La permaculture, qu'es aquò ?

Publié le 4 Décembre 2020

permaculture Vertumne et pomone l'orme et la vigne

Je ne vous ferai pas une leçon de permaculture. Nous n'en sommes qu'au b.a.-ba de la méthode et d'autres vous en parleront mieux que moi : voir notre choix de documentation ci-dessous.

Après dix ans de jardinage classique, beaucoup d'effort, quelques belles récoltes mais trop d'échecs ou de déceptions, au potager, je cède la place à ma maîtresse d'hôtes, qui troque son tablier de ménagère pour les bottes et a décidé, au passage, de changer de technique. Serait-ce un désaveu ? Je lui transmets toutefois un jardin mis en place, la connaissance d'une terre riche mais lourde, l'expérience du climat gascon c'est à dire imprévisible, et en cours de réchauffement mais ça c'est général. Et comme je suis bon garçon, je veux bien continuer à pousser la brouette.

Je vois d'ici les sourires de mes amis et voisins : ça y est, Alinéas s'est fait bobo-iser !

Non, je ne vous donnerai pas de leçon. Je vais plutôt vous raconter la légende de Vertumne et Pomone. Dont le portrait coiffe cet alinéa. Chez les Etrusques, à Pompéï, puis à Rome, Vertumne est le dieu des saisons. Il veille à la fécondité de la terre, à la germination des plantes, à leur floraison et à la maturation des fruits. Il a pris ici, les traits d'une vieille femme pour approcher la nymphe Pomone, créature à la beauté remarquable nous dit-on. Ce qui explique le regard en biais et insistant que le dieu pose, malgré son déguisement, sur le décolleté généreux de la demoiselle. La mythologie n’empêche pas le sentiment. Outre son physique, Pomone est une jardinière hors pair mais elle n'aime pas la nature sauvage. Son jardin est clos de hauts murs et elle chasse sans répit de sa petite serpe, les mauvaises herbes, les intrus et la végétation non autorisés. " Quelque chose comme un jardin à la française quoi ! " Cette préférence pour l'ordre explique également que Pomone refuse les avances de tous ses soupirants venus de la campagne environnante, trop rustiques à son goût, les satyres, les faunes, Silène, Pan et Sylvanus, dieu de la forêt lui-même. Mais Vertumne lui, ne renonce pas. Il se déguisera en laboureur au printemps, en moissonneur en été, en vendangeur à l'automne, puis, tirant la leçon de ces refus, en vieille femme en hiver. Une assiduité des quatre saisons... Et Pomone finira par prendre la vieille en affection. Eh oui ! une grand-mère c'est plein de prévenances, et puis il y a les recettes de confiture, les confidences, les remèdes... Après cette approche astucieuse, Vertumne, avouant sa ruse, en profitera pour faire l'article à son propre bénéfice et proposera de prendre les traits d'un bel homme. Bien sûr Pomone tentera l'expérience et succombera enfin. Il paraît que Vertumne et Pomone vivent ensemble éternellement ce qui est assez rare chez les dieux. Ils vivent heureux dans un jardin généreux et authentique, ouvert sur la campagne environnante, féconde et bienfaisante.

Le rapport avec la permaculture me direz-vous ? Outre l'histoire d'amour, éternel recommencement, comme la nature, la morale de l'histoire apparaît dans le conseil que le dieu des saisons dispense à la jardinière : "Regarde cet orme Pomone, vois la vigne plantée à son pied qui grimpe à l'arbre et donne ces grappes magnifiques*. L'arbre sans la vigne ne porte que des feuilles. La vigne sans l'arbre serait couchée et improductive. Dans la nature les plantes s'entraident". La devise énoncée par le philosophe Erasme à propos du compagnonnage, "non solus, pas seul pour progresser, pas seul pour fructifier",  s'appliquant aussi aux végétaux. 

permaculture l'orme et la vigne

 

L'histoire est donc vieille comme le monde. La complémentarité entre nature sauvage et plantes domestiquées pourrait parfaitement illustrer l'agroforesterie qui est la cousine de la permaculture. Celle-ci va au-delà des techniques de culture arboricole ou viticole mais le raisonnement est bien le même : favoriser les phénomènes naturels qui concourent à la production vivrière, en autonomie et sans appauvrir la terre nourricière, en la protégeant, mieux en l'enrichissant durablement.

Les principes de la permaculture ont été pratiqués et énoncés par le japonais Masanobu Fukuoka puis théorisés par différents auteurs et praticiens pendant les années 1970, dans la mouvance de l'écologie, de l'agriculture biologique et des modes de vie alternatifs, pour essaimer ensuite partout, dans les pays développés puis dans toutes les régions du monde. Permanent agriculture in english devenu le mot-valise permaculture, en anglais et en français itou. Autrement dit : agriculture durable, opposé à une agriculture jetable, à courte vue. Oui bien sûr, il y a là une contestation du système et de l'agriculture productiviste, voire une position politique très catégorique. Je vous rassure, je ne suis pas encarté et je me méfie des ayatollahs, toutes religions confondues. Cependant, vous comme moi je pense, nous sommes progressivement convaincus que l'agriculture intensive posait de sérieux problèmes. Vaste sujet. Pour rester à notre modeste niveau de jardiniers amateurs, nous n'avons jamais utilisé les pesticides, proximité du Rucher de Lectoure oblige. Nous avons installé des haies vives tout au long du chemin de Saint-Jacques, replanté des arbres au bord du ruisseau qui était tondu à raz les violettes tous les ans, demandé et obtenu une culture de luzerne biologique à l'exploitant des parcelles mitoyennes. Nous avons testé l'extrait de sureau pour lutter contre les campagnols, sans grand succès cependant mais peut être faut-il chercher le bon dosage, le bon moment, bref de l'obstination, la qualité première du jardinier. Nous conservons nos déchets afin de produire du compost...

- Eh pardí Mossu, tout ça, nos grands-mères le faisaient déjà !!!

Oui, c'est vrai, nos grands-mères, les jardins de curé, les enclos médiévaux, les simples... Mais dans l'intervalle, nous avons eu tendance à oublier ces bons principes d'autonomie et de pratiques naturelles. Acheter des graviers en sachet, des piquets et des films en plastique fluo, toutes sortes d'accessoires et de produits du marketing, sprays, claustras, station météo connectée... les jardineries en amont, les déchetteries en aval, notre jardin est devenu petit à petit un pion sur l'échiquier du commerce, une cible pour la publicité, et à son tour un consommateur très courtisé ! C'est le monde à l'envers. Alors Vertumne, que faire ? 

 

permaculture  paillage manasobu fukuoka

Le principe de permaculture qui m'est apparu le plus intéressant est la couverture de la terre, le paillage. Et je m'aperçois en vous écrivant, que je rejoins en cela la maître Fukuoka : " ...répandre de la paille... est le fondement de ma méthode pour faire pousser le riz et les céréales d'hiver. C'est en relation avec tout, avec la fertilité, la germination, les mauvaises herbes, la protection contre les moineaux , l'irrigation. Concrètement et théoriquement, l'utilisation de la paille en agriculture est un point crucial". Pas de riz en Lomagne, ma perma-jardinière me fit donc avec nos légumes bien de chez nous, la démonstration de l'intérêt du paillage dès la première année en obtenant d'assez bons résultats, modestes mais encourageants, là où avant elle, j’échouais, au cœur de l'été en particulier : oignons, salades, courges, blettes, betteraves... Avec un arrosage beaucoup plus espacé que le mien.

permaculture blette betterave roquette
Blette, betterave et roquette pour nos premiers essais de paillage.

 

Il faut dire que notre terre est difficile. Argilo-calcaire, elle est lourde et capricieuse. Amoureuse en hiver, un kilo de boue collé à l'outil et autant à chaque botte, on dirait un sketch télé d'Intervilles. Et en été, l'amoureuse est plutôt revêche. Insensible à nos avances, c'est du béton. Si par malheur l'averse orageuse est violente, vous imaginez la suite de l'épisode, en contre-bas dans la vallée... Le paillage m'a donc convaincu. La terre est souple sous le couvert. Il retient les arrosages pendant plusieurs jours. En se décomposant progressivement, il modifie la texture du sol. Je sais, la paille ne pousse pas toute seule mais on peut aussi composer son propre paillage avec les déchets végétaux. Le permaculteur garde tout. Cela demande une organisation et de la patience. Armons-nous.

Ce que je n'ai pas aimé dans les ouvrages de vulgarisation qui foisonnent et que nous avons consultés, c'est l'image d'un jardinage qui serait facile, "paresseux" s'enorgueillit l'un d'eux, parce que sans labour et désherbage. Il faut tout de suite couper court à cette légende. La permaculture demande un investissement de tous les jours. Une fois notre terre enrichie, assouplie, protégée, les plantations et semis pourront trouver leur place, en entrebâillant le couvert. Dès lors la comparaison de la technique du paillage avec l'écosystème forestier apparaît très juste : drainé et protégé du froid l'hiver, humide et frais l'été. Vertumne avait raison.

 

permaculture BRF fumier cendre
BRF (bois raméal fragmenté), fumier et cendre.

Une fois la terre enrichie et protégée, le reste de la méthode peut se résumer à un accompagnement attentif et à des interventions en douceur : apports de compléments, traitements au moyen d'extraits de prêle et d'ortie, aération du sol à la grelinette, cet outil si simple et magique à la fois qui évite de retourner la terre, ce qui, faisant passer en surface et détruisant de ce fait les micro-organismes vivant normalement en profondeur, appauvrit et alourdit progressivement le substrat. En outre la grelinette est un outil ergonomique, qui ne demande pas d'effort à nos lombaires et réduit considérablement le champ d'intervention de la bêche et du motoculteur, s'il ne les fait pas disparaître totalement de la panoplie. La permaculture n'aurait-elle pas une petite connotation féministe ? De ce point de vue, ça m'arrange.

permaculture grelinette motoculteur bèche
La grelinette en action

 

Je ne vous dirai rien sur les aspects plus intellectuels, mais non moins intéressants, de la permaculture : philosophie, choix de vie, éthique... Ce serait prétentieux, peut être ennuyeux et quelque peu impudique. Il nous faudra un longue pratique pour prétendre à cette hauteur de vue. Si les dieux de la nature nous prêtent vie.

                                                                                 Alinéas

 

POST-SCRIPTUM

Nous redisons à nos parents, amis, et voisins que nous n'avons aucun conseil à leur donner. Leurs jardins sont magnifiques. Ils appliquent certains des principes que nous évoquons, permacultivant ainsi depuis longtemps comme le faisait monsieur Jourdain, sans le savoir. Vous nous avez appris beaucoup. Vous nous avez approvisionnés en fruits et légumes lorsque notre table d'hôtes était gourmande. Certains allant même jusqu'à équeuter les haricots verts avant de nous les déposer discrètement ! C'est ça aussi la permaculture : le partage. Nous vous devons l'envie de nous y consacrer à notre tour. Adishatz.

* A PROPOS DE L'ORME ET LA VIGNE :

L'orme, ce bel arbre disparu à la fin du 20ième siècle, a effectivement servi de tuteur à la vigne.

"La chose est fréquente en Gascogne. Au 16ième siècle, [le lectourois] Pey de Garros en fait état dans sa deuxième Eglogue:

Je ne taillerai plus les sarments de la vigne

Mariée à nos ormeaux...

Sous l'ancien régime, dans la région de Simorre (Gers), les vignes étaient dites "en respaliers" ou "en espallières". Ce procédé de culture consistait à planter en sillon des érables, des ormes ou des cerisiers à trois mètres environ dans tous les sens. On les taillait après les avoir étêtés à 2,50 m du sol. Au pied de chacun d'eux, l'on plantait un cep de vigne dont les sarments étaient plus tard attachés aux branches de l'arbre son voisin".

Henri POLGE, L'ormeau au village, 1976.

La technique est toujours utilisée, en Italie en particulier et joliment nommée : Vite maritata, vigne mariée.

 

SOURCES et DOCUMENTATION :

- La permaculture mois par mois, Catherine DELVAUX, ed. Ulmer.

https://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/la-permaculture-mois-par-mois-739-cl.htm

la permaculture mois par mois catherine Delvaux

- Wikipédia  https://fr.wikipedia.org/wiki/Permaculture

 

ILLUSTRATIONS :

- Vertumne et Pomone, Paulus Moreelse 1625-1630, Musée Boijmans Van Beuningen Rotterdam.

- Non solus, cartouche d'un imprimeur hollandais du 18ième siècle éditeur d'Erasme, Spuistraat à Amsterdam, © Alf van Beem, Wikipedia Commons

- Photos © Michel Salanié

- Vigne dressée, © Domaine viticole Drengot.

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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K
comme j'aimerais avoir un jardin et profiter de vos conseils, car je suis une adepte de la permaculture depuis de très nombreuses années... que j'essaie de mettre en pratique dans mes petits pots de fleurs ! autrefois, j'avais des fraises au milieu des fleurs sur le balcon...
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A
Nous avons encore beaucoup à apprendre avant de donner des conseils. De plus, étant donné les poids des ans, nous rêvons parfois d'un balcon sur la rue, avec quelques pots de persil, de fraises et de géraniums.
J
Dans un écrit de Léo sur la spéléologie en Gascogne, il disait ceci : "ce n’est pas au coeur de la Gascogne que l’on trouvera l’entrée des Enfers où règnent les Furies ! Ici c’est la terre de Cybele et de Pomone ... " J'en sais désormais un peu plus sur la belle, qui, apparement en avait séduit bien d'autres, et elle continue encore ... !!
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A
Léo Barbé était fin connaisseur et interprète de notre Panthéon.
J
Toujours aussi alléchant ! autant l'article que le jardin !!!
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R
Bravo frérot pour l'article mais j'espère que tu feras plus que pousser la brouette tout de même !<br /> Tous mes encouragements à la jardinière de service mais même à la grelinette, les années passent vite et le jardin est toujours aussi exigeant !
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