Publié le 4 Novembre 2017

LES PERDRIX DE LECTOURE 

Cette intrigue lectouroise c’est un peu « Tambouille et embrouille aux pieds des remparts ». Comme dans tout polar, il y a les bons et les méchants. Les bons : l’officier de service au château et une bonne fille qui défendra mordicus son père, accusé de crime, dont je ne vous dirai pas, pour maintenir l'intrigue en suspension aurait-on dit au Moyen Âge, dans quelle catégorie il se rangera. Et les méchants : un chanoine, qui dispense avant l’heure la justice céleste, et une cuisinière qui ne surveille pas son feu. Une belle broche de perdrix brûlée, c’est impardonnable il faut le dire.

Et bien sûr, au milieu de cette distribution des rôles aux habitants de notre bonne ville, un mort, assassiné de surcroit, aubergiste de son vivant, malheureusement ayant l’aiguillette nouée, cocu de ce fait et

finalement défenestré. Je vous rassure, il y a prescription car l’affaire se déroule en 1199. En outre la cuisine lectouroise n’est pas en cause. Nous avons interrogé l’auteur, qui est bien passé à Lectoure mais nous a confié n’y avoir pas mangé. Ouf ! Car le sujet est sensible aujourd’hui…

 

Jean d’Aillon – pseudonyme de Jean-Louis Roos – est un écrivain auteur de nombreux romans policiers historiques. Les perdrix de Lectoure est une courte nouvelle publiée initialement en accompagnement du roman Paris – 1199, puis réunie avec d’autres sous le titre L’évasion de Richard Cœur de Lion et autres aventures. Le héros, chargé de résoudre toutes ces énigmes ayant pour cadre le règne de Philippe le Bel, est Guilhem d’Ussel, chevalier troubadour, une sorte de Sherlock Holmes en cotte de mailles. Un gars vraiment sympathique ce Guilhem, allez disons-le, avec quelque chose de gascon: bonne chair, joyeux compagnon, aimant la castagne, plutôt rebelle et individualiste.

Pour le mettre en situation de résoudre ces énigmes à une époque tourmentée et brutale, Jean d’Aillon a tout d’abord fait subir à son héros un parcours qui lui permettra, avant la vièle et l'amour galant, d’apprendre au sein d’une compagnie de brigands de grands chemins, les fameux « écorcheurs », la ruse et le maniement de l'arbalète, de l'estoc et de la dague. Puis Guilhem passera du bon côté du gibet.

Très documenté, Jean d’Aillon nous fait découvrir, au fil de l’intrigue, un Moyen Âge vivant et sensuel. Le vêtement, la ville, l’art de la guerre et la cuisine y sont décrits avec forces couleurs, senteurs et sonorités. Il est très agréable d’avoir le sentiment d’apprendre l’Histoire en lisant une fiction.

 

La courte aventure lectouroise de Guilhem d’Ussel a pour scène principale nos chers remparts où l'auteur installe l’hôtellerie à l’enseigne de La Maison d’Elie dans laquelle vont griller les malheureuses perdrix – oui, c’est vrai, je ne m'y fais pas, ça me navre. A proximité bien sûr, la fontaine Hountélie, devenue Diane ultérieurement.

Jean d'Aillon, alias Jean-Louis Roos

En repérant les lieux, Jean-Louis Roos a dû remarquer la tannerie royale, totalement postérieure quant à elle à l’époque du récit, qui lui aura fait donner à un tanneur un rôle important et à un certain gant de cuir la fonction d’indice troublant. La cathédrale n’est pas loin bien sûr, et nous l’avons dit, le chanoine ne tient pas ici le beau rôle mais l’honneur de l'Eglise est sauf, monseigneur l’Evêque n’apparaîtra pas sur la scène. Enfin, le château à l’extrémité de la ville où l’on ira chercher l’autorité judiciaire lorsqu’il y aura mort d’homme.

Ici se situera notre seul petit correctif, l'auteur ne nous en voudra pas :

à cette époque, le château n’est pas celui du comte d’Armagnac, qui n’héritera de Lectoure qu’en 1325, mais celui du Vicomte de Lomagne. Une erreur historique – qui n’en fait pas ? – qui n’enlève rien à l’intérêt du récit.

 

Nous n’en dirons pas plus pour préserver intact le plaisir de la lecture de ces perdrix là.

 

Guilhem d’Ussel parcourt l’Europe médiévale en tout sens : Londres,

Blondel de Nesle, le luth et l'épée

Rome, Cluny, Marseille, Toulouse… Il y côtoie certains personnages ayant existé, ainsi Blondel de Nesle, seigneur et trouvère lui aussi, qui se fit reconnaître de Richard Cœur de lion en chantant une romance composée en duo avec le célèbre roi, au pied des murs de la forteresse où l’empereur Henri VI le retenait prisonnier, Trifels dans la forêt du Palatinat. Un exemple parmi d'autres des évènements et des sites historiques où Jean d'Aillon nous guide. Le sens de l'observation, l'intuition et la déduction de Guilhem d'Ussel nous captivent. Son courage et son adresse nous enchantent. Un héros donc, mais un homme qui peut également douter et avoir ses faiblesses. Sympathique, vraiment. Au cœur d'une époque où poésie et maniement des armes n'étaient pas antinomiques.

 

Il est dommage que nos remparts, et notre cuisine, n'aient pas su retenir l'auteur et le chevalier troubadour plus longtemps à Lectoure que le temps d’une nouvelle.

 

Enfin revenons à nos perdrix ! Cette histoire nous a donné envie d’en rôtir quelqu’une à la table d’hôte de la Mouline de Belin et je suis donc parti à la recherche d’une recette. Et devinez où Google m’a conduit : jusqu’au dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas ! Me voilà revenu au précédent alinéa de la rubrique Littérature !!!

Après une introduction à vous faire baver… littéralement bien sûr, le grand écrivain, qui avait réussi tout de même le morceau d’anthologie de faire inviter Porthos et d’Artagnan à la table de Louis XIV*, passe en revue une brochette de recettes de perdrix dont la plupart sont attribuées aux ennemis de notre Gascogne : à l’anglaise, à la parisienne, à la Périgueux, à la bourguignonne, à l’italienne…

 

- Et pas de perdrix à l’armagnac ?!

- Morbleu ! Nous allons devoir remédier à cela.

 

                                                                          Alinéas

Les perdrix de Lectoure - 4ième chapitre du livre L’Évasion de Richard Cœur de Lion et autres nouvelles (Flammarion, 2015)

* Voir Le Vicomte de Bragelonne

Sources:

A propos de Jean d'Aillon et de son œuvre: https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_d%27Aillon

Blondel de Nesle, seigneur et trouvère: https://fr.wikipedia.org/wiki/Blondel_de_Nesle

Les perdrix du Grand dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas: http://www.dumaspere.com/pages/bibliotheque/chapitrecuisine.php?lid=c1&cid=581

Illustrations:

- Les perdrix: Détail d'un vitrail au Musée national du Moyen Âge de Cluny

- Scènes médiévales, broche devant la cheminée et drame derrière les remparts: Le décaméron de Boccace, Gallica BnF

- Blondel de Nesle aux pieds du château de Trifels: J.M. Kronheim, Pictures of english history

- Scène de cuisine médiévale: Kuchenmaistrey, premier livre de cuisine allemand, Peter Wagner 1485.

 

 

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Publié le 13 Octobre 2017

LE CRAYON DE LUMİÈRE

 

Le couvent des Clarisses

 

Les dessins de Bernard Comte, appréciés depuis longtemps d’un petit cercle d’amis et d’amateurs, méritaient d’être diffusés à l’intention des Lectourois et plus largement des amoureux de la belle image. C’est fait depuis décembre 2016. Ils le méritaient à plusieurs titres : sa technique, son sujet de prédilection et l’esprit de son travail.

 

Sur le plan de la technique, nous avons suggéré le néologisme de « traitillisme ». Bernard Comte, mi-plaisantin, mi-modeste dit qu’il ne fait que déposer un peu de noir sur du papier. Oui, mais pas n’importe quel noir. Des milliers de traits qui, par leur proximité ou leur distance, font apparaître miraculeusement la lumière, son inclinaison, sa force ou sa légèreté selon l’endroit ou l’heure. Cette technique qu’il explore, qu’il continue à travailler depuis plus de trente ans avec infinies patience et détermination convient particulièrement bien à la représentation des perspectives, des volumes et des surfaces.

 

C’est donc tout naturellement notre ville qui lui offre matière, chaque jour, au sortir de son domicile de la rue Nationale, à appliquer sa façon très particulière. Et grâce à cela Lectoure nous apparaît ici étrangement, en noir et blanc et pourtant si riche de nuances, multiple et pourtant rassemblée dans ses remparts, témoin martyrisée d’une Histoire effrayante si l’on y regarde et pourtant devenue aujourd’hui pour beaucoup refuge un peu à l’écart du monde, ville que nous voudrions éternelle et que nous savons si fragile : monuments dressés sur fond de ciel lumineux, petites ruelles dans la pénombre, détails piquants ici,

charmants désordres là… le travail de Bernard Comte est une somme unique de représentation de la valeur du patrimoine de la cité d’Armagnac. Les vieilles pierres sont belles et romantiques. Mais elles savent surtout très bien raconter l’histoire des gens d’ici. Oui, les dessins de Bernard Comte témoignent d’un millénaire de batailles, de savoir-faire de bâtisseurs et d’artisans, de foi et de légendes. Une œuvre graphique n’est pas uniquement esthétique ou décorative: elle est l’image d’une époque, une source d’informations et de réflexion pour l’avenir.

 

Enfin l’esprit. Bernard Comte ne dessine que ce qu’il voit. C’est tout ? Oui, mais c’est essentiel. Et c’est là que réside la magie. Dans une époque où le virtuel et le clinquant défilent sous nos yeux à la vitesse du tweet, ces dessins sont simples, naturels et vrais, vrais comme la vie des gens d’ici. Il n’y a pas de nostalgie car nous savons aussi reconnaître la créativité, la beauté dans l’abstraction, dans l’art électronique, que sais-je… Au contraire, par contraste - encore le noir et blanc - les dessins de Bernard Comte sont un nécessaire complément, un équilibre pour notre regard sur le monde. Certains artistes nous propulsent dans de nouveaux univers. Bernard Comte lui, nous parle de nos racines.

 

                                                                              ALINEAS

 

PS. Le tome 2 des dessins de Bernard COMTE, consacré aux communes du canton de Lectoure est sous presse...

 

Maison de vigne - Route de Tané

 

Salle de Combarrau

 

Pigeonnier, aujourd'hui disparu - Domaine de Bacqué

 

Maison forte - Rue de Marès

 

Ponceau du couvent des carmélites - Rue Soulès

 

Le clocher, l'hôtel de ville et la terrasse de la piscine - Panorama sud

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 29 Septembre 2017

UN PETİT COİN Sİ TRANQUİLLE

 

Un petit moulin comme autrefois, blotti dans un vallon à l’atmosphère bucolique. Le rythme reposant du mouvement de la roue à aubes dont le cliquetis contraste joliment avec le bruissement de la chute d’eau. Une bergère et son galant, des lavandières bavardant joyeusement, un groupe de promeneurs endimanchés venus du bourg voisin, un bouquet d’ombrelles colorées, une calèche… Oui bien sûr, c’est un grand classique de notre imaginaire, de notre quête incessante du paradis perdu. Cliché alimenté par le talent des grands peintres, de la Renaissance, de l’école hollandaise et des impressionnistes, romantisme à peine tempéré du réalisme de Gustave Courbet.

 

Et bien bonnes gens, abandonnez là vos illusions! De tout temps, le moulin en activité est un lieu dangereux, rude et bruyant. Au Moyen-Âge, époque du développement de la meunerie, il est conçu, bâti et organisé comme une place forte. Cela peut paraître surprenant. Que peut-on avoir à défendre ? Quelques sacs de farine ? La cassette du meunier ? L’histoire qui suit va nous éclairer.

 

                     " Les moulins du pays fournissaient

toute la subsistance des  troupes espagnoles; plusieurs avaient été brûlés mais ces premières expéditions n’avaient pas suffi à épuiser les ressources de l’ennemi. Le plus important, le moulin d’Auriol,

assurait à lui seul le pain de l’empereur, de sa maison et des six mille vieux routiers attachés à sa personne.

Trois hommes connaissant le pays sont désignés pour conduire au milieu des montagnes, de nuit, cent-vingt Gascons de la compagnie du Sénéchal de Toulouse et leur officier jusqu’à leur objectif.

Aux portes de la ville, ceinte de hautes murailles, la troupe rencontre quelques hommes sans armes ; une seule sentinelle garde l’entrée du moulin. « Qui vive ? » s’écrie-t-elle. « Espagne », répond le Gascon, imperturbable. Mais le mot de passe est « Impero »; la sentinelle tire dans la nuit mais personne n’est touché. Heureusement, la charge de l’arquebuse étant faible, la détonation est sourde. La garnison impériale continue miraculeusement de dormir profondément. Les officiers gascons profitent de ce calme confiant et pénètrent dans le moulin où sont logés soixante hommes. Les soldats royaux frappent alors à coups redoublés sur les impériaux surpris, pendant que leur chef, tirant parti

du trouble, fait grimper une partie de ses hommes sur la couverture du moulin, et par les brèches du toit, crible d’arquebusades les gardes réfugiés dans les combles et pris ainsi entre deux feux. Saisis de panique ceux qui ne sont pas passés au fil de l’épée, se jettent à l’eau par les fenêtres. Malgré le plan formé à distance, l’attaque est exécutée avec une rapidité vertigineuse: en quelques instants, les défenseurs sont exécutés, les meules sont roulées à l’eau, le moulin est la proie des flammes. Pendant cet assaut, un officier garde les portes de la ville et empêche les habitants de sortir pour appeler les secours, l’armée étant répartie à l’extérieur. Cependant l’alarme est donnée et « les arquebusades tomboint fort espaisses comme de pluye » nous dit l’acteur et témoin de l’évènement. La retraite devient pénible : il faut s’engager dans des voies détournées afin d’éviter la cavalerie ennemie qui accourt.

 

C’est un triomphe. Le succès de l’entreprise compromet gravement la subsistance des ennemis. La perte du moulin d’Auriol réduisait le camp impérial « à manger du blé pilé à la turque » et rapidement, la disette fit son œuvre. L’armée de Charles-Quint dut battre en retraite et reprenait, le long de la mer, la route des Alpes, vers l’Italie laissant en Provence plus de vingt-mille morts,

                                 le prix de plusieurs batailles."

 

 

Le récit que voilà est un témoignage historique précieux qui fait apparaître clairement l’importance stratégique du moulin.

 

 

L’évènement a eu lieu en 1534, dans une Provence investie par les armées de Charles Quint. Le triomphe de l’assaut du moulin d’Auriol est celui de Blaise de Monluc, alors jeune officier, le militaire gascon ayant servi cinq rois, dont François 1er en l’occurrence à la date de cette affaire.

L’épisode que Monluc relate lui-même dans ses mémoires est une leçon d’Histoire particulièrement vivante et explicite.

 

Mais revenons à notre moulin médiéval, deux siècles auparavant. La guerre faisant rage de façon quasiment constante, les moulins étaient nécessairement bâtis selon les règles de l’architecture militaire.

 

Moulin de La Salle à Cleyrac en Gironde. Moulin ou château fort ?!

 

Moulin de Bagas sur le Dropt en Gironde. De magnifiques échauguettes d'angles.

 

Moulin de Blasimon en Gironde. Un chemin de ronde en encorbellement.

 

Il faut se resituer dans le cadre du système féodal. Le moulin appartient au domaine du seigneur éminent, ou bien celui de ses vassaux, parents, capitaines et autres chevaliers auxquels l’emplacement a été concédé, en remerciement de leurs services ou pour calmer leurs ardeurs et leurs prétentions, moyennant hommage et finances toutefois. Au domaine seigneurial ou au fief vassal sont attachés un certain nombre de droits économiques et en particulier, concernant le moulin, droit de mouture et droit de passage sur le cours d’eau. Le propriétaire exigera de ses serfs qu’ils apportent leur blé au moulin seigneurial, comme ils devront faire cuire leur pain au four banal. Pour affirmer son autorité, et prélever le prix de son droit, le maître des lieux construira un bâtiment militaire, qui pourra être associé à une tour péagère, abritant parfois son logis pour les moulins les plus nobles et toujours la garnison de quelques-uns de ses gens d’armes.

 

A côté de cette fonction économique du bâtiment, apparaît une double justification à sa fortification, dans le cadre de l’organisation collective.

D’une part, le moulin participant à l’approvisionnement de la cité, plutôt que de monter à l’assaut des remparts, un ennemi peut se limiter à la neutralisation des moulins avoisinants et affamer en quelques jours, clergé, troupe et population réfugiés derrière les remparts du castelnau autour de leur seigneur, protecteur mais impuissant. Il faut donc défendre cette pièce maîtresse du système d’approvisionnement urbain.

D’autre part, le moulin est, par nature, un lieu de passage : digue, gué ou pont. Le moulin joue alors le rôle de tour de contrôle, de poste avancé qui pourra sonner l’alarme.

Une fonction et un emplacement tout à fait stratégiques donc qui justifient que le moulin soit conçu, à cette époque particulièrement troublée, selon les règles de l’architecture militaire. Ponts levis, archères, mâchicoulis, échauguettes… Comme la maison forte citadine, dont le modèle est aujourd’hui à Lectoure la tour d’Albinhac, comme la salle, en campagne, le moulin médiéval se dote des appareils défensifs que l’on attribue plus spontanément aux châteaux forts et, localement, aux châteaux dits « gascons ».

 

Le moulin fort peut être comparé au donjon, dont chaque étage a sa fonction propre dans l’organisation défensive. Pas d’escalier, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur pour ne pas faciliter le passage des assaillants. Est-ce depuis ce temps-là que l’on parle d’échelle meunière ? Le soir venu ou en cas d’agression, chacun se retranchera à son niveau en retirant l’échelle.

 

Pour schématiser, choisissons un moulin à 4 niveaux.

 

Au niveau 0, c'est-à-dire dans la salle de la roue (nous reviendrons bientôt sur le mécanisme des moulins médiévaux où le rouet est logé dans le bâti et non pas, comme une roue à aubes, à l’extérieur) aucune fenêtre, et une porte étroite -il en faut bien une- qui sera surveillée depuis l’étage supérieur par une guérite ou par une coursive posée sur une rangée de corbeaux. Le plus souvent, le moulin est totalement ceint d’eau. Le ruisseau d’un côté, un canal de l’autre, la retenue d’eau en amont. En cas d’attaque, les écluses sont grand ouvertes et, sous l’effet chasse d’eau, les assaillants sont empêchés d’approcher. Bien sûr le rouet en bois est une des pièces essentielles au fonctionnement du moulin et il faut empêcher sa destruction par l’assaillant. Autre danger, qu’un feu allumé à ce niveau suffise à l’ennemi pour détruire le bâtiment sans même avoir à affronter les défenseurs logés plus haut.

 

A l’étage supérieur, celui de la meule, également très précieuse, un pont levis ou une passerelle amovible permettent de défendre la porte d’entrée principale. Peu d’ouvertures mais des archères.

 

Au dessus, l’étage d’habitation qui peut, du fait de son élévation, comporter des fenêtres, avec moins de risque.

 

Enfin sur notre schéma, exécuté pour la démonstration mais sans doute très proche de la réalité de notre Mouline de Belin à l'origine, un hourd sous la pente de la toiture. La charpente est posée en débordement sur le bâti et une ceinture basse,  faite parfois simplement de torchis et de pans de bois. Doté de mâchicoulis et de trappes qui permettent aux guetteurs armés d’arcs ou d’arbalètes de tirer sur les assaillants, ce dernier étage donne au moulin médiéval cette apparence guerrière caractéristique, voulue également pour impressionner, qui a progressivement disparue au fur et à mesure de la ruine et des rénovations pendant les époques qui ont suivi.

 

Car le moulin devenu bourgeois sera sorti du système défensif du domaine noble et de la ville fortifiée. Mais bruyant, industrieux, toujours sous la menace du cours d’eau, son imprévisible compagnon, il ne deviendra pas plus tranquille pour autant. Sauf dans le regard de l'artiste.

 

                                                                              ALINEAS

 

SOURCES:

 

Le récit de l'affaire du moulin d'Auriol est celui de Montluc lui-même dans ses mémoires, rapporté par le Comte de Broqua, Le Maréchal de Montluc, sa famille et son temps aux éditions Lacour, que nous avons légèrement adapté.

ILLUSTRATIONS:

- Bayard sur le pont du Garigliano (1503) par Philippoteaux

- Le sac de Rome par les armées de Charles Quint (1527) par Van Heemskerk. On remarquera un détail de la gravure en bas à gauche: un moulin bateau sur le Tibre est pillé par la soldatesque avant d'être probablement incendié ou abandonné au courant du fleuve.

- Chemin de ronde hourdé de la cité de Carcassonne, Dictionnaire raisonné Viollet-le-Duc de l'architecture du 11ème au 16ème siècle.

- Équipement de l'arbalétrier, Dictionnaire raisonné Viollet-le-Duc du mobilier français de l'époque carolingienne à la Renaissance.

- Photos des moulins de Gironde, La Salle, Bagas et Blasimon, archère du moulin de Piis à Bassanne: X

- Schéma M. Salanié

- Le moulin, par Courbet

 

 

 

 

                                                                 

 

                                                                            

 

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 9 Septembre 2017

 

« La valeur des fruits sauvages ne tient pas à leur simple possession ou à leur consommation, mais plutôt à leur vision et à leur jouissance. Le sens premier du mot « fruit » le suggère. Il provient du latin « fructus », qui signifie « ce que l’on utilise ou ce dont on jouit ». Si ce n’était pas le cas, alors une cueillette de myrtilles dans la nature et faire son marché seraient des expériences pratiquement équivalentes.

Bien sûr, c’est l’esprit avec lequel vous faites une action qui la rend intéressante, qu’il s’agisse de balayer votre chambre ou d’arracher des navets.

 Les pêches sont sans aucun doute très belles et très goûteuses, mais les récolter pour les vendre à l’étal au marché  n’est pas du tout aussi intéressant pour l'esprit que la cueillette des myrtilles sauvages pour notre propre usage. »

 

H.D. THOREAU - Wild fruits

 

Le MYROBOLAN ou PRUNE-CERISE. Le premier fruit sauvage de l'été. Rouge ou jaune, délicieux en clafoutis, aubaine pour les compagnies d'oiseaux et de gamins en maraude.  L'arbuste est précieux comme porte-greffe pour le prunier et l'abricotier autour du Lectourois car il est particulièrement adapté aux terrains argilo-calcaires de Lomagne gorgés d'humidité l'hiver et crevassés pendant les étés trop secs. Par croisement avec la prune il a donné.... la mirabelle, qui ne veut pas dire "regardez-moi, je suis belle" mais remontant à la racine grecque, "myrrhe ou noix odorante". En perdant son Y, mirobolant adjective un caractère incroyable, extraordinaire. Pas mal pour une petite drupe sauvageonne.

 

La MÛRE. C'est un peu notre myrtille à nous. Si l'été est trop chaud, elle finira " tot cramat". Mais cette année, il devrait y avoir quelques bonnes tartes sur la table de notre Mamie des jardins*. A l'opposé de sa mauvaise réputation, la ronce dotée de ses épines est le meilleur auxiliaire de la forêt naissante. Sans sa protection, les jeunes chênes, frênes, aulnes et autres fragiles géants des forêts de Gascogne ne verraient pas le soleil : à peine germés et dressant timidement leurs tendres tiges, ils seraient la proie des chevreuils.

 

La NOISETTE. Arbre vénérable, rescapé de l'ère secondaire, le noisetier accompagne le genre humain depuis 70 millions d'années ! Sait-il l'écureuil prévoyant que ce fruit, parfaitement conçu pour être conservé en vue de l'hiver, est un trésor en oméga 3 ? Le bois de cet arbre, souple et résistant, fournit une matière précieuse en vannerie, tonnellerie et pour la fabrication des manches d'outils agricoles. Plus qu'intéressante la coudre, au pied de la citadelle : indispensable.

 

La FIGUE. Notre ancêtre celte-ibère a dû faire une drôle de bobine quand le conquérant romain lui a offert sa première manne de figue. Car voilà le plus bel exemple d'un fruit (faux fruit pour les puristes), d'origine méditerranéenne, parfaitement acclimaté. Qui n'a pas le sien dans son jardin en Gascogne ? Nous en recensons au moins quatre variétés entre la source du ruisseau sur la crête de Foissin et le Gers, violettes, blanches et celle-ci, une salviotte sans doute, nichée au beau milieu d'un chaos légendaire. Confitures, tartes, fruits secs, un des rares fruits sauvages abondants et enfin, une eau de vie au parfum envoutant avant même d'y tremper les lèvres.

 

La PRUNA de CAN, PRUNE de CHIEN. Laissez-la mûrir le plus longtemps possible. Bien accrochée à sa branche elle deviendra un délice gorgé de sucre au petit goût de réglisse. L'arbuste, haut dressé tout au long du chemin qui grimpe vers les rochers de Cardès, est alors la scène d'un ballet fantasque où se chamaillent geais, merles et corneilles.

 

La CORME. En forme de petite poire ou de petite pomme, en grappe encore dans l'arbre je suis bien trop âpre. Il faudra repasser à l'automne et me disputer à terre, blette, au campagnol et au blaireau. D'un goût subtil, je suis particulièrement riche en vitamine C, très précieuse autrefois à l'entrée d'un long hiver frugal. Pour celui qui en aura la patience, ma confiture est incomparable. Le bois de mon arbre est plus dense que celui du chêne. Dans les moulins, les dents rapportées sur couronne en fonte de l'engrenage multiplicateur étaient faites en cormier.

 

Le SUREAU NOIR ou SAMBUCO. Tartes et confitures seront banales sauf à récolter les grappes de fruit avant totale maturité. Quelques grains encore roses et fermes donneront en effet un agréable petit goût acidulé. Le sureau noir était utilisé  dans les moulins du Saint Jourdain en teinturerie pour habiller élégamment la clientèle de Lectoure à forte proportion noble, bourgeoise et ecclésiastique,  Le sureau peut donner des teintures variant du violine au bleu jean (anachronisme assumé) en passant par un joli gris souris. Ces variantes sont déterminées par l'état de fermentation des baies récoltées ou de la décoction réalisée. Au printemps, la floraison du sureau noir embaume à concurrence de celle du tilleul. La limonade et le cocktail de la Mouline de Belin à base de ses gracieuses ombelles blanches ont leurs inconditionnels.

 

Le CYNORHODON. Le fruit (faux-fruit lui aussi) de l'églantier ou rosa canina (encore un chien!). Rosa canina est le porte-greffe à l'origine d'un grand nombre de rosiers améliorés par les pépiniéristes et les passionnés. Magnifiques ponctuations des haies au printemps, joyeuses lucioles orangées pendant les petits matins brumeux d'automne, voilà une fleur qui se dépense. Le fruit est très riche en vitamine C, 20 fois plus que les agrumes. Faut pas aller chercher dans les pays exotiques ! Il donne une confiture délicieusement onctueuse. Et quand nous étions garnements, matière à gratte-cul...

 

La NOIX. On ne s'imagine pas l'importance du noyer dans l'économie depuis l'antiquité. Aujourd'hui, son petit fruit au goût très particulier est simplement une gourmandise. Il est vrai que quelques cerneaux sur une tartine de confiture de figue, huummm... Mais autrefois, il était utilisé par plusieurs industries, tannerie, ébénisterie et huilerie. Des générations et des générations de nos ancêtres se sont éclairées à la flammèche du calel, petite lampe à l'huile, précieuse non pas magique, qui pourrait être le symbole d'une civilisation agreste pas si lointaine, Il y a trois générations à peine. Alors, le ruisseau de Saint Jourdain était bordé de noyers qui rejettent de souche encore dès que l'on arrête de broyer systématiquement la végétation poussant sur les berges.

 

La POMME. La graine qui a donné naissance à ce joli pommier abouti au bord du ruisseau à Lafon-chaude a probablement roulé-boulé d'un jardin de ville blotti contre les remparts. Malus sylvestris, la pomme originelle a définitivement disparu de Gascogne avec les futaies de l'immense forêt de Saint-Mamet qui couvrait sans discontinuer, au premier millénaire de notre ère, les coteaux nord de Lectoure jusqu'à Sainte-Mère, Castet-Arrouy et au delà. L'Orient et l'Empire romain ont imposé leurs riches sélections variétales. Si Eve a effectivement  craqué pour une pomme sauvage, vue l'antiquité de l'évènement, le fruit à l'origine de la "faute" était bien plus malingre que ces tentatrices rotondités.

 

L'ÉPINE NOIRE. Délicieux petit fruit à condition de laisser passer les premiers gels. Le buisson aux puissantes épines était reproduit et entretenu par les éleveurs lomagnols, avant l'invention du grillage métallique, pour clôturer les pacages. Si sa drupe, comme tous les fruits, peut donner une eau de vie, les vendéens, eux, préfèrent utiliser les jeunes pousses pour concocter la merveilleuse troussepinette**.

 

Le COING. Un cognassier aux quatre coins de mon pré. Ce n'est pas un jeu de mots facile mais une pratique ancestrale. L'arbre, lui aussi introduit par les romains, a la particularité de ne pas drageonner et donc de rester à la même place au fil des années. Le parfait bornage. Prêtez-y attention au cours de vos balades, vous verrez. Les coings sauvages, si le temps est clément, et si on ne me les chipe pas nuitamment ..., donnent la gelée la plus savoureuse. Enfin, le coing est certainement la pomme d'or d'avant la pomme, le fruit de la discorde offert par le berger Pâris à Aphrodite, la prémisse de la guerre de Troie. Il fallait que ça arrive!

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Voilà cher lecteur, sans être exhaustif, voilà un début de recensement des fruits de la vallée de Foissin. Respectons-les. Au delà du plaisir de la cueillette, aidons les habitants, les jardiniers, les équipes municipales, aidez-nous à protéger et à perpétuer ces petits trésors de la nature, ces témoins vivants de l'histoire de nos anciens.

                                                                                     ALINEAS

 

* A l'heure de mettre sous presse comme on disait à l'époque de la gazette, vérification faite, le vent d'Espagne a soufflé et la récolte de mûres espérée a séché sur pied.

** Voilà l'occasion de saluer nos amis vendéens avec lesquels nous avons partagé pendant plus de vingt ans, balades, cueillettes et confitures. Les chemins creux du pays chouan résistent toujours et, à l'ombre des haies bocagères qui quadrillent ce "pays de géants et de genêts en fleurs", germent de beaux caractères, arbres et gens.

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 11 Août 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La discrétion du chemin me ravit. Pendant tout un mois, parcourant la France, je me suis abstenu de troubler l’existence des lieux et des êtres que je longeais. Je me gardais de manifester d’une quelconque façon ma venue. La petite fille de la ferme achevait ses devoirs comme si rien ne se produisait et le père de famille mettait un peu d’ordre dans son atelier. Néanmoins ils n’avaient pas besoin de lever la tête pour remarquer le sillage d’un passant silencieux.

J’ai cru avoir affaire à une manifestation de l’éternité : non point parce que les choses se seraient immobilisées pour toujours (libre à elles de s’ébrouer au soleil ou sous la pluie) mais parce que je demeurais leur spectateur attentif, tout au bonheur qu’elles soient là comme elles l’entendaient. Et si un léger tremblement les affectait, c’est parce qu’une lumière venue de leur dedans les faisait vaciller sans entamer leur disponibilité.
Sur une route, quelle que fût ma discrétion, j’aurais dérangé, j’aurais introduit un début de tumulte.

Pierre Sansot – Chemins au vent

 

 

 

 

Rendre le

 

chemin à la terre

 

Ce n’est pas compliqué, il y a deux sortes de chemins, les petits et les grands. Oui je sais, trop schématique alors que chaque chemin est un monde à lui tout seul, mais suivons pour la démonstration le balisage de la Fédération Française de Randonnée Pédestre, PR et GR.

 

Les chemins de la première sorte, qui modestement flânent ou font un petit tour à proximité de nos villes et de nos villages, empruntent parfois un bout de route, par nécessité ou par facilité. La cohabitation n’est pas toujours désagréable d’ailleurs, certaines routes ayant du charme et tout un tas de choses à dire et à montrer. Mais on n’y marche pas de la même façon. Alors, dès qu’il le pourra, le chemin quittera la route. Chacun reprenant son indépendance. Et sa fonction.

 

Une sous-catégorie de petits chemins, mes préférés, sans exclusive, fuient totalement la compagnie des voies officielles. Chemins noirs, chemins buissonniers, chemins de traverse et de contrebandiers. Ils se tiennent soigneusement à l’écart et sont rebelles à l’application des règles de la circulation. S’il est inévitable d’intersectionner, ce sera perpendiculairement et furtivement, évitant tout échange social qui romprait le plaisir secret, voire égoïste.

 

Les chemins de la deuxième sorte eux, les grands, ont d’autres impératifs: aller d’un point à un autre, généralement dans un temps imparti, en ménageant l’organisme qui doit tenir la distance. On ne plaisante plus. Et si de temps en temps, pour passer un obstacle, le chemin de grande randonnée est conduit à superposer son tracé sur celui d’une route, ce sera pour la bonne cause : aboutir. Pas question de tournicoter. Marcher le plus directement possible vers le but fixé.

C’est d’ailleurs le sens du mot pèlerin, pérégrin : du latin per agri, à travers champs. Car le pèlerin des premiers temps, marchait vers Jérusalem ou Rome à l’orientation, en s’affranchissant des routes existantes. Traversant les campagnes, il était reconnu en tant que pénitent, et non pas voyageur patenté sur les chemins officiels de ville à ville. Crotté, fatigué, estropié, habillé et parlant étrangement il était évidemment repéré de loin. Sous ses pas innombrables, la terre est devenue chemin.

 

Certains ont dû faire le décompte, le GR 65 puisqu’il s’agit de lui ici, emprunte un certain nombre de kilomètres de routes, en France et plus encore nous a-t-on dit en Espagne. Historiquement d’ailleurs, ce sont parfois les routes qui se sont installées sur les chemins préexistants. La loi du plus fort... ou encore, autres temps, autres moteurs.

 

Ce qui compte par conséquent pour un GR, c’est la bonne direction. A notre époque, le balisage et le GPS ont remplacé le sens de l’orientation. Je raconte souvent cette histoire du pèlerin passant devant la Mouline (on les repère quasiment à coup sûr) remontant vers le Nord, depuis Lectoure vers Castet-Arrouy.

 

  • Ohhh, Ohhh ! Vous vous trompez, Saint Jacques c’est par là, lui dis-je, de loin, en désignant l’Ouest.

  • Ach non, me répond-il avec un fort accent allemand, moi ché refiens.

 

Hambourg-Compostelle-Hambourg. Bon,bon, respect !

 

N’étant ni pèlerins ni grands marcheurs, nous ne sommes pas compétents pour porter un jugement sur le tracé du chemin, sauf bien sûr autour de chez nous. J’ai d’ailleurs dit dans mon tout premier alinéa de la rubrique "Chemins" ce que je pensais du détour inutile imposé au GR dans la zone industrielle de Lectoure et de l’intérêt d’emprunter tout simplement la rue Nationale. Ce qui fut décidé. Autrement dit, il est des routes qui valent la peine, a fortiori si ce sont des raccourcis.

 

Et j’arrive ainsi, pas à pas, à notre tout petit bout de (grand) chemin.

 

Saint Jacques et Saint Michel

 

font un bout de chemin

 

ensemble

 

Le 6 décembre dernier, la Mouline de Belin et le Conseil Départemental du Gers ont signé une convention de passage du chemin de grande randonnée (GR) n°65 sur les terrains, propriété de la maison d'hôte, longeant le chemin de la Fontaine Saint Michel depuis le débouché à hauteur de Brescon jusqu'au ruisseau descendant du Couloumé, à 100 mètres du cimetière Saint Gervais. Soit environ 800 mètres de chemin piétonnier.

 

 

 

 

Ce projet, rendre le chemin à la terre, était envisagé depuis longtemps. Nous tenions à contribuer à la sécurisation de nos abords (ce qui n'empêchera pas notre souhait et celui de nos voisins immédiats de voir également la Municipalité limiter la vitesse vraiment exagérée de certains, riverains compris, sur cette voie étroite). Le chemin est réservé aux piétons, vététistes et cavaliers. 

Le Conseil Départemental a répondu très efficacement à notre attente en prenant en charge le balisage et l'entretien de ce tronçon, comme il le fait à différents endroits des chemins de grande randonnée du département, publics ou privés, et en outre ici, en installant un espace pique-nique.  La Commune a de son côté participé en mettant ses moyens techniques en œuvre pour les travaux de terrassement.

 

Nous avions depuis plusieurs années, en prévision, engagé un programme de plantations d'arbres et de végétaux que nous intensifions. Ce chemin est pour nous l'occasion de recréer un rideau végétal qui limite dès aujourd'hui le ruissellement et l'érosion, qui abritera rapidement la faune et enfin, s'inscrira progressivement et durablement dans le paysage. Nous pensons que ce second résultat, écologique et environnemental, est un devoir qui nous incombe vis-à-vis des générations futures.

 

 

 

 

Le coin pique-nique que nous avons suggéré est installé dans un espace ombragé et bénéficie d'un point de vue incomparable sur notre ville. Il est certain que ce cadre illustrera demain nombre d'albums photos-souvenir et de sites internet jacquaires et participera ainsi au développement de la bonne impression que laissera Lectoure dans les mémoires de ces marcheurs. Rappelons que l'on estime à 15 000 le nombre de pèlerins de Saint-Jacques sur cette voie principale, Le Puy-en-Velay – Saint-Jean-Pied-de-Port, du pèlerinage chrétien. Le GR est évidemment emprunté également par nombre de randonneurs au long cours ou à la journée, en individuel ou en groupe.

Enfin, nous sommes vraiment très heureux de voir les promeneurs Lectourois profiter de cet aménagement. A leur intention toute particulière, nous maintenons l'autorisation de passage dans notre bois pour rejoindre à 200 mètres à l'ouest le GR de Pays "Tour de Gascogne" pour redescendre en direction de Lafont-chaude permettant ainsi de faire, au pied de la ville, une petite boucle quasiment intégralement champêtre.

 

S'il est évidemment un élément de notre Histoire locale et plus globalement de celle du monde occidental, inscrit pour sa section de Lectoure à Condom au patrimoine de l'UNESCO, le chemin de Compostelle n'est pas une pièce de musée ou un monument en péril. Bien au contraire, il vit et fait partie de la vraie vie de milliers de personnes, qui y passent ou qui en rêvent, qui préparent leur voyage plusieurs mois à l'avance et qui en parlent encore des années après au sein de leurs familles, de leurs cercles d'amis et dans leurs entreprises. Un chemin en vacances qui vaut bien les plages de sable, la tour Eiffel, le farniente, la Nationale 7, les tropiques...

 

 

Le GR sait ce qu'il doit au pèlerinage jacquaire. Heureusement, aujourd'hui, la pénitence a laissé la place à l'espérance et à la foi sereine. Pèlerins, individus en réflexion ou simples randonneurs, les uns et les autres avancent côte à côte. Ils découvrent notre région à la vitesse de nos anciens. La vitesse de la sagesse.

Pour Lectoure, et pour la Mouline de Belin, le chemin de Saint-Jacques est à la fois, destination, refuge, découverte en passant ou nouveau départ. Joli plan de marche, non ?

Bon chemin !

                                                              ALINEAS

 

Nous dédions cet alinéa à trois jacquets qui nous sont très chers : Chantal, Geneviève et Bernard.

Un petit salut amical également à nos amis vendéens, à Nadine et Patrice, Monique et René, Catherine et Jean-Michel, Marie et Jean-Jacques, Marcel de Bretagne et nos nombreux hôtes marcheurs, pèlerins et vacanciers. Nous parlons de vous souvent; vous nous avez offert nos tables d’hôte les plus chaleureuses et vos départs au petit matin les plus émouvants.

 

Photos: M. Salanié, Google map.

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Chemins

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Publié le 21 Juillet 2017

GRAND VENT SUR

 

L’ANCIEN RÉGIME

 

L’histoire se déroule en 1779, à l’approche de la Révolution française. Le capitaine Paul est corsaire. Un pirate aux yeux de ses adversaires de marine régulière. Sa frégate, L’Indienne, armée par Louis XVI est engagée aux Amériques par les insurgés contre le royaume d’Angleterre. A l’occasion d’une escale à Lorient, le jeune comte d’Auray monte à bord et transmet au marin l’ordre ministériel de convoyer à Cayenne un certain Lusignan condamné à la déportation à perpétuité. Mais pendant la

Capitaine Paul par Lossing, US History Image Source

traversée vers l’Amérique du sud L’indienne est interceptée par un navire anglais, Le Drake. Lors de l’abordage, dont la frégate sous pavillon étoilé sortira victorieuse, Lusignan se comporte héroïquement, et Paul découvre les raisons injustes de l’exil de son prisonnier.

- Monsieur, lui dit-il, vous me raconterez ce soir votre histoire, n’est-ce pas ? Car il y a quelque lâche machination cachée là-dessous. On ne déporte à Cayenne que les infâmes, et vous ne pouvez être infâme étant si brave ! 

Du grand Dumas.

 

Seuls les trois premiers chapitres du roman se déroulent en mer. Il ne s’agit donc pas d’un récit d’aventure, de cape et d’épée ou de pirates. Mais puisque notre Carnet d’alinéas se limite volontairement, en principe, à un périmètre raisonnable autour de Lectoure, voilà l’occasion inespérée de prendre un peu le large. Bienvenue à bord de l’Indienne au moment de sa prise en chasse par Le Drake.

 

« Pendant ce temps le vaisseau que vingt minutes auparavant avait signalé la vigie, et qui était apparu d’abord comme un point blanc à l’horizon, était devenu peu à peu une pyramide de voile et d’agrès. Tous les yeux étaient fixés sur lui, et quoique aucun ordre n’eût été donné, chacun avait fait ses dispositions individuelles comme si le combat eût été décidé. Il régnait donc à bord de l’Indienne ce silence solennel et profond qui, sur un vaisseau de guerre, précède toujours les premiers ordres décisifs donnés par le capitaine. Enfin, lorsque le navire eut grandi encore pendant quelques minutes, la carène à son tour sembla sortir de l’eau comme avaient fait successivement ses voiles. On put voir alors que c’était un navire un peu plus fort de tonnage que l’Indienne et portant trente-six canons ».

 

 

Trois chapitres donc pour tracer le portrait du capitaine Paul, courageux, juste et lucide sur les hommes et le monde. Une sorte de mousquetaire des mers, sauf l’humour, absent du récit contrairement à la trilogie célèbre et qui a fait une part de son succès. Cette longue approche de l’intrigue permet au romancier de dessiner le caractère d'un homme qui va se trouver confronté aux rigidités de l’ancien régime.

 

En effet, revenu en Bretagne six mois plus tard, Paul apprend d’un vieux serviteur de son père décédé dans des conditions mystérieuses, qu’il est le fils illégitime de la Marquise d’Auray. Il est donc le demi-frère d’Emmanuel d’Auray, rencontré à Lorient. Et l’histoire se répète puisque la Marquise cache l’enfant illégitime que sa fille Marguerite a conçu hors mariage avec… Lusignan bien sûr, que l’on a voulu éloigner pour sauver l’honneur. Nombreux sont les bâtards chez Dumas. Drame familial compliqué donc, voire alambiqué à nos yeux aujourd’hui. 

Peinture sociale des mœurs aristocratiques de l’ancien régime où Dumas dénonce les conventions, les arrangements financiers et surtout l’autorité absolue des parents sur leurs enfants.

Dumas porte les idées de son temps. Mais, ses biographes l’ont souligné, petit fils d’une esclave haïtienne et d’un aristocrate, fils d’un général napoléonien, Alexandre Dumas travaillera sans cesse à faire l’amalgame d’origines qu’il ne renie pas, et de son engagement démocrate.

 

Paul s’interpose pour que l’on ne marie pas sa demi-sœur au baron de Lectoure. Voici donc notre « lectourois » entrant en scène.

 

L’homme est influent mais ruiné. De leur côté, pour retrouver leur ancien rang à la cour du roi, Emmanuel d’Auray et sa mère, la Marquise, sont prêts à toutes les compromissions avec le baron.

- Ne sommes-nous pas assez riches pour lui refaire une fortune, s’il nous refait une position ?

En effet, Lectoure lie amitié avec Emmanuel par intérêt, lui offrant le commandement d’un régiment de dragons et, sans même la rencontrer, proposant d’épouser Marguerite. Arrivé au château d’Auray, alors que celle-ci tente de l’éconduire, il lui donne sa vision du mariage, sans détour:

- On épouse, l’homme pour avoir une femme, la femme pour avoir un mari ; c’est une position, un arrangement social. Que voulez-vous, mademoiselle, que le sentiment et l’amour aient à faire dans tout cela? 

On l’aura compris, le baron de Lectoure n’a pas le beau rôle. N’est pas d’Artagnan qui veut. Malgré son nom, celui d’une ville chargée d’Histoire, le personnage ne bénéficie pas d’un seul des traits de caractère du gascon le plus célèbre, le mousquetaire intrépide et plein d’esprit, admiré dans le monde entier.

 

Nous n’en dirons pas plus car on lit Le capitaine Paul avec intérêt. Une galerie de portraits à la charnière de l’ancien régime et de la société née de la Révolution, ou des révolutions puisque Paul est un héros de la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Un contexte de bouleversements politiques choisi par Dumas pour donner à cette affaire de famille romantique, voire à nos yeux mélodramatique, un fond tout-à-fait réaliste et construit à dessein. Roman social donc et non point d’aventure. Les historiens qui étudient l’évolution des mœurs dans le cadre familial situent effectivement au 18ème siècle les grandes mutations sociologiques.

 

Comme a son habitude Dumas part de faits réels pour construire son scénario. On le sait, pour son chef-d’œuvre, Les Trois Mousquetaires paru en 1844, il s’est largement inspiré des mémoires apocryphes de d’Artagnan rédigés par Gatien de Courtilz de Sandras en 1700.

Le capitaine Paul a également réellement existé. Mais il était écossais et non pas breton comme Dumas a choisi de le faire naître pour servir son scénario. Passé effectivement au service des insurgés américains, il est considéré comme héros de la guerre d'indépendance et fait l'objet d'une abondante littérature et iconographie.

John Paul Jones vers 1781, par Charles Willson Peale

Il est connu notamment pour avoir remporté la bataille de Flamborough head sur les côtes britanniques, sa frégate le Bonhomme

Richard ayant sombré après que Paul soit passé à l’abordage sur le HMS Serapis.

Bataille de Flamborough head (1779) par le lieutenant de marine William Elliot

On lui prête la formule pleine de panache, alors que son adversaire lui demandait de se rendre : « I have not yet begun to fight ! » (« Je n’ai pas encore commencé à me battre »). Si Dumas en avait eu connaissance, aurait-il résisté à exploiter cette merveilleuse passe d’armes orale lancée d’un bordage à l’autre ?

 

Mais revenons au baron de Lectoure puisque notre thématique nous discipline. Comment Dumas a-t-il choisi ce nom ?  Voici quelques pistes.

Notre amie Marie-Claude Péres à laquelle nous devons le bonheur d’avoir découvert ce roman quelque peu oublié, suggère qu’Aurélie Soubiran dite Princesse Ghika, connue à Lectoure pour y avoir fini sa vie, fréquentait Dumas père dans le salon littéraire du dessinateur Gavarni durant les années 1840. La genèse du capitaine Paul dans les projets du romancier date plutôt du milieu des années 30, mais cela demanderait à être fouillé.

Le comte de Bastard par Perronneau (1747).

Nous connaissons par ailleurs au moins trois barons nés à Lectoure, voire quatre en tenant compte de la transmission du titre par filiation, que Dumas a pu croiser. Ils tiennent leur titre cependant, non pas de l’Ancien Régime, mais de l’Empire ou de la Restauration. Ce sont Jean-Baptiste de Bastard (1769-1833) et son fils Dominique-Gabriel-Edouard (1797-1868), Jacques-Gervais Subervie (1772-1836) et Jean-Baptiste Dupin (1772-1863).

Si l’on imagine que Dumas a choisi son baron de Lectoure parmi la vieille  noblesse à fin de dénonciation des travers de cette société, les membres de la famille de Bastard sont les plus susceptibles de l’avoir inspiré. Le comte de Bastard dont le musée du Louvre conserve le portrait reproduit ici est d'une génération ayant précédée nos deux lectourois et dont nous n'avons pas recherché le lien parmi une très abondante parenté. Plus âgé que le personnage de Dumas, il nous a semblé cependant bien dans le ton.

 

Disons enfin que, pour retenir le nom de Lectoure, le romancier a pu être tout simplement séduit par une sonorité, un vague souvenir, une information fortuite. Quelqu’un sait-il ?

 

En tout cas, ce rôle romanesque peu glorieux ne pouvait pas servir la réputation de notre ville. Heureusement, pourrait-on dire paradoxalement, malgré son intérêt historique et sociologique, Le capitaine Paul est tombé dans l’oubli littéraire, occulté définitivement par Le chevalier d’Harmental, Le Comte de Monte-Cristo, La reine Margot et bien sûr les romans fleuves autour des mousquetaires de la Reine qui suivirent et assurèrent la célébrité planétaire de Dumas.

 

Et pourtant  Le capitaine Paul, d’abord joué au théâtre en 1836, fut un succès considérable à sa parution sous forme de roman en 1838.

En effet, à la fin des années trente pendant lesquelles Dumas devint célèbre en tant qu’auteur dramatique, les scandales à répétition, trafics de billets, et autres embauches de claqueurs (rémunérés pour applaudir) qui éclatent sur la scène parisienne ternissent le genre.

Dumas par Devéria en 1832 soit 4 ans avant la pièce de théâtre Capitaine Paul

Sur le plan de la morale, la critique et la justice visent les nombreuses situations d’adultère, d’inceste, de prostitution, de meurtre et de viol que les auteurs dévoilent sans pudeur pour attirer un public friand. La censure dramatique est rétablie en 1835 et, comme Victor Hugo, Dumas va devoir adopter un nouveau moyen d’expression. Ce sera la presse à bon marché, qui pour réduire son prix de vente développera la publicité et devra en même temps attirer les quantités de lecteurs qu’exigent les annonceurs. La publication de romans (le terme feuilleton date précisément de cette époque) servira d’accroche. Le journal Le siècle gagnera 5 à 10 000 lecteurs en quelques numéros avec la publication du Capitaine Paul ! Que dirions-nous si Lectoure était affublé aujourd’hui d’une telle image négative dans une série télévisée diffusée à une heure de grande écoute sur une chaîne grand public ? Manifester ? Boycotter ?

 

Ou se battre.

 

Justement, revenons au drame de Dumas et à sa chute. In extremis, le baron de Lectoure retrouve les lois du code de l’honneur en demandant réparation pour avoir été écarté de l’alliance convenue entre les deux maisons nobles. Le duel - il en fallait un -  tournera court car, contre toute attente venant d’un pirate ayant pourfendu ses ennemis lors de maints combats singuliers, Paul qui a pris l’avantage, renonce.

Les deux jeunes gens firent un pas à la rencontre l’un de l’autre. Les lames se touchèrent ; à la troisième passe, l’arme de Lectoure sauta à vingt pas de lui.

- Avant de mettre l’épée à la main, dit Paul au baron, je vous avais offert une explication ; maintenant, monsieur, je serais heureux que vous voulussiez* bien agréer mes excuses.  

Humain et grand seigneur jusqu’au bout, le capitaine sait bien que le dépit d’un homme est lourd à porter.

 

Alors, le baron de Lectoure s’en retournera à la cour de la maison de France, dont, par la voix de la marquise d’Auray, Alexandre Dumas a laissé présager la fin prochaine et tragique.

 

 

 

                                                                     ALINEAS

 

 

* In extremis, il fallait bien que, dans cet alinéa consacré à l’une de plus belles plumes de la littérature française, je vous offrisse ce superbe imparfait du subjonctif.

 

 

Sources :

Il existe plusieurs éditions du roman, certaines à dénicher d’occasion joliment patinées. Mais je me suis au contraire utilement servi de l’édition opportunément parue chez Folio classique (février 2017) qui a l’avantage d’offrir une préface très documentée et savante d’Anne-Marie Callet-Bianco, Maître de conférences à l’Université d’Angers ainsi que la préface de 1858 d’Alexandre Dumas lui-même.

 

Concernant Alexandre Dumas, sa vie, son œuvre, le site qui lui est dédié est une mine : www.dumaspere.com

 

Enfin, pour les amateurs de corsairerie, le vrai capitaine Paul est ici :

https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Paul_Jones_(marin)

 

Illustrations:

- La marine à voile: L'étoile du Roy, Etoile Marine Croisières.

- La famille de l'Ancien Régime: Madame la Marquise de Pons et al., par Philippoteaux

- Le duel: Barry Lyndon, de Stanley Kubrick

- La Révolution: La prise du palais des Tuileries par Jacques Bertaud

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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Publié le 1 Juillet 2017

UNE VIEILLE SOUPE

 

DANS UNE MARMITE

 

D’AUJOURD’HUI

 

 

Vous avez sans doute quelque fois voulu décrire devant vos amis ou vos enfants la succulente cuisine de votre grand-mère. Avez-vous le sentiment d’y être parvenu ? Non ? Moi non plus. Et si malgré l’émotion qui vous envahissait à ce moment là, vous avez pris le temps d’observer votre auditoire avec lucidité, vous vous êtes sans doute aperçu qu’il souriait, touché par votre nostalgie de la jeunesse, de l'affection et du temps qui passe, ou sur le point de vous raconter à son tour ses souvenirs culinaires.

 

Mais la cuisine, le goût, le parfum, la texture, les compositions à l’infini ça ne se raconte pas. C’est comme l’air du temps, une baignade au coucher du soleil sur une plage déserte, un amour de jeunesse… Indescriptible. Profondément intime. Faut goûter.

 

Eh bien, vouloir vous raconter la cuisine médiévale, c’est un peu ça. Et nous ne voulons pas vous faire sourire mais vous régaler.

 

Il y a des historiens bien sûr qui étudient ce magnifique sujet à travers les chroniques anciennes, les instruments de cuisine, les aliments. Tiens, il paraît qu’en analysant les dents prélevées en fouillant d’anciennes sépultures sur une zone où tournaient plusieurs moulins dont les pierres meulières étaient de qualité très variable on a pu  déterminer qui allait moudre sa farine chez le meunier A et qui chez le meunier B…. On n’arrête pas la science.

 

 

Les historiens font un très beau travail et la bibliographie est fournie. Mais vous n’y humerez aucun fumet.

 

Les ethnologues s’y sont attelés aussi, les sociologues, les médecins et bien sûr les cuisiniers. On trouve nombre de recettes, originales ou réinterprétées comme on dit dans les magazines culinaires, que l’on peut essayer de faire soi-même à la maison. Et je ne parle pas des festins médiévaux organisés dans les fêtes du même nom… Ça peut être bon et surtout marrant.

 

A la Mouline de Belin, notre plaisir c’est d’utiliser les produits que l’on trouve dans la nature ou dans le commerce, produits dont nous savons qu’ils étaient consommés par ceux qui nous ont précédés mais qui sont pratiquement tombés dans l’oubli aujourd'hui. Exemple, le millet.

 

Le dicton veut que les meilleures soupes se fassent dans les vieilles marmites. Le contraire est également vrai : la vieille cuisine de nos grands-mères d’avant Louis XI se fait très bien avec un thermostat, un mixer et quelques champignons…de Paris conservés en boîte d’aluminium.

 

 

Bien sûr, il y a la question de l’assaisonnement. Le sel était rare et très

onéreux il y a 800 ans. Aujourd’hui, on ne peut pas se faire plaisir en cuisine en essayant de reproduire des préparations antiques sans du tout l'utiliser. Mais nous pouvons au moins en réduire la quantité pour éviter l’habituation qui génère la lassitude des papilles. Et surtout pour laisser place au goût des autres ingrédients. Pour sucrer les mets il y avait le miel, incomparable. Quant aux épices, ils étaient fort appréciés au moyen-âge, sur les tables fortunées bien sûr.

 

Nous ne sommes ni chercheurs, ni nostalgiques. Alors, voilà trois recettes originales de la Mouline de Belin, faciles à exécuter et qui vous feront découvrir un léger fumet indéfinissable, ou percevoir un goût mystérieux qui vous dira peut-être quelque chose du fin fond de votre mémoire génétique.

 

Et comme boisson me direz-vous ? Ceux qui me connaissent savent pourquoi je choisirais le vin noir de Cahors attesté sur le marché de Londres au 14ème siècle. J’aurais bien aimé également goûter le claret du plateau de Baqué, aujourd'hui disparu mais on en trouve heureusement étiqueté Bordeaux. Et comme le vin blanc était très répandu au Moyen Âge avant d’être transformé en « aigardente » par la grâce de l’alambic armagnacais, un Colombard bien frais fera aussi bien l’affaire. Nous ne pouvons pas oublier la cervoise que l’on brassait dans les chaumières et de fait, par une sorte de bégaiement de l’Histoire… culinaire, la bière est de plus en plus présente sur nos tables gasconnes. Avec le confit ? Pouah!

 

A l’occasion des Journées du Petit Patrimoine et des Moulins, pour vous nous avons testé l’hypocras, profitant d’une manifestation culturelle pour jouer aux alchimistes en toute impunité, mélangeant les épices à notre joli vin de table d’hôte. L’hypocras, une boisson reléguée au rang des curiosités mais qui pourtant fait un très bon apéritif et sera très originale au dessert sur un millas. Foi de gourmand du 21ème siècle.

 

ALINEAS

 

Illustrations:

- Le repas de noces de Pieter Bruegel (détail).

- Photos: Panicule de millet, Rucher de la Mouline de Belin, et Terrine de pâté végétal. M. Salanié.

 

 

Voici les recettes servies à nos visiteurs des JPPM 2017 que nous saluons bien amicalement.

Aline Salanié

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Cuisine

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Publié le 11 Juin 2017

 

QUATRE PETITS MOULINS

ET PUIS S’EN VONT

 

 

Nous vous emmenons faire un petit tour des moulins à eau de Lectoure aux environs des 17ème et 18ème siècles. Le tableau de François Boucher crée l’ambiance. Il est un peu solennel avec son temple antique mais précisément, disposés dans un amphithéâtre inversé autour du promontoire nos moulins regardent la noble cité gasconne comme un décor de fond au ciel grandiose. Et puis, malgré son romantisme rococo, cette veduta à la française donne une image sans doute assez exacte de la réalité du petit moulin artisanal qui a succédé à la salle fortifiée du Moyen Âge et sera balayé par la bâtisse industrieuse des 19ème et 20ème siècles.

La scène est restituée par un ouvrage rare, dédicacé au roi Louis XIV et conservé au musée Condé de Chantilly : « Description des provinces et des villes de France », de Pierre de La Planche, 1669. Ce document est connu des amateurs de blasons car il en recense 560 dont celui de Lectoure, doté de moutons plutôt que de béliers d'ailleurs.

Rédigée par un enquêteur du guide Michelin de l’époque que l’on s’amuse à imaginer portant perruque poudrée et haut chaussé d’escarpins, la description de notre ville dans cet ouvrage est à la fois proche de nous puisque l’on reconnaît bien les lieux et si loin déjà. Jugez-en.

Le circuit des murailles est ponctué de « quantité » de tours, la ville est ouverte sur l’extérieur par deux portes, du côté Saint Gervais subsistent les vieux fossés isolant la citadelle de son faubourg, mieux encore, le pont-de-piles avec « une tour qui se ferme » (?), la (regrettée) flèche de la cathédrale réputée pour être la plus haute du royaume, 80 puits intra-muros, les chevaux qui s’abreuvent à la fontaine dont on ne dit pas qu’elle est à Diane, la dispense de l’impôt de la taille, heureux habitants…, la maison de ville avec les inscriptions romaines et, côté campagne, c’est à peine imaginable aujourd’hui, de part et d’autre du ruisseau au septentrion (càd Foissin), la vigne! Oui, je vous le redis, heureux habitants de Lectoure au Grand Siècle. Quoique…. il faudrait confirmer en goûtant de ce vin là.

Vous trouverez l’intégralité de ce superbe document dans sa forme originale en cliquant sur ce lien :

http://www.bibliotheque-conde.fr/wp-content/uploads/pdf/laplanche/2_283_284.pdf

Revenons à nos moulins. Ils ne sont pas nommés avec précision par le rédacteur. Puisqu’ils sont dits « petits », on aura tendance à ne pas y ranger la Mouline de Belin qui est, en outre, un peu retirée par rapport au périmètre de la description et, ce n'est encore qu'une supposition, est peut-être déjà désaffectée.  On s’avancera à lister, d’amont vers l’aval, le moulin des Ruisseaux, la Mouline, la Mouline de Roques et Repassac. En retrait du cours du ruisseau et peut-être actionnée par la force animale, la Mouline de Cardès, elle, son nom le laisse supposer, est probablement dédiée au travail de carderie des tissus et non pas à la mouture des céréales.

 

D’autres documents d’époque sont bien mal renseignés. Regardez-moi ce plan dit de la collection d'Anville, qui ne manque pas d'intérêt pourtant. Pas de ruisseau à Foissin ! Donc pas de moulins, mais quelques jolies bâtisses bourgeoises embellies de jardins à la française s’il vous plaît. Un plan de ville trop sec établi par un arpenteur rigoureux, assorti d’un paysage pour épater la galerie, galerie des glaces bien sûr, composé par un artiste qui ne s’est pas dérangé pour vérifier sur site ! Une cartographie qui se cherche, entre état-major et paysagisme. Dommage, nous aurions eu pour la première fois le texte et l’image.  

 

Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime on estime en général qu’une meule pouvait approvisionner 500 personnes en bonne farine. Aux 17ème,18ème siècles la population de Lectoure étant de plus de 5000 habitants, on recherchera une dizaine de meules, un moulin établi sur le Gers pouvant en aligner plusieurs. Il faut donc aller mouldre notre blé ailleurs : au nord, Lamothe et Mouline de Bazin (photo ci-dessous sur le ruisseau de Bournaca), au sud Saint Gény. Et puis les moulins à vent, mais c’est une autre paire de meules.

Nous observerons une autre fois les moulins indiqués sur la célèbre carte de Cassini car elle nous conduira à une forte évolution dans notre décompte. La Mouline de Belin n’y sera pas plus du nombre, étant même transformée en « vacherie »! Les relevés ayant permis l’établissement de la carte de Cassini de la région d’Agen ont été effectués entre 1769 et 1778 pour une publication en 1784. La page est bien tournée, le 19ème siècle se profile et annonce les temps modernes de la meunerie.

Pour l’heure, notre balade  finit avec le site de Lamothe sur le Gers qui affiche sept siècles d'activité! Sa salle du 13ème qui a pu abriter un premier moulin, suivie de deux autres bâtiments, dont un sans doute actif pendant la période que nous évoquons brièvement, et l’exceptionnel pont-barrage du même nom. La carte postale reproduite ici représente le troisième de ces moulins, plus récent, incendié et déjà ruiné pour notre plus grand regret car ses deux tours et sa galerie en faisaient un bâtiment à l’esthétique très originale.

Voilà un patrimoine exceptionnel qui disparaît sous nos yeux, épuisé par tant d’efforts, déclassé par l'évolution technologique, par les impératifs économiques, bousculé par l'eau tout simplement.

Abandonné par ceux-là même qu’il a nourris, s’allongeant définitivement sur le lit de la rivière, le vieux moulin laisse pour toujours courir sur sa dépouille le flot à peine brassé par une digue qui veut encore tenir.

Sur les berges, la nature reprendra très vite ses droits.

ALINEAS

Sources:

- Le plan de la collection d'Anville in extenso en cliquant ici:

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8592238j.r

Les documents de recensement suivants ont été réalisés par Gaëlle Prost, Chargée de l'Inventaire du patrimoine à la Mairie de Lectoure. La photo de la Mouline de Bazin dans le corps de texte en est extraite.

- Salle de Lamothe

http://patrimoines.midipyrenees.fr/fr/rechercher/recherche-base-de-donnees/index.html?notice=IA00038846

- Pont-barrage de Lamothe

http://patrimoines.midipyrenees.fr/fr/rechercher/recherche-base-de-donnees/index.html?notice=IA32001039&tx_patrimoinesearch_pi1%5Bstate%5D=detail_simple&tx_patrimoinesearch_pi1%5Bniveau_detail%5D=N3

- Mouline de Bazin

http://patrimoines.midipyrenees.fr/fr/rechercher/recherche-base-de-donnees/index.html?notice=IA32001094

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Moulins

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Publié le 26 Mai 2017

SAUVAGES

et

 

TENDRES

 

À LA FOIS

A un nuage de pollen de Lectoure en direction de la Garonne, Berrac organisait le 28 avril sa deuxième balade botanique. Un rassemblement que n’auraient pas renié les druides officiant au cœur de la forêt de grands chênes avant que ce pays ne s’appelle Gascogne. Y trouvait-on déjà à l’époque la courroie de Saint Jean et l’herbe aux femmes battues? Et quelle paëlla antique en mijotaient-elles nos ancêtres mamies celtes-ibères?

Les trois icônes de la balade: lamier, ortie et respounchous

 

 

Par un petit matin frisquet mais lumineux donc, à l’initiative de l’association « Berrac Village Gersois », une trentaine de cueilleurs s’étaient réunis devant l'enceinte du village pour une messe verte, certains totalement novices et d’autres adeptes de religions sœurs, restauration, culture du safran et même hydroponie (ce sera l’occasion pour nous tous de découvrir cette magie - voir ci-dessous). Aline, officiante de cette assemblée recueillie, était appelée à transmettre sa pratique des plantes sauvages mais comestibles.

 

« Mais pourquoi ce mais? » me direz-vous?

 

Parce que dans notre esprit très (trop) formaté d’enfants d’un siècle dit paradoxalement « postindustriel », un légume s’achète au poids, débarrassé de toute glèbe, étiqueté, filmé et certifié. Alors que pendant des millénaires, nos ancêtres se sont nourris, soignés, régalés des fruits de la terre. Et qu’il faut enfin retrouver ces gestes simples, comme il faut réapprendre à scruter un horizon, écouter le silence ou marcher dans la nuit.

L’un des plaisirs de ce retour à nos racines étant de joindre l’agréable à l’utile et de savoir accommoder avec gourmandise ces saveurs et ces textures subtiles, sans expédier coupablement trois messes basses, après avoir rempli leurs paniers de plantain, alliaire, ortie, tilleul, moutarde, rumex, menthe suave et autres pâquerettes, les participants passaient à la cuisine. Pour ma part, retenu dans notre moulin par les tâches très domestiques d’un potager de printemps (il en faut aussi), j’ai tout de même entendu d’ici sonner les cloches d’une ambiance bon enfant que seules la table et l’amitié peuvent agiter.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le festin partagé: tourte au lierre terrestre, fleurs de lamier sur fromage de chèvre, canapés radis et pâquerettes

 

 

Enfin le rite initiatique devait être complété ce jour là par les recommandations sinon pour cultiver, du moins pour protéger ce jardin grand ouvert des agressions de notre mode de vie invasif. La balade botanique a donc trois fonctions -ne suis-je pas trop sentencieux ?-: outre la (re)connaissance et la cueillette des plantes, elle permet de repérer les lieux, de se réapproprier, de se réintroduire soit même dans l’espace naturel et aussi de prendre conscience des besoins de protection des espèces menacées, comestibles ou non d’ailleurs car la nature est un tout.

 

La flore est pacifique, et comme nous sommes ici, nous humains, comme toujours dans un rapport de force, si nous ne maîtrisons pas nos instincts, si nous ne choisissons pas de préserver ce jardin primaire et bien il ne résistera pas à la progression et à l’emprise de nos marges macadamisées, stéréotypées, stérilisées.

 

Cette nature sauvage et tendre sous la dent mérite d’être protégée et dégustée avec respect. A Berrac on vous dit « Bonne balade, bonne nature et bon ap’ ! ».

 

ALINEAS

 

PS. Il y a de ces coïncidences! Le 12 mai, je publiais un alinéa sur les Templiers de Lectoure et je découvre aujourd'hui, à l'occasion de cette rubrique botanique, que dans l'organisation financière de l'Ordre des moines-soldats, le respounchous, la jeune pousse de tamier, était le nom donné à la cotisation des maisons templières de France et d'Occident aux finances, centralisées par région puis au sommet pour contribuer à l'effort de guerre en Orient. L'image du prélèvement annuel limité à sa partie supérieure et qui ne perturbe pas le développement de la plante est particulièrement parlant.

Une vidéo sur cette balade à Berrac a été mise en ligne par Marion et Nicolas Sarlé, hydroponistes https://www.youtube.com/watch?v=e5gBK8ifv3Q

Il faut également visiter leur site pour découvrir la magie de l'hydroponie, culture hors sol mais très respectueuse de l'environnement, et tellement bien mise en image et en texte par ce couple sympathique. http://www.lessourciers.com

Photos Ysabel de la Serve, Michel Salanié

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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Publié le 12 Mai 2017

 

Les vieux papiers de Lectoure recèlent encore la trace de quelques trésors qu’il y a plaisir à chasser. Pas celui que l’on prête aux Templiers, volatilisé dans les infâmes fumées des bûchers de Philippe le Bel mettant fin à deux siècles d’une incroyable et tragique aventure, mais précisément, le trésor d'une Histoire oubliée.

 

Un érudit lectourois, anonyme à ce jour que je remercie cependant à l’occasion de cet alinéa, a relevé minutieusement dans les archives des notaires de notre ville au Moyen Âge les noms de lieux de l’époque, de nombreux étant toujours utilisés, d’autres ayant été remplacés, certains totalement inexpliqués et sujets potentiels à recherches passionnantes.

 

Nous sommes encore par exemple quelques-uns à nommer couramment « Saint Jourdain », par affection ou romantisme, le ruisseau de Foissin qui longe le promontoire de Lectoure au nord. Par ailleurs, nous savons que la petite vallée que creuse le ruisseau a longtemps été désignée par « Coma batalhera », Vallon de la Bataille, sans que l’on puisse dire à quel combat cela rapporterait, les historiens ne connaissant pas d’affrontement organisé de deux armées (définition admise du terme « bataille ») aux pieds de notre ville, même si elle fut on le sait, maintes fois assiégée, disputée, investie.

Et c’est là que la scène de notre alinéa voit son décor mis en place. Ces deux noms de lieux voisinent sur la carte reconstituée par notre érudit, à l’endroit de l’actuel château du Couloumé, avec un troisième toponyme, mystérieux au premier abord : « Napeloza », Naplouse.

 

Il n’y a plus de doute. Ces trois toponymes, Saint Jourdain, Vallon de la bataille et Naplouse sont très certainement le témoignage de l’implantation, sur ces lieux mêmes, d’un établissement de l’Ordre des Templiers. Ce n’est pas être grand clerc que faire le rapprochement mais il a fallu attendre chez nous un éclair de lucidité un peu poussif, j’en suis presque honteux…

 

Remontons le temps. Depuis 1120, date de sa fondation lors du concile …de Naplouse (!), les Pauvres Chevaliers du Christ, par la suite dénommés Chevaliers du Temple de Salomon et enfin plus brièvement Templiers, bénéficient partout en Occident de donations de domaines nobles dont ils tireront les revenus nécessaires à l’exécution de leurs missions de protection des pèlerins qui se rendent sur le tombeau du Christ et de libération de la Terre sainte de l’emprise des Mahométans. En quelques années, le Temple deviendra immensément riche et ce fut là aussi, deux siècles plus tard, sans doute l’une des raisons de sa chute brutale. Mais ceci est une autre histoire.

 

Nous savons que les Templiers avaient des possessions à Lectoure bien qu'à notre connaissance il n’ait jamais été précisé où, sauf la métairie de Saint-Jean-de-Somonville sur la route de Lagarde-Fimarcon. A la suite du procès des Templiers et de la bulle du pape Clément V « Vox in excelso » proclamant la suppression de l’Ordre, « Davin de Roaix, Capitoul, curateur et garde des biens du Temple dans la sénéchaussée de Toulouse, arrive le 16 mai 1313 avec une délégation du Sénéchal pour mettre les Hospitaliers en possession des biens qui leur avaient été adjugés. En présence de Guillaume de Larochan, bailli de Lectoure pour le roi d'Angleterre et des consuls de la ville, devant la porte de l'ancienne maison du Temple, il en donne l'investiture à Bernard de Saint-Maurice, précepteur de Castelsarrasin et procureur de Raymond d'Olargues, lieutenant du Grand-Maître de l’Ordre de l'Hôpital, futur Ordre de Malte, dans le Grand-Prieuré de Saint-Gilles »*. Car après une longue transaction entre le Roi et le Pape, l’ensemble des biens du Temple avait été attribué à l’Ordre des Hospitaliers. Pendant les grandes épidémies de peste, le site accueillera les pestiférés mis à l’écart de la ville et soignés tant bien que mal par quelques courageux. Le château du Coloumé que nous connaissons aujourd’hui, posé à la limite du faubourg et regardant vers le vallon au pied des remparts du nord, recèle peut-être quelques traces de ce passé exceptionnel.

 

Remontons à présent encore un peu plus le cours de l’Histoire.

 

Nous ne savons pas quel donateur avait, à l'origine, doté le Temple d’un domaine à Lectoure, peut être pour s’assurer d’une absolution totale, promise par les prélats prêchant la croisade à une époque où la crainte des feux de l’enfer était infiniment plus que ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui. Autre hypothèse, le domaine pouvait être la propriété d’un chevalier remettant à l’Ordre en formulant ses vœux -obéissance, chasteté et pauvreté-, l’ensemble de ses biens dans ce monde, argent, meubles et terres. Une fois donné, le domaine était organisé sur le modèle de la seigneurie et géré comme une pacifique exploitation agricole de rapport. Avec en leur sein des frères dits « de métier », paisibles agriculteurs, artisans, gestionnaires, non combattants, les Maisons devaient dégager les revenus dont avait considérablement besoin l’Ordre combattant dans les royaumes francs d’Orient.

 

Mais précisément et pour en revenir à nos trois toponymes, il semble évident qu’ils ont été attribués à ces lieux non pas par un frère de métier mais par un véritable chevalier Templier, retraité, rapatrié à l’arrière en quelques sortes. Un moine-soldat que l’on présenterait aujourd’hui comme un ancien combattant, un grognard avant l’Empire. Etait-ce une gueule cassée, un blessé, lassé des terribles combats, victoires et défaites alternant, dont peu de chevaliers revenaient ? L’Histoire nous donne l’exemple de certains de ces moines-soldats, jetant l’éponge, ayant choisi de revenir en Occident où ils pouvaient être accueillis pour finir leurs jours dans quelque abbaye ou Maison de l’Ordre. Notre homme était-il Lectourois d’origine ? Etait-il le donateur du domaine, de retour sur ses bases arrière, "at home"?

 

Dans tous les cas, il ne doit pas avoir été grand bâtisseur ou d’une longévité suffisante pour mettre en valeur et développer la Maison du Temple de Lectoure car celle-ci nous serait alors parvenue plus imposante, comme il y en a tant d’autres en France et dans tous les pays d’Europe, monumentales, mystérieuses, solennelles, sûrement belles. A proximité de Lectoure, la commanderie d’Ayguetinte, la chapelle d’Arbin, le moulin de Roques à Astaffort, Gimbrède évidemment, La Chapelle en Tarn-et-Garonne et en Lot-et-Garonne l'imposant Temple-sur-Lot.

 

Notre Templier ne fera pas parler de lui. Cependant on imagine un caractère bien trempé, un personnage portant sur ses épaules fatiguées, son Histoire et celle de l’Occident. Une figure pour le moins convaincante au point de marquer ainsi les lieux.

 

Il faudra plusieurs alinéas pour donner de plus amples informations sur les Templiers à Lectoure : pourquoi « Naplouse » ?, la période du procès, l’héritage des Hospitaliers… La trace est ténue mais on ne devra pas la perdre. Disons déjà que l’on ne peut prétendre à ce stade, puisque la question vient immédiatement, que notre moulin ait été construit par l’Ordre mais ce n’est pas à écarter.

Et la bataille me direz-vous ? Quelle bataille hantait les souvenirs du Templier de Lectoure ? Si l’on s’en tient à la proximité avec la seigneurie de Naplouse, l’une des places fortes et fief du royaume de Jérusalem, il peut s’agir de la bataille célèbre, perdue pour les latins, des Cornes de Hattin, également à proximité… du Jourdain. Le désastre d’Hattin (1187) a marqué le début de la reconquête de la Palestine par Saladin, la perte de Jérusalem intervenant la même année. Notre mystérieux chevalier serait donc sujet à cauchemar et non à rêves glorieux.

 

L’épopée et la fin dramatique du Temple ont suscité une littérature considérable, plus ou moins historique ou franchement romanesque, pas toujours de qualité. Le procès des pratiques du rituel initiatique des frères n’est pas clos. La recherche du supposé trésor bat toujours son plein. On retrouve l’Ordre dans toutes les conspirations, cathare, franc-maçonne, rosicrucienne… La filmographie est également particulièrement riche où le preux chevalier tient une place évidemment de premier plan. Il y a des traitres, des mercenaires, des renégats et certains ennemis peuvent même êtres sympathiques. Le western en cotte de maille. Enfin sur le web, le Moyen Âge ayant la cote (encore une), les jeux de rôle virtuels fleurissent.

La chevalerie, le mystère de la règle des moines-soldats, l’exotisme de l’Orient, tout concourt à faire revivre les Templiers. A Lectoure, il en est un qui repose à jamais.

Alinéas

 


*Source Grand-Prieuré de Toulouse, M.A. Du Bourg (1883)

PS. Les toponymes rapportant aux Templiers sont très fréquents mais ils semblent peu souvent relatifs à des sites orientaux. Un cas rare, à quelques kilomètres au sud de Nérac, le moulin de Nazareth aurait été doté par le seigneur du même nom, fief de la principauté de Galilée et de Tibériade, et attribué à la commanderie templière d’Argentens. Sans oublier notre ville voisine de L'isle-Jourdain.

Illustrations: Montage titre M. Salanié - Prise de Jérusalem par Gustave Doré - Le château du Couloumé et son parc M. Salanié - x - Le dernier croisé K.F. Lessing - Le Temple-sur-Lot x - La bataille d'Hattin Sébastien Mamerot - Kingdom of heaven - Vitrail Ecosse.

Documentation: les ouvrages sur ce sujet sont particulièrement nombreux. Pour faire simple, nous vous recommandons "Les Templiers" dans la collection In Situ des Editions MSM. Riche, argumenté, et magnifiquement illustré.

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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