Les origines de l'hôpital du Saint-Esprit, Lectoure XIVe - XVIe siècles

Publié le 23 Mars 2021

 

"La fondation de l'ordre du Saint-Esprit fut l'un des plus grands événements de l'histoire du monde au Moyen Âge."

Léon Gautier, historien médiéviste.

 

 

endant trois siècles, l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure a accueilli et soigné les pauvres, les malades, les enfants abandonnés, les estropiés de toutes sortes, les pèlerins, les vieillards... Son histoire est oubliée, enfouie sous les ruines successives, du fait de la destruction de la ville par l'armée de Louis XI, de la haine des protestants pour les institutions catholiques... et enfin dépassée par le progrès, inéluctable, par l'importance, l'innovation même du point de vue économique, du nouvel hôpital-manufacture construit à la fin de l'Ancien Régime.

Différentes publications sur les hôpitaux et l'assistance publique à Lectoure évoquent l'hôpital du Saint-Esprit. Nous les indiquons en annexe. Cependant, les origines mêmes de l'institution médiévale y sont ignorées. Cette chronique veut compléter modestement la mémoire de la noble fonction des hospitaliers de cet ordre charitable.

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Un point sur les lieux pour commencer, car ce n'est pas évident.

L'église du Saint-Esprit actuelle, versant sud de la citadelle, rue du 14-Juillet, au quartier Guilhem-Bertrand, ne porte ce nom que depuis la Révolution, étant auparavant la chapelle des Carmes. Il est vrai également que l'hôpital du Saint-Esprit a été transféré dans les dernières années de son activité (1566), dans la même rue, dans un bâtiment devenu par la suite la gendarmerie. Une piste qu'il faut quitter pour évoquer la fondation de l'hôpital.

De fait, le quartier Saint-Esprit, est situé à l'extrémité nord-ouest de la ville. Notre actuel cimetière du Saint-Esprit donne la bonne direction. Initialement, il jouxtait comme il était de tradition, l'église du même nom, dressée sur ce qui est aujourd'hui la place Boué-de-Lapeyrère. Cette église, ruinée une première fois, reconstruite de l'autre côté de la grande rue, à nouveau détruite et rebâtie, finit par faire office de chapelle du collège des doctrinaires, un établissement construit au 17ième et 18ième siècles sur les ruines de l'hôpital et devenu aujourd'hui hôtel de tourisme. C'est donc précisément à l'endroit de ce bâtiment, probablement sa partie centrale, qu'il faut situer l'hôpital médiéval du Saint-Esprit. L'Histoire n'a pas retenu la date de naissance de cette institution. Cet emplacement, au pied des ouvrages défensifs du château seigneurial, fossés, remparts et barbacane, laisse toutefois penser que le maître des lieux de l'époque, le vicomte de Lomagne probablement, a validé, voire doté et protégé, cette installation charitable. On trouve aujourd'hui dans ce quartier, outre le cimetière, rejeté extra muros du fait des normes d'hygiène modernes et des besoins d'espace, une fontaine et une croix, bien modestes malgré leur résistance aux évènements, toujours dites du Saint-Esprit sur le cadastre napoléonien reproduit ci-dessous. Enfin, subsiste la rue Saint-Esprit qui intrigue le lectourois ou le visiteur qui se demandent ce que fait là ce membre de la sainte Trinité. Voilà pour cerner les lieux, plusieurs fois bousculés par les siècles et l'agitation des hommes.

 

L'Ordre des hospitaliers du Saint-Esprit a été fondé à Montpellier en 1180 par Gui de Montpellier, ce qui explique qu'il porte aussi le nom "du Saint-Esprit de Montpellier". La réussite et le rayonnement de cette institution charitable conduira rapidement à sa reconnaissance par la papauté. En 1204, Innocent III fait construire à Rome l'hôpital Santa Maria de Sassia* et en confie la direction à Gui. Très rapidement, la dimension prise par cet hôpital et l'influence du Vatican impose l'installation du Grand Maître et des différentes structures de direction de l'Ordre à Rome. En quelques années, le développement des hôpitaux du Saint-Esprit est considérable. On en recense plus de 1000 en Europe dont 400 en France ! Les fondations dépendent des donations nobles qui permettront de générer les revenus suffisants et réguliers, nécessaires à l'accueil des malades.

Le duc de Bourgogne instituant l'hôpital du Saint-Esprit de Dijon

 

En France, outre Montpellier qui fut éclipsé assez tôt, deux commanderies prendront de l'importance en créant de nouvelles maisons secondaires, lesquelles pourront à leur tour, créer des dépendances : Auray avec 50 établissements et Besançon 34.

 

UNE FORTE IMPLANTATION EN GASCOGNE

L'hôpital de Lectoure a été créé par la commanderie du Saint-Esprit d'Auray en Bretagne, à une date que nous ne pouvons pas préciser,

 

Une bulle du pape Grégoire XI atteste cependant la présence de l'hôpital de Lectoure dans le giron d'Auray en 1372. Il serait vain peut-être, faute de documentation, de rechercher la raison précise de cette filiation, lointaine et "internationale" à l'époque. Les maisons-mères saisissaient toutes les occasions de s'implanter ici et là, étant donné leur intérêt financier puisque la fille payait annuellement à la mère son écot. Le rayonnement de tel ou tel commandeur peut également expliquer l'essaimage d'une maison magistrale. Lectoure n'est d'ailleurs pas un cas isolé. Pour ne prendre en exemple que le seul département du Gers, on y compte pas moins de 13 autres hôpitaux du Saint-Esprit, Bassoues et L'Isle-Jourdain qui sont des maisons-mères, Auch (dépendant de Bassoues), Barran** (de Millau), Bretagne d'Armagnac (de Bassoues), Estang (de L'Isle-Jourdain), Loci Marorici (?) dans le diocèse d'Auch, Manciet (d'Auray), Marciac (de Clermont-Ferrand), Mérannes (d'Angers), La Sauvetat (de Bordeaux), Taillaco (?) (de Manciet), Biran (de Bassoues). A proximité, en Gascogne, citons dans les Landes Audignon, Bessaut, Gourbera, Saint-Sever, Tartas, en Gironde Baulac, Belin, Bordeaux, Libourne, Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques Bidos, Le Boucau, Dax, Hendaye Le Départ, Lannes, Gavarnie, dans les Hautes-Pyrénées Luz-en-Barège, en Lot-et-Garonne Agen et Nérac.

 

UNE VOCATION UNIVERSELLE

On le voit, ne sont pas concernées les seules villes importantes. Le Saint-Esprit est notamment bien implanté sur le chemin de Saint Jacques. Certains établissements, c'est le cas de l'Isle-Jourdain par exemple, existant antérieurement, ont été cédés au Saint-Esprit par l'Ordre de Saint-Jacques de l’Épée qui se recentrait sur l'Espagne en pleine Reconquista. Mais, et nous touchons là à sa spécificité, contrairement aux autres ordres religieux qui se spécialisent et limitent leur champ d'intervention, le Saint-Esprit  choisira d'accueillir toutes les misères, physiques et intellectuelles, les vieillards et les impotents, les femmes, les enfants abandonnés, très nombreux au Moyen-Âge, les familles tombées en nécessité ("pauvres honteux"), les malades, les prisonniers, les troublés d'esprit, les pestiférés.... L'hôpital entend également prendre en compte la fin de vie. Les mourants seront accompagnés dans leurs derniers instants. Les morts seront enterrés chrétiennement et dignement près de l'église ou de la chapelle, obsédante préoccupation au Moyen-Âge où la croyance en la résurrection est le dernier secours moral des faibles et des opprimés. Cette universalité fait de l'ordre du Saint-Esprit l’ancêtre de notre actuel hôpital général. Elle fera sa grandeur mais aussi sa faiblesse car les besoins sont infinis.

Gui de Montpellier adopte en exergue de la règle de l'ordre, le verset de l'évangile de Saint Matthieu:

« Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire...(il) dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ? Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi ?

(Il) leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. »

 

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Armes d'azur à double croix pattée d'argent.

 

Les religieux du Saint-Esprit, frères ou sœurs, s'engagent selon la règle de Saint Augustin, adaptée à la mission spécifique de l'ordre : « Moi, N., je m'offre et me donne à Dieu, à la Bienheureuse Marie, au Saint-Esprit et à nos seigneurs les malades, pour être leur serviteur tous les jours de ma vie. Je promets, avec le secours de Dieu, de garder la chasteté, de vivre sans bien propre ». Vœux perpétuels auxquels s'ajoute celui d'obéissance à la hiérarchie qui conditionne l'organisation et l'efficacité.

 

UN PATRIMOINE ET DES PRIVILÈGES À LA HAUTEUR DE LA MISSION

Les hôpitaux du Saint-Esprit gèrent les biens dont ils ont été dotés à l'origine par de puissants et généreux mécènes et ceux qu'ils recevront dans le temps, de la petite noblesse, des bourgeois et des propriétaires terriens voisins qui espèrent ainsi gagner leur place au paradis ou plus prosaïquement bénéficier des soins des hospitaliers. Terres cultivées, vignes, forêts, moulins, bâtiments de toute nature constituent ainsi le considérable patrimoine du Saint-Esprit. A son tour, l'Ordre baille ces biens à des exploitants qui verseront annuellement les loyers, en numéraire ou en nature, permettant d'entretenir ses propres locaux hospitaliers, son église et son cimetière, de nourrir et soigner ses patients, de rémunérer les soignants laïcs.

Pendant trois siècles, l'Ordre du Saint-Esprit a également été doté par la papauté de privilèges exceptionnels. Le droit de construire sa chapelle ou son église, d'installer son propre cimetière, attirant ainsi les fidèles et avec eux, donations et aumônes. Le Saint-Esprit est exempté de la dîme. S'il possède des troupeaux, les bêtes peuvent paître librement. Des dates sont arrêtées au plus haut niveau  pour un droit de quête exclusif et au delà des limites de son domaine, offrant un avantage considérable par rapport aux autres ordres et à l'église paroissiale, à une époque où donner pour les pauvres est une obligation morale forte et donc très rémunératrice.

Tout ceci explique pourquoi, à Lectoure, la ville a été partagée en deux communautés, le Saint-Esprit ayant été érigé en paroisse, deux églises, deux cimetières. Sans doute parfois contre la volonté et l'intérêt de l'évêque, avant qu'il ne reprenne le contrôle de la situation au 18e siècle... Cependant, l'éloignement de la maison-mère d'Auray conduisit l'Ordre, ici comme ailleurs, à abandonner son autorité aux consuls de la ville, celle-ci ayant intérêt à conserver son hôpital, mais peut-être avec moins de conscience de l'essence charitable de la mission et suscitant une méfiance et une désaffection des fidèles et donc des donateurs. Cette laïcisation de l'hôpital, accentuée par la création en 1578, d'un ordre de chevalerie noble concurrent, politisé, parfois malveillant ou cupide, provoquera un grand désordre dans l'organisation de la généreuse création de Gui de Montpellier et sa disparition progressive.

 

 

Nous ne connaissons pas le nom des religieux de l'Ordre du Saint-Esprit qui ont œuvré à Lectoure qui permettrait de les honorer. Par contre nous possédons les comptes de l'hôpital sur les années 1457 à 1558, précieux document qui donnera matière à imaginer non seulement l'activité de l'hôpital, de ses admirables soignants, tracer le portrait de ses malades, de ses locataires et à travers eux, plus généralement, esquisser la vie de notre ville à la fin du Moyen-Âge où se côtoyaient profondes misère et charité.

(A suivre)

                                                                                Alinéas

 

* L'Ospedale di Santa Maria in Sassia construit à Rome en 1204, dans le quartier du Vatican, a été détruit en 1471 par un incendie. Reconstruit, il fut rebaptisé Arcispedale Santo Spiritu in Sassia. Il est aujourd'hui transformé en centre de congrès, adjacent  à l'Ospedale di Santo Spirito moderne qui peut ainsi s'enorgueillir d'être le plus ancien hôpital d'Europe. 

** La bastide de Barran a été fondée en 1279 dans le cadre d'un paréage entre le comte d'Armagnac-Fézensac et l'archevêque d'Auch. A proximité de Barran, aujourd'hui sur la commune de Riguepeu, se trouve la forêt domaniale de Montpellier (269 ha), toponyme possiblement hérité de l'hôpital du Saint-Esprit de Montpellier.

 

SOURCES

  • Sur l'Ordre du Saint-Esprit :

- Histoire de l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit, Paul Brune 1892, réédition Wentworth Press 2018.

- https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_des_Hospitaliers_du_Saint-Esprit

  • Sur l'histoire de la santé publique à Lectoure :

- Etude sur l'assistance publique à Lectoure aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, Jules de Sardac, Imp. de Cocharaux, 1908.

- La vie communale au XVIIe et XVIIIe siècles, Maurice Bordes, in Histoire de Lectoure, Collectif,1972

- Le château des indigents, in Midi-Pyrénées Patrimoine, Gaëlle Prost, 2014.

  • Sur l'église du Saint-Esprit actuelle et son implantation, au Moyen-Âge, en vis-à-vis du château comtal :

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_du_Saint-Esprit_de_Lectoure

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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L
Toujours aussi passionnant, même si on n'est pas un habitant de Lectoure...
Répondre
A
C'est une difficulté et un plaisir d'essayer d'apporter à chacun. Merci.