finement pour préparer une brouillade, une omelette, qui aura un délicieux goût de champignon. A chaque âge ses plaisirs.
Les trésors de la nature sont innombrables. Il a fallu faire un choix mais les essentiels de la cuisine berracaise sont là, collectés en suffisance et pas plus car on préserve ce patrimoine que l'on partage en outre avec le petit peuple faunistique du chemin : Ortie, Mauve, parmi la nombreuse compagnie des Gaillets, les variétés "gratteron", "caille-lait" et "croisette", quelques pâquerettes pour l'esthétique qui, en ajoutant au goût le plaisir de la vue, exhaussent la perception de la saveur du canapé sur lequel elles s'allongent.
Le chemin parcouru par l'équipage gourmand était bordé ce jour-là de Respounchou, le Tamier en français, liane se jetant gaiement à l'assaut des frênes, chênes, merisiers et toutes sortes de tuteurs disponibles bien malgré eux. Il y avait alors de ce succédanée d'asperge en quantité mais un quartier de lune trop tard pour apparaître au menu car la fleur commençait à s'épanouir, et d'un met de choix couru dans certaines régions autant que la girolle, le respounchou devient trop dur, amer et bientôt même, toxique. Oui, ici aussi il faut y mettre de la bonne volonté : la nature est maître du temps, et c'est au randonneur-cueilleur de s'adapter à ce qui est disponible lorsqu'il se lance sur le chemin. L'équipe de l'association Berrac Village Gersois avait bien sûr reconnu les lieux la veille, avant d'établir son menu, en fonction de ce que le chemin aurait à offrir ce jour précisément. Demain, le randonneur-cueilleur, livré à lui-même, partira donc à l'aventure et ne saura ce qu'il mangera qu'une fois sa collecte achevée. Plaisir supplémentaire de l'improvisation.
Revenus à la civilisation, à l'abri du clocher-mur de Saint-Marcel, le randonneur-cueilleur se mue en cuisinier. Quatre brigades sont constituées notamment autour de professionnels, Lionel Couasnon du restaurant végan condomois, L'1 pour tous, Camille Bonnet, restauratrice en cours d'installation et Francis Le Cossec qui a exercé dans différents établissements en France et au Royaume-Uni avant de se reconvertir dans la restauration... de bâtiments anciens. Toute l'équipe de bénévoles berracais était là pour mettre la main à la pâte. Pâte végétale allongée il faut l'avouer, de quelques œufs et produits laitiers...
Puis, il est l'heure de passer à table car c'est quand même bien l'objectif. Monsieur le Maire prononce un discours où transparaissent les problématiques locales de coexistence entre la nature et la technologie...
Je passe sur le cocktail de sureau déjà servi sur ce cyber-carnet. Mention très honorable au vin de Séraphin Corne du Rosier d'Angélique, domaine berracais dont les rangs de vigne ne sont pas abandonnés eux, à la nature sauvage, mais après dégustation on lui pardonne. La présidente de l'association, Chantal Laban remercia tous les bénévoles, du latin benevolus, bonne volonté. Bene, bien et velle vouloir. CQFD. Et "la marchande" aussi remerciée bien sûr. Pour ponctuer le service des plats que les randonneurs-cueilleurs-cuisiniers se faisaient passer dans la bonne humeur, Gisèle Daubas évoqua, un peu comme un trou gascon pédagogique, rien moins que les origines de la vie ! Eh oui ! Sauvage et gourmande, voilà une assemblée qui s'est nourrie toutefois, et simultanément, de réflexion ! Pour finir et avant que chacun ne retourne sur son chemin quotidien, Nathalie Abily expliqua l'intérêt de la lacto-fermentation, conservation et valeur nutritive conjuguées. Encore une journée sauvage bien cuisinée à Berrac.
Alinéas
Photos :
- Plantain lancéolé : Bogdan Giuşcă - wikipedia
- Autres photos : Josiane Apriletti et Michel Salanié