Lectoure 17ème-18ème siècles – Les moulins du ruisseau de Foissin et du Gers
Publié le 11 Juin 2017
QUATRE PETITS MOULINS
ET PUIS S’EN VONT
Nous vous emmenons faire un petit tour des moulins à eau de Lectoure aux environs des 17ème et 18ème siècles. Le tableau de François Boucher crée l’ambiance. Il est un peu solennel avec son temple antique mais précisément, disposés dans un amphithéâtre inversé autour du promontoire nos moulins regardent la noble cité gasconne comme un décor de fond au ciel grandiose. Et puis, malgré son romantisme rococo, cette veduta à la française donne une image sans doute assez exacte de la réalité du petit moulin artisanal qui a succédé à la salle fortifiée du Moyen Âge et sera balayé par la bâtisse industrieuse des 19ème et 20ème siècles.
La scène est restituée par un ouvrage rare, dédicacé au roi Louis XIV et conservé au musée Condé de Chantilly : « Description des provinces et des villes de France », de Pierre de La Planche, 1669. Ce document est connu des amateurs de blasons car il en recense 560 dont celui de Lectoure, doté de moutons plutôt que de béliers d'ailleurs.
Rédigée par un enquêteur du guide Michelin de l’époque que l’on s’amuse à imaginer portant perruque poudrée et haut chaussé d’escarpins, la description de notre ville dans cet ouvrage est à la fois proche de nous puisque l’on reconnaît bien les lieux et si loin déjà. Jugez-en.
Le circuit des murailles est ponctué de « quantité » de tours, la ville est ouverte sur l’extérieur par deux portes, du côté Saint Gervais subsistent les vieux fossés isolant la citadelle de son faubourg, mieux encore, le pont-de-piles avec « une tour qui se ferme » (?), la (regrettée) flèche de la cathédrale réputée pour être la plus haute du royaume, 80 puits intra-muros, les chevaux qui s’abreuvent à la fontaine dont on ne dit pas qu’elle est à Diane, la dispense de l’impôt de la taille, heureux habitants…, la maison de ville avec les inscriptions romaines et, côté campagne, c’est à peine imaginable aujourd’hui, de part et d’autre du ruisseau au septentrion (càd Foissin), la vigne! Oui, je vous le redis, heureux habitants de Lectoure au Grand Siècle. Quoique…. il faudrait confirmer en goûtant de ce vin là.
Vous trouverez l’intégralité de ce superbe document dans sa forme originale en cliquant sur ce lien :
http://www.bibliotheque-conde.fr/wp-content/uploads/pdf/laplanche/2_283_284.pdf
Revenons à nos moulins. Ils ne sont pas nommés avec précision par le rédacteur. Puisqu’ils sont dits « petits », on aura tendance à ne pas y ranger la Mouline de Belin qui est, en outre, un peu retirée par rapport au périmètre de la description et, ce n'est encore qu'une supposition, est peut-être déjà désaffectée. On s’avancera à lister, d’amont vers l’aval, le moulin des Ruisseaux, la Mouline, la Mouline de Roques et Repassac. En retrait du cours du ruisseau et peut-être actionnée par la force animale, la Mouline de Cardès, elle, son nom le laisse supposer, est probablement dédiée au travail de carderie des tissus et non pas à la mouture des céréales.
D’autres documents d’époque sont bien mal renseignés. Regardez-moi ce plan dit de la collection d'Anville, qui ne manque pas d'intérêt pourtant. Pas de ruisseau à Foissin ! Donc pas de moulins, mais quelques jolies bâtisses bourgeoises embellies de jardins à la française s’il vous plaît. Un plan de ville trop sec établi par un arpenteur rigoureux, assorti d’un paysage pour épater la galerie, galerie des glaces bien sûr, composé par un artiste qui ne s’est pas dérangé pour vérifier sur site ! Une cartographie qui se cherche, entre état-major et paysagisme. Dommage, nous aurions eu pour la première fois le texte et l’image.
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime on estime en général qu’une meule pouvait approvisionner 500 personnes en bonne farine. Aux 17ème,18ème siècles la population de Lectoure étant de plus de 5000 habitants, on recherchera une dizaine de meules, un moulin établi sur le Gers pouvant en aligner plusieurs. Il faut donc aller mouldre notre blé ailleurs : au nord, Lamothe et Mouline de Bazin (photo ci-dessous sur le ruisseau de Bournaca), au sud Saint Gény. Et puis les moulins à vent, mais c’est une autre paire de meules.
Nous observerons une autre fois les moulins indiqués sur la célèbre carte de Cassini car elle nous conduira à une forte évolution dans notre décompte. La Mouline de Belin n’y sera pas plus du nombre, étant même transformée en « vacherie »! Les relevés ayant permis l’établissement de la carte de Cassini de la région d’Agen ont été effectués entre 1769 et 1778 pour une publication en 1784. La page est bien tournée, le 19ème siècle se profile et annonce les temps modernes de la meunerie.
Pour l’heure, notre balade finit avec le site de Lamothe sur le Gers qui affiche sept siècles d'activité! Sa salle du 13ème qui a pu abriter un premier moulin, suivie de deux autres bâtiments, dont un sans doute actif pendant la période que nous évoquons brièvement, et l’exceptionnel pont-barrage du même nom. La carte postale reproduite ici représente le troisième de ces moulins, plus récent, incendié et déjà ruiné pour notre plus grand regret car ses deux tours et sa galerie en faisaient un bâtiment à l’esthétique très originale.
Voilà un patrimoine exceptionnel qui disparaît sous nos yeux, épuisé par tant d’efforts, déclassé par l'évolution technologique, par les impératifs économiques, bousculé par l'eau tout simplement.
Abandonné par ceux-là même qu’il a nourris, s’allongeant définitivement sur le lit de la rivière, le vieux moulin laisse pour toujours courir sur sa dépouille le flot à peine brassé par une digue qui veut encore tenir.
Sur les berges, la nature reprendra très vite ses droits.
ALINEAS
Sources:
- Le plan de la collection d'Anville in extenso en cliquant ici:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8592238j.r
Les documents de recensement suivants ont été réalisés par Gaëlle Prost, Chargée de l'Inventaire du patrimoine à la Mairie de Lectoure. La photo de la Mouline de Bazin dans le corps de texte en est extraite.
- Salle de Lamothe
- Pont-barrage de Lamothe
- Mouline de Bazin