Libellules et demoiselles, odonates du ruisseau de Foissin à Lectoure

Publié le 4 Juillet 2023

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Ce pourrait être le titre d'un roman rose.

- Oui, mais ces héroïnes sont plutôt voraces.

Alors un roman noir ?

- Oui aussi, mais elles sont charmantes, gracieuses et en général, considérées comme sympathiques.

Quel dilemme ! D’ailleurs, si vous avez mon âge, je vous entends d'ici fredonner la virevoltante rengaine d'Angelo Branduardi, dont je vous offre l'enregistrement INA en bas de page. Sympa, non ?

C'est la demoiselle Marchant sur le ruisseau Qui t'a rendu bien malade Elle t'a pris ton ombre Ton rire, ta joie Et ne reviendra pas
 
Dans le grand silence Des souvenirs perdus Tu trembles et tu t'agites Tu veux ton enfance Ton ombre, ta voix Elles ne reviendront pas
 
naîade libellule odonate demoiselle larve

Attention, il y a naïade et naïade !

 

La larve de libellule ou de demoiselle s'appelle... une naïade. Il y a de quoi se mélanger les antennes. Alors, fragile insecte ou dangereuse beauté ?

Comme d'habitude, je n'y connais rien, mais je me renseigne. Un dictionnaire entomologique en ligne - l'entomologie étant l'étude des insectes - me fait remarquer, que ni "libellule", ni "demoiselle" ne suffisent à qualifier l'animal. Ce ne sont que deux sous-ordres dont le nom de famille officiel est "Odonate". Pas très poétique, j'en conviens mais l’entomologiste n'est pas là pour nous faire des mignardises. Quelle différence entre les deux cousines ? Entre autres différences morphologiques, la libellule est reconnaissable au fait qu'elle garde ses ailes déployées au repos. Au contraire, la demoiselle, plus petite en général, replie ses ailes lorsqu'elle se pose, comme celle que nous avons choisie en titre de cet alinéa, héliportée sur une feuille d'aulne glutineux du ruisseau de Foissin.
 
En fait, à y regarder de plus près, mais en matière entomologique ce n'est pas toujours rassurant, nous avons affaire à des monstres.
 
ruisseau de foissin, lectoure, gascogne, saint jourdain

Leurs yeux comportent de 15 000 à 30 000 facettes, ce qui leur assure, avec en outre un cou articulé, une vision à 360°. Mouvement, couleur, forme, distance sont perçues et mesurées avec une précision extrême. La libellule, toutes espèces confondues - au diable l'odonate de l'entomologiste... - vole à une vitesse nettement supérieure par rapport aux autres insectes : 36 km/h pour 22 km/h seulement pour le frelon. Leurs ailes antérieures et postérieures sont indépendantes, ce qui leur permet de faire du surplace et même de passer la marche arrière ! Enfin, je résume, la libellule dispose d'un appareil buccal redoutablement formé et puissant. Je vous passe la photo du sourire. C'est d'ailleurs le sens du nom scientifique odonate : odon, en latin, voulant dire "dent" et ate, "doté de". C'est un animal carnassier, tant la larve dans l'eau que son "imago", l'insecte adulte, qui chasse à proximité du cours d'eau quand vous pensez qu'elle se promène pacifiquement, charmante ballerine de nos vallons. Non, la vie du ruisseau n'est pas un long fleuve tranquille.

Nous nous sommes, il y a quelque temps, reportés dans une forêt de prêle au Dévonien, eh bien à quelques dizaines de siècles près, au Paléozoïque cette fois, entre 320 et 350 millions d'années, nous aurions pu croiser Méganisoptera, une libellule de 70 cm d'envergure. Une gracieuse demoiselle... carnassière je le rappelle.

Ce n'est pas dans les habitudes de ce carnet d'alinéas d'insister sur les pratiques sexuelles des uns et des autres mais, à la Mouline de Belin, nous venons d'observer ce curieux accouplement de deux demoiselles, enfin deux libellules, bref, un mâle et une femelle : celui-ci agrippe celle-ci par le cou avec sa pince anale - encore une disposition physique originale de l'espèce - puis transfère ses spermatozoïdes sur le deuxième segment de l'abdomen de la demoiselle consentante, je veux dire de la femelle, où se situe son pore génital. Elle procèdera elle-même ultérieurement à leur introduction... on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Oui, un peu acrobatique mais ça doit marcher, depuis le temps. L'entomologiste, généraliste de tous les insectes c'est peu dire, est un peu perdu à ce stade. La scène a donc été décryptée par les odonatologues, spécialistes de la libellule et de la demoiselle. Qui précisent que cet acte sexuel étonnant peut être exécuté plus ou moins furtivement, on n'a pas que ça à faire, et même se dérouler en vol ! La biodiversité et la survie de l'espèce exigent des acrobaties. En raison de la forme de l'assemblage ainsi réalisé, le même odonatologue nomme cette scène "le cœur copulatoire", tentative néologique méritoire de mettre un peu de poésie dans cette affaire de mœurs.

écosystème équilbré

 

Plus intéressant peut-être, à notre niveau d'habitants partageant les mêmes lieux, le genre Odonate est considéré comme un marqueur de la biodiversité et, par conséquent, la raréfaction éventuelle de la libellule comme le signe d'une dégradation de l'environnement : remembrement agricole, emploi de pesticides, eutrophisation, c'est à dire saturation des eaux par le phosphore et l'azote. Paradoxalement, les odonates devraient pourtant profiter du réchauffement climatique qui est favorable à leur cycle de vie, trop longues périodes de sécheresse mises à part. Les organismes scientifiques d'observation des milieux naturels militent pour la mise en œuvre de meilleures pratiques, agricoles comme périurbaines et contre la modification artificielle du cours d'eau, afin de préserver l'écosystème, non pas pour protéger l'insecte pris isolément, en tant que tel, mais bien parce qu'il est le témoin d'un environnement équilibré. Nous avons pu d'ailleurs, au pied de Lectoure, observer fugitivement cette magnifique et rare demoiselle, une Agrion de Mercure, dont on considère qu'elle nécessite pour sa reproduction, un site de qualité exceptionnelle. A préserver.

marqueur biodiversité - milieu aquatique, milieu fragile, bassin d'orage

 

Alors, avant que les jours ne raccourcissent et que leurs naïades ne plongent dans quelques sombres refuges aquatiques jusqu'à l'année prochaine, nous vous invitons, dans un vallon de Foissin si proche de l'animation de notre ville et en même temps miraculeusement préservé, à profiter de la saison de la libellule et à faire des poses d'observation sur votre chemin, à la jolie cascade de la Mouline de Roques, le long du ruisseau à Lafont-Chaude et sur le pont de la Mouline de Belin. Odonates, libellules et demoiselles, vous charmeront par leur chorégraphie qui n'est pas insouciante, nous le savons à présent, mais qui reste gracieuse à nos yeux et fascinante comme une estampe japonaise.

 

                                                                                                                   Alinéas

 

PS. Le 28.07. Notre invitation à profiter du spectacle a été entendue. Jacques est passé par là et nous a adressé cette jolie photo mise au point sur les ailes de la demoiselle, magnifique condensé de technologie.

Voilà un peu de science empruntée au site http://www.bioxegy.com

"Les ailes des libellules sont des structures très sophistiquées, notamment via la forme et la taille variables de leurs cellules, de leurs veines, et de leurs plissements et jonctions. Autant de paramètres qui modifient ses propriétés de flexibilité et permettent leurs capacités de vol extraordinaire ! Les 2 paires d’ailes indépendantes des libellules leur permettent d’effectuer des manœuvres acrobatiques, de faire du vol statique, à reculons ou même sur le dos ! Elles sont les championnes de la vitesse de vol horizontal chez les insectes avec des pointes à 56 km/h (les abeilles atteignent difficilement les 25 km/h), mais aussi de vol ascensionnel, jusqu’à 1,5 m/s !

Ces performances sont permises par l’anatomie de leurs ailes, très subtile et optimisée à tous niveaux. Les veines permettent de maintenir la géométrie de l’aile et créent des plissements - appelés corrugations - qui améliorent l’écoulement de l’air et augmentent sa portance : un mécanisme semblable aux renforts d’une planche à voile mais avec un niveau de détail sensiblement supérieur.

Les veines de l’aile de la libellule sont reliées par deux types de jonctions :

  • Les jonctions fixes : des veines fermement connectées qui empêchent les déformations.
  • Les jonctions mobiles : une veine sert d’axe de rotation/flexion pour une veine transversale ; ces jonctions contiennent en plus des protéines élastiques qui absorbent l’énergie des déformations et permettent un vol de précision !

La circulation sanguine dans ces veines permet également de “regonfler” la structure et redonner sa forme à l’aile après une déformation !

Ces veines sont des sources d’inspiration importantes et ont permis à des chercheurs du département d’architecture de la prestigieuse université de Berkeley de concevoir des façades offrant moins de prise au vent.

Les ailes sont constituées de membranes transparentes, qui font moins de 3 µm d’épaisseur (25 fois plus fin qu’une feuille A4) contre 0.5 mm pour les veines ! Ces membranes très fines ne se contentent pas de créer de la portance et permettre le vol, elles sont elles-mêmes recouvertes de nano-piliers de quelques centaines de nanomètres de haut seulement ! Ces nano-piliers confèrent à l’aile des propriétés d’hydrophobie et donc d’auto-nettoyage - les micro gouttes d’eau n’adhérant pas à la surface irrégulière - mais aussi des propriétés antibactériennes car ces piliers peuvent déformer et percer les membres des cellules des bactéries. Ces nano-piliers sont observables sur des espèces très différentes de libellules. Ils jouent donc probablement un rôle important dans leur survie. En effet l’accumulation de contaminants sur les ailes pourrait réduire leurs capacités de vol et ainsi leur capacité à capturer leurs proies. Eviter la contamination bactérienne grâce à la structure de surface est un mécanisme très répandu dans le vivant qui représente un potentiel très important d'innovations par biomimétisme. Dans le domaine de la santé, ces nano-piliers ont été reproduit par des chercheurs de l’université australienne de Swinburne sur des implants médicaux en titane, ce qui permet de réduire les risques d’infection."

 

La Demoiselle, Angelo Branduardi, 1977.

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i07197728/angelo-branduardi-la-demoiselle

 

Documentation :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Odonata

 

Illustrations :

- Photos titre et cœur copulatoire : © Michel Salanié

- Naîade, ou Hylas et la nymphe, John William Waterhouse, 1893. Wikipédia.

- Vue rapprochée des yeux d'une demoiselle (zygoptera), © Opoterser - wikipédia.

- Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale), © Gilles San Martin - wikipédia.

- Libellule, reproduction d'une estampe de Kōno Bairei (1844-1895), maître de la peinture kacho-e (représentations d'oiseaux et de fleurs) pendant l’ère Meiji.

 

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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K
Je ne chercherai pas à imiter le "cœur copulatoire"... plus de mon âge ! mais tu me donnes l'idée d'aller me balader le long d'un ruisseau de la Crau réputé pour ses demoiselles et libellules, que je saurai différencier grâce à toi. Merci et bises à vous deux.
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