A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
a Poterie du Don est située sur la commune du Fel, à l’extrême nord du département de l’Aveyron. Lieu d'exception. Les volcans d’Auvergne en arrière-plan comme un héritage tutélaire, un piédestal de lauze.
Pour cimaises à son art, Le Don jouit d'une vue à 180° sur la haute vallée du Lot qui garde la mémoire de ses gabares, sur le chemin pèlerinant vers Conques, sur les vignobles occitans, un lointain de nuées océanes...
Suzy et Nigel Atkins ont créé cette belle affaire artisanale dansles années soixante-dix dans une bergerie, au fin fond d’un canyon improbable, "Les Gorges du Don". En 2007, le succès ne se démentant pas et la perspective d’une heureuse succession ont conduit le couple à déplacer son entreprise sur un axe routier plus accessible, entre Rodez et Aurillac, dans un bâtiment à l’architecture audacieuse qui permet de développer aujourd’hui trois activités complémentaires : la production de poterie utilitaire du Don, d’une qualité et d’une originalité à la fois entretenues et renouvelées, le partage de l’espace commercial avec les meilleurs potiers de France et d’Europe, et enfin, comme un miracle dans ce paysage du bout du monde, la galerie qui accueille chaque année plusieurs expositions d’artistes de renommée internationale, attirant les collectionneurs avertis, fidèles de ce haut lieu de la création céramique.
Kélian Atkins, aujourd’hui en charge de la Poterie du Don, poursuit la belle aventure familiale en compagnie de Léonor Salanié, nous y voilà, potière également et mère de leurs deux enfants, Nathanaël et Héloïse, qu’ils laisseront, le moment venu, modeler leurs propres destins. Mais on peut espérer...
Tous deux habitués et amoureux de Lectoure, Kélian et Léonor ont décidé d’ouvrir une vitrine Rue Nationale. Les amis de la Mouline de Belin y retrouveront la vaisselle qui embellit sa table d’hôte de ses couleurs profondes, de ses éclats de lumière et de liserés mordorés, production complétée d'une sélection de pièces de céramique et de bijoux d'artisans invités.
Alinéas
La Vitrine du Don à Lectoure, au N° 39 Rue Nationale.
Mon grand-père Auguste habitait un moulin. Un autre moulin. Entre Quercy et Périgord. Il cultivait un très joli jardin. Bien mieux tenu que le mien, mais j’ai des excuses.
Oui, le lecteur fidèle aura remarqué que je fais souvent appel à la caution de nos anciens. Paroles de sages en héritage. Façon de patrimoine virtuel.
Donc, Auguste offrait souvent à ses visiteuses une rose de son jardin en précisant que c’était là le privilège de l’âge de pouvoir honorer la beauté d’une femme sans provoquer la jalousie de son cavalier ou l'intervention de son tuteur.
Avec lui, et devenu grand-père à mon tour, je vénère dans mon panthéon, les galants célèbres qui ont également, en mots joliment choisis et agencés, chanté la femme en la comparant à la reine des fleurs. Ronsard, Hugo, Apollinaire… Toutefois, depuis les remparts de la citadelle d'Armagnac, j’ai préféré interroger l’horizon de notre éden gascon, outre-neige, derrière la montagne-fontaine, au pays cousin où l’on jette les pétales de rose, comme des banderilles, aux pieds de Dulcinea, Carmen ou Concepción. Le grand poète espagnol Federico García Lorca inverse la métaphore et compare la rose aux charmes féminins.
Facile un alinéa de photos ? Ce serait sans compter le temps de jardinage. Et celui à passer à badauder devant le résultat. Voici donc les roses de notre Mouline. Avec une prédilection pour les rosiers anciens. Encore l’héritage. Et le côté sauvage. Le nom de chaque sujet n’est pas toujours certain. Particulièrement lorsque nous les avons chinées dans les jardins voisins. Certains sont poétiques, d'autres démodés. Mais il faut bien rendre hommage à la patience de ces rosiéristes, geppettos sculptant leurs créatures dans les bois de Rugosa et Canina, alchimistes de la ronce, de véritables artistes, inventeurs de beauté, de surcroît renouvelée saison après saison.
Lady of Shalot. Un bout de légende de La Table ronde.
Moschata. Musquée et très généreuse pour les abeilles du rucher d'Arrajacamp.
Peut être Lili Marleen. Une voix dans la nuit du port de Hambourg.
Rugosa.
Une centifolia, mais laquelle ? Tour de Malakoff ? Au parfum envoutant.
Ghislaine de Féligonde.
Iceberg.
Félicité et Perpétue, du nom de deux enfants martyrs de l'Afrique du nord romaine, aux premiers siècles chrétiens. Grimpées sur la pergola par centaines, ces roses pompons saluent le clocher cathédral Saint Gervais et Saint Protais, également enfants martyrs, en Italie ceux-là.
Ambridge.
Opélia s'apprêtant à traverser le ruisseau.
Concours de rose : Queen Elisabeth versus valériane.
Albéric Barbier. Montait sur le toit d'une maison garde-barrière en Vendée. La voie ferrée, la barrière et le rosier-mère ont disparu. Se plait bien en Gascogne.
Madame Alfred Carrière. Prélevée à la gare, dans une maison "de famille".
Jacques Cartier. "...si t'avais navigué à l'envers de l'hiver..."
Sans doute l'un des vieux murs les plus photographiés entre Le Puy-en-Velay et Saint-Jacques de Compostelle. Rimosa.
" Quand je vois dans un jardin / Au matin / S'esclore une fleur nouvelle / J'accompare le bouton / Au téton / De son beau sein qui pommelle. " Pierre de Ronsard.
Ma préférée: Mermaid. Chinée à La Fontaine aux Bretons, à Pornic, pendant un séminaire de Direction...
Autrefois le carnet intime restait discrètement glissé dans le tiroir de l’écritoire, avant de passer, avec le temps, dans une malle au grenier, au mieux remontant à la lumière quelques années plus tard, à l’occasion d’un grand ménage, d’un héritage ou de travaux de rénovation de la toiture. Carnet de dessin des jeunes aristocrates du Grand Tour au 18ème, journal de jeune fille timide ou calepin de vieux soldat fatigué de ses batailles, parfois glorieuses, souvent inutiles, livre de main du commerçant, souvenirs, pensées, poèmes et autres tentatives littéraires. Des quantités de carnets ont ainsi été tenus avec minutie et passion. Nombreux sont ceux restés inachevés. Beaucoup ont finalement disparu. Quelques-uns ont fait le bonheur d’un descendant ou d’un chineur. Les plus précieux sont édités ou muséifiés : les aquarelles de Delacroix au Maroc, le journal d’Anne Franck, Ceux de 14 de Maurice Genevois…
Aujourd’hui, le carnet se tient sur internet. Évidemment vous me direz : « Bonjour l’intimité ! ». Mais chacun fait comme il veut. Rien n’interdit de rester déconnecté. Et, fin du fin, pour le plaisir de l’écriture « à la main », on pourra préférer, même à l’ère cybernétique, le chic d’un Moleskine logé dans la poche du veston, compagnon discret des moments de réflexion sur soi-même.
J’ai cependant choisi de vous présenter, sur ce Carnet d’alinéas précisément, trois de ces journaux d’aujourd’hui, visibles sur la toile, à l’autre bout de la planète, instantanément, par la magie de ce nouveau sésame qu’est le moteur de recherche. C’est au hasard de la rédaction de mes chroniques tous azimuts dans les domaines aussi variés que l’histoire, la botanique ou les beaux-arts, que j’ai découvert ces trois blogs (je concède exceptionnellement l’emploi du terme puisque mes consœurs françaises, deux blogueuses sur trois, ne répugnent pas à l’emploi de cet horrible substantif anglais) aux noms très personnels : Gersicotti-Gersicotta, Donohuecompostelle et EloditHello.
Gersicotti-Gersicotta - un nom bien zébuloné - existe depuis plus de dix ans. En soi, c’est déjà remarquable dans un monde où la persévérance n’est pas la principale qualité. Sylvie Legrand, gersoise d’adoption, publie ses photos, au gré de ses balades, accompagnées de quelques récits, informations et commentaires. Lectoure y a sa place. Il faut fouiller ;
Vue depuis Terraube, Lectoure coiffée des platanes de la RN 21 aux Gallis. La colorisation un brin "impressioniste" ne nuit pas à l'exceptionnelle profondeur de champ de l'image.
il y a des clichés très intéressants et, visiblement, Sylvie a fait des progrès depuis ses débuts. Je trouve qu’elle pourrait être plus sélective et travailler le texte. Près de 1500 amis sur facebook tout de même ! Ah oui, il faut le préciser, un blog qui n’a pas sa page sur facebook (c’est encore mon cas, je fais mon discret) n’atteindra pas le public le plus large. Et c’est une des caractéristiques du carnet sur internet : vouloir être vu précisément ; liké (aimé), partagé (communiqué à d’autres), buzzé (faisant parler)… Fini, le secret de l’écritoire. Autres temps, autres mœurs.
Je veux féliciter cette grande blogueuse, pour sa capacité d’autodérision. Sylvie reproduit par exemple intégralement, bien aimablement je trouve, une critique, par une certaine revue J’aime pas et j'critique tout, de ses sujets sur les champs de tournesols, il est vrai relativement récurrents : « Encore des articles sur les tournesols ? Il est temps que madame Gersicotta se renouvelle… Que nenni, elle s’obstine malgré tout prétextant égoïstement qu'ici elle fait ce qu'elle veut comme elle veut et que si elle a envie de poster 200 articles sur les tournesols alors elle le fera au nom de sa liberté d'expression artistique ». Même pas vexée Sylvie. Allez, tiens, à titre de soutien, voilà ma contribution à la folie des tournesols, profil lectourois en prime, que mon cyber-carnet avait pourtant jusqu’ici évitée. « Tiens bon, Sylvie ».
Donohuecompostelle lui, comme son nom l'indique, est un blog pèlerin. Ellen et son amie Molly, américaines de Détroit, état du Michigan, ont marché du Puy-en-Velay à Saint-Jean-Pied-de-Port de 2013 à 2018. Je ne suis pas sûr qu’elles aient été particulièrement motivées spirituellement mais… il faut de tout pour faire un grand chemin. Saint Jacques leur pardonne.
Ellen et Molly sont donc passées à Lectoure en octobre 2014.
Nous ne commenterons pas les compliments adressés à la Mouline de Belin. Merci, c’est gentil. Plus drôle est le récit de leur circuit dans notre bonne ville. Arrivées assez tôt à la maison d’hôtes, avec 33 kilomètres dans les sabots tout de même, nos deux copines sont allées faire un petit tour Rue Nationale. Enchaînant deux bistrots, dont le célèbre café des Sports (strange eighties European discoteque decor). Et donc deux bières chacune...
Menu pèlerin à Estaing.
Revenues à la maison, comme elles ne nous ont pas avertis : menu pèlerin comme d’habitude, et donc apéro et vin compris… Nous les trouvions un peu bizarres. La conversation était un peu débridée. Nous avons pensé, naïfs que nous sommes, que la faute en revenait à notre mauvaise expression en anglais. En fait, l’explication nous est apparue, quelques semaines plus tard. Confession sur internet. « So four drinks total, but I guess these days that’s a lot for me. I remember laughing really hard about something, but I can’t think of what it was right now. It’s making me cringe a little to remember it, though, because we were the only two people there and the owners were hovering nearby, serving us dinner and making convo, and there I was obviously on a hard buzz. I kept running up to the bathroom in my room and Molly complemented my good kidney function ».
- Allez les filles, merci, nice to welcome you in Lectoure et hips....ultreia !
Enfin, le troisième de ces blogs, EloditHello, a ma préférence. Et pourtant il n’y est pas question de Lectoure ! Oui, mais il est rédigé par une lectouroise, Elodie Chapelle, ingénieure packaging, expatriée depuis 2014 en Thaïlande. J’ai découvert ce blog par hasard via Google car, il y a quelques mois encore, il portait le nom de Lectoure-Bangkok. Essayez, vous verrez, la recherche aboutit toujours. Alors pourquoi changer de nom ? Eh bien, se justifie notre blogueuse, parce que le thaïlandais moyen ne situait pas très bien…
- Franchement, Elodie, c’est pas sympa. Si vous autres dans les postes avancés, vous mettez votre drapeau gascon dans la poche, comment on fait nous, dans la citadelle ? Oui, je sais, tu as quand même parlé du melon. C'est bien le minimum.
Elodie, entre ses deux dauphines. La fille aux cheveux courts. Un style quelque peu commenté en pays thaï, nous dit-elle...
Allez, on ne t’en veut pas. Il est vraiment très chouette ce blog.
Je vous invite à aller y faire un tour. Vous verrez, Elodie fait des balades fantastiques, dans des pays merveilleux, Chine, Inde, Népal, Iran… Les photos sont bluffantes. Sportive, joyeuse, curieuse. C’est une jeunesse qui fait vraiment plaisir à voir.
- Adishatz Elodie. Reviens-nous, quand même !
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- Alors, qu'en pensez-vous ? Sympa le blog, hein ? Et il aurait fallu le laisser à l’ombre ? Dans le secret de l’écritoire ?
Notre Mamie-des-jardins nous avait dit : « Méfiez-vous : c’est une garce ! Elle se faufile partout. » Effectivement, il a fallu déplacer rapidement le potager, heureusement embryonnaire, vers une zone indemne. On ne voyait plus les salades, ni les fèves.
La Prêle des champs est absolument indestructible. Elle a malheureusement été combattue par des doses de désherbants importantes, en pure perte. Car ses rhizomes plongent à un mètre de profondeur, dans d’anciennes poches humides où s’est amassé le sable, transporté là pendant des siècles par l’érosion. De l’eau et de la silice, voilà son substrat. Alors, la Mouline de Belin est son royaume.
Les innombrables sites internet consacrés au jardinage, à la nature en général et évidemment aux plantes médicinales décrivent abondamment la Prêle des champs, et ses cousines des marais et des prés, ou encore la Prêle d’hiver, sans rameaux, en vogue dans les jardins japonais. On ne va pas vous le refaire.
Si ? Allez, rapide alors. Avant de partir en balade.
Appelée Asprela en vieux français, pour sa grande âpreté, puis communément, Queue de cheval, de rat ou de renard, Coda de vop,Vopelh en gascon, voire Écouvillon, la prêle est originale tant par sa nature que par ses usages.
A gauche, la pousse fertile. A droite, de jeunes pousses stériles.
Elle pousse en deux temps : la tige fertile d’abord qui ressemble à un champignon et qui disparaît rapidement après avoir lâché ses milliers de spores. Puis la tige stérile qui attire, rassemblée en massif, l’attention du promeneur.
Oui, c’est un drôle de végétal, rêche comme de la paille de fer. Pas étonnant, elle contient 10% de minéraux, potassium et silicium. 70% dans ses cendres ! C’est-à-dire du sable d’une certaine façon. Au point d’avoir servi autrefois de matière à polir. Le fin du fin d’avant le papier de verre, "dont les ouvriers imagers, peigners, et autres faisans choses délicates, se servent pour polir
leur ouvrage l’en frottant" écrivait Olivier de Serres en 1600. Et certains artisans perpétuant le savoir-faire ancestral, ébénistes et luthiers, y auraient encore recours pour bouchonner leur belle facture.
Encore la silice : à côté de l’ortie et du bambou, dans les médecines naturelles, la prêle est réputée pour son action protectrice et réparatrice sur les os, les muscles, les tendons et le cartilage. Nous, nous la récoltons à la pleine lune avec une serpette en argent, mais pour faire simple, vous la trouverez en gélule, sachet, gouttes chez votre pharmacien ou votre magasin bio, et même en vrac au marché. La tige fertile cueillie jeune est comestible mais, repus ou prudents, nous n’avons pas essayé.
Toujours la silice : au jardin, le purin de prêle est réputé pour lutter contre les maladies cryptogamiques, éloigner les pucerons et les acariens et de façon générale, pour renforcer les plantes. Vous affinerez les utilisations en préférant l’extrait fermenté, la décoction, l’infusion, la macération. Oui je reconnais, là, ça devient technique.
Après le sureau (voir ici) nous avons donc encore affaire à une panacée.
Il ne lui manque que le parfum. Mais la prêle compense ce déficit de distinction par son esthétique originale. Ce port élancé, géométrique et mystérieux, sans pareil dans les herbages et les prairies. Un design quasiment industriel. Métallique si ce n’était ce vert tendre. La tige à étage, comme un Lego, et des brindilles fil de fer. Mais cette rigidité cache une structure cassante et fragile. Les ikebanistes savent que le sujet doit être soigné pour espérer le maintenir dressé jusqu’à la mise en scène. Il faut emporter avec soi le récipient d’eau où tremper la tige prélevée sans délai. Et encore ! Sans doute en fonction d’un métabolisme hydrique très sensible, nous avons vu certains bouquets courber misérablement l’échine, instantanément après la séparation d’avec la terre nourricière.
"Les marcheuses". Oeuvre de Jeanine Biasolo. Impression végétale sur tissu, réalisée par la technique du tataki zome (marteler teindre).
- Bon, ça va Alinéas ! On la fait cette balade ?
- Oui, oui. Tenez-vous bien. On remonte le temps. Et pas qu’un peu.
La prêle était déjà présente sur terre au Dévonien, c’est-à-dire entre 400 et 360 millions d’années.
Pas un pèlerin en vue donc. Côté faune, des mygales géantes et des escargots gros comme des oies. Et les premiers vertébrés amniotes, dont l’embryon est protégé par un œuf à coquille: les dinosaures ne sont donc pas encore apparus. Dépêchons-nous.
Fossile d'équisétacée, à Malpasset (83)
Notre prêle antédiluvienne mesure de 10 à 20 mètres, mais certains sujets ont pu culminer à 40 mètres ! Rassemblée en groupes denses, elle côtoie les fougères arborescentes et les ancêtres de nos conifères dont les résidus ligneux formeront le charbon à l’époque du Carbonifère qui suivra. Je résume un peu…
Nous sommes au cœur d’une forêt fantastique. Le groupe des Calamites, aujourd’hui disparu, est le plus étonnant. Les troncs sont cannelés, brillants et articulés. Les feuilles ont une forme d’assiette, protégeant les feuilles sporangifères en dessous et installant une pénombre profonde, alors que la prêle, elle, offre une frondaison lumineuse. L’envol des spores crée, par nuées effilochées, une atmosphère colorée et épaisse. Au centre de la terre, Jules Verne était sur le bon chemin.
Par une suite d'évolutions adaptatives et par sa capacité à se reproduire et à plonger en profondeur dans le sol, la famille des Equisétacéesrésistera à toutes les phases de glaciation et de hausse des températures qui suivront, provoquant des extinctions de masse, tant chez les végétaux que chez les animaux, la dernière étant, dit-on, peut-être en cours.
Notre frêle prêle des champs n’est donc pas une garce, ni un intrus, ni un danger. Elle est un survivant, hautement respectable pour cette raison, un patrimoine botanique précieux dont l’esthétique et les nombreuses utilisations nous ravissent, année après année. Elle est abondante, vous pouvez la cueillir en chemin. Mais pensez bien à faire à ce vénérable végétal, au passage, votre respectueuse révérence.
Portant son trait d'esprit au-delà de nos remparts comme d'autres livrent sur les marchés de France la rondeur parfumée de notre fruit fétiche ou le bleu de notre ciel, il ne met jamais sa ville natale dans sa poche, pas plus que son béret par dessus. Il est le Lactorate* illustrateur : Pertuzé de Lectoure.
Bon, je vais faire attention à ne pas tomber dans la flagornerie. Ayant quelques indices sur la composition du personnage, je crois qu'il n'apprécierait pas. Mais tout de même. Depuis 40 ans il est connu des fanas de BD, de beaux livres, des amateurs de coquineries et galipettes, des collectionneurs d'affiches, des lecteurs de la presse, (presque...) toutes opinions confondues, de directeurs de la communication et de publicitaires à la recherche de médias suscitant à la fois attention et sympathie, de formateurs fignolant leur boite à outils pédagogique... "Illustrateur en tous sens", c'est sa devise.
- Illustrateur, c'est un métier ça ?
Ce cher Wikipédia, que nous avons avec Pertuzé en parent commun, nous explique : "Une illustration est une représentation visuelle de nature graphique ou picturale dont la fonction essentielle sert à amplifier, compléter, décrire ou prolonger un texte".
- Eh bé !!! On connaît des textes qui auraient mieux fait d'être des dessins tout de suite.
Enluminures, lettrines, gravures puis, de nos jours, profusion de photographie et de quadrichromie, de tout temps l'écriture a recherché le soutien de l'illustration. Qui parfois se révèle être plus puissante et emporte l'adhésion mieux que la phraséologie. Jusqu'à ce que certaines BD en perdent la bulle. Alors l'image se veut suffire et laisse toute latitude à l'imagination, y compris celle de se tromper sur l'intention de l'illustrateur.
Mais Pertuzé, lui, ne nous laisse pas trop gamberger sur le sens de ses dessins. Non seulement il sert efficacement le texte, mais de surcroît, lui-même écrit avec verve. Il faut lire sur son site, ses portraits de Lactorates(re*). Un régal de trouvailles, d'érudition et d'humour. Ce n'est pas une sanction, mais l'auteur-dessinateur y laisse suspendus à leurs cimaises les Illustres trop officiels de l'Hôtel de Ville, pour nous raconter la petite et la grande Histoire de ceux qui ont vraiment vécu à Lectoure.
Auparavant, et c'est une de ses grandes œuvres, Pertuzé a illustré les Contes de Gascogne collectés par un autre lectourois célèbre, Jean-François Bladé, au 19ème siècle, in extremis avant qu'ils ne se perdent définitivement dans la nuit des temps rustiques.
Que seraient-ils devenus pour le grand public, sans la vista de notre illustrateur, ces récits de veillées et de "despouilladés", décorticages de maïs rassemblant tout le voisinage ? Seuls quelques gasconisants, les spécialistes de la culture populaire et les étudiants en sociologie et linguistique y trouveraient matière à recherche savante. Pertuzé a réalisé là, comme Bladé avant lui, non seulement un sauvetage de patrimoine culturel en danger, mais une belle œuvre graphique d'aventure fantastique. Si, comme le dit James Salter, "seul ce qui est écrit a réellement existé", seul ce qui est dessiné est vraiment toujours vivant.
Respectant le principe fondateur de ce cyber-carnet, nous avons sélectionné exclusivement des illustrations où Lectoure apparaît dans le décor, voire même dispute la vedette au scénario.
Pour le reste, il faudra arpenter les rayonnages des libraires et surtout ceux des bouquinistes, des Pyrénées à Garonne, sur les marchés aux livres toulousains de saint Pierre, saint Aubin, ou ceux de saint internet, car il se fait rare l'artiste. Sous son béret, il observe la planète s'exciter à tort et même à travers. Qu'en dessinera t-il ? Tous ses aficionados scrutent l'horizon pertuzéen. On vous préviendra.
Alinéas
* "Les Lactorates étaient le peuple aquitain (proto-basque) dont la capitale était Lactora, l'actuelle ville de Lectoure". Encore Wiki.
PS. La flèche de la cathédrale qui pointe derrière Gargantua est parfaitement conforme à l'Histoire. Pertuzé a corrigé mon photomontage mal renseigné, sur cet alinéa-là: On a retrouvé la flèche de la cathédrale !
Plein Ouest, vu depuis la route de Condom. Château, clocher du Saint Esprit, Cathédrale. Jolie perspective aux pieds de la ville, encadrée de peupliers. Pour l'ambiance: orage gascon en formation.
Lectourois qui vous montez le cou, trop fiers de votre ville : « Votre ville, dites-vous, est antique et jolie, cela ne nous surprend pas, Lucifer l’a bâtie » dit Dastros, curé de Saint-Clar.
1907. André Gide et ses deux amis, sous le charme de Diane. Comme quoi...
Aux pieds des remparts, l'évasion rocambolesque d'Henri de Montmorency, gouverneur du Languedoc en disgrâce. Au 17ème siècle, le château, s'il n'est plus comtal, est une place encore suffisamment forte pour faire office de geôle royale. Mais c'était compter sans la volonté d'une mystérieuse et dévouée marquise dont Pertuzé traque l'identité sur son site Lactorate.
Pertuzé, Maître graveur es-coquineries. Mais, me direz-vous: "Nous ne voyons pas Lectoure ici !". Si, si, la grange est bien de chez nous. Et nous connaissons toujours d'aussi belles girondes.
Illustration de La chouette, une nouvelle d'Alcée Durrieux, avocat, érudit, auteur en langue gasconne et autre figure locale, tout ce qu'il y a de plus respectable si vous en doutiez.
Beau panorama. Vu du Nord-Est. Vous pouvez vérifier, Pertuzé respecte la réalité historique. Sur votre carte IGN, tracez une ligne droite entre le clocher cathédral et la ferme du Bustet où se tient habituellement le sabbat. Ces deux innocentes, touchées par un malin sort, ont bien survolé la vallée du Saint Jourdain à cet endroit précis, entre les rochers de Cardés et la Mouline de Belin.
Bladé l'avait rêvé, Pertuzé l'a dessiné. Nous on l'a vu passer, l'abbé. Mais en Deuche. Et pas plus de 80 km/h !
Une très belle composition. Avec la rue Montebello perpendiculairement, je dirais: rue Soulès. Plus près du Carmel que des Clarisses. Mais on ne va pas ergoter, à un ponceau près.
Et pour finir, la tour du Bourreau. Pertuzé a retrouvé le sinistre lactorate. Qui, à sa décharge, n'est qu'un exécuteur de sentence. Un second couteau, si j'ose dire...
Et pour le béret, il faut absolument parcourir cette incroyable mine de documents, d'humour, d'anecdotes à propos de notre couvre-chef gascon. In english please, as the author is from New-Zealand. Si nous faisions autant de bonne pub à ce joli et sympathique pays que ce blog en fait à la Gascogne, les all-black n'oseraient plus nous mettre la pâtée. En outre le béret du Lactorate illustrateur y figure. Alors...
DES TOURS DE NOTRE DAME AUX REMPARTS DU CHÂTEAU DES COMTES D'ARMAGNAC
C'est avec une profonde tristesse que nous publions à nouveau cet alinéa paru en 2017.
C’est une des plus belles pages de la littérature française.
Il se fit un silence de terreur parmi les truands, pendant lequel on n’entendit que les cris d’alarme des chanoines enfermés dans leur cloître et plus inquiets que des chevaux dans une écurie qui brûle, le bruit furtif des fenêtres vite ouvertes et plus vite fermées, le remue-ménage intérieur des maisons et de l’Hôtel-Dieu, le vent dans la flamme, le dernier râle des mourants, et le pétillement continu de la pluie de plomb sur le pavé.
Cependant les principaux truands s'étaient retirés sous le porche du logis Gondelaurier, et tenaient conseil. Le duc d'Égypte, assis sur une borne, contemplait avec une crainte religieuse le bûcher fantasmagorique resplendissant à deux cents pieds en l'air. Clopin Trouillefou se mordait ses gros poings avec rage.
- Impossible d'entrer! murmurait-il dans ses dents.
- Une vieille église fée! grommelait le vieux bohémien Mathias Hungadi Spicali.
- Par les moustaches du pape! reprenait un narquois grisonnant qui avait servi, voilà des gouttières d'églises qui vous crachent du plomb fondu mieux que les mâchicoulis de Lectoure.
- Voyez-vous ce démon qui passe et repasse devant le feu? s'écriait le duc d'Égypte.
- Pardieu, dit Clopin, c'est le damné sonneur, c'est Quasimodo.
Le Notre Dame de Paris de Victor Hugo a été adapté maintes fois et souvent magnifiquement, au cinéma, au théâtre, en comédie musicale, en bande dessinée. Une aventure baroque, passionnante, profonde et populaire à la fois. L’un des romans de langue française les plus connus. Ne vient-on pas du monde entier visiter la cathédrale de Paris en pensant autant sinon plus à l’enlèvement d’Esméralda par le bossu qu’au mariage du futur Henri IV ou qu’au sacre de Napoléon, des évènements quant à eux et parmi tant d’autres qui s’y sont réellement déroulés. Victor Hugo a donné au lieu où se déroule l’action de son invention une sorte de personnalité, une vie, un caractère au sens littéraire du terme, qui dépasse le monument gothique en tant que tel et qui en est aujourd’hui devenu le qualificatif indissociable dans notre esprit.
Et Lectoure est donc évoquée dans ce passage du roman qui raconte l’assaut de la cathédrale par les truands venus libérer la bohémienne.
Lectoure citée par la voix d’un «grisonnant qui avait servi», autrement dit un vieux soldat. L’homme se serait-il battu à Lectoure ? Le titre exact du Roman est «Notre-Dame de Paris. 1482». Soit neuf ans après la prise de la capitale des Comtes d’Armagnac par les armées de Louis XI. Le roi dont les Lectourois parlent encore aujourd’hui avec acrimonie, peut-être injustement nous y reviendrons, tient une place dans le roman. Hugo se documentait de façon très approfondie avant d’écrire et devait connaître, peu ou prou, cet évènement tragique de l’histoire de notre ville.
Mais Victor Hugo est-il passé à Lectoure ? Oui, certainement. Cependant, pas avant d’écrire Notre-Dame de Paris, qui est paru en 1831, mais douze ans plus tard, en 1843. D’où l’ordre des éléments du titre de cet alinéa respectant la chronologie de la vie de l'écrivain.
En effet, dès 1825 Hugo voyage en France et en Europe. Faisant partie de ces précurseurs des voyages d’agrément, intellectuels aisés et relativement aventureux, il découvre la France qui sera celle des Misérables, des Travailleurs de la mer ou de la Légende des siècles. Il est accompagné de sa femme puis de Juliette Drouet, sa maîtresse qui annotent, classent et complètent l’incroyable somme documentaire que le grand homme constitue. Curieux de tout, il enregistre nombre d’anecdotes et de traits de caractères que l’on retrouve dans sa prose comme dans sa poésie. Il y a autant d’humour que d’analyse psychologique et de tendresse dans ses portraits, de véritables instantanés avant l’avènement de la photo de tourisme : cochers, cafetiers, servantes, paysans, bourgeois et officiers croisés sur la route et à l’étape.
Hugo est également un fantastique dessinateur, explorant avec facilité les techniques les plus originales. Théophile Gautier a dit de lui « S’il n’était pas poète, Victor Hugo serait un peintre de premier ordre ». Au 20ème siècle, les surréalistes le considéreront comme un précurseur. Il dessine en particulier les paysages tourmentés, les ruines, les châteaux, les formes de l’architecture gothique qui peuplent son imaginaire romantique.
Nous savons avec certitude qu'il est parti d'Auch ce 4 septembre 1843, après la visite de la cathédrale, les stalles de son chœur et ses vitraux observés et mémorisés avec grande érudition. Et l'on se plait à deviner, dans l’après-midi, la diligence arriver à Lectoure, passer le pont de Saint Gény et gravir lourdement la vieille côte*, pour enfin s'arrêter sur le bastion où il faudrait procéder au changement des chevaux. L'étape est encore longue, aura-t-on patienté en prenant une collation dans un estaminet ? Hugo y aura alors observé avec gourmandise la belle servante, amusé par les effets de voix de quelque pilier de comptoir à l’accent rocailleux. «Encore endormi en arrivant à Agen, j’ai cru voir la mer. C’était la Garonne qui me faisait cette gasconnade».
Puis, sous un ciel menaçant magnifiquement, alors que la diligence descendait de la haute ville vers le pont de piles pour reprendre la voie romaine, Hugo aura jeté un coup d’œil au vieux château de la Maison d’Armagnac, ruiné depuis 1473.
Peut être a-t-il croqué la citadelle d’un trait de fusain, regrettant cependant qu’elle ait perdu de sa superbe. La superbe des souvenirs du vieux soldat de Louis XI mêlé à la populace en colère, aux pieds des tours de Notre-Dame.
ALINEAS
* En fait à l'époque, plus sûrement, la diligence ne monte pas en ville, ce qui représente un effort énorme pour les bêtes. On peut penser que les chevaux ont été remplacés dans le relais de poste de l'actuelle avenue de la Gare (maison Martine Cantérac-Vetter). Corr. 20/04/23.
CREDIT:
- Paris Notre-Dame vue du quai de la tournelle 1852 Jongkind/Taveneaux
- Le château de Vianden dessiné par V. Hugo 1871
- En vignette: Notre Dame par Alfred-Alexandre Delauney
Voici dix petites choses sans importance. Mais faut-il que tout ait de l’importance ? Petits bonheurs visuels, impromptus, des riens-du-tout qui ne veulent pas passer inaperçus pour autant.
Ça me rappelle le frichti de ma grand-mère. Impossible de savoir ce qu’il y avait dedans, des restes, du réchauffé, pour ne rien perdre, mais bon sang que c’était bon !
Et puis il y a ces discussions entre amis, sans queue ni tête, à la terrasse d’un café, au premier rayon de soleil. Le visage d'un passant, furtif, et qui pourtant resurgit à intervalle dans le souvenir, aussi clairement que s'il s'était agi d'un parent.
Parfois même, voilà qu’un de ces riens prend toute la place. Parce que la vie n’est pas faite uniquement de gens importants, ou de grandes décisions. Ce serait bien trop triste.
N'ayez pas d'inquiétude, ce n'est pas un inventaire ! Je sais que vous n'avez pas beaucoup de temps. Et puis, pour faire un inventaire, il faut être poète.
Non, en faisant mon rangement de printemps, j’ai simplement retrouvé ces instants, futiles comme je les aime. Je vous les offre. Sans manière. Pour le plaisir de bavarder.
Alinéas
Sorcellerie ? Non, dernière confiture de la saison : pastèque gingérine. Récoltée avant les gelées chez la voisine, mûrie à l'ombre en hiver. Cuisson à surveiller. Ça caramélise sans prévenir. Mais quand c'est bon, c'est très bon.
Pèlerine du genre parachutiste/Adidas en train de régler son walkman sur le chemin de saint Jacques. Autour, c'est le printemps.
En ouvrant les volets ce matin, invitation au voyage. S'envoler oui, mais vers où ?
C'est vrai que le vert sied aux roux.
- Oh, mon dieu ! Cachez ce sexe michelangelesque..
Le village des brocanteurs de Lectoure n'est franchement pas fréquentable.
Celui-ci m'a fait gâcher de la pellicule (encore une expression à ranger au musée des vieilleries) en virevoltant de bas en haut du grand chêne. Et puis là, il a consenti à prendre la pose. Oui, vu le tapis de mousse, c'était tentant.
Panier de "sauvages comestibles". Le bouquet ne se mange pas.
J'ai rêvé que je changeais de voiture. Bentley Mulsanne.
Durant l’été 1907, Lectoure reçoit la visite d’un équipage de trois personnages qui ne sont pas des inconnus mais passeront sans doute pour tels dans notre petite ville, bien éloignée à l’époque des salons et des gazettes. Inconnus mais remarquables puisque ces touristes voyagent en voiture automobile, rareté encore dans nos campagnes, laquelle mécanique tombera en panne de surcroît. On imagine l’attroupement devant l’atelier du garagiste, rue nationale.
En fait, comme pour le passage de Victor Hugo, en diligence soixante ans plus tôt (voir ici), nous ne connaissons pas le cheminement de ces messieurs distingués dans la citadelle. Y ont-ils mangé ? Y ont-ils dormi ? Il est facile de les imaginer, pour le moins, devant le panorama des Pyrénées sur la terrasse du bastion, peut-être attablés à la Taverne des Sports. Par contre, nous savons qu’ils ont été très intéressés par la fontaine Diane, car l’un d’eux, André Gide, relatera cet épisode dans un courrier adressé à son ami Henri de Régnier.
« L’heureux hasard d’une panne au cours d’un petit voyage en auto m’a laissé découvrir cette source … le long du chemin en tortueux raidillon qui mène, entre deux hautes murailles ruisselant de valérianes fleuries, à ce repli de roc d’où sourd cette eau consacrée à Diane (ou comme le nom de Fonthélie semble indiquer : à Apollon)… l’abord en est charmant et m’a rappelé quelque peu celui de la fontaine de Syracuse ».
Gide et ses amis croiront distinguer sur la fresque qui orne la voute de la fontaine des auréoles, leur faisant alors inventer une sainte Fontélie. Enième nom, totalement fantaisiste, qui vient se mêler aux discussions érudites et aussi abondantes que l’eau de la fontaine, à propos de l’étymologie du lieu (1). Mon toponyme préféré ? Gascon tout simplement, hounteliu, lieu où il y a des sources. Mais on ne demande pas son avis au cyber-carneteur.
L’écrivain poursuit : « Une eau sans ride, dont on ne voit pas le fond, forme comme un sol de jaspe à cette salle extraordinairement mystérieuse ; les murs moussus y plongent ; elle vient affleurer la margelle sur le bord inférieur de laquelle poussent les plantes dont [...] les tiges se courbent vers l’eau ».
En 1907, André Gide connaît déjà une certaine notoriété, acquise avec Les nourritures terrestres en 1897 et L’immoraliste en 1902, deux de ses principaux ouvrages où il engage son combat contre le conformisme et les conventions sociales. Le fameux « Familles, je vous hais ».
A Lectoure, Gide est accompagné d’Eugène Rouart, homme politique et de François-Paul Alibert, poète. En vacances près de Toulouse, les trois compagnons bouclent un périple qui les a menés jusqu’ici, en passant par Auch, Mont-de-Marsan et Condom.
Gide fera également, à cette occasion, une échappée individuelle dans les Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques de l’époque) où il a des attaches. Son ami Francis Jammes (2), le poète béarnais, avec lequel il a voyagé en Algérie en 1897, vit chez sa mère à Orthez. Et Madeleine, sa cousine et épouse, est une habituée des thermes de Pau. Comme à son habitude, au gré du trajet, il collectionne les coupures de journaux, note les anecdotes, observe les lieux et les caractères qui lui serviront de modèle pour ses prochains ouvrages.
Précisément, en 1914, Gide publie Les caves du Vatican, une sotie (3), c’est le terme qu’il choisit pour qualifier cette satire humoristique de la bonne société, où Lectoure tient une place, mais très modeste. Un récit relativement décousu qui met en scène une bande d’escrocs simulant un enlèvement du pape afin de soutirer des fonds à de crédules catholiques fortunés.
La scène se passe dans le château de la comtesse de Saint-Prix (!), près de Pau. Un faux abbé expose avec maints détails, l’évènement incroyable, une conjuration de la franc-maçonnerie. Un faux Saint-père a renié la cause de la royauté et a fait applaudir la république ! Ce suppôt imposteur a même donné une interview au Petit Journal !
- …Madame la comtesse, ah ! Fi donc ! Léon XIII au Petit Journal ! Vous sentez bien que c’est impossible.
Et la rançon exigée pour libérer le pape ?
Valentine de Saint-Prix poussa un faible gémissement et perdit connaissance….
- Sur ces deux cent mille francs, nous en avons déjà cent quarante
et comme la comtesse ouvrait un œil,
- La duchesse de Lectoure n’en a consenti que cinquante ; il en reste soixante à verser.
- Vous les aurez, murmura presque indistinctement la comtesse.
Comme Alexandre Dumas et son piètre baron de Lectoure (voir ici), Gide a choisi notre ville pour nommer ce personnage uniquement inventé pour le décorum. Il ne faut probablement pas y chercher d’autre justification que la résonance de l’ensemble, titre de noblesse et particule accolés à ce nom de lieu chargé d’histoire, pour évoquer de vieilles fortunes.
Les caves du Vatican est une œuvre plus profonde que cet extrait pourrait le laisser penser. L’un des personnages principaux, « le jeune Lafcadio, prisonnier de sa mystique de l'acte gratuit, illustre la folie de certains engagements intellectuels, et démontre la gravité des conséquences qui en découlent »(4).
Souvent boudé par le grand public pour lequel l'œuvre est obscure, Gide suscitera par contre de nombreux débats dans les milieux intellectuels et politiques, ce qui lui vaudra le qualificatif de "contemporain capital" (5). Sensuel, iconoclaste, individualiste, fuyant, indécis jusqu’à la contradiction, ses positions sur les grands sujets du temps susciteront de nombreuses oppositions, à droite comme à gauche. A commencer par celle de ses propres amis qui s’éloigneront lorsqu’il se fera trop prosélyte de son homosexualité. De sa pédérastie surtout (6). L’ensemble de son œuvre est mise à l’index par le Vatican en 1952, un an après sa mort. S’il est anticlérical, le roman où Lectoure apparaît furtivement n’est évidemment pour rien dans cette condamnation, due, non à la critique de l’institution ecclésiale, très répandue en France dans la première moitié du 20ème siècle, mais bien au scandale des mœurs de l’auteur et à la mauvaise influence sur la jeunesse qui lui est attribuée.
Dans un très intéressant article de l'hebdomadaire L'express en 2009 (7), le philosophe Jean Montenot, résumait l'opinion qui prévaut aujourd'hui : "L'image d'André Gide s'est brouillée. Le "contemporain capital" passe pour une figure un peu surannée de la littérature".
Au pied des remparts, loin du siècle, l’eau de la fontaine Diane n’a pas pris une ride.
(2) Concordance de plumes illustres sur notre Carnet d’alinéas.
Nous avons déjà rencontré Francis Jammes, en relations avec Jean Balde, la nièce du lectourois Jean-François Bladé (voir ici). Et Mauriac dans le même alinéa, qui est resté ami de Gide malgré les divergences.
Quant à James Salter (voir ici), bien plus tard, il cite André Gide parmi ses références littéraires.
(3) La sotie, ou sottie, désigne une pièce politique, ou d’actualité, jouée à Paris depuis le Moyen Âge. Au XVIe siècle, elles sont interprétées par les Sots ou les Enfants-sans-Souci. Wikipédia.
est un village gersois où, depuis quelques jours, des compagnies de violettes percent sous le givre, où des jonquilles font la ribambelle au fond des vallons frais.
Avec à peine un peu plus de chaleur nocturne, les vrilles de respounchous* ne tarderont pas à grimper sur les buissons, à portée de glaneur.
- Té, avez-vous jamais goûté une salade de cœur de pissenlit, aillée et garnie de petits lardons ?Bou Diu !
A l’automne, gourmand autant que prévoyant, l’on compotera baies et fruits abandonnés au potager brumeux.
Enfin, lorsque l'hiver s'en sera venu, les sens rassasiés laissant place à l’esprit, les couronnes de fleurs séchées sur les façades, à la salle des fêtes et sous le porche de l'église, diront au visiteur, "Bienvenue, Espérance et Paix". Alors, le grand Pan se prosternera devant l’enfant nouveau-né.
Cette année, à une volée de cloches de la Mouline de Belin, Berrac apprête son "Petit Musée naturel des plantes sauvages comestibles". Pour bien faire, il s’écoulera encore tranquillement quatre belles saisons. Car chez nous, en Gascogne, on laisse toujours le temps au temps. Botaniste, graphiste et cantonnier* s’affairent de concert sur ce joli chemin-là qui esquisse son discours.
En attendant, chaque occasion sera bonne pour tester les recettes, accrocher ici et là, compositions, aquarelles, et dire quelque poésie en guise de ponctuation.
ALINEAS
* Le respounchou est la jeune pousse du tamier, une sorte d’asperge sauvage, dont nous raffolons ici, en omelette par exemple. Comme les bons coins à champignons, les haies où grimpent les hampes de respounchous ne se partagent surtout pas !
** Je ne sais pas si l’équilibre des sexes est respecté dans ce projet associatif, mais je choisis le genre neutre tant que l’académie m'autorise cette fluidité… Et le singulier alors que tous les Berracais et toutes les Berracaises "muséisent".
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Reportage photo réalisé au mois de novembre dernier, par un temps à ne pas mettre un piaf dehors ! Eh bien, à Berrac, on aime aussi la pluie.
Il est aujourd'hui quasiment impossible de parler sérieusement des Templiers. Immédiatement votre auditoire sourira. "Ah, oui ! la malédiction lancée, sur son bûcher, par le Grand Maître ? La cérémonie initiatique occulte ? Vous avez trouvé le trésor de l'Ordre du Temple ? Le Graal peut-être ? ". Eh bien non ! très franchement, j'ai peu de goût pour une littérature de hall de gare où l'ésotérisme torture l'Histoire*. En outre, j'avoue que je ne connaissais pas du tout le rôle historique de l'ordre des moines-soldats, et très mal l'époque des croisades.
Non, tout simplement, nous avons fait incidemment, il y a quelques temps, la découverte de l'emplacement probable du domaine des Templiers à Lectoure. La question qui s'est immédiatement imposée : comment se fait-il que le souvenir de cet Ordre, ici à Lectoure, ait pratiquement disparu, y compris chez les historiens ? Nous invoquons souvent pour expliquer notre ignorance, l'absence d'archives antérieures à 1473, à la suite de la terrible destruction de notre ville par les armées de Louis XI. Mais, sans tomber dans le complotisme, n'y a t-il pas eu la volonté d'étouffer l'affaire ?
Voilà un sujet complexe, que l'on ne traite pas à la légère. Nous utiliserons le conditionnel lorsqu'il s'imposera. Et nous invitons les historiens, spécialistes de cette époque, à investiguer et à s'approprier le sujet.
Après les deux alinéas qui ont porté successivement sur la découverte de l'emplacement du domaine des templiers (voir ici) puis sur le passage à Lectoure du pape Clément V (voir ici), l'essai de recherche sur l'origine du toponyme Naplouse restant accessoire (voir ici cependant), nous vous proposons le quatrième volet de cette enquête.
Résumer, en quelques lignes, une histoire qui a fait couler tant d'encre est une gageure. Essayons tout de même. Sous l'influence des rois de France et d'Angleterre, Philippe le Bel et Édouard 1er, Bertrand de Got, gascon, archevêque de Bordeaux, est élu pape sous le nom de Clément V en 1305. A la même époque, les croisés ayant été repoussés de Terre Sainte par Saladin et ses successeurs jusqu'à la chute de Saint-Jean d'Acre en 1291, les moines chevaliers Templiers et Hospitaliers voient leur rôle et leur influence limités. Une fusion des deux ordres est envisagée. Philippe le Bel sera prompt à saisir l'occasion qui se présente. A la recherche de moyens financiers, après avoir ponctionné les juifs et les marchands lombards, il accuse les Templiers d'hérésie et les fait arrêter le 13 octobre 1307, lors d'une incroyable opération policière sur l'ensemble du royaume, mettant la main sur leur colossal domaine immobilier et probablement quelque or conservé à la maison du Temple de Paris. Le pape, dont dépend l'Ordre juridiquement, est mis devant le fait accompli et ne peut que réclamer un jugement par des tribunaux ecclésiastiques, afin de soustraire les Templiers à l'Inquisition, ce qu'il n'obtiendra que très difficilement et tardivement. En effet, à cette époque, l'hérésie est la pire des accusations. Elle peut être invectivée par n'importe qui. La machine inquisitoriale se met alors en branle. De nombreux Templiers mourront sous la torture. Certains avoueront sous la dictée pour obtenir le pardon et la vie sauve. Quelques-uns, pour préserver leur honneur et celui de l'Ordre, reviendront sur ces aveux. Mais alors la sanction sera pire. Relaps, c'est-à-dire retombés dans l'hérésie après l'avoir abjurée, ils seront jugés de façon expéditive et exécutés. Lorsque Clément obtiendra enfin le transfert des frères survivants et la mise en place d'une procédure sous son autorité, il sera trop tard. Le Temple ne se relèvera pas. Clément V prononce la suppression de l'Ordre en 1312 lors du concile de Vienneen présence de Philippe le Bel. Ce que celui-ci n'avait pas prévu était que tous les biens des Templiers, ou ce qu'il en restait, seraient affectés à l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
Les Templiers sur le bûcher
En général, les historiens estiment aujourd'hui que la papauté n'avait pas les moyens de s'opposer à Philippe le Bel. Par ailleurs, Clément pouvait être sincèrement troublé par les accusations portées contre l'Ordre qui aurait institué un rituel initiatique contestable sur le plan des institutions religieuses, en particulier en contradiction avec la règle de saint Benoît à laquelle il était soumis. Mais pour des hommes confrontés à de durs combats, en milieu hostile, souvent prisonniers et à la merci des musulmans, la cérémonie initiatique n'était-elle pas une nécessaire mise en condition, une préparation psychologique ? Il est probable que des tribunaux ecclésiastiques donnant la parole à la défense, ce que l'Inquisition ne permettait pas, auraient été compréhensifs sur ce point. Pour le reste, comme dans toute société, des pratiques déviantes avaient pu apparaître ici ou là. Mais il est inimaginable que l'Ordre en tant que tel, que tout portait au service de l’Église et de la reconquête des lieux saints de la chrétienté, et qui avait fait ses preuves sur le champ de bataille, ait pu se corrompre lui-même à ce point. L'hérésie, la vente de biens spirituels, de sacrements, la sodomie, le crachat sur les insignes de la religion, tous les maux dont l'Ordre a été accusé ne sont probablement que médisance, fantasme et calomnie.
Alors, pourquoi Clément V, lorsqu'il a été mis en situation de le faire, n'a t-il pas absous les Templiers ? Probablement parce que lui-même n'était pas totalement innocent.
Lorsqu'il s'est opposé à Philippe le Bel, en effet, Clément a été la cible d'une campagne de communication particulièrement violente menée par l'homme de main du roi, Guillaume de Nogaret et ses affidés (on estime aujourd'hui que Philippe le Bel a inventé les fakes, les fausses informations si fréquentes et si gravement influentes dans notre société largement soumise aux réseaux sur internet) dénonçant la nomination des parents et amis du pape à des fonctions ecclésiastiques très rémunératrices, ce que l'on désigne sous le terme de simonie. " Que prenne garde le pape, il est simoniaque, il donne par affection de sang les bénéfices de la Sainte Eglise de Dieu à ses proches parents... On pourrait croire que c'est à prix d'or qu'il protège les Templiers, coupables et confessés, contre le zèle catholique du roi de France. Moïse, l'ami de Dieu, nous enseigne la conduite qu'il faut tenir vis-à-vis des Templiers quand il dit : Que chacun prenne son glaive et tue son plus proche voisin." Amalgames, menaces, invocations suprêmes, tout y est.
Malheureusement, quant au favoritisme, les ennemis de Clément n'avaient pas tort. Pendant son règne, Clément V a nommé 23 cardinaux dont une grande majorité de français et gascons, ce qui conduira à l'élection de son successeur, le cadurcien Jean Duèze, qui installera durablement la papauté à Avignon, mais surtout nombre de ses parents. Liste établie par wikipédia :
Le , à Lyon, le nouveau pontife désigne ses premiers cardinaux. Il remet leurs chapeaux à cinq de ses neveux : Bérenger Frédol le Vieux, Arnaud Frangier de Chanteloup, Arnaud de Pellegrue, Raymond de Got et Guillaume Ruffat de Fargues. Sont aussi de la promotion : Pierre de La Chapelle-Taillefert, Pierre Arnaud, Thomas Jorz, dit Anglicus, confesseur d’Édouard II, Nicolas Caignet de Fréauville, confesseur de Philippe le Bel et Étienne de Suisy, vice-chancelier du roi de France.
Le , il procède à sa seconde nomination de cardinaux. Ils sont au nombre de cinq : Arnaud de Faugères (ou Falguières), Bertrand des Bordes, Arnaud Nouvel, Raymond-Guilhem de Fargues, son neveu, et Bernard Jarre (ou Garve) de Sainte-Livrade, son parent.
Le , pour la troisième fois, il désigne ses cardinaux. Entrent dans le Sacré et Antique Collège : Guillaume de Mandagout, Arnaud d’Aux de Lescout, Jacques Arnaud Duèze, le futur Jean XXII, Béranger Frédol le Jeune, petit-cousin du pape, Michel de Bec-Crespin, Guillaume-Pierre Gaudin, Vital du Four et Raymond Pierre.
Sachant que Arnaud de Chanteloup et Arnaud d'Aux, oui, le bâtisseur de la collégiale de La Romieu, à 15 km de Lectoure ( il jouera un rôle très important durant le concile de Vienne qui supprimera l'Ordre du Temple et sera le camerlingue, ministre des finances, de Jean XXII ) sont également ses parents, cela fait, si mon compte est bon, 10 parents sur 23 cardinaux ! Dont huit portraiturés dans notre galerie de famille.
On n'ose pas imaginer ce que cela doit donner si l'on étudie les nominations d’évêques, de chanoines, d'abbés... Les membres laïcs de la maison de Got sont également généreusement dotés de revenus religieux (!) en Italie particulièrement, à Spolète, Citta del Castello, Ancône... Il y faudrait une thèse.
A la décharge de Clément, à l'époque, les garçons de noble lignée qui n'héritent pas du titre et du domaine familial, et ne souhaitent pas choisir le métier des armes, entrent naturellement en religion, et l'on va chercher alors les candidats au cardinalat où ils se trouvent... Il fallait bien également contrebalancer l'influence de l'église italienne, c'est de bonne politique.
L'église catholique mettra longtemps à se corriger de ce dérèglement, dont Clément semble avoir marqué l'apogée. Son règne est relativement bref. Il ne quitte Avignon que pour voyager durant de longs mois, en France et en Gascogne où, naturellement il rencontre ses parents, proches ou opportuns. Les chroniqueurs et les historiens nous disent que les audiences de Clément consistaient en un défilé interminable de solliciteurs et qualifient ce pape d’influençable. C'est certain.
Une magnifique illustration où Clément décide à l'endroit de solliciteurs, introduits par des cardinaux qui posent une main protectrice sur leur épaule. On ne peut pas mieux dire. Portrait officiel ou caricature pamphlétaire ?
Et Lectoure me direz-vous ? J'y viens.
En 1307 ou 1308, Clément nomme évêque de Lectoure Guillaume des Bordes qui occupera la charge jusqu'en 1330. Mais en réalité, Guillaume suivra la cour de Clément puis celle de Jean XXII et passera peu de temps dans notre ville, déléguant la bonne gestion de ses affaires à un vicaire.
A la même époque, un des chanoines de la cathédrale de Lectoure est ... son frère, Bertrand des Bordes, qui ne réside pas plus à Lectoure puisqu'il est camérier** du pape, c'est à dire le plus proche serviteur du pontife. Bertrand des Bordes deviendra évêque d'Albi***et fera partie de la deuxième promotion de cardinaux nommé par Clément.
Mais ce n'est pas tout.
On découvre que Bertrand des Bordes a succédé à ce poste de camérier à... Giacomo da Montecucco, maître de l'ordre du Temple de la Province de Lombardie, arrêté puis emprisonné par la police de Philippe le Bel à Poitiers en 1307 ! Le dernier des Templiers à avoir servi un pape****.
Bertrand des Bordes, chanoine de Lectoure, camérier du pape, cardinal d'Albi, pièce maîtresse de l'affaire des Templiers.
Voilà une découverte troublante.
- Comment les deux frères des Bordes sont-ils devenus des proches de Clément ?
- Quelle a été l'attitude de ces deux "lectourois" pendant le procès fait aux moines-chevaliers par la justice du roi de France et l'Inquisition ?
- Ont-ils bénéficié des largesses du pape, outre leurs nominations à des charges de hauts rang et revenu ?
- Quel a été leur rôle dans la transmission des biens de la maison du Temple à Lectoure ?
- Étaient-ils du voyage dans notre ville avec Clément en novembre 1308 ?
Nous ne pouvons pas raisonnablement ambitionner de répondre un jour avec certitude à ces questions mais, visiblement, il y a encore du grain à moudre dans cet infernal moulin de l'affaire des Templiers.
(A suivre)
ALINEAS
* La magnifique saga de Maurice Druon, devenue culte tant en librairie qu'à la télévision, Les rois maudits, n'est évidemment pas visée par notre flèche. Disons simplement que Clément V y est maudit une fois de plus, dans les premières éditions, à plusieurs siècles d'intervalle, puisque l'académicien, ça arrive à tout le monde, fait erreur en le confondant avec son successeur, Jean XXII, en imaginant sa dépouille mortelle en route vers Cahors, sa ville d'origine. Même pas gascon. En fait, Clément lui, sera enseveli à Uzeste, en Gironde.
** Il y a parfois confusion, suivant les époques et les auteurs, entre camerlingue, terme attribué progressivement au responsable des finances de la cour du pape, et camérier, chambrier ou cubiculari, chargé du service personnel du pape, parfois considéré comme son garde du corps, surtout si la fonction est occupée par un militaire. Un certain nombre de Templiers ont occupé ce poste avant la suppression de l'Ordre.
*** Bertrand, lui non plus, ne s'assoira pas souvent sur la cathèdre du magnifique vaisseau de brique rose qui domine le Tarn, en plein chantier à cette époque. Entre 1301 et 1308, dans le contexte des derniers sursauts du catharisme, on sait que Philippe le Bel prélève les revenus du diocèse d'Albi à la place de l'évêque, Bernard de Castanet ! A la nomination de Bertrand des Bordes, le différent financier semble avoir été résolu. Que faut-il en conclure ?
**** Après s'être laissé convaincre par Clément de ne pas fuir, da Montecucco comprendra que le pape est dans l'incapacité de protéger l'Ordre, et, craignant pour sa vie, s'échappera avec quelques compagnons de sa prison de Poitiers en février 1308. Il parviendra à regagner l'Italie et intègrera ultérieurement, semble t-il, l'ordre des Hospitaliers.
SOURCES :
. Clément V, le pape gascon et les Templiers, Monique Dollin du Fresnel, Ed. Sud Ouest 2014.
. Le personnel de la cour de Clément V, Bernard Guillemain, Mélanges de l'école française de Rome 1951, p. 139-181, disponible sur Persée.
. Les Templiers, ces inconnus, Laurent DAILLIEZ, Librairie académique Perrin 1972
. La persécution des Templiers, Alain Demurger, Payot 2015.
. L'illustration qui porte le titre de cet alinéa ne représente pas Clément V mais Innocent IV, dirigeant le concile de Lyon en 1245 qui prononcera l'excommunication de l'empereur Frédéric II. Archives Nathan.
. Les Templiers sur le bûcher, Chroniques de France, British library.
. La galerie de portraits de famille a été composée à partir des articles wikipédia consacrés à chaque cardinal. Idem portrait de Bertrand des Bordes.
. Miniature Clément V en audience, Librairie Palatine de Rome.