Le sureau noir -sambucus nigra- si précieux et pourtant banni de nos jardins
Publié le 18 Novembre 2017
Le vieil arbre
tordu au milieu
Il n'a pas trouvé mieux
Que son lopin de terre
Que son vieil arbre tordu au milieu
Trouvé mieux que la douce lumière du soir
Près du feu qui réchauffait son père
Et la troupe entière de ses aïeux
Le soleil sur les murs de poussière
Il n'a pas trouvé mieux
(air connu)
Si après tout ce temps, Francis Cabrel n’a pas encore choisi la variété d’arbre de son succès Les murs de poussière, la petite Aline, qui courait avec lui dans les ruelles d'Astaffort en sortant de la classe, lui propose le sureau noir, sambucus nigra.
Les plus avertis m’auront corrigé : le sureau n’est pas un arbre mais un arbuste. Exact, mais comme le chêne de Gascogne est réputé pour sa grande et droite futaye, il fallait trouver une autre variété indigène pour tenir le rôle du petit vieux tordu. Moins noble ? C’est à voir.
Revenant, nous aussi, en Gascogne au pays de nos aïeux, nous avons (re)découvert le sureau noir, commun mais bien mal aimé ; l'un disant « son bois ne vaut rien » et un autre ajoutant « ses fruits laissent des taches sur la terrasse». Il est vrai, en outre, que sa feuille froissée dégage une odeur désagréable, mais que diable va-t-on la froisser !
Alors on le maltraite, on le rabat n’importe comment, on le dessouche. Remplacé par les mimosas, les althéas et autres clones sortis pimpants d’hyper- jardineries, il est aujourd’hui très rarement mis en valeur autour de nos maisons. Heureusement réfugié dans le maquis des haies champêtres (quand celles-ci ne font pas à leur tour l’objet d’une persécution agricole), il se fait discret. Jusqu’à ce que le printemps fleurisse. C’est ainsi qu’il est entré dans notre maison par une belle journée du mois de mai lorsque notre mamie-des-jardins a déposé un instant son panier fraîchement rempli de corymbes, ces inflorescences en forme de pomme d’arrosoir rassemblant une myriade de petites fleurs blanches parfumées. Une odeur exquise a alors envahi la maison d’hôte. Un vrai bonheur. Pour peu que la floraison soit simultanée à celle du tilleul, c’est une symphonie de parfums.
Et tout au long du chemin de Saint-Jacques, de prés en bosquets, d’enclos en sous-bois, il enveloppe de sa fragrance les marcheurs qui le découvrent avec étonnement tellement il est devenu rare dans le cadre standardisé des jardins de banlieue.
Les pays méditerranéens, anglo-saxons – amérindiens compris – et scandinaves par contre, lui vouent une vénération toute particulière, pour ses vertus médicinales nous y viendrons, mais également parce qu’il occupe une place importante dans leurs univers de légendes et de traditions. En anglais il est l’elder tree, c'est-à-dire le vieil arbre, l’arbre de la sagesse. Il est supposé protéger la maison ici, servir de refuge aux fées là, être un peu plus loin au contraire l’instrument des sorcières. Pour les celtes, nos ancêtres les gaulois, le sureau est l’arbre associé à la mort. Les italo-gascons de Lectoure s’amuseront à traduire cette comptine, magnifiquement illustrée, qui nous menace d’il diavolo in casa.
Harry Potter en a fait sa baguette magique. En Catalogne, s'endormir sous un sureau noir vous exposait à des rêves érotiques. Le diable, je vous dis…
Arbre aux fées, herbe à blaireau, vanille du pauvre, on l’appelle parfois Arbre de Judas. L’apôtre maudit se serait pendu de honte à ses branches mais on voit mal l’arbuste, au bois cassant, résister à cet exercice, douloureux pour la suspension autant que pour le suspendu. Gare à la chute.
Nous n’en finirions pas de ce florilège de sortilèges. Mais rien en Gascogne ? C'est vrai, je regrette de ne pas disposer d’un seul récit du folklore régional, offrant la place qui lui revient à ce vénérable végétal. Notre célèbre Lectourois Jean-François Bladé, rassembleur de contes populaires, n’évoque que le faux sureau, le yèble (sambucus ebulus), toxique… atenciou pitchoun, aco es un pousoun !
Alors à défaut, voici l’extrait inoffensif d’un conte d’Andersen qui fait le lien entre le fantastique et la médication : La fée du sureau.
Il y avait une fois un petit garçon enrhumé...
Sa mère le déshabilla, le mit au lit et apporta la bouilloire pour lui faire une bonne tasse de tisane de sureau cela réchauffe!...
Le petit garçon tourna les yeux vers la théière. Le couvercle se soulevait de plus en plus et des fleurs en jaillissaient, si fraîches et si blanches; de longues feuilles vertes sortaient même par le bec, cela devenait un ravissant buisson de sureau, tout un arbre bientôt qui envahissait le lit, en repoussant les rideaux. Que de fleurs, quel parfum ! et au milieu de l'arbre une charmante vieille dame était assise. Elle portait une drôle de robe toute verte parsemée de grandes fleurs blanches; on ne voyait pas tout de suite si cette robe était faite d'une étoffe ou de verdure et de fleurs vivantes...
C'est ainsi, dit la fée dans l'arbre, les uns m'appellent fée, les autres dryade, mais mon vrai nom est "Souvenir". Je suis assise dans l'arbre qui pousse et qui repousse et je me souviens et je raconte!...
La suite ici http://feeclochette.chez.com/Andersen/sureau.htm
Car, si vous ne croyez pas, à tort d’ailleurs, aux fées, aux sorcières et autres trolls, les vertus médicinales du sureau, elles, sont reconnues depuis la plus haute antiquité et là encore sur tous les continents. Voilà une fleur séchée divine pour lutter contre le rhume, la grippe, la sinusite, la bronchite. Et bien plus. Une deuxième énumération pourrait être fastidieuse s’il ne s’agissait pas de notre précieuse santé : je soigne l’artériosclérose, la cystite, le foie, l’hypertension. Je suis riche en acides organiques, provitamine A, vitamines B et C, tanins et cætera, et cætera. Bref, la panacée diront les sceptiques. Mais rien ne coûte d’essayer. Et pour l’utiliser tous les hivers à la Mouline de Belin, nous pouvons témoigner que, sauf attaque brutale et par traîtrise, son efficacité contre le rhume, si elle n'est pas absolue, est bien réelle. Vous n’en avez pas à portée de sécateur ? Vous trouverez le sureau dans le commerce sous différentes préparations, sirop, bonbons, concentré de baies, pharmacopée homéopathique et en tisane tout simplement.
Sur le plan culinaire, il est devenu l’un des sauvages-comestibles préférés de notre table : avec la fleur nous concoctons cocktail maison (macération de fleurs dans le vin de colombelle, l’un des cépages de l’armagnac), sirop*, limonade, et de merveilleux beignets. Le goût de ces produits à base de fleurs est très souvent comparé par nos hôtes à celui du litchi. Etonnant. Avec les fruits, tarte et confiture.
Les jeunes bourgeons peuvent être conservés dans le vinaigre comme les cornichons. Je viens de découvrir que les jeunes feuilles pouvaient agrémenter une salade et j’imagine que ma cuisinière testera la proposition… sur moi-même.
Pour compléter le registre des qualités de notre grand-petit-arbre, le sureau est utilisé en purin au jardin pour lutter contre le puceron et l’altise. Il est antifongique. Prétendu répulsif, pour lutter contre le campagnol, j’émets toutefois une sérieuse réserve sur ce point, la bestiole étant installée en famille très, très, très nombreuse, sur un territoire étendu et dans des galeries creusées jusqu’à un mètre de profondeur ! On aura plus vite fait d'apprendre à vivre avec….
A la floraison puis à la fructification, le sureau est évidemment apprécié d’un grand nombre d’oiseaux, de papillons, de l’abeille. Et, son fruit mûr, du blaireau. Oui, d'accord, moins sympathique mais il fait partie du tableau.
Autrefois, les teinturiers utilisaient cette baie noire pour donner un beau bleu d’avant le bleu de Lectoure. Voir notre alinéa sur les fruits sauvages ici : http://www.carnetdalineas.com/2017/09/petite-galerie-commentee-des-fruits-sauvages-indigenes-et-naturalises-de-la-vallee-de-foissin-a-lectoure.html
Les jeunes branches du sureau peuvent être facilement évidées de leur moelle, tendre et blanche, permettant d’obtenir des conduits, des tuyaux dont l’usage n’est limité que par l’imagination humaine : canne-épée du pèlerin de Saint-Jacques pour le cas de mauvaise rencontre, loup, détrousseur et plus souvent chien de ferme, bouffadou pour attiser le feu de la cheminée, appeau à palombes, pistolet à patate ; j’en vois qui se marrent au fond de la classe !
Et la flute, enfin. La boucle est bouclée, tout commence et tout fini par des chansons. Le nom latin du sureau, repris pour la désignation botanique scientifique, sambucus nigra, se retrouve tout autour de la méditerranée, en italien, espagnol, provençal, catalan, gascon…. Il est le plus souvent admis qu’il faut remonter au grec sambuk qui désigne la flute champêtre du berger. Celui-ci, peint par Le Pérugin, n’est pas le premier pâtre venu. Il s’appelle Marsyas et serait, dans la mythologie grecque, rien moins que l’inventeur de la musique et le compositeur préféré de la déesse Cybèle, bien connue à Lectoure.
ALINEAS
* « Many thanks ! » à Kate de Floressas dans le Lot pour la recette du sirop de sureau qui est devenu l'un des atouts "accueil" de notre maison d'hôte.
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Ça n'a rien à voir avec le sureau mais on peut écouter Les murs de poussière de Francis Cabrel ici:https://www.youtube.com/watch?v=rY8mfpdu304
DOCUMENTATION:
Les éditions de Terran, tout près de chez nous à Escalquens (31) ont publié deux ouvrages très bien documentés:
- L'un sur le sureau lui-même:http://www.terran.fr/le-compagnon-vegetal/11-sous-la-protection-du-sureau-vol2-9782913288621.html
- L'autre sur les purins de végétaux pour le jardin: ortie, sureau et autres:http://www.terran.fr/jardinage-respect-du-sol/64-purin-d-ortie-et-compagnie-4e-dition-mise-jour-9782359810226.html
Les sites consacrés au sureau sont innombrables. Celui-ci est assez complet: https://www.salamandre.net/dossier/les-pouvoirs-du-sureau/
Les qualités médicinales du sureau noir:http://www.doctissimo.fr/html/sante/phytotherapie/plante-medicinale/sureau.htm
Pour fabriquer une flute:https://blog.doitgarden.ch/fr/flute-en-bois-de-sureau/
Marsyas:https://fr.wikipedia.org/wiki/Marsyas
ILLUSTRATIONS:
- Photos Michel Salanié
- Fate, B. Froud et A. Lee, Rizzoli 1979.
- Illustration de la Fée du sureau:http://hans-christian-andersens.blogspot.fr/2012/05/elder-tree-mother.html
- Apollon et Marsyas, Le Pérugin 1483, Musée du Louvre