Le hérisson de Baptiste Ricau, dernier meunier de Laucate.

Publié le 26 Mai 2022

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Hérisson : drôle de nom pour une pièce de mécanique ! L'ancêtre du charpentier de moulin, comme tous les artisans, est allé chercher dans la nature et dans son environnement immédiat les termes qui permettaient de désigner ses inventions de façon imagée. La pièce de bois et de métal que les recenseurs lectourois de la Société Archéologique du Gers (SAG) ont découvert à Laucate, moulin à vent situé à la pointe du plateau de Lamarque à Lectoure, a dû attendre l'expertise de la Planète des Moulins de Luzech (Lot) pour avouer son nom et en même temps sa fonction.

Le moulin de Laucate est aujourd'hui la propriété de Jacques Barbé, fils de Léo Barbé, photographe, historien, ancien secrétaire de la SAG, disparu en 2013, qui avait heureusement entretenu ce bâtiment hérité de son grand-père meunier, en particulier en rénovant sa toiture, c'est par là qu'il faut commencer évidemment. Peu de vestiges de l'installation meunière subsistent et, dressée sur un mur à proximité, cette roue intriguait et sa fonction avait été oubliée. Le dernier meunier, Baptiste Ricau, descendant d'une vieille lignée de meuniers Taurignac-Ricau, selon les époques et en fonction des mariages, exploitants ou propriétaires des moulins à vent de Sainte Croix, des Justices, et des moulins à eau d'Aurenque, Pauilhac, Marsolan, et des moulines de Ducos et Canteloup que nous ne localisons pas, a probablement cessé son activité en 1871-1872, comme toute la corporation sous l'effet de la concurrence de la minoterie.

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Baptiste Ricau devant le moulin de Laucate désaffecté

Le hérisson est une roue qui permet de démultiplier le travail des ailes et du bras du moulin à vent en actionnant simultanément deux lanternes et deux meules. Il ne s'agit pas en général de produire plus de farine mais de travailler en même temps ou successivement avec deux pierres de qualités différentes, pour moudre deux variétés de céréales, souvent une céréale destinée à la boulangerie et la seconde destinée à l'alimentation animale, la Lomagne étant historiquement un pays d'élevage. Ce dédoublement de l'énergie éolienne est ingénieux et précieux dans un pays où les vents ne sont pas réguliers et où chaque épisode venteux doit être exploité au mieux. Posséder deux moulins n'est pas donné à tout le monde et s'ils sont distants il y faudra deux meuniers, qui devront se partager le bénéfice... Tenant à maîtriser son affaire et son revenu, grâce au hérisson le meunier actionnera ses deux meules à vue.

Le hérisson se distingue du rouet par le positionnement de ses alluchons (dents ou pointes de bois) en prolongement de la pièce lorsque ceux du rouet installé sur l'arbre tournant sont orientés perpendiculairement au support. S'il est ingénieux, le système présente cependant des contraintes. La première étant, dans les moulins gascons souvent de petit diamètre, la nécessité d'aménager deux niveaux pour pouvoir positionner l'une au-dessus de l'autre les deux meules dans l'espace disponible. La seconde étant le poids supplémentaire généré par le développement du système et partant, la nécessité de disposer d'une puissance du vent supérieure si l'on veut actionner les deux meules ensemble. Ce que l'on gagne en doublement de la capacité de travail peut être en partie perdu par la dépendance d'un vent plus fort.

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A l'occasion de la donation du hérisson de Laucate par Jacques Barbé, Jean Rogier, du musée de Luzech, commentait le schéma de l'installation. " L’ensemble schématisé ici met en évidence les fonctions différenciées de ces deux organes de transmission.

Le rouet, solidaire de l’arbre moteur, constitue un engrenage d’angle avec une lanterne ou un pignon, pour transmettre le mouvement de rotation à l’arbre de transmission vertical.

Le hérisson, lui, solidaire de l’arbre vertical de transmission, engrène sur des pignons ou lanternes satellites afin de pouvoir mettre en rotation simultanément plusieurs meules. Chacun de ces pignons est mis en prise ou non à la demande.

Les hérissons sont des organes de transmission communs aux moulins à vent et à eau

Au courant du dix-neuvième siècle, la fonte d’acier prend progressivement la place du bois. D’abord mixtes, en bois et métal, les jeux d’engrenages deviendront entièrement métalliques grâce à une connaissance plus fine des profils des engrenages et une meilleure maîtrise des techniques de coulée."


Si le système peut avoir son équivalent dans les moulins hydrauliques, ce n'est pas systématique. Car là où le moulin à vent ne peut pas comporter deux jeux d'ailes, deux prises au vent,  le moulin à eau lui, peut être doté de plusieurs prises sur le cours d'eau ou sur le réservoir, chacune alimentant son propre rouet, les meules étant dans ce cas totalement indépendantes, sans l'intervention d'un hérisson. Le stockage du potentiel hydraulique en amont du bâtiment est l'un des avantages du moulin à eau qui lui ont permis de survivre à la révolution technique quelques années de plus avant d'être dépassé, à son tour.
 

On le voit bien, tout le raisonnement du meunier le conduit à mettre en œuvre les améliorations techniques et l'organisation du travail susceptibles d'accroitre la productivité et la rentabilité de son appareil lesquels sont le moteur de l'inventivité humaine.

Dans la revue de la Société Archéologique du Gers de 1981 (page 13), une publication de Paul Magni signale au moulin de Pauilhac, sur la route qui relie Terraube à Fleurance, un système probablement de ce type : "Le mécanisme incomplet présente un double système de meules au 2ème étage. Les engrenages sont situés à l'étage inférieur (1er étage). Une grande roue à alluchons rayonnants, horizontale, devait communiquer aux deux lanternes le mouvement vertical d'un système classique". On comprend que "la grande roue à alluchons rayonnants", c'est à dire le hérisson, a disparu de Pauilhac. Ce moulin ayant fait partie du réseau de la lignée Taurignac-Ricau, peut-on imaginer Baptiste Ricau emportant à Lectoure cette pièce précieuse devenue inutile lorsque l'activité de Pauilhac a cessé, l'artisan espérant encore faire bénéficier son dernier moulin de ce plus technologique ? Dans tous les cas, il était trop tard. Les moulins à vent se sont multipliés au 18ième, en particulier du fait de la fin des privilèges nobles, au point de provoquer l'installation d'entreprises trop nombreuses et de trop petite dimension, qui seront fatalement très vite non rentables, avant même l’avènement de la minoterie. Les ailes de Laucate ont arrêté de tourner comme toutes celles de Lomagne et de France. L'engrenage de l'histoire travaille inexorablement et le hérisson a été abandonné contre son vieux mur.

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Le hérisson de Laucate conservé par Léo Barbé

 

Devenus romantiques par l'effet de la ruine, de la végétation envahissante, au bord de l'eau ou au sommet de nos paysages collinaires, les moulins sont avant tout on le sait, à l'origine de l'industrie moderne, en particulier de la turbine, omniprésente dans les domaines de l'énergie et du transport. Les recenseurs de la Société Archéologique du Gers relèvent souvent dans les archives, au cadastre, dans les dénombrements et sur les actes d'état civil ou les contrats commerciaux, la mention "usine" en lieu et place de "moulin" ou de "mouline" et la qualité "vivant de son industrie" attribuée au meunier. La conjonction du développement de la minoterie, de l'électricité et du transport ferroviaire a déplacé en très peu de temps l'énergie, l’innovation, la croissance et la création de richesse vers d'autres centres économiques. On n'arrête pas le progrès. Le hérisson de Laucate est entré au musée de La planète des Moulins de Luzech. Rénové, documenté, il participe à l'enrichissement de la mémoire du travail et de l'ingéniosité des meuniers d'autrefois.

 

                                                        Michel Salanié

 

Lire également ici l'histoire du couplage éolien/hydraulique des moulins de Bazin et de Laucate.

 

Avec la collaboration amicale et technique de LA PLANÈTE DES MOULINS, à Luzech dans le Lot https://www.museelaplanetedesmoulins.fr/  dont nous recommandons la visite.

 

Illustrations :

Photo du moulin de Laucate, vu depuis Saint-Gény: Michel Salanié

Photo de Baptiste Ricau aimablement communiquée par la famille Barbé

Schéma : © Collection Wind Mill, by le Lez-Art. Exceptionnelle galerie de photos et d'illustrations http://lezart.free.fr/moulin1.htm

Photo du hérisson de Laucate : Jacques Barbé

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Moulins

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J
Merci Michel pour ce bel article sur l'histoire des moulins du Lectourois, avec cette belle pièce de mécanique meunière, dont l'utilisation reste incertaine, quoique l'hypothèse du moulin de Paulhiac est tout à fait plausible. Cet engrenage est le seul rescapé, le reste de la mécanique à disparu depuis longtemps, probablement vendu à l'époque. Les ailes ont eu la chance de rester sur la propriété, mais en tant que poutres pour la grange ... également subsistent quelques contre-poids, un plaque de meunier, un cahier de compte, et cette belle photo ! Jacques
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K
merci pour ce joli récit du hérisson.... <br /> En Provence, un moulin a retrouvé toute sa superbe, mais ne possède probablement pas de hérisson. Non seulement il est restauré, mais il fait de la farine...<br /> https://www.pennes-mirabeau.org/index.php/moulin<br /> Espérons qu'il n'est que le premier d'une très longue liste de moulins réhabilités !
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L
Attention de ne pas enterrer notre hérisson un peu vite !!! Car certains sont encore bien vivants et prolifiques dont celui de Roland Feuillas à Cucugnan. A découvrir sur place à Cucugnan et dans son ouvrage " A la recherche du Pain Vivant " écrit par Jean Philippe de Tonnac. Et longue vie à cette magnifique profession qu'est celle des boulangers-paysans !!!<br /> Léo
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A
Merci pour ce commentaire optimiste. Voilà ce que je dis dans le portrait du meunier : " Et les meuniers d’aujourd’hui sont des figurants de moulins-musées. Ils ne m’en voudront pas, je les encourage vivement, surtout quand ils font du bon pain. Mais voilà encore une erreur récurrente : meunier et boulanger, confondus dans la même panière.