A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
Ça y est c'est fini. Lectoure est tombé. Non, ce ne sont plus les cohortes de César, ni les hordes wisigothes. Louis XI n'y est pour rien, ni le maréchal de Monluc. Non, Lectoure est tombé de l'intérieur. Ne vous fatiguez plus, rendez-vous. C'est la cinquième colonne, l'ennemi était dans nos murs.
Remarquez, il fallait s'y attendre. Nous avions relevé les signes avant-coureurs de notre sabordage. En effet, dans un charmant petit village du fin fond des Landes, nous découvrions récemment une rutilante enseigne "Barber Shop" ! Bon... peut-être un coiffeur anglais ? Plus loin, dans un magnifique paysage du piémont pyrénéen, un producteur de viande bovine, pourtant de génération en génération, certes un élevage de race Charolaise et non de Gasconnes, qui, pour ouvrir son propre restaurant, une cuisine de qualité paraît-il, labellisée "Table du Gers" - à qui peut-on se fier ? -, choisissait la gracieuse enseigne "Betty Beef" ! Vous connectez? Poo-poo-pee-doo. Cette fois, l'affaire était grave. Ce n'était plus le résultat de l'attrait de notre région pour les européens du nord, Britanniques, mais également Belges, Hollandais, deux ou trois Allemands, un demi Suisse... Non ce n'était pas une immigration, amicale et bienvenue vous en conviendrez, mais bien une désertion, une défection dans nos rangs. Le franglais. La gangrène.
A Lectoure, à l'abri derrière nos remparts, nous pensions pouvoir résister encore. Car nous avions bien fait l'objet d'incursions plus ou moins meurtrières, mais restées à portée de nos bombardes, et l'envahisseur avait été repoussé. A l'est, une rumeur de McDonald's avortée. Au sud, au pied de la citadelle, ce fut DuckPrint, un canard qui ne se laisserait pas engraisser comme il est pourtant de bon ton chez nous, mais un canard qui imprime des PopLove, qui sont des faire-part de mariage "made in ze pays du canard". Car l'arme fatale de l'ennemi de l'intérieur, c'est l'humour. Si vous résistez, c'est que vraiment, vous n'êtes pas un marrant, un vieux gribou comme moi, pas évolué, un grave, un has been quoi ! Mais, cette fois-ci encore, l'attaque était contenue outre Gers. Dormez tranquilles bonnes gens, depuis toujours les obstacles naturels protègent la fière citadelle.
AAAleeerte !!!
A présent l'ennemi monte à l'assaut du Bastion. La fin approche. Devant le kiosque à musique façon Belle Époque, sous les marronniers replantés chèrement après la dernière tempête, un certain Klaus en 2009, à la Taverne de nos promenades jadis endimanchées devenue "Bastion'alds" (sans doute le syndrome Betty Beef !) on matraque fort à coup de bast'fish, bast'chicken, happy bastion pour les enfants avec en prime (c'est du français hein, pas comme le prime time à la télé) un Yakabook, publication d'un éditeur lectourois qui professe être "passionné de littérature", ce qui n'était pas évident au premier abord. Quel jargonas* ! C'est clair, le mal est profond. C'est une pandémie.
En effet, cerise sur la croustade, ou sur le cheese cake si vous préférez, l'association des commerçants de notre bonne ville, l'ACAL, vient d'annoncer la mise en service prochaine de sa plateforme type "Market Place", vous suivez ? Et lui a donné le nom très étudié de "shop in Lectoure". Click and Collect et tout le toutim. Je ne sais plus si je dois mettre des guillemets ou un caractère typographique italique. La Dépêche du Midi qui rapporte l'évènement de première importance dans votre actualité, s'est d'ailleurs affranchie de cette règle totalement ringarde. Qu'importe désormais, any way. Je rêve, j'hallucine. I don't believe it ! On est cuits. Game over. Nos illustres Pey de Garros, Jean Lannes et Jean-François Bladé doivent se retourner dans leurs tombes. Tout ça pour ça ! A vous donner envie d'aller siroter un petit-rouge-provenant-de-divers-pays-de-l'Union-européenne et son Croque-monsieur-pain-de-mie dans un bistrot typique, reconstitué à l'ancienne dans la galerie marchande climatisée la plus proche.
Alors, comme je n'ai pas vocation à me provoquer un ulcère psycho-somato-linguistique, à mon tour je dépose les armes, je me rends. Peace and love. We are all friends. Mieux, je collabore. Je me mets illico au service des commerçants lectourois toutes obédiences confondues, qui auraient besoin d'un coup de main pour revisiter, comme on dit aujourd'hui, leurs raisons sociales devenues par le fait, quelque peu poorish. Pour le Bleu de Lectoure, ça ne sera pas difficile : devant-derrière, blue pour bleu, on ne va pas en faire un second Azincourt. Le melon aussi, c'est kif-kif : "Ze melon of Lectoure". Pour la charcuterie Mazzonetto, c'est plus compliqué. Je proposerais "BBQ'n pork - Italian & Gascon". Et notre village de brocanteurs ? Alors là, très original, je vous le fais out of the box! Retour au bon vieux temps d'une Gascogne libérée du joug français : j'ai imaginé "The Black Prince castle - Antique village". Le château du Prince Noir. Funny, isn't it ? C'est vrai, quoi ! Le fils d'Edouard III, notre bon roi d'Angleterre** Aquitaine comprise et coseigneur de Lectoure, n'a pas eu le temps de faire étape chez nous dans son aimable chevauchée dévastatrice, alors ce serait comme un hommage posthume. Ça devrait plaire. So hype.
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Post-scriptum (c'est du latin). Pour prévenir certaine réplique trop facile, je précise que j'aime les États-Unis et le Royaume-Uni où j'ai voyagé et espère pouvoir retourner. Que j'adore le fish and ships, les fudges et le whisky, modérément celui-ci bien sûr. Que nous avons des amis et parents anglophones qui font l'effort de parler et d'écrire le français et qui y réussissent. Que j'ai pratiqué l'anglais pendant plusieurs années professionnellement dans un secteur d'activité où il est l'idiome de référence. Et aujourd'hui encore dans mon quotidien lorsqu'il y trouve sa place en particulier lorsque le français ne possède pas le terme équivalent. Que je considère hautement la langue de Shakespeare et de Bob Dylan. Qu'il est normal et bon enfin, que le français évolue et s'enrichisse.
Seul m'attriste le jargonas franglais, signe de notre appauvrissement culturel.
Michel Salanié
* En argot occitan, le suffixe as est augmentatif et péjoratif.
** Remarquez bien qu'à l'époque, tout ce beau monde Plantagenêt parlait le français.
Illustration
Édouard III devant Berwick. Miniature de Loyset Liédet, Chroniques de Froissart, BNF, Fr.2643.
Un regard innocent et si intense à la fois. Vous serez d'accord, il fallait se dépêcher de le capter ? Saisir un rayon de soleil éphémère sur la muraille aussi, ou une écharpe de brouillard s'évaporant entre les peupliers dorés à l'automne. Et ces nuages qui passent, là-bas, les merveilleux nuages... Vite, arrêtons l'instant, pour en jouir, sinon toujours, du moins encore un peu. Eternelle quête du beau, souvent fugace, toujours indicible. Depuis les fantastiques scènes animalières d'Homo Sapiens tracées d'ocre et de charbon par un doigt sorcier sur la paroi humide de la grotte profonde, façon de chambre noire paléolithique, l'art consiste à figer le temps qui passe, le mouvement, la lumière. Et depuis Nicéphore Niépce, la photographie multiplie et facilite à l'infini les possibilités. Alors, tous artistes ? Munis de notre iphone, publiant sans jury d'admission sur les cimaises virtuelles, instantanément mondialisées. 3 000 images sont diffusées sur Instagram à chaque seconde qui passe !
Ohhh, admirables couchers de soleil tweetisés, ohhh charmants selfies, sitôt likés déjà stratifiés sous une montagne de post amicaux et sponsorisés confondus !
Je ne me moque pas. Je fais partie du jeu.
Mais alors comment distinguer l'essentiel du superflu, l'unique du foisonnement ambiant, le remarquable du facile ? Nous n'avons pas encore beaucoup de recul, mais il semble toutefois que les grands photographes résistent à l'hyper inflation de l'image. Leurs tarifs en salle des ventes tendent à le prouver, mais ce n'est pas uniquement une question d'argent. Je suis sûr que vous vous souvenez d'avoir vu ces photos, ou d'autres, qui nous ont marqués à jamais. C'est sans doute là, la marque de l'art : l'émotion.
Nous avons la chance d'avoir à Lectoure (Goutz, c'est chez nous, non ?), une photographe de talent, éclectique, amoureuse de la Gascogne, dont elle n'est pas la fille et peut-être vaut-il mieux arriver avec un regard neuf, un personnage pétillant, drôle, qui ne mâche pas ses mots, ni ses clichés, et qui défend ses valeurs comme on dit aujourd'hui. Vous devez la connaître. Isabelle Souriment. Tiens, cette photo par exemple, qui a fait la couverture remarquée d'un livre à deux mains*.
Si vous ne l'aviez jamais vue, J'imagine que cette photo de Lectoure prise depuis le sommet de notre clocher emblématique devenu trépied gargantuesque, devrait vous troubler. Cette atmosphère irréelle et pourtant si proche est émouvante, pour les lectourois mais aussi pour tous ceux qui aiment cette ville et enfin ceux qui ne la connaissent pas mais en auront inévitablement envie après avoir admiré cet instantané entre chien et loup aux multiples connotations : majesté, couleur, chaleur, fête, sérénité, espaces, cheminements, histoire... C'est vraiment très riche. Et bien vu.
Bien sûr, la photographie est un métier. Il y a la technique, le matériel optique et de plus en plus électronique, les règles de la composition, le sujet imposé... Mais Isabelle y met aussi de l'esprit. Son amour de la Gascogne, et de la Lomagne en particulier, relève d'un choix de vie qui se devine dans son travail. Et puis, il y faut du temps, de la constance, de l'obstination, le secret des grands cœurs, disait Victor Hugo.
Comme toujours dans cette rubrique Beaux-arts, je vais vite arrêter là mon bavardage et laisser toute sa place à l'artiste. Faire un choix est toujours réducteur. Mais cette plongée dans l'abondante photothèque d'Isabelle Souriment fut un moment de plaisir que je voudrais vous faire partager. Ces vues racontent bien la Gascogne d'aujourd'hui, belle, simple et joyeuse. Quelques-unes sont glanées ailleurs sur la planète. Pour l'ouverture d'esprit.
Alinéas
Pour profiter des photos en plus grand, sélectionner (clic droit en fonction de votre navigateur) puis [Afficher l'image].
PS. Le titre de cet alinéa est emprunté à un grand photographe, parmi mes icônes : Jeanloup Sieff.
* Le livre En pays de Gascogne, Photographies Isabelle Souriment et Matthew Weinreb, se trouve encore d'occasion chez Amazon, Fnac etc... Mais faites viiite !
On retrouvera avec plaisir d'autres photos d'Isabelle Souriment ici :
Nous venons de vivre une petite période de froid. Rien de bien méchant. Il paraît que cela permet de combattre la vermine dans les champs et les jardins. Il y aura 9 ans dans quelques jours, ce fut plus rude. Et surprenant.
Le 1er février 2012, Lectoure se réveillait sous la neige, et surtout avec des températures exceptionnellement basses. Qui plus est, le phénomène allait durer deux semaines. La France et une bonne partie de l'Europe étaient au cœur d'une bulle d'air glaciale, stabilisée par un anticyclone venu de Sibérie. Les nuits oscillaient autour de -15 degrés et les jours restaient négatifs. On essaya bien de déneiger les routes et les trottoirs mais l'effet fut contraire au but recherché... Une patinoire. Pas une voiture sur le chemin de la fontaine Saint Michel ! La cheminée allumée sans discontinuer pour soulager la pompe à chaleur. Une procession de bouillottes renouvelées plusieurs fois par jour pour protéger le compteur d'eau logé à l'extérieur. Et puis, il n'y a plus eu qu'à patienter en priant sainte Lucie, patronne des électriciens.
Mais pour l’ambiance, c'était magique ! Monter faire les courses avec les après-ski dans un paysage de rêve. La sortie du cinéma désert dans la rue Nationale déserte aussi, à peine éclairée par des lampadaires ballotant dans le grésil soulevé par un blizzard fantasque. Le retour à la maison en longeant le cimetière pas plus impressionné quant à lui, dans une nuit étonnamment lumineuse. Le crissement de la neige damée sous les pas pour seul repère sonore, dans un silence de cathédrale. Et des paysages à couper le souffle. Comme ça ne revient pas souvent, on serait presque un peu nostalgique. Oui, je vous entends : "Pas de blague, nous avons bien assez d'une épidémie, d'un confinement, d'un réchauffement climatique ponctué d'orages, de grêle et de crues épouvantables !". Je suis d'accord. Et puis ce n'est pas pratique pour ceux qui travaillent. Il n'empêche, je regrette de ne pas avoir eu le courage d'arpenter les rues et les chemins pour mieux mémoriser cet instant, mon dieu, plutôt bref. Et pas anormal sur l'échelle des temps géologiques.
Alors voici quelques vues insolites qui confirment que nous sommes tout petits et que la nature dans ses excès peut être belle. Comme un éclair dans des nuées tourmentées, comme une mer déchaînée, comme un grand vent dans un sous-bois. Brrrr !
Il est l'un des personnages historiques lectourois les plus étudiés. Avec Jean Lannes et Jean-François Bladé, bien avant tous les autres "illustres Lactorates" pour reprendre la terminologie du regretté Pertuzé. Et pourtant, illustre inconnu pour la plupart de ses compatriotes, il est chichement honoré par sa ville natale d'une minuscule ruelle piétonne, un carrelot, certes charmante et avec vue sur les Pyrénées mais tout de même bien modeste, et d'une fontaine, qu'il partage avec son frère Jean, à l'écart des voies les plus passagères et en piètre état, l'un ne justifiant pas l'autre. Dans le même temps il fait l'objet de thèses savantes, de commentaires, d'emprunts, d'éloges dans les cercles littéraires et historiques, français et étrangers, aux côtés de Clément Marot, Ronsard et Montaigne, excusez du peu. Les exégètes, les philologues, les milieux gasconisants, les spécialistes de la littérature et de la poésie occitane, les historiens des maisons d'Albret et de Navarre, ceux des guerres de Religion, tous attribuent à Pey de Garros, une place importante, de penseur sinon d'acteur, dans l'histoire de la difficile construction de la France moderne au 16ième siècle, de fait celle de la fin du rêve d'une Gascogne indépendante. Et un rôle de premier plan dans le renouveau de la langue gasconne.
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La vie et l’œuvre de Pey de Garros sont marquées par les guerres de Religion qui ont ravagé pendant plus de trente ans le triangle Nérac-Agen-Mauvezin, où Lectoure tenait le rôle de place forte stratégique.
Le siège de Lectoure par Monluc - Illustration de Pertuzé
Né entre 1525 et 1530, d'une famille de la bourgeoisie lectouroise aisée, marchands et consuls, après des études au réputé collège de la ville, foyer des idées humanistes qui furent le germe de la Réforme, Pey (Pierre en gascon) de Garros obtient un doctorat en droit à l'université de Toulouse. Devenu avocat, en 1557, par lettres d'Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, seigneurs d'un immense mais morcelé domaine étiré de la Loire aux Pyrénées, il est nommé conseiller du prestigieux Sénéchal d'Armagnac, siégeant à Lectoure. Quelques années plus tôt, en 1551, un marchand allemand et un notaire lectourois étaient condamnés par le Parlement de Toulouse pour l'édition d'un opuscule contraire à la tradition catholique. Les deux coupables devront faire pénitence et assister à l'autodafé de leur écrit hérétique sur le parvis de la cathédrale Saint Gervais, pieds nus, en chemise, le cierge à la main. Les idées de la Réforme étaient donc déjà largement répandues, mais sévèrement réprimées, pendant la formation et l'accès de Garros aux responsabilités. Face à une noblesse pauvre et arcboutée sur ses privilèges que l'église catholique favorise, l'élite bourgeoise de la ville, particulièrement les professions du droit dont il est l'un des représentants, est séduite par les idées colportées de Suisse. Pey de Garros aurait fait un séjour à l'Ecole protestante de Lausanne. En 1560, il adhère à la nouvelle religion.
En février 1562, dans le lectourois, les premiers affrontements ont lieu à Saint Mézard. Monluc, héros des guerres d'Italie, adjoint au lieutenant du Roi de France en Guyenne et Gascogne, après avoir tenté de mater les révoltes de Montauban, Agen ou Toulouse, sort de sa retraite de Saint-Puy pour mettre le siège devant Lectoure, tombée aux mains des huguenots. Il faudra qu'il s'y reprenne à nouveau en 1567. Les combats sont acharnés. Les agressions des deux camps sont brutales. Monluc ne se cache pas d'avoir employé la manière forte : « On pouvoit cognoistre par là où j'estois passé, car par les arbres, sur les chemins, on en trouvoit les enseignes. Un pendu estonnoit plus que cent tuez ».
Dans ce conflit de plus de trente ans, Pey de Garros prendra le parti et mettra son talent au service de la maison d'Albret et de Navarre qu'il espère être garante de l'indépendance de la province gasconne. La chronologie de sa vie, foi, œuvre littéraire et carrière juridique confondues, s'accordera à celle de Jeanne d'Albret à laquelle il dédie les Psaumes viratz, traduction du latin au gascon des psaumes de David, roi d'Israël, prophète et poète biblique, comme Théodore de Bèze et Clément Marot les avaient traduits avant lui en français, pour servir la nouvelle religion et dire aux fidèles les préceptes pieux dans leur langue ordinaire.
Jeanne d'Albret, l'inspiratrice
Philosophe, historien, humaniste délicat, Pey de Garros est profondément éprouvé par le spectacle de la division et les horreurs de la guerre. Il analyse les raisons de la situation en Gascogne au sortir des guerres d'Italie qui laissent la soldatesque désœuvrée. Entre autres caractères de la race gasconne mal employés, il attribue aux mœurs belliqueuses des cadets de familles nobles, engagés dans des guerres qui leur sont étrangères, loin du sol natal, la perte d'influence et la décadence du pays et de sa langue, face à la France et au français dit "celtique".
Pour retrouver cette influence, celle d'un supposé âge d'or qu'aurait connu l'antique nation, il prône le retour à la tradition, à la vie bucolique, et en premier lieu, fixe comme impératif la rénovation de la lenga laytoreza, langue lectouroise, nom qu'il donne au gascon, amalgame de différents dialectes locaux, proposant de les unir par un travail collectif. Garros n'aura de cesse de protéger cet héritage charnel, maternel, la lenga de ta noyritud, l'idiome du pays nourricier. Soumission aux commandements divins et langue sont étroitement liées pour constituer le terreau du renouveau national qu'appelle toute l’œuvre du poète lectourois. Les Poësias gasconas, les Eglògas (poèmes bucoliques), Vers heroïcs, Cant nobiau (Chant nuptial), sont autant d'odes à la vie pastorale où apparaît un tableau réaliste de la société gasconne du 16ième siècle.
André Berry, dans sa thèse (1948) consacrée à Pey de Garros insiste sur le caractère ethnique de l’œuvre : " Si Lectoure n'est nommé que dans le Cant nobiau, c'est bien la campagne lectouroise qui [...] prête son théâtre aux "entreparleurs" de Garros ; la maison, c'est la borde. L'arbre, c'est le noyer à l'ombre dangereuse, la bête, c'est l'oie gardée par son auquêra [gardienne d'oies] .../... voici sous la maison de Bonine, gardée par le gros alan [chien], la carrera juzana [inférieure], évocatrice de ces constructions perchées au-dessus des routes comme à Lectoure, Terraube ou à Sainte-Mère. [...] non loin de l'authentique Gers, tel qu'il rampe entre ces collines, troublé par les moutons boueux qui font la cabriole sur ses hautes berges, apparaissent l'étable aux murs troués, rapetassés tant bien que mal, et la métairie confortable [...]. En attendant le marché dont la seule vision nous rappelle les grandes foires urbaines du vendredi qui voient monter, serpentant au long des lacets, des bêtes par milliers. Cette véritable Gascogne, c'est dans une époque véritable que l'arpente de ses jambes bottées l'arlot [le fripon] des Eglogues, quand la guerre de religion dévaste tout, jusqu'à ces montagnes que le gavache [immigré du pays d’oïl, homme venu du nord] franchit en tremblant, quand les grandes haies protègent à peine les vignes, les pommiers, les aubiers, la mare aux porcs. En refermant le livre, nous aurons bien dans l'esprit, ici hantée par une calme population, là ravagée par les hommes d'armes, la grasse Lomagne aux coteaux verts, grouillant de taureaux, de moutons, de chèvres, de cochons, d'oies et de poules, et qui voit de loin, par les jours clairs, bleuir les Pyrénées. Chez les personnages, même fidélité au lieu et à l'époque : tous des hommes et des femmes de l'ordinaire gascon, tels qu'on pouvait les rencontrer en 1560 (et tels que quelques-uns se rencontrent encore aujourd'hui). Dans l'Eglogue I, c'est la paysanne avec son cabedau [chiffon-coussin sur la tête], les rustiques en guenilles. La troisième Eglogue [...] est ouverte par une vieille campagnarde apportant aux travailleurs le barillet de piquette et le panier de noix".
La rue Pey de Garros, à Lectoure
Mais cette Gascogne naturaliste n'aura pas l'heur de plaire. Garros n'a pas accédé, en son temps, à la célébrité. Parti étudier à Toulouse, il avait pourtant été primé dès 1557, d'une violette prometteuse aux Jeux floraux du Consistori del Gay Saber qui se déroulaient à l'époque en français. Revenu au pays, certainement la concordance d'une prise de position politique avec un choix purement littéraire, toute son œuvre s'exprimera désormais en gascon. Il fera un énorme travail technique de discipline phonétique et orthographique, de consolidation de la grammaire, d'enrichissement du vocabulaire, de prosodie c'est à dire de rythmique poétique, travail qui le fait aujourd'hui considérer comme l'un des principaux artisans du renouveau de la langue gasconne, son "inventeur" dira l'un de ses exégètes. Mais aujourd'hui seulement.
Car, les trois fils de Catherine de Médicis régnant et disparaissant successivement sans descendance, la maison de Navarre regarde de plus en plus vers le trône. Jeanne d'Albret quitte Nérac pour la cour de France. L'ambition dépassant le cadre de la province. Elle meurt en 1572, trois mois avant le massacre de la Saint Barthélémy. En 1589, son fils Henri devient roi de France, quatrième du nom, en ayant embrassé la religion catholique. Paris valait bien une messe. La langue gasconne et l'accent gascon y seront moqués.
Peu avant, en 1571, Pey de Garros avait été nommé avocat général à la Cour de Pau. Récompense pour services rendus ? Retraite dorée ? Mais piètre satisfaction pour le poète nationaliste. A partir de cette date, il semble qu'il ne se consacre plus qu'à sa fonction juridique. Il meurt en 1583. On peut imaginer dans quelle déception face au cours de l'Histoire.
Les chercheurs s'interrogent toujours sur la cause du manque de succès de Garros en son temps. Trop austère, grammairien, trop rustique, ethnocentré ? Trop leytorès ?
Deux poètes gascons voisins, Saluste du Bartas à Montfort, et Dastros à Saint-Clar, auront plus de succès. Les exégètes considèrent que leur gascon est marqué par le travail de Garros, bien qu'ils n'en fassent pas état eux-mêmes. Saluste du Bartas sera plus fin courtisan que Garros. En 1578, à Nérac, accueillant Marguerite de Valois, la reine Margot, et sa mère Catherine de Médicis, il déclamera une ode où trois muses symbolisant les langues française, latine et gasconne se disputèrent l'honneur d'accueillir les deux reines ; au terme de cette joute oratoire, la muse gasconne l'emporte, car c'est la langue du lieu, se justifie adroitement le poète. Mais l'œuvre majeure de Du Bartas, La semaine, ou la création du monde, sera bien écrite en français. Il se verra confier des ambassades en Europe pour le compte d'Henri IV. Sachant emprunter le train de l'histoire... Toutefois cela n'assure pas la renommée durablement. Immensément célébré de son vivant, à l'égal de Pierre de Ronsard, Du Bartas est également relégué au second rang aujourd'hui.
Il faudra attendre le 19ième siècle et le développement des études régionalistes pour que Pey de Garros soit révélé. Nous devons sa mémoire aux travaux de Léonce Couture (1832-1902) sur l'histoire littéraire de la Gascogne. En 1895, le lectourois Alcée Durrieux, le traduira et le rééditera heureusement. Pour Robert Lafont (1923-2009), réputé professeur de linguistique à l'université de Montpellier, les Psaumes de Garros représentent « le coup d'éclat de la Renaissance gasconne et la première œuvre de la littérature occitane moderne ».
Du Bartas et Dastros ont leurs bustes, le premier à Auch, le second chez lui, à Saint-Clar. A Agen, le poète occitan Jasmin a sa place et sa statue, si éloquente, dans la perspective du boulevard de la République. A Toulouse, sur la belle place Wilson ornée de sa statue de marbre, œuvre de Falguière, Pèire Godolin, la muse Garonne alanguie à ses pieds, rassemble autour de lui, touristes du monde entier, retraités, couples d'amoureux et pigeons. Nulle part en Gascogne, qu'il a pourtant si haut célébrée et voulu servir, Pey de Garros n'a son portrait.
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Statue de Pèire Godolin, place Wilson, Toulouse
SOURCES :
Les éditions anciennes de Pey de Garros se trouvent chez les libraires d'ouvrages d'occasion. Une quantité de commentaires et des extraits de l’œuvre du poète lectourois sont disponibles sur internet. Les deux documents les plus approfondis qui nous ont guidés sont :
- L’œuvre de Pey de Garros, Poète gascon du XVI ième siècle, André Berry, thèse Sorbonne 1948, réédition PUF Collection Saber.
- "Est-ce pas ainsi que je parle ?": La langue à l’œuvre chez Pey de Garros et Montaigne, Gilles Guilhem Couffignal, thèse Toulouse Le Mirail 2014, disponible sur internet https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01259019/document
- Histoire de Lectoure (Collectif), Lectoure au XVI ème siècle, Pierre Féral 1972
ILLUSTRATIONS :
- Illustration titre : La tempête, Giorgione, 1506, Gallerie dell' Academia de Venise. Vestiges antiques, ambiance bucolique, maternité, ciel menaçant : un tableau célèbre qui illustre parfaitement l'époque de Garros.
- Le siège de Lectoure (détail), Pertuzé.
- Jeanne d'Albret, Musée Condé.
- L'été, Henri Martin, Capitole - Toulouse.
- La rue Pey de Garros à Lectoure, Michel Salanié
- Statue de Godolin à Toulouse, Falguière, photo Travus, Wikipédia.
n'y a pas si longtemps à Lectoure, sur le chemin qui conduisait au vallon de Manirac, depuis la citadelle, en passant par le Diné puis à Jouancoue, il y avait un hameau aujourd'hui totalement disparu, La Coustère. En bordure du chemin, au pied du plateau de Baqué coulait, et coule toujours, une source qui servait toutes les maisons rassemblées ici et dévalant en désordre en direction du ruisseau de Bournaca.
Vivait là un vieil homme, veuf, et sa fille. Pour seule richesse, ils possédaient quelques brebis dont ils vendaient le lait et la laine en ville. Elle, chaque jour que Dieu faisait, conduisait le troupeau sur le talus inculte et escarpé que leur abandonnait, contre un peu de fromage, le maître de la maison du Mourenayré, sur le versant opposé du vallon.
Au pied de La Coustère, sur le ruisseau, était installée la mouline de Bazin, que vous connaissez peut-être car elle est toujours là, ne moulinant plus mais pimpante à nouveau par le travail de quelque amoureux des vieilles pierres et de l'endroit. Moulin appartenant autrefois au seigneur du Castéra. Ayant hérité jeune de ses parents, le meunier vivait seul, n'ayant pas trouvé, ni cherché, femme à prendre comme de coutume parmi les filles en âge aux moulins d'alentour.
Les deux jeunes gens, meunier et bergère, ne se connaissaient pas. Elle voyait bien le moulin devant elle, dans son horizon quotidien, mais sans y porter intérêt. Le lieu et l'homme lui inspiraient même incompréhension et quelque crainte. En effet, le meunier n'apparaissait que rarement, soit pour filer à bonne allure sur son mulet livrer son sac de farine, soit tête baissée, affairé à quelque réparation de sa mécanique et de son étang. Le reste du temps, il disparaissait dans sa bâtisse, semblant même faire partie d'une bête fantastique dressée là, dont le râle et les grincements sinistres parvenaient alors au troupeau, amplifiés par l'écho. Jamais il ne portait le regard sur les environs, ni vers la bergère, immobile sur sa pâture. Pour lui, elle était une ombre sans visage et sans nom, dont les bêtes, emportées de temps en temps par un mouvement d'ensemble désordonné, formaient dans le décor une tache informe.
Les mois et les années passaient. De rudes hivers et de longs étés secs et ponctués d'orages violents où le travail sans cesse contrarié rapportait à peine de quoi survivre. Chacun allait son destin et sa misère. Il était dit que ce coin du pays lectourois finirait oublié.
Mais un jour, il fallut que le meunier montât à La Coustère.
Car il prévoyait que le rouet de sa mécanique, trempant dans l'eau sous la paire de meules, devrait bientôt être remplacé. La roue à cuillères avait été fabriquée pour son père par quelque amoulageur, un charpentier de moulin. Magnifique assemblage menuisier de pièces chevillées, le rouet de la mouline de Bazin était le cœur de l'usine, là où l'eau, forcée et libérée dans le conduit installé à la base de l'étang, transmet sa puissance à la machine. Sa partie centrale, le moyeu, devait être taillé dans un bois très dur, du cormier ou bien du buis, des essences rares dans notre Lomagne. Or, notre meunier savait qu'un très gros buis poussait près de la source de La Coustère.
Il arriva chez le vieux qu'il connaissait pour l'avoir croisé au marché de Lectoure. Assis sur une pierre plate en guise de banc, sur le pas de porte du vieil homme, il prit quelques nouvelles. Le hameau se dépeuplait inexorablement, trop loin de la ville, exposé au vent du nord, à la terre lourde et au relief accentué, trop pénible au laboureur. Puis, il raconta son affaire de mécanique et en vint au fait.
- Me vendras-tu ton arbre de buis, le vieux ?
Il n'eut pas besoin d'insister. Le prix fut convenu que le meunier considéra bien avantageux sachant la pauvreté de l'autre, mais les affaires sont les affaires et il s’apprêtait à repartir, après une poignée de mains en guise de contrat, lorsque la bergère arriva en courant, toute essoufflée, rayonnante, les joues roses, les cheveux en désordre, un énorme bouquet de lilas dans les bras. Elle se figea un instant, surprise par une présence étrangère si rare dans leur quotidien. Puis, pour masquer son trouble, elle tendit le bouquet sous le nez du meunier et dit :
- Sentez comme il sent bon.
Et elle disparut dans la maison.
Pendant plusieurs jours, le meunier n'eut plus sa tête à lui. Il oubliait d'alimenter en grain les deux meules qui s'échauffaient et freinaient au risque de briser l'arbre de transmission. Ou bien il partait sur son mulet avec son sac de farine mal ficelé qui perdait sa marchandise dans une trainée poudreuse ondulant sur le chemin et qui lui valait une livraison houleuse. Et puis, sur le pas de porte du moulin, il ne quittait plus la bergère du regard sur sa pâture et parfois, lorsqu'elle n'arrivait pas, impatient, il guettait les bêlements qui indiqueraient, derrière un muret ou une haie vive, la direction prise par le troupeau et cheminant derrière lui, l'objet de ses pensées.
Enfin n'y tenant plus, il reprit le chemin de La Coustère.
- Le vieux, je veux marier votre fille.
- Meunier, tu es trop riche pour de pauvres gens comme nous. Tu possèdes ton industrie. Je n'ai pas de dot à te consentir.
- Ton buis me convient. Il n'y a pas de meilleur matériau pour fabriquer un rouet qui travaillera dix ou quinze ans et contribuera à notre ménage.
Au mois de juin qui suivit, on célébra le mariage du meunier et de la bergère à la Mouline de Bazin. La porte fut habillée de rameaux de buis et de grands bouquets de lilas décoraient la table dressée dans la prairie, devant l'étang. Tout le voisinage fut invité. On vint de la Peyroulère, de Navère et Génébra. Ceux de Barterote, de Cézar et d'Espagne aussi. Tous heureux de cette promesse de renaissance.
.............................................
- Vous trouvez mon histoire banale ? Une bluette ? Et si je vous dis que tout est vrai ? Ou presque ?
Le hameau de La Coustère a bien existé. Le chemin s'est un peu déplacé, mais si vous y passez, vous pourrez apercevoir une ruine dans le fourré au pied de la falaise de Baqué. Un buis pousse là, magnifique, sans une trace de chenille de Pyrale alors que nos jardins en sont infestés.
Toutes les autres maisons de la Coustère ont disparu sous les assauts des engins ayant modelé une parcelle agricole de plusieurs hectares, mais le cadastre napoléonien en garde le témoignage. Les maisons de Cézar et Espagne sont là également, sous la ronce.
Le 2 juin 1669, les notaires lectourois Lapèze et Labat ont enregistré le pacte de mariage, à la Mouline de Bazin, de Jean Dabrin, fils de Horton "musnier", et Anthonia Laforgue. Je vous le demande, pourquoi n'aurait-elle pas été bergère ?
Enfin, au printemps dernier, je fouillais les broussailles pour dégager la source que l'on devine par l’exubérance de la végétation, lorsque je vis arriver une promeneuse. Elle portait un énorme bouquet de lilas qu'elle tendit sous mon nez et dit :
- Sentez comme il sent bon.
Alinéas
ILLUSTRATIONS
- Jeune bergère, 1885, William BOUGUEREAU, Musée de San Diego (Californie).
Dans Histoire de Lectoure, ouvrage collectif, au chapitre consacré à l'agriculture au XVIième et XVIIième siècles, Pierre Féral évoquant les conséquences agraires des guerres de religion dit ceci : "La dynastie protestante des Foissin, dynastie consulaire détenait entre autres biens, la grosse métairie de Bazin. En 1594, celle-ci est vendue à un protestant de Montauban-en-Quercy, Jacques Thomas, secrétaire ordinaire du roi. En 1638, elle échoit à la famille de Polastron. François de Mona, sieur de Polastron, était un gentilhomme calviniste qui, sur le terrier en 1612, tient la Costère de Vacquier, la salle de Bazin, la borde de Mourenayre, avec bois à Gère et au Ginouard. On voit que la Costère, des possessions du malheureux Vacquier (protestant, homme de confiance de la cour de Nérac, cour d'Henri III, futur Henri IV, exécuté pour sa religion) avait été reprise par un co-religionnaire. Bientôt le terme Vacquier désignera la métairie."
Autrement dit Baqué (synonyme de Vacquier), d'avant la construction de la chartreuse (1784) bien sûr, faisait partie du même domaine que la Coustère de notre conte, on s'en doutait mais ceci est maintenant confirmé, et que la maison de Mourenayre, évoquée ici dans le décor, ou fut signé le contrat de construction de la Mouline de Bazin en 1662.
Je ne vous ferai pas une leçon de permaculture. Nous n'en sommes qu'au b.a.-ba de la méthode et d'autres vous en parleront mieux que moi : voir notre choix de documentation ci-dessous.
Après dix ans de jardinage classique, beaucoup d'effort, quelques belles récoltes mais trop d'échecs ou de déceptions, au potager, je cède la place à ma maîtresse d'hôtes, qui troque son tablier de ménagère pour les bottes et a décidé, au passage, de changer de technique. Serait-ce un désaveu ? Je lui transmets toutefois un jardin mis en place, la connaissance d'une terre riche mais lourde, l'expérience du climat gascon c'est à dire imprévisible, et en cours de réchauffement mais ça c'est général. Et comme je suis bon garçon, je veux bien continuer à pousser la brouette.
Je vois d'ici les sourires de mes amis et voisins : ça y est, Alinéas s'est fait bobo-iser !
Non, je ne vous donnerai pas de leçon. Je vais plutôt vous raconter la légende de Vertumne et Pomone. Dont le portrait coiffe cet alinéa. Chez les Etrusques, à Pompéï, puis à Rome, Vertumne est le dieu des saisons. Il veille à la fécondité de la terre, à la germination des plantes, à leur floraison et à la maturation des fruits. Il a pris ici, les traits d'une vieille femme pour approcher la nymphe Pomone, créature à la beauté remarquable nous dit-on. Ce qui explique le regard en biais et insistant que le dieu pose, malgré son déguisement, sur le décolleté généreux de la demoiselle. La mythologie n’empêche pas le sentiment. Outre son physique, Pomone est une jardinière hors pair mais elle n'aime pas la nature sauvage. Son jardin est clos de hauts murs et elle chasse sans répit de sa petite serpe, les mauvaises herbes, les intrus et la végétation non autorisés. " Quelque chose comme un jardin à la française quoi ! " Cette préférence pour l'ordre explique également que Pomone refuse les avances de tous ses soupirants venus de la campagne environnante, trop rustiques à son goût, les satyres, les faunes, Silène, Pan et Sylvanus, dieu de la forêt lui-même. Mais Vertumne lui, ne renonce pas. Il se déguisera en laboureur au printemps, en moissonneur en été, en vendangeur à l'automne, puis, tirant la leçon de ces refus, en vieille femme en hiver. Une assiduité des quatre saisons... Et Pomone finira par prendre la vieille en affection. Eh oui ! une grand-mère c'est plein de prévenances, et puis il y a les recettes de confiture, les confidences, les remèdes... Après cette approche astucieuse, Vertumne, avouant sa ruse, en profitera pour faire l'article à son propre bénéfice et proposera de prendre les traits d'un bel homme. Bien sûr Pomone tentera l'expérience et succombera enfin. Il paraît que Vertumne et Pomone vivent ensemble éternellement ce qui est assez rare chez les dieux. Ils vivent heureux dans un jardin généreux et authentique, ouvert sur la campagne environnante, féconde et bienfaisante.
Le rapport avec la permaculture me direz-vous ? Outre l'histoire d'amour, éternel recommencement, comme la nature, la morale de l'histoire apparaît dans le conseil que le dieu des saisons dispense à la jardinière : "Regarde cet orme Pomone, vois la vigne plantée à son pied qui grimpe à l'arbre et donne ces grappes magnifiques*. L'arbre sans la vigne ne porte que des feuilles. La vigne sans l'arbre serait couchée et improductive. Dans la nature les plantes s'entraident". La devise énoncée par le philosophe Erasme à propos du compagnonnage, "non solus, pas seul pour progresser, pas seul pour fructifier", s'appliquant aussi aux végétaux.
L'histoire est donc vieille comme le monde. La complémentarité entre nature sauvage et plantes domestiquées pourrait parfaitement illustrer l'agroforesterie qui est la cousine de la permaculture. Celle-ci va au-delà des techniques de culture arboricole ou viticole mais le raisonnement est bien le même : favoriser les phénomènes naturels qui concourent à la production vivrière, en autonomie et sans appauvrir la terre nourricière, en la protégeant, mieux en l'enrichissant durablement.
Les principes de la permaculture ont été pratiqués et énoncés par le japonais Masanobu Fukuoka puis théorisés par différents auteurs et praticiens pendant les années 1970, dans la mouvance de l'écologie, de l'agriculture biologique et des modes de vie alternatifs, pour essaimer ensuite partout, dans les pays développés puis dans toutes les régions du monde. Permanent agriculture in english devenu le mot-valise permaculture, en anglais et en français itou. Autrement dit : agriculture durable, opposé à une agriculture jetable, à courte vue. Oui bien sûr, il y a là une contestation du système et de l'agriculture productiviste, voire une position politique très catégorique. Je vous rassure, je ne suis pas encarté et je me méfie des ayatollahs, toutes religions confondues. Cependant, vous comme moi je pense, nous sommes progressivement convaincus que l'agriculture intensive posait de sérieux problèmes. Vaste sujet. Pour rester à notre modeste niveau de jardiniers amateurs, nous n'avons jamais utilisé les pesticides, proximité du Rucher de Lectoure oblige. Nous avons installé des haies vives tout au long du chemin de Saint-Jacques, replanté des arbres au bord du ruisseau qui était tondu à raz les violettes tous les ans, demandé et obtenu une culture de luzerne biologique à l'exploitant des parcelles mitoyennes. Nous avons testé l'extrait de sureau pour lutter contre les campagnols, sans grand succès cependant mais peut être faut-il chercher le bon dosage, le bon moment, bref de l'obstination, la qualité première du jardinier. Nous conservons nos déchets afin de produire du compost...
- Eh pardíMossu, tout ça, nos grands-mères le faisaient déjà !!!
Oui, c'est vrai, nos grands-mères, les jardins de curé, les enclos médiévaux, les simples... Mais dans l'intervalle, nous avons eu tendance à oublier ces bons principes d'autonomie et de pratiques naturelles. Acheter des graviers en sachet, des piquets et des films en plastique fluo, toutes sortes d'accessoires et de produits du marketing, sprays, claustras, station météo connectée... les jardineries en amont, les déchetteries en aval, notre jardin est devenu petit à petit un pion sur l'échiquier du commerce, une cible pour la publicité, et à son tour un consommateur très courtisé ! C'est le monde à l'envers. Alors Vertumne, que faire ?
Le principe de permaculture qui m'est apparu le plus intéressant est la couverture de la terre, le paillage. Et je m'aperçois en vous écrivant, que je rejoins en cela la maître Fukuoka : " ...répandre de la paille... est le fondement de ma méthode pour faire pousser le riz et les céréales d'hiver. C'est en relation avec tout, avec la fertilité, la germination, les mauvaises herbes, la protection contre les moineaux , l'irrigation. Concrètement et théoriquement, l'utilisation de la paille en agriculture est un point crucial". Pas de riz en Lomagne, ma perma-jardinière me fit donc avec nos légumes bien de chez nous, la démonstration de l'intérêt du paillage dès la première année en obtenant d'assez bons résultats, modestes mais encourageants, là où avant elle, j’échouais, au cœur de l'été en particulier : oignons, salades, courges, blettes, betteraves... Avec un arrosage beaucoup plus espacé que le mien.
Blette, betterave et roquette pour nos premiers essais de paillage.
Il faut dire que notre terre est difficile. Argilo-calcaire, elle est lourde et capricieuse. Amoureuse en hiver, un kilo de boue collé à l'outil et autant à chaque botte, on dirait un sketch télé d'Intervilles. Et en été, l'amoureuse est plutôt revêche. Insensible à nos avances, c'est du béton. Si par malheur l'averse orageuse est violente, vous imaginez la suite de l'épisode, en contre-bas dans la vallée... Le paillage m'a donc convaincu. La terre est souple sous le couvert. Il retient les arrosages pendant plusieurs jours. En se décomposant progressivement, il modifie la texture du sol. Je sais, la paille ne pousse pas toute seule mais on peut aussi composer son propre paillage avec les déchets végétaux. Le permaculteur garde tout. Cela demande une organisation et de la patience. Armons-nous.
Ce que je n'ai pas aimé dans les ouvrages de vulgarisation qui foisonnent et que nous avons consultés, c'est l'image d'un jardinage qui serait facile, "paresseux" s'enorgueillit l'un d'eux, parce que sans labour et désherbage. Il faut tout de suite couper court à cette légende. La permaculture demande un investissement de tous les jours. Une fois notre terre enrichie, assouplie, protégée, les plantations et semis pourront trouver leur place, en entrebâillant le couvert. Dès lors la comparaison de la technique du paillage avec l'écosystème forestier apparaît très juste : drainé et protégé du froid l'hiver, humide et frais l'été. Vertumne avait raison.
BRF (bois raméal fragmenté), fumier et cendre.
Une fois la terre enrichie et protégée, le reste de la méthode peut se résumer à un accompagnement attentif et à des interventions en douceur : apports de compléments, traitements au moyen d'extraits de prêle et d'ortie, aération du sol à la grelinette, cet outil si simple et magique à la fois qui évite de retourner la terre, ce qui, faisant passer en surface et détruisant de ce fait les micro-organismes vivant normalement en profondeur, appauvrit et alourdit progressivement le substrat. En outre la grelinette est un outil ergonomique, qui ne demande pas d'effort à nos lombaires et réduit considérablement le champ d'intervention de la bêche et du motoculteur, s'il ne les fait pas disparaître totalement de la panoplie. La permaculture n'aurait-elle pas une petite connotation féministe ? De ce point de vue, ça m'arrange.
La grelinette en action
Je ne vous dirai rien sur les aspects plus intellectuels, mais non moins intéressants, de la permaculture : philosophie, choix de vie, éthique... Ce serait prétentieux, peut être ennuyeux et quelque peu impudique. Il nous faudra un longue pratique pour prétendre à cette hauteur de vue. Si les dieux de la nature nous prêtent vie.
Alinéas
POST-SCRIPTUM
Nous redisons à nos parents, amis, et voisins que nous n'avons aucun conseil à leur donner. Leurs jardins sont magnifiques. Ils appliquent certains des principes que nous évoquons, permacultivant ainsi depuis longtemps comme le faisait monsieur Jourdain, sans le savoir. Vous nous avez appris beaucoup. Vous nous avez approvisionnés en fruits et légumes lorsque notre table d'hôtes était gourmande. Certains allant même jusqu'à équeuter les haricots verts avant de nous les déposer discrètement ! C'est ça aussi la permaculture : le partage. Nous vous devons l'envie de nous y consacrer à notre tour. Adishatz.
* A PROPOS DE L'ORME ET LA VIGNE :
L'orme, ce bel arbre disparu à la fin du 20ième siècle, a effectivement servi de tuteur à la vigne.
"La chose est fréquente en Gascogne. Au 16ième siècle, [le lectourois] Pey de Garros en fait état dans sa deuxième Eglogue:
Je ne taillerai plus les sarments de la vigne
Mariée à nos ormeaux...
Sous l'ancien régime, dans la région de Simorre (Gers), les vignes étaient dites "en respaliers" ou "en espallières". Ce procédé de culture consistait à planter en sillon des érables, des ormes ou des cerisiers à trois mètres environ dans tous les sens. On les taillait après les avoir étêtés à 2,50 m du sol. Au pied de chacun d'eux, l'on plantait un cep de vigne dont les sarments étaient plus tard attachés aux branches de l'arbre son voisin".
Henri POLGE, L'ormeau au village, 1976.
La technique est toujours utilisée, en Italie en particulier et joliment nommée : Vite maritata, vigne mariée.
SOURCES et DOCUMENTATION :
- La permaculture mois par mois, Catherine DELVAUX, ed. Ulmer.
es visiteurs sont surpris par le calme qui règne à Berrac. "Quel silence !" entend-on dire avec une certaine inquiétude toutefois. C'est tellement inhabituel aujourd'hui. Est-ce bien normal ?
Détrompez-vous ! Ce petit pays n'en finit pas de s'épancher alentour. Allons, prêtez l'oreille. L'eau qui sourd de nos sources murmure le long des fossés et court jusqu'à la rivière dire les joies et les peines des gens d'ici et de toujours. Descendu des Pyrénées, le vent, lui, souffle dans les greniers et les cheminées les légendes de Gascogne, l'Histoire, la grande et la petite, le souvenir de la vie simple de nos anciens.
Et puis, il y a les cloches de Saint Marcel.
Exposées à tous les temps, à la pluie, à la grêle qui les fait tintiner en chœur avec les rangées de tuiles qui offrent leur dos rond à l'averse. Mais alors, personne n'est là pour profiter du conciliabule fantastique, sauf parfois quelque égaré heureux, à l'abri sous le porche, de ceux qui savent profiter de ces moments uniques où la nature parle aux hommes.
Cependant, dédaignant le désordre des éléments, ces cloches ont eu leurs riches heures, bien sûr. Et leurs jours. Si vous les avez entendues, claires et généreuses, vous savez que Berrac donne de la voix aux moments essentiels de la vie et de la mort. Ce village est l'un des derniers de France à avoir "son" sonneur, autrefois personnage porteur de nouvelles officielles au même titre que le garde-champêtre, le facteur, ou, pour les on-dit, le colporteur. Aujourd'hui, toujours auxiliaire des temps forts religieux, le sonneur de Berrac reste l'un des acteurs de la vie sociale du village. Le maire, Philippe Augustin, n'hésite pas à mettre cloches et sonneur à contribution lors des manifestations de mémoire. Les 11 novembre 2018 et 2019 à 11 heures, les cloches ont été mises "en volée" par les enfants du village pendant 11 minutes pour marquer l'anniversaire de la fin de la Grande Guerre et honorer les morts du village. Lors de la commémoration en costume d'époque, le 14 octobre 2018, on a sonné le tocsin. Tout récemment, lors de la dernière cérémonie au carré militaire du petit cimetière, le glas a résonné trois minutes.
Mot français d'origine celte, en gascon la cloche se dit campana, d'où, pour l'officiant, lo campané. Ici une précision : le sonneur de Berrac ne peut pas être appelé "carillonneur", car un carillon comporte nécessairement 4 cloches, offrant différentes notes qui permettent d'exécuter certaines mélodies quelque peu élaborées. Qu'importe, ne sonnons pas plus haut que notre clocher. A Berrac, c'est un clocher-mur, parfois dit clocher gascon, ça tombe bien. Il est charmant, ne domine pas le paysage mais l'agrémente, y participe délicatement, laissant apparaître, en ombres chinoises, les deux sœurs d'airain qui, selon la circonstance et le geste du campanaire, joueuses ou pleureuses, balancent leurs jupes dans les nuages.
Il y a une riche imagerie populaire autour du sonneur, successivement moine jovial soulevé dans les airs au bout de sa corde, bedeau austère et solitaire dans la pénombre, jusqu'à notre Quasimodo national grimpant aux tours de Notre-Dame, dans un opéra flamboyant et dramatique. Rien de tout cela à Berrac. Jean-Louis Castaing, c'est le nom de notre campanaire, a les pieds bien sur terre. D'ailleurs, ici on est sonneur "de famille". Jean-Louis a succédé à son frère, Jacques, en 1999, lequel avait pris la suite de sa mère Marcelle. Irène Palazo, l'arrière-grand-mère étant, pense-t-on, à l'origine de cette belle lignée au service de l'église.
Forgeron de formation, Jean-Louis Castaing est également cantonnier (oups ! employé municipal), chasseur pendant le temps qui lui reste... autrement dit, une figure locale. Lorsque la cérémonie qu'il sert est heureuse, Jean-Louis aime à faire aux enfants la joie de sonner eux-mêmes à la volée, provoquant rires et bons mots. Mais attention, les sonneries sont tout à fait codifiées et notre homme a reçu en héritage les partitions des différents moments liturgiques qu'il respecte à la lettre, ou plutôt à la percussion. Vous restituer ici ces différentes sonneries serait peu littéraire et je suggère plutôt à quelque berracais de les enregistrer à l'occasion, car Jean-Louis les exécute par cœur, comme une tradition acquise et mémorisée, à l'oreille. En quelque sorte, un patrimoine sonore. Prenons seulement l'exemple de l'Angélus : Jean-Louis sonne 15 fois la petite cloche, 9 fois la grosse, puis 15 fois à nouveau la petite. Mais chaque sonneur a sa recette. Ou bien est-ce l'évêque qui met ainsi sa patte sur son territoire canonique ? Il me semble qu'ailleurs, l'angélus est beaucoup plus sobre. Sans doute l'aveu carillonné de notre faconde gasconne.
A Pâques, le clocher cathédral a la priorité. Du vendredi saint au dimanche, pour marquer le deuil de la chrétienté en attente de la résurrection, les cloches sont muettes. Et les églises paroissiales doivent attendre que la cathédrale ait marqué le Gloria à la fin de la grand-messe pascale pour sonner à leur tour. Mais, depuis Berrac, entend-on les cloches de Saint-Gervais donner le la ? Je ne le crois pas, aussi notre campanaire peut-il s'affranchir sans risque de remontrance de cette préséance bien pointilleuse.
Il paraît que les sonneurs sont souvent sourds, et Jean-Louis l'est un peu moins que moi. Aurais-je manqué ma vocation ? S'ils ne le sont pas de naissance, ils peuvent le devenir. Certes, mais le sonneur n'a pas besoin d'une oreille musicale. Chaque cloche donnant sa note toutefois. A ce propos, quelque mélomane, lomagnol ou de passage, saura-t-il nous dire quelles sont nos deux notes berracaises ? Le sonneur a surtout besoin de ses deux épaules en bon état, d'un coup de poignet adroit et du temps de présence adéquat, ce qui n'est pas rien. Bien qu'aujourd'hui ce soit service réduit. Car les messes se font rares, le pauvre curé de Lectoure devant desservir 21 communes. Alors il reste les mariages... parfois, les sépultures... parfois également, et les fêtes dites carillonnées. Et c'est alors une grande émotion d'entendre vibrer le bourg et la campagne à l'unisson. Un peu comme si le sonneur tenait le rôle de rassembleur, de catalyseur pour dire savamment. Oui, les cloches du village sont l'expression d'une certaine forme d'unité. Et de village en village, d'unité du pays de France.
En effet, ce pays est couvert de milliers d'églises, surmontées d'élans de foi et de pierre dressés vers le ciel, voulant à l'origine marquer, par leur élévation, la primauté du spirituel sur le temporel. De surcroît portant haut les instruments permettant d'appeler les fidèles à la prière. La France naissant, la cloche a remplacé la trompette du héraut antique dont le souffle ne pouvait suffire à la tâche. Suivant l'exemple des monastères, en 801, Charlemagne ordonnait que les églises de l'Empire sonnent les heures. Puis très vite, le concile d'Aix-la-Chapelle de 817 ajouta qu'elles devaient se doter de deux cloches, pour pouvoir varier les sonneries. Ce que Berrac fit mais bien plus tard, lorsque l'église paroissiale fut construite sur les ruines de la chapelle seigneuriale, à l'angle du rempart du château primitif. Car entre-temps vinrent les hordes vikings. Pendant deux siècles, la Gascogne vécut dans le silence, qui sied à la soumission. Les puissants guerriers à la rousse chevelure furent les premiers à piller les églises et à emporter les cloches pour les fondre et forger de nouveaux instruments, rutilants et sonores également, mais dans la bataille. Les armées qui leur succédèrent, jusqu'au vingtième siècle de sinistre mémoire, suivront souvent leur exemple impie.
Puis, après les temps barbares, au cœur du Moyen-Âge, la foi profonde des peuples donnait à l'église, déclarant tant bien que mal la Paix de Dieu, un essor considérable. Elle allait occuper pendant plusieurs siècles le rôle de métronome de la vie sociale. Et les cloches, la fonction de porte-parole. Ponctuant les heures de prière mais également de travail, les sacrements, les évènements marquants du royaume et de la papauté, les guerres, les incendies... Tintement, volée, glas, tocsin. Le campanaire ne quittait plus son poste.
On croyait aussi autrefois que le son des cloches pouvait dévier l'impact de l'orage, de la grêle et de la foudre. Et si le campanaire échouait dans cette mission de sûreté publique, il subissait évidemment l’opprobre de la population, abattue par le désastre et cherchant un bouc-émissaire. Les mécréants lui reprochent de faire du bruit à tout bout de champ, les croyants de bégayer parfois sa partition. Exposée, la fonction comporte donc des risques, que Jean-Louis Castaing évoque dans un sourire philosophe.
Petite contribution à la dernière affaire du débat public sur le genre : sachez que le glas est différent s'il s'agit du décès d'un homme ou d'une femme. Y aura t-il une sonnerie inclusive ?
L'association Berrac Village Gersois fait procéder actuellement à des prises de vues par drone et par les membres d'un club d'escalade (!) car il n'y a pas d'escalier pour aller y voir de près, afin de déchiffrer les mentions inscrites sur la jupe des deux demoiselles. Les premiers clichés ont révélé qu'elles ont été fondues par l'entreprise Vinel à Toulouse et baptisées le 13 décembre 1926 en présence des abbés Bourgeat et Gelas. Bientôt centenaires. Finalement, il est tout à fait probable que l'arrière-grand-mère de Jean-Louis Castaing les ait inaugurées.
Enfin, on ne connait pas à Berrac d'histoire de messe noire, de celles qui font sonner les cloches la nuit, lugubres, sans campanaire et sans officiant dûment ordonné, laissant flotter sur place, au petit matin, quelque fumet diabolique. Notre conteur gascon, Jean-François Bladé, a préféré chanter les amoureux. Que le sonneur dérange, évidemment.Evitant toutefois ainsi in extremis, que les novios ne fassent sonner le baptême avant le mariage...
Alinéas
AVERTISSEMENT AUX ÂMES CHASTES : le juron osé qui apparaît dans ce poème (!) est un peu surprenant dans la bouche d'une jeune fille, mais il était populaire à l'époque, et en général, outrepassait l'intention.
otre époque est au déboulonnage des statues. Pour ce qui concerne les dictateurs, c'est une fin inscrite dans leur destinée et qui, en général, intervient heureusement assez rapidement après leur disparition, de vieillesse ou conséquemment à une révolte populaire, celle-ci étant également listée dans les aléas de la définition de fonction. Pour les grands hommes, nous le savons : ils resteront debout devant l'Histoire, la grandeur étant peu sensible à la vacuité et la versatilité des foules. Je propose que nous profitions de cette ambiance agitée pour nous tourner vers plus discret, plus tendre, mais non moins profond. Et plus prometteur. L'enfance.
Enfance dont l'artiste que le Carnet d'Alinéas vous présente aujourd'hui, s'est fait une thématique.
Anne-Laure Pérès est Lectouroise. Etablie à Toulouse, elle expose depuis 2011 dans différentes galeries du Sud-Ouest, mais également à Paris et en Provence. En 2018, elle obtient le 1er prix du public au salon Terre et Flamme de Chantepie (Ille-et-Vilaine). Disons également qu'Anne-Laure dispense des formations, cours particuliers et collectifs, et qu'elle propose des animations auprès d'associations et d'entreprises, activités perturbées en ce moment évidemment mais on garde le moral. Vous admirerez certainement son geste, précis et élégant, sur les tutoriaux disponibles sur sa page Facebook.
Anne-Laure travaille également sur commande. Ses coordonnées sont communiquées sous notre galerie de photos.
Anne-Laure Pérès se souvient avoir été marquée par la visite de l'exposition Camille Claudel qui s'est tenue au château de Lavardens en 2008. L'aurore, dernière variation de l'œuvre majeure de la célèbre sculptrice, La petite châtelaine façon Art nouveau, est évidemment éblouissante, mais pour que notre jeune lectouroise soit inspirée à ce point et décide de se lancer, encore fallait-il qu'elle ait la fibre pour y parvenir si vite et si bien. Quant à adopter l'enfance comme sujet de prédilection, les motivations abondent, esthétiques, spirituelles, psychologiques que l'artiste lui-même n'est pas toujours en mesure de distinguer, et pourquoi lui demanderait-on de les exprimer d'ailleurs ? L'art n'a pas besoin de se justifier. L'histoire de la sculpture offre des merveilles de représentation de l'enfance. Il faut chasser de notre esprit les défilés de putti, angelots et autres cupidons de Rome et de la Renaissance, replets et inexpressifs, qui sont à la sculpture antique ce que Mikey est à l'art contemporain. Le site de Brauron, sur la côte de l'Attique, aux environs d'Athènes, recèle un incroyable groupe de statues d'enfants (VIIe siècle av. J.-C) , voués à la déesse de la nature sauvage, Artémis, sculptés non pas dans une position officielle et hiératique, mais d'un naturel étonnant, comme cette jeune fille au lapin. A l'opposé de notre mare nostrum culturel, le norvégien Gustav Vigeland a offert à sa ville d'Oslo, dans le parc Froger qui lui est entièrement dédié, le jovial foisonnement d'une tribu naturiste où, malgré des formes pleines jusqu'à l'épure, annonçant le cubisme, les visages d'enfants, parmi lesquels cet enlacement de jeunes filles espiègles, expriment avec subtilité tous les sentiments de l'innocence et de la joie de vivre.
Il a fallu choisir les photos du travail d'Anne-Laure que nous reproduisons ci-dessous, une sélection forcément réductrice. Nous aurions également aimé pouvoir tourner autour de ces personnages en vidéo. Ils mériteraient un regard "intégral".
On dit en général que l'art du sculpteur est de savoir "saisir" l'instant, c'est à dire l'expression, le mouvement de son sujet. Par un effet de miroir sujet/spectateur dont Anne-Laure Pérès joue, c'est nous qui sommes saisis par le réalisme de ces scènes. Si les membres sont quelque peu stylisés, les postures elles, sont très étudiées et réalistes, la sculptrice maîtrisant parfaitement les fondamentaux de l'anatomie. Ne dit-on pas en langage courant que "le corps parle" ? Nous sommes ensuite, chacun selon sa sensibilité, captivés par une mimique, par la position des mains ou des pieds, trahissant l'hésitation ou la contrariété, par le regard qui se détourne, pour rêver ou s'échapper, par un ensemble de petits détails infimes donnant au personnage, si fragile pourtant, une présence intense. Sur nos places et nos avenues à la glorieuse perspective, les statues officielles de nos grands hommes n'ont pas toujours cette vitalité. Quand elles ne sont pas totalement creuses.
Le second caractère qui nous paraît s'imposer dans le travail d'Anne-Laure est sa contemporanéité. Ce n'est pas si évident, car bien souvent nous enfermons les enfants dans notre propre histoire et pêchons par nostalgie. Ceux-là ne jouent pas un jeu de rôle. Ils ne prennent pas la pose pour nous faire plaisir. Bien trop décontractés, indépendants, balthusiens. De telle façon que de l'humour, de l'anecdotique qui pourrait nous égarer, nous sommes bien obligés d'en venir à la perception, au second degré, d'une certaine philosophie de vie d'aujourd'hui. Non, ce n'est pas "l'enfance de l'art", mais bien l'inverse. Pour en arriver là, il faut que l'artiste maîtrise non seulement sa technique mais fondamentalement, de surcroît, la psychologie de son sujet, son rôle, son importance dans le groupe humain, la famille, l'école, sa génération, qu'il perçoive enfin son essence d'être, un être en développement certes, mais déjà totalement présent et indispensable à la société. Homme-enfant ou femme-enfant, personnalité à part entière, dès l'instant même où la silhouette émerge de l'argile, sous la main créatrice.
Alinéas
Balade sous la pluieLes copsLa boucle d'oreilleL'oiseau
Chuis pas chaudLa belle affaléeL'ennui
Le songeLes trois grâcesLe rugbymanLes bonbecsRêver est un voyageLe footballeur
Je me suis souvent demandé d'où vient cette émotion qui me trouble, vous aussi peut-être, à l'écoute de la sonnerie aux morts. Ce roulement de tambour, cette trompette au tempo lentement cadencé, et puis le silence auquel se mêlent les bruits de la ville, un cri d'enfant, le vent. Cela n'a rien à voir avec le caractère martial de notre hymne national ou l'appel mobilisateur du chant des partisans. Non, quelque chose de plus profond, de plus philosophique oserais-je. L'absence de paroles permet toutes les lectures. Seule résonne l'annonce : "Aux morts !". Bien sûr, ce sont eux que la sonnerie honore. Certains que l'on connaissait, ou ceux discrètement inscrits sur cette impressionnante litanie des monuments commémoratifs, pour résister à l'oubli. Et parmi eux le soldat inconnu, représentant glorieux de tous les morts pour la France. Mais voilà que je ressens naître en moi, à ce moment-là, une forte communauté d'esprit avec tous les vivants, participants à la cérémonie, proches et étrangers, vieux et jeunes. Avec les absents même, ceux qui n'ont pas pu ou pas pensé à venir, avec les indifférents et les esprits forts. Enfin, je m'aperçois que de la compagnie des morts et des vivants, je me tourne vers l'avenir, inquiétant ou espéré, celui de nos enfants, celui de notre pays, celui de l'humanité. La force évocatrice de la musique est bien connue et a donné lieu à de très savantes considérations psychologiques qu'il n'est pas mon propos de développer. Mais oui, je crois à présent que la sonnerie aux morts relie le souvenir que nous avons des luttes de nos anciens, avec notre futur. Avec l'avenir. Celui que je ne connaîtrai pas et qui se construit aujourd'hui.
Alinéas
"Qu'ils le sachent, nos enfants, Combien d'entre nous sont tombés, Pour la liberté !"
Texte originel du chant des partisans en russe
LE SOUVENIR FRANÇAIS
Le Souvenir français est une association nationale qui a pour vocation de conserver la mémoire de ceux et celles qui sont morts pour la France (MPLF) au cours de son Histoire, en entretenant leurs tombes ainsi que les monuments élevés à leur gloire. Reconnue d’utilité publique, patronnée par le Président de la République, l’association porte la flamme du souvenir en transmettant aux générations successives, l’amour de la patrie et le sens du devoir. Ouverte à tous, elle observe une stricte neutralité politique, confessionnelle et philosophique.
Sur les cantons de Fleurance et de Lectoure, sous l'impulsion constante et bienveillante de son président, le Comité de Lomagne du Souvenir français mène ses actions en partenariat avec les collectivités locales et leurs élus, avec les établissements scolaires à l’initiative des enseignants, enfin avec toutes les associations, en particulier celles regroupant les anciens combattants et résistants, mémoires vivantes des derniers conflits.
SON ACTION SUR LE TERRAIN
En matière de préservation du patrimoine mémoriel, l’équipe du Comité visite les cimetières en fonction des signalement de tombes de MPLF en déshérence qui lui sont adressés, propose des rénovations et participe à la surveillance des travaux pour les plus importants (carré des Tirailleurs Sénégalais, tombe de regroupement et mur du Souvenir à Lectoure) et lors de la restauration de monuments ou de tombes individuelles. Des projets de regroupement à Saint-Clar et à Fleurance sont en cours, que le Comité promeut.
Chaque année, en octobre-novembre, le Comité pavoise, dans les cimetières communaux de Lomagne gersoise, plus de 30 tombes au profit desquelles il est intervenu.
Enfin, la quête annuelle de la Toussaint est destinée à permettre le financement des opérations de rénovation et d’entretien du patrimoine mémoriel. Sur la voie publique et aux portes des cimetières, les quêteurs, grands et petits, ont alors l’occasion de dialoguer pour expliquer l’œuvre du Souvenir Français.
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Comité de Lomagne du Souvenir Français - eric.boss.sf@gmail.com