A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
Face à la citadelle, les orchidées sauvages ponctuent joliment les sentiers qui courent à flanc de coteau, au nord autour de Baqué, au sud à Sainte-Croix. Tout au long des ruisseaux de Lesquère, Bournaca, Verduzan, à la lisière des festons de chênes et de frênes qui marquent le décrochage entre les plateaux caillouteux et les combes au sol plus gras, les arradjades, coteaux exposés au soleil, et les paguères fraîches et ombrées, anciens pacages à chèvres et moutons tombés en friches, au sol pauvre et drainé, sont le terrain de prédilection de cette fleur merveilleuse.
NB. Les photos peuvent être agrandies par un clic droit puis [Afficher l'image].
Orchis pourpre
Orchidée est un mot qui résonne à notre mémoire d'enfant, d'enfant "d'avant", élevé au sein nourricier des récits des explorateurs de contrées exotiques, familiers de l'univers de Jules Verne ou de celui de Stevenson. Un mot magique comme "mygale" ou "pygmée". L'orchidée la plus célèbre fait aussi appel à nos papilles, Vanilla planifolia, la "Fleur noire" des Aztèques. Mais aujourd'hui, l'orchidée s’aligne bêtement en rayon de supermarché, débarquée après 10 000 kilomètres d'avion-cargo, air conditionné, sur transpalettes, en pot fluo et sous film propylène transparent. Je ne dis pas, la fleur est décorative, et pas chère, et pas périssable contrairement à ce que le chanteur serinait à mademoiselle Germaine. Mais tout de même, ne lui trouvez-vous pas un arrière-parfum de kérosène ? Revenons dans nos campagnes, voulez-vous ?
Ophrys abeille
Je suis amateur d’étymologie, mais je ne sais pas si je dois vous le dire. Ça va gâcher. Orchidée vient du grec órkhis qui veut dire "testicules". Son tubercule ressemble, avec un peu d'imagination, à l'appareil de reproduction masculin. Et de ce fait, nos anciens croyaient la plante aphrodisiaque. Encore cette fameuse théorie des signatures, qui prend en compte la similitude des formes, évoquée dans notre alinéa consacré au Gouet, l’Arum de nos campagnes (voir ici). Mais après maints essais, rien de bien spectaculaire. Sauf au sud de la Méditerranée peut être, en Turquie ou en Grèce, où l'on vous servira un salep, une boisson chaude élaborée avec de la farine d'orchidée. De ce fait, dans ces régions, certaines variétés d'orchidées sont en voie d’extinction.... A quoi tient la biodiversité !
Orchis pyramidal
La famille des Orchidacées ne compte pas moins de 25 000 espèces, regroupées en 850 genres ! Le Gers en comptabilise 43*. Je n'en ai trouvé que 7. Et vous ? En Catalogne et dans le pays niçois, on peut admirer jusqu'à 75 espèces différentes. Les clubs et les sites internet amateurs fleurissent. On se bouscule, on échange, on contribue aux recensements. C'est de la florie. De la folie, pardon.
Orchis bouc
Chaque variété développe une incroyable exubérance de forme et de couleurs pour attirer les pollinisateurs. Celle-ci par exemple, n'est pas nommée Orchis bouc pour sa barbichette comme on pourrait le croire naïvement mais parce qu'elle dégage, paraît-il, une odeur fétide appréciée de je ne sais quel insecte égrillard.
Sérapias langue
Cette année, les amateurs ont remarqué une abondance exceptionnelle de la variété Sérapias langue. Conjugaison de la hausse des températures et forte pluviométrie ? Notre campagne lomagnole reprendrait-elle des airs de forêt équatoriale ? L'orchidée la plus commune autour de Lectoure et ailleurs en Gascogne est probablement l'Orchis pyramidal, appelé Pentecosta en gascon. Sérapias, lui, se dit Martèths, pour marteau, mais il existe en Australie une Orchidée marteau dont je vous invite à découvrir l'incroyable mécanisme de fécondation [ici]. Dans son livre, Nos fleurs d'Aquitaine dans la langue, la sorcellerie et la médecine gasconnes, Alexis Arette indique qu'on donnait autrefois la racine d'orchidée réduite en farine aux enfants en guise de fortifiant.
Ophrys mouche
Il faut être très observateur pour distinguer, par exemple chez les Ophrys, les variétés "Guêpe", "Abeille", "Araignée", "Bourdon", "Papillon" ou "Mouche" comme celui-ci, si je ne me suis pas trompé. Il y a même un Ophrys bécasse. Et j'enrage de ne pas avoir su dénicher et pouvoir vous offrir le portrait d'un Ophrys de Gascogne qui marie si élégamment le jaune avec le violet, très voisin d'Ophrys d'Eléonore. Il fallait qu'une orchidée porte ce prénom, précieux à nos yeux.
Céphalenthère
Enfin une recommandation, ne prélevez pas cette fleur pour composer un bouquet. Car avant même d'arriver à la maison, elle sera toute défraîchie et sans espoir de la requinquer. En outre, quatre variétés sont protégées dans notre département et donc interdites à la cueillette : Ophrys guêpe, Orchis parfumé, Orchis papillon et Sérapias cœur. Alors admirons-les in situ tout simplement. Elles font aussi partie de notre patrimoine.
Deux ouvrages bien illustrés et documentés, parmi de très nombreux : A la découverte des Orchidées sauvages d'Aquitaine, de Franck Jouandoudet et Les Orchidées de Poitou-Charentes et de Vendée, de JC Guérin, JM Mathé et A Merlet, tous deux Collection Parthénope, Ed. Biotope http://www.biotope-editions.com/index.php?categorie37/orchidees
Un grand merci au site http://www.gasconha.com , une référence en matière de langue gasconne dans tous les domaines, botanique cette fois-ci, mais également faune, paysage, histoire, architecture, traditions...
Il y a un an, jour pour jour, le Carnet d’Alinéas rendait hommage à Pertuzé, décédé cette semaine. Nous reproduisons aujourd'hui avec tristesse, ce texte et ces illustrations autour de Lectoure, un choix qu'il avait validé. A la suite de cette publication, nous avions programmé ensemble une rencontre qui lui faisait espérer revoir son pays. Son projet de livre sur ses "illustres" lectourois lui tenait également à cœur. Mais la Camarde s'en est mêlée. Le Lactorate Illustrateur les a rejoints. Désormais, nous le saluerons en passant devant la Croix-Rouge. Dans l'une de ses chroniques, il parlait de la mort, avec humour et poésie.
« Que je vous explique, si vous ne savez déjà. Le cimetière Saint-Gervais (comme son voisin disparu, donc, le dépotoir d’ordures ménagères) se trouve au nord de la cité, en haut du vallon du Saint-Jourdain. Le ruisseau de Saint-Jourdain, aujourd’hui paisible et bucolique, n’en est toujours pas moins géologique. Ses eaux discrètes et folâtres, bribe après bribe, emportent la terre, les brindilles, les poussières. Tout ce qui est en haut finit en bas, à une lenteur géologique. Il en va ainsi avec les locataires du cimetière, leur chair, leurs os, leurs cercueils, leurs monuments de marbre ou leurs croix de bois, et une bonne partie de ce qu’insouciants ils jetèrent au bourrier. Rien n'est plus bref qu'une concession à perpétuité. Lentement et inexorablement réduits à l’état de particules élémentaires. On a beau bâtir des murs de soutènement, bétonner, on ne remporte sur la Géologie que des victoires éphémères : on ne gagne qu’un peu de notre temps.
Le grand voyage est commencé. Attendez-vous (oui, il faut savoir attendre, c’est le prix de l’oubli) à être maintenant dans le temps géologique. On va descendre jusqu’au Saint-Jourdain, se laisser emporter par lui, et on aboutit au Gers, paisible rivière qui se jette dans la Garonne. Qui « se jette » ! Avec quelle impulsion soudaine, quel élan ? Restez calme et géologique. Ça prendra le temps qu’il faudra. Du grand fleuve majestueux, on naviguera ainsi en direction du soleil couchant, qui vous apparaîtra soudain dans toute sa gloire, nimbant le phare de Cordouan et vous ouvrant les portes de l’océan. Et le voyage ne sera pas fini pour autant ».
Grâce à ses deux talents, d’illustrateur et d’auteur, et par un minutieux travail de recherche et de documentation, il avait constitué un fonds précieux. Un réel patrimoine culturel. Peut-on espérer un aboutissement ? Ce serait le plus bel hommage à lui rendre.
Portant son trait d'esprit au-delà de nos remparts comme d'autres livrent sur les marchés de France la rondeur parfumée de notre fruit fétiche ou le bleu de notre ciel, il ne met jamais sa ville natale dans sa poche, pas plus que son béret par dessus. Il est le Lactorate* illustrateur : Pertuzé de Lectoure.
Bon, je vais faire attention à ne pas tomber dans la flagornerie. Ayant quelques indices sur la composition du personnage, je crois qu'il n'apprécierait pas. Mais tout de même. Depuis 40 ans il est connu des fanas de BD, de beaux livres, des amateurs de coquineries et galipettes, des collectionneurs d'affiches, des lecteurs de la presse, (presque...) toutes opinions confondues, de directeurs de la communication et de publicitaires à la recherche de médias suscitant à la fois attention et sympathie, de formateurs fignolant leur boite à outils pédagogique... "Illustrateur en tous sens", c'est sa devise.
- Illustrateur, c'est un métier ça ?
Ce cher Wikipédia, que nous avons avec Pertuzé en parent commun, nous explique : "Une illustration est une représentation visuelle de nature graphique ou picturale dont la fonction essentielle sert à amplifier, compléter, décrire ou prolonger un texte".
- Eh bé !!! On connaît des textes qui auraient mieux fait d'être des dessins tout de suite.
Enluminures, lettrines, gravures puis, de nos jours, profusion de photographie et de quadrichromie, de tout temps l'écriture a recherché le soutien de l'illustration. Qui parfois se révèle être plus puissante et emporte l'adhésion mieux que la phraséologie. Jusqu'à ce que certaines BD en perdent la bulle. Alors l'image se veut suffire et laisse toute latitude à l'imagination, y compris celle de se tromper sur l'intention de l'illustrateur.
Mais Pertuzé, lui, ne nous laisse pas trop gamberger sur le sens de ses dessins. Non seulement il sert efficacement le texte, mais de surcroît, lui-même écrit avec verve. Il faut lire sur son site, ses portraits de Lactorates(re*). Un régal de trouvailles, d'érudition et d'humour. Ce n'est pas une sanction, mais l'auteur-dessinateur y laisse suspendus à leurs cimaises les Illustres trop officiels de l'Hôtel de Ville, pour nous raconter la petite et la grande Histoire de ceux qui ont vraiment vécu à Lectoure.
Auparavant, et c'est une de ses grandes œuvres, Pertuzé a illustré les Contes de Gascogne collectés par un autre lectourois célèbre, Jean-François Bladé, au 19ème siècle, in extremis avant qu'ils ne se perdent définitivement dans la nuit des temps rustiques.
Que seraient-ils devenus pour le grand public, sans la vista de notre illustrateur, ces récits de veillées et de "despouilladés", décorticages de maïs rassemblant tout le voisinage ? Seuls quelques gasconisants, les spécialistes de la culture populaire et les étudiants en sociologie et linguistique y trouveraient matière à recherche savante. Pertuzé a réalisé là, comme Bladé avant lui, non seulement un sauvetage de patrimoine culturel en danger, mais une belle œuvre graphique d'aventure fantastique. Si, comme le dit James Salter, "seul ce qui est écrit a réellement existé", seul ce qui est dessiné est vraiment toujours vivant.
Respectant le principe fondateur de ce cyber-carnet, nous avons sélectionné exclusivement des illustrations où Lectoure apparaît dans le décor, voire même dispute la vedette au scénario.
Pour le reste, il faudra arpenter les rayonnages des libraires et surtout ceux des bouquinistes, des Pyrénées à Garonne, sur les marchés aux livres toulousains de saint Pierre, saint Aubin, ou ceux de saint internet, car il se fait rare l'artiste. Sous son béret, il observe la planète s'exciter à tort et même à travers. Qu'en dessinera t-il ? Tous ses aficionados scrutent l'horizon pertuzéen. On vous préviendra.
Alinéas
* "Les Lactorates étaient le peuple aquitain (proto-basque) dont la capitale était Lactora, l'actuelle ville de Lectoure". Encore Wiki.
PS. La flèche de la cathédrale qui pointe derrière Gargantua est parfaitement conforme à l'Histoire. Pertuzé a corrigé mon photomontage mal renseigné, sur cet alinéa-là: On a retrouvé la flèche de la cathédrale !
Plein Ouest, vu depuis la route de Condom. Château, clocher du Saint Esprit, Cathédrale. Jolie perspective aux pieds de la ville, encadrée de peupliers. Pour l'ambiance: orage gascon en formation.
Lectourois qui vous montez le cou, trop fiers de votre ville : « Votre ville, dites-vous, est antique et jolie, cela ne nous surprend pas, Lucifer l’a bâtie » dit Dastros, curé de Saint-Clar.
1907. André Gide et ses deux amis, sous le charme de Diane. Comme quoi...
Aux pieds des remparts, l'évasion rocambolesque d'Henri de Montmorency, gouverneur du Languedoc en disgrâce. Au 17ème siècle, le château, s'il n'est plus comtal, est une place encore suffisamment forte pour faire office de geôle royale. Mais c'était compter sans la volonté d'une mystérieuse et dévouée marquise dont Pertuzé traque l'identité sur son site Lactorate.
Pertuzé, Maître graveur es-coquineries. Mais, me direz-vous: "Nous ne voyons pas Lectoure ici !". Si, si, la grange est bien de chez nous. Et nous connaissons toujours d'aussi belles girondes.
Illustration de La chouette, une nouvelle d'Alcée Durrieux, avocat, érudit, auteur en langue gasconne et autre figure locale, tout ce qu'il y a de plus respectable si vous en doutiez.
Beau panorama. Vu du Nord-Est. Vous pouvez vérifier, Pertuzé respecte la réalité historique. Sur votre carte IGN, tracez une ligne droite entre le clocher cathédral et la ferme du Bustet où se tient habituellement le sabbat. Ces deux innocentes, touchées par un malin sort, ont bien survolé la vallée du Saint Jourdain à cet endroit précis, entre les rochers de Cardés et la Mouline de Belin.
Bladé l'avait rêvé, Pertuzé l'a dessiné. Nous on l'a vu passer, l'abbé. Mais en Deuche. Et pas plus de 80 km/h !
Une très belle composition. Avec la rue Montebello perpendiculairement, je dirais: rue Soulès. Plus près du Carmel que des Clarisses. Mais on ne va pas ergoter, à un ponceau près.
Et pour finir, la tour du Bourreau. Pertuzé a retrouvé le sinistre lactorate. Qui, à sa décharge, n'est qu'un exécuteur de sentence. Un second couteau, si j'ose dire...
Et pour le béret, il faut absolument parcourir cette incroyable mine de documents, d'humour, d'anecdotes à propos de notre couvre-chef gascon. In english please, as the author is from New-Zealand. Si nous faisions autant de bonne pub à ce joli et sympathique pays que ce blog en fait à la Gascogne, les all-black n'oseraient plus nous mettre la pâtée. En outre le béret du Lactorate illustrateur y figure. Alors...
Quand ça val mal, il faut retrouver ses racines. Pas par nostalgie, ou crainte de l'avenir mais pour y puiser le meilleur. La ville de Lectoure a deux mille ans, des atouts et de beaux jours devant elle. Notre ami Bernard Comte nous a ouvert sa magnifique collection de cartes postales. Pour faire un choix, nous nous sommes intéressés à la vie quotidienne, aux personnages dans le décor. Les clichés datent des années 1900-1910. L'intérêt se concentre déjà rue Nationale. Quoique. En fait les choses n'ont pas beaucoup changé. Les costumes sont chics, les commerces actifs et... et la race Gasconne règne sur le foirail à bestiaux. Là, d'accord, devant notre médiatisé village de brocanteurs, le cliché paraîtra exotique. Mais regardez, on est bien "chez nous". Les Lectourois d'origine pourront reconnaître un aïeul faisant ses courses et, bien sûr, la causette en même temps. Néo-Lectourois, c'est à dire depuis les 100 dernières années, les autres remonteront le temps avec curiosité pour s'imaginer boire un verre au café de La Comédie ou prendre une douche aux bains publics.
Alinéas
Déjà un banc public place Bladé, mais on pouvait aussi s'y garer. Qui on ? Le juge ? Le médecin ?
Les bains-douches, devant le Cours d'Armagnac. L'hygiène d'avant le confort individuel. Ma lectouroise préférée se souvient d'y être venue, naaannn pas avant guerre ! dans les années soixante. Un seul bain pour toute la famille ; les enfants d'abord, puis les femmes et pour finir, les hommes. On venait de dix kilomètres à la ronde !
La foire aux bestiaux, à l'emplacement actuel de la fontaine, devant notre château-hôpital-village des brocanteurs. Il devait bien y avoir quelque jardinier d'en ville pour ramasser les précieuses déjections, une fois les transactions réglées et le calme revenu ?
On vient encore prendre l'eau à la fontaine Diane. Ou faire son Dandy, canotier et col empesé.
Le Bastion: le salon de plein air où l'on profite des premiers rayons de soleil au printemps et de la fraîcheur pendant les longues soirées d'été. Ces messieurs y commentent l'actualité locale et nationale.
" - Alors, il va le faire tomber ce ministère, le père Clémenceau ?
- Pardi, quel caractère celui-là ! ".
Pendant ce temps, les garçons sortis de la Communale, en blouse et portant béret, prennent la pose aux pieds du Maréchal. Dont les lions glorieux sont placardés de réclame pour des alcools...
Au café La Comédie (emplacement de nos cinéma et salle de spectacle), on vous sert en tablier blanc, gilet et nœud papillon, s'il vous plaît !
A l'endroit de notre actuel Office de Tourisme, l'hôtel des "Postes et Télégraphes". A gauche, le portail de la Sous-Préfecture, placardé lui aussi.
Tour du bourreau. Il le fait exprès ce galapian de se poser dans le champ de vision du photographe ?
L'orange piquée de clous de girofles permettait de parfumer les logements bourgeois. D'où le lien avec la droguerie probablement.
Personnel carcéral, visiteurs au parloir des détenus ou simples figurants ? Porche des Cordeliers, le couvent faisant office de prison.
La rue du 14 juillet est très commerçante. Un restaurant, une boucherie, un couturier... et face à l'église Saint-Esprit, cette magnifique épicerie. Une "artère" très fréquentée car elle conduisait à la gare. Avec la valise ou le panier à provisions. Là-bas en bas à pied ? Eh oui.
La légende de la carte postale dit : "Vieilles maisons sur les remparts". Certes. A droite, tout de même, le fil à linge est suspendu au mur du cantonnement, pour le moins exigu, de la gendarmerie de l'époque et qui y restera jusqu'aux années 70 !
Du beau monde en ville. Le buggy du marquis de Terraube ? Ou celui de l'amiral Boué de Lapeyrère monté depuis son domaine de Tulle ?
L'affluence au marché du vendredi. Carte postale colorisée pour s'approcher du ciel de Gascogne et de la pierre dorée de la façade de Saint Gervais. Lectoure toujours.
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PS. Les Lectourois qui connaissent bien les lieux et nos amis historiens pardonneront nos approximations et légèretés. Cet alinéa n'est qu'une chronique, à but distractif pendant cet épisode de confinement. Il existe plusieurs ouvrages pour poursuivre le voyage dans le temps et relativiser nos difficultés actuelles :
- Deux siècles d'Histoire de Lectoure (1780-1980). Collectif.
- Lectoure à la Belle époque. Collectif.
Ces deux ouvrages sont (peut-être) encore disponibles à l'Office de Tourisme.
- Mémoires en images - Lectoure en Lomagne. Pierre Bèze.
e meunier est un personnage de premier plan en littérature. "Etait" devrais-je dire, et préciser, dans la littérature d'avant la première guerre mondiale, miroir d’une époque où l’homme, sa mécanique et sa farine occupaient une position essentielle dans le paysage et la vie quotidienne de toutes les couches sociales, noble, bourgeoise et populaire, citadines et rurales. Il est, au sens théâtral du terme, le type même de l'artisan industrieux, présentant les caractéristiques habituellement attribuées aux membres de la corporation. Il y a là matière à de nombreux alinéas. Commençons par notre littérature, gasconne, ancestrale, orale et populaire, oui tout à la fois. Le travail de collecte et de transcription des « Contes populaires de la Gascogne » par le lectourois Jean-François Bladé est réputé dans le monde entier. Bladé n’est pas un moraliste à la façon de Charles Perrault ou de Jean de La Fontaine. Plutôt un régionaliste. S’il y a du fantastique dans certains de ces contes, les personnages sont en général bien ancrés dans le terroir, et souvent très vrais. Chez Bladé non plus, les moulins ne plaisantent pas avec les Don Quichotte. Son meunier n’est pas un meunier de fantaisie. L’indécision brocardée par La Fontaine dans Le meunier, son fils et l’âne n’a pas sa place dans la salle des meules des moulins du pays lectourois. Quant au Chat botté de Perrault, il a beau tenir sa ruse de son expérience de chat du moulin, il ne sert qu’à marier le fils du meunier avec la fille du roi. La réputation de la profession n’y a rien gagné.
Le genre littéraire est évidemment passé de mode, remisé au rang des antiquités, soumis à la puissance des médias modernes et à la révolution des esprits, petits et grands. Seuls quelques nostalgiques ayant connu la première moitié du 20ième siècle où la flamme n’était pas définitivement éteinte, aiment à se rappeler les veillées familiales, lorsque la voix grave et la verve d’un ancien pouvaient donner au récit cent fois entendu un intérêt renouvelé. Et bien sûr, Bladé n’est pas oublié des défenseurs de la langue gasconne, dont il est honoré comme l’un des illustres auteurs. Nostalgiques et défenseurs de notre patrimoine donc, pour combien de temps encore ?
Mise à part cette résistance, honorable mais très locale, la littérature populaire gasconne et Bladé en particulier font, en France et à l’étranger, l’objet d’études savantes menées par des spécialistes, sociologues, ethnologues, historiens, qui y recherchent certains les liens culturels entre les pays et les peuples, d’autres les aspects du folklore régional ou d’autres encore, les spécificités de la technique narrative de nos ancêtres. Ceux-ci étant praticiens d’une science qui porte le nom de « narratologie » ! Je n’en dirai pas plus. Je ne me moque pas. Bien au contraire, je trouve cette tâche tout-à-fait louable mais un peu pointue pour ma chronique.
Enfin, il y a bien un renouveau du genre en tant qu’expression artistique et littéraire, mais il est probable que Bladé n’y retrouverait pas… son compte. Facile. Le personnage du meunier qui nous intéresse non plus d’ailleurs car il a perdu sa place dans le référentiel collectif. Il n’est pas le seul. Les acteurs préférés de Bladé et de ses pourvoyeurs sont le métayer, le maître et seigneur, le bourgeois, sans autre précision sur l’origine de son aisance, et le curé très souvent. On ne dira rien du diable, des hommes cornus qui vivent dans les rochers de Cardès, de l’homme vert… Ce ne sont pas des métiers, quoiqu’il y faille un certain savoir-faire.
Mais les métiers d’autrefois ? Charron et forgeron font partie du décor. Ils manient le feu, toujours prestigieux, et leur ouvrage est évidemment essentiel à la vie rustique. Cuisinier et cuisinière également. D’ailleurs, nous dirons plutôt que la cuisine elle-même tient une place importante, ses odeurs, ses tentations, nous sommes en Gascogne mordiu ! Notaire et médecin, eux, sont plutôt considérés comme d’aimables escrocs monnayant cher l’un son autorité déléguée, l’autre sa science encore douteuse.
NOTRE MOULIN QUOTIDIEN
Quant à la meunerie, venons-y, le bâtiment, le métier ou l’homme apparaissent à plusieurs reprises dans le cours de ces Contes populaires de Gascogne. Parfois par un détail : « …l’Oisillon Noir s’alla percher tout en haut d’un moulin à vent ». Ou bien pour signifier la richesse absolue : «… assez d’or et d’argent pour acheter un beau moulin sur la rivière du Gers, et un château, avec un bois et sept métairies ». Plus poétique, et musical : «… au moulin dont le tric-trac fait riou chiou chiou ». Un moulin rapportant au quotidien des auditeurs du conteur enfin, dans La pâte qui chante, "...riches et pauvres n’avaient pas de pain à manger. Il fallait aller faire moudre si loin, que ceux qui partaient se perdaient en chemin". Nous ne concevons plus aujourd’hui l’effort que nos anciens devaient fournir pour assurer chaque jour leur subsistance.
Plus profond et intéressant pour situer l’importance du meunier dans la société ancestrale, Bladé rapporte deux contes où notre personnage est central : "Les Esprits" et "L’évêque et le meunier". Le premier meunier est celui du moulin d’Aurenque, commune de Castelnau-d’Arbieu, sur le Gers entre Lectoure et Fleurance. Le second celui de La Hillère, au nord de la commune de Lectoure, aux pieds du Castéra-Lectourois.
En quoi ces récits sont-ils remarquables ? Dans les deux cas, le conteur choisit le meunier plutôt qu’un autre métier, parce que le personnage est habituellement doté des qualités spécifiques qui seront essentielles à l’intention du conte et qui lui sont attribuées sans hésitation par l'auditoire.
UN ARTISAN TOUT À SON AFFAIRE
Le meunier d’Aurenque voit sa mécanique brutalement endommagée. Il ne fait ni une, ni deux et décide, nuitamment, d’aller quérir un charpentier réputé. Priorité au travail. Voilà bien un trait de caractère constant et profond certainement dans cette profession. Là où d’autres attendraient le lever du soleil. Car depuis l’antiquité, au fin fond du pays, sans électricité peut-on se l’imaginer ? tout s’arrête à la tombée du jour, sauf… Sauf toutes sortes de choses surnaturelles. Or la meunerie est la première activité industrielle où l’inactivité n’est plus admise et où le temps est compté. Oui mais voilà, le nez sur son métier, ou sur son revenu, le meunier n'écoute plus son environnement naturel et méconnait les dangers qui courent la campagne. Par exemple celui de rencontrer les Mauvais Esprits. Vous aurez remarqué les majuscules. Parti chercher son mécanicien, en pleine nuit, épuisé, le meunier d’Aurenque s’endormira sur son cheval et se perdra dans la grande forêt jusqu’à ce qu’il soit immobilisé, pris dans les ronces, les arbres couchés et les branches mortes. Le meunier comprit alors qu’il était tombé dans une assemblée de Mauvais Esprits, qui prennent toutes sortes de formes. Il tira sur la bride, n’éperonna plus sa bête, et attendit le jour en priant Dieu. Les Mauvais Esprits évanouis, le meunier sera recueilli et soigné par une dame charitable, qui ira même jusqu’à faire avertir le charpentier pour moulins… Car la chute nous y ramène, malgré tout le travail n’attend pas. Le monde moderne est en route.
UNE FORTE TÊTE
Le meunier de La Hillère lui, est capable de tenir tête à l’évêque de Lectoure. Cela ne nous parle plus aujourd’hui, mais il y a un ou deux siècles, c’était exceptionnel. Voire osé. Dans une société soumise dans le moindre détail aux instructions de l’Eglise et supportant les difficultés quotidiennes avec pour seul secours l’espoir de l’avènement d’un monde meilleur, l’évêque est l’autorité suprême, fors le roi. Et encore, car il côtoie Dieu ! La connaissance, l’esprit, l’autorité lui sont sans conteste reconnus. Mais avec cela, il est parfois injuste. C’est ainsi que dans ce conte, l’évêque de Lectoure en veut au pauvre curé du Castéra-Lectourois. Risquant la déchéance et mal armé pour répondre à la provocation de son supérieur, le curé ira chercher soutien auprès du meunier son ami.
L'indispensable métier farinier dans la société, sa richesse supposée, sa capacité à dialoguer avec les puissants, font du meunier, ici toutefois resté proche et solidaire des petites gens, un recours. Qui relèvera, à la place du pauvre curé, le défi de l’évêque. Au point d’oser enfourcher son mulet, nu comme un ver, le meunier pas le mulet, à peine recouvert d’un filet de pêche et de se rendre ainsi accoutré, à Lectoure, à dix kilomètres de là, passant les murailles de la citadelle, remontant la grand’ rue, jusqu’au pied de la célèbre cathédrale. On imagine la joie de l’auditoire à l’évocation de cette chevauchée drolatique. Il nous faudrait un Pertuzé pour illustrer la scène.
Tu reviendras ici, mais ni à pied, ni à cheval.
Tu ne seras ni nu, ni vêtu.
Tu me diras ce que je pense.
Tu me diras combien pèse la lune.
Le meunier remporte haut la main, la joute oratoire qui aura sans doute donné lieu à maintes redites dans le public et au quotidien, comme une joyeuse rengaine.
Par son audace, notre artisan se hisse au niveau de l’élite. Il est une sorte de contre-pouvoir, dans un monde sous contrôle. Les contes rapportés par Bladé témoignent donc à la fois, des archaïsmes de l’ancien régime et du milieu rural, mais surtout de la capacité de dérision du petit peuple, qui s’exprime à n’en pas douter par l’entremise des conteurs, comme une bonne thérapie, en attendant mieux. Les moulins activant leur mécanique à la frontière de deux mondes : celui de nos aïeux qui disparaît et la bourrasque des temps modernes qui se lève et emportera tout ensemble, conteur et meunier.
Alinéas
PS. L'évèque et le meunier existe sous d’autres formes dans d’autres régions mais il ne nous a pas été donné de le retrouver. Il est rapporté par certains étymologistes, que la joute oratoire y met en présence les deux mêmes adversaires et de surcroît cette fois, le roi. Le meunier y a toujours le beau rôle et l’évêque sera ridiculisé devant le roi. Cette version pourrait être à l’origine de l’expression « Devenir d’évêque meunier », aujourd’hui inusitée et dont le sens reste controversé. Pierre-Marie Quitard. Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française.
ILLUSTRATIONS
Gustave Doré qui mit en images avec génie Jean de La Fontaine, Charles Perrault et le Don Quichotte de Cervantes, est contemporain de Bladé. Nos illustrations, tombées dans le domaine public et elles-mêmes trésor de notre patrimoine national, sont donc à peine détournées.
Dans l'élan de la victoire de Saladin sur les croisés, l'impérialisme ottoman, exalté par le fanatisme religieux, allait menacer la chrétienté. Mehmed II prenait Constantinople en 1453, abattant l'empire byzantin, jusque-là rempart de l'Occident, et donnait ainsi une capitale à l'Islam, qualifié dès lors de "Grand Turc", et ce n'était pas une formule de théâtre. L'expansion musulmane durerait encore plus d'un siècle, jusqu'à la victoire des marines alliées sur Soliman le magnifique, à Lépante (1571), précédée quelques années plus tôt par l'héroïque résistance des Hospitaliers lors du siège de Malte (1565).
Après la perte du dernier bastion de Saint-Jean d'Acre en 1291, les Hospitaliers s'étaient réfugiés d'abord à Rhodes, puis à Malte (1522), d'où l'évolution du nom de l'Ordre, enfin à Rome (1831) d'où ils poursuivent, encore aujourd'hui, leur mission humanitaire.
Le châtelet du palais des Grands maîtres à Rhodes
LECTOURE, LE 16 MAI 1313. Par décision du pape Clément V, oncle du Vicomte de Lomagne et d'Auvilar*, l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem prend possession du domaine des templiers déchus.
L'histoire des Etats latins et des croisades, abondamment romancée, conduit souvent à confondre Templiers et Hospitaliers dans une seule et même imagerie, héroïque et terrible, de la chevalerie médiévale aventurée en Orient. Or les deux ordres diffèrent fondamentalement. Les Templiers étaient essentiellement des nobles faits moines-chevaliers, de nombreux champenois à l'origine, soldats de métier, voués à la protection des pèlerins en route vers Jérusalem et de fait, à la conquête de la Terre sainte. A l'inverse, les Hospitaliers eux, à l'origine, sont des frères soignants. Des chevaliers les rejoindront pour répondre aux nécessités de la lutte permanente contre les musulmans, pour la protection des hospices où s'exerçait leur fonction fondatrice. C'est dans les années 1070, avant même les Croisades, que des marchands et des moines d'Amalfi (un port au sud de Naples) fondèrent avec l'accord même du calife Al-Mustansir un "hospital" en Terre Sainte. Ce terme générique comprend aussi bien l'hôpital tel qu'on l'entend mais aussi la maison d'hôtes, l'auberge et l'hospice. Certes les deux ordres de moines-chevaliers ont combattu côte à côte, mais avec des vues et des méthodes divergentes, sans doute en raison précisément de leur différence originelle, allant parfois même jusqu'à s'opposer. Les historiens décelant ici quelque cause des batailles perdues qui, mises bout-à-bout, conduiront à l'échec de l'Occident croisé.
Après leur défaite en Palestine, les Hospitaliers avaient bien besoin de prendre possession du domaine templier qui leur était transféré par le pape gascon. Car leur mission en Orient et en Méditerranée se poursuivait et générait d'énormes besoins financiers. Philippe le Bel faisait payer cher sa restitution du patrimoine templier à la papauté, mais finalement le nombre de commanderies de l'Ordre passait d'environ 60 à 120, qui verseraient chaque année une responsion, c'est à dire une contribution au budget général, chacune en fonction de sa taille et de ses bénéfices. Le domaine de Lectoure sera rattaché à la commanderie de La Cavalerie, près d'Ayguetinte et de Castéra-Verduzan. La commanderie est un hôpital ou un domaine de rapport et parfois les deux. Le grand hôpital de Jérusalem pouvait recevoir dit-on, jusqu'à 1000 malades. Quelques hôpitaux de l'Ordre en Occident ont eu une grande capacité d’accueil, de plusieurs dizaines de lits, mais le grand nombre de petits hospices disséminés loin des villes, dans le lectourois par exemple, Gimbrède et Arbrin, près de La Romieu, sur le chemin de Saint-Jacques, n'offraient que quelques lits. Une bénédiction cependant dans ces temps de misère.
L'Ordre deviendra aussi puissant que le Temple avant sa chute, à la différence qu'il saura s'adapter, se rendre incontournable et attirer à lui les fils de la noblesse d'Europe en mal d'horizons.
GASCOGNE, MAI 1597. A peine âgé de 11 ans, Jean-Bertrand de Luppé quitte le château familial du Garrané (actuelle commune de Seissan dans le sud du Gers) pour servir dans l'ordre de Malte.
Le Grand maître et le jeune page, par Le Caravage
Admis page au Chapitre provincial de Toulouse, il rejoindra Malte en 1600 et y reviendra quatrefois pour des séjours de durées variables. Il servira sur les frégates et les galères de la Religion, le nom donné à la marine de l'Ordre. En effet, la guerre contre les ottomans se déroule sous la forme d'une perpétuelle course poursuite d'un port à l'autre où, tour à tour, les deux adversaires mènent des actions éclair : effet de surprise, canonnade, abordage, pillage et destruction, butin, enlèvement d'esclaves, fuite. Revenu indemne et auréolé de prestige de ces caravanes, Jean-Bertrand de Luppé deviendra Grand prieur de
Le siège de Malte, d'après Pérez d'Aleccio.
Saint Gilles, l'une des deux divisions, avec Toulouse, de l'Ordre pour la langue de Provence (c'est à dire les langues occitanes, car à l'époque on ne connaît pas les nations). Il fera alors réaliser une série de 14 tableaux racontant le siège de Malte, qu'il n'a pas vécu cependant, reproduction des fresques de Matteo Pérez d'Aleccio (1582) ornant les murs de la salle du Conseil de l'Ordre à La Valette, capitale de Malte. Le château de Lacassagne à Saint-Avit, à proximité de Lectoure, qui n'a pas appartenu à l'Ordre, conserve cet exceptionnel témoignage illustré. Une bande dessinée historique avant l'heure.
Mais à Lectoure, on est bien loin des pirates barbaresques.
LA MÉTAIRIE DE SAINT-JEAN DE SOMMEVILLE
Le domaine de l'Hôpital à Lectoure nous est relativement bien connu puisque les archives municipales conservent un registre des terres et des bâtiments que l'Ordre gérait, ou sur lesquels il percevait la dîme en 1782. Les biens provenaient de l'héritage templier complété au fil des générations par les donations charitables. Les donataires, nobles et riches bourgeois, étaient encouragés à se défaire d'une partie ou de la totalité de leur patrimoine, de leur vivant ou à leur mort, peut-être pour lutter contre le lointain mahométan mais plus prosaïquement pour espérer s'assurer d'une place au paradis. Achetant et vendant alternativement en fonction des opportunités, prélevant sa part des bénéfices des exploitants, percevant ses loyers, l'Ordre gère son domaine en bon père de famille selon la formule juridique, mais en fait moins pour préserver le capital collectif que pour générer les revenus dont on a grand besoin pour mener les deux missions fondamentales, la charité et la guerre.
Emplacement du quartier de l'Ordre à Lectoure - Pour agrandir : clic droit puis [Afficher l'image].
En ville, l'Ordre possède le quartier situé à l’extrémité du promontoire, côté midi, entre la rue Crabère et la rue Constantin devenue depuis Rue Narbonne-Pelet. Les parcelles sont occupées par des locataires bénéficiant d'un bail à long terme, dit emphytéotique.
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Dans la plaine, le domaine s'organise autour du lieu-dit Saint-Jean de Sommeville**, sur le chemin dit mouliau menant de Lagarde-Fimarcon au moulin de La Mothe. En 1767, frère Léon de Montazet, chevalier, seigneur du Nomdieu en Lot-et-Garonne, nouveau commandeur de La Cavalerie d'Ayguetinte à laquelle le domaine hospitalier de Lectoure est rattaché, et qui procède à une remise en ordre énergique de l'affaire dont il prend les rênes, découvre une métairie délabrée. A la place, il fera bâtir une ferme que l'on peut qualifier de modèle. Les prairies naturelles sont ensemencées en foin. D'importantes plantations de fruitiers sont engagées, figuiers, noyers, poiriers, cerisiers et pruniers, dont la production est destinée à être commercialisée. Une chambre est réservée à un homme d'affaires qui viendra à la fois surveiller les travaux agricoles, prélever la dîme et les revenus directs sur la métairie elle-même comme sur les autres biens redevables, en ville et dans la vallée du Gers. Une organisation agricole et administrative visant au meilleur rapport.
La nouvelle métairie de St Jean de Sommeville
LA DÎME, LA PORTION CONGRUE ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Seigneur et maître à Malte, battant monnaie, l'Ordre souverain étend son immense domaine sur toute l'Europe. Et y jouit de grands privilèges, ce qui fera dire qu'il est un Etat dans l'Etat. En particulier, l'Hôpital prélève, à son profit, la dîme sur les productions agricoles des occupants de son domaine. Gros manque à gagner donc pour l'évêque du lieu et les curés qui y exercent. Le Temple avait déjà été critiqué sur ce point et avait poussé le clergé séculier du côté de ses accusateurs.Cet avantage se justifiait à l'origine lorsque les moines investissaient et mettaient en culture des domaines isolés, constitués de terres pauvres et difficiles. Lorsque nul vicaire ne venait à eux, il était logique de leur permettre de s'organiser librement, culte, cimetière et finances pour ce faire.
L'église de Lagarde-Fimarcon, au couchant du domaine hospitalier.
Mais ailleurs, le clergé séculier perdait gros à voir le domaine hospitalier drainer une partie de l'impôt d'église. Il s'agissait de lutter contre l'infidèle et de dispenser la charité certes, mais bien loin de chez nous. Et si parfois l'Eglise avait du mal à percevoir la dîme, les paysans inventant maintes manœuvres pour diminuer l'estimation de la récolte, l'assiette de l'impôt, l'Ordre de son côté, doté d'une solide organisation administrative, contrôlait de près les opérations et devait atteindre un résultat plus conforme. De nombreux procès sont menés pour conduire l'Ordre à réserver tout de même une partie de la dîme au clergé local. C'est ce que l'on désigne par la "portion congrue", que les évêques, les abbayes et l'Hôpital, gros décimateurs, devaient reverser aux curés des paroisses environnantes pour leur permettre de mener une vie digne. Mais l'inflation rognerait bien vite ce petit revenu fixé par décret royal et de "suffisante", au fil du temps la congrue deviendrait "ridicule", ce que l'expression a retenu aujourd'hui. Avant la Révolution, l'Ordre de Malte respectait cette règle à Lectoure et la dîme était partagée avec l'évêque, les curés des paroisses de Saint-Esprit et de Lagarde-Fimarcon, et le prieur de Saint André, une chapelle située sur la route de Nérac, au nord du dîmaire, aujourd'hui disparue.
On sait que le clergé rural a souvent vécu dans des conditions relativement misérables. Les historiens considèrent d'ailleurs qu'il y a là l'une des origines de la Réforme protestante, les prédicateurs calvinistes trouvant écho auprès du peuple mal servi par un clergé indigent aussi bien qu'auprès de la petite noblesse et de la bourgeoisie ouvertes aux idées des Lumières. Cette tare de l'Ancien Régime est une des causes de fond des guerres de religion dont la Gascogne et Lectoure en particulier ont eu à souffrir profondément.
Ayant conservé un fonctionnement féodal, choisi par la jeunesse aristocratique pour acquérir une formation réputée et y espérer une carrière militaire glorieuse, honoré sous les ors de l'Eglise catholique, l'Ordre de Malte ne sera pas épargné par les saccages protestants. Par la Révolution non plus.
Le 4 août 1789, l'Assemblée constituante supprimait les privilèges parmi lesquels la dîme. On considère que Malte perdait radicalement la moitié de son revenu. Mais l'Histoire accélère. Le 30 juillet 1791, les ordres de chevalerie sont dissous et le 19 septembre de la même année leurs biens mis sous séquestres. A Lectoure comme ailleurs, les locataires de l'Ordre et surtout les bourgeois feront l'acquisition des biens nationaux du domaine hospitalier. Les frères ne connaîtront pas collectivement le sort tragique des Templiers en 1314 mais ils disparaîtront également dans la tourmente. Car, s'ils n'appartenaient pas à la noblesse, ils n'étaient pas suspects à priori, mais religieux tout de même... Quant aux frères d'extraction noble, évidemment ils auront doublement raison d'émigrer pour échapper à la guillotine. C'est la fin d'un monde.
Le débarquement de Bonaparte à Malte. Le lectourois Jean Lannes est dans la chaloupe.
En juin 1798, l'armada française en route vers l'Egypte se présente devant le port de La Valette, capitale de Malte. L'île étant considérée comme stratégique pour l'expédition, Bonaparte a reçu du Directoire l'autorisation d'en prendre possession. L'Ordre n'est plus que l'ombre de lui-même et le Grand maître doit capituler sans vraiment combattre. Sur le vaisseau amiral, Bonaparte reçoit la reddition des chevaliers. Il emportera ce qu'il restait du trésor de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem estimé à 3 millions de francs en or et argent, ainsi que 1500 canons, 3500 fusils, 2 frégates, 4 galères... Aux côtés du vainqueur, un général de 29 ans, qui sera bientôt à la tête de la Grande Armée, Jean Lannes, le lectourois.
Et la mission charitable de l'Ordre me direz-vous ?
Pendant près de 500 ans, Lectoure a payé ses loyers et versé la dîme à l'Hôpital, mais n'a pas bénéficié des soins de ses frères soignants. Heureusement d'autres institutions se dévoueront, en particulier l'Ordre du Saint-Esprit, car la ville est d'importance, place forte, évêché, enfin étape majeure sur le chemin jacquaire. Et ici comme ailleurs par ces temps bouleversés, il n'a pas manqué de travail, peste, lèpre, petite vérole, typhus et tant d'autres plaies...
** Le nom d'Antoine de Sommeville a été relevé à Rhodes par Borel d'Hauterive, Annuaire de la noblesse de France. Il est possible que le nom de la métairie de Lectoure ait été choisi par ce chevalier, un membre de sa famille ou en sa mémoire. Ceci rectifie mon hypothèse d'un nom remontant aux Templiers ( voir ici ), mais sans l'écarter totalement. Sommeville est une commune de Haute-Marne et plusieurs hameaux de ce département, de la Marne, de la Seine-et-Marne et de l'Yonne portent ce nom.
- L'entrée de Mehmed II dans Constantinople, par Benjamin Constant (1876), Musée des Augustins de Toulouse.
- Le Palais des Grands Maîtres de Rhodes, Wikipédia.
- Le Grand Maître Alof de Wignacourt, par le Caravage, 1607, Musée du Louvre. Le gascon Jean-Bertrand de Luppé aurait pu poser pour être ce page qui nous regarde si intensément, puisqu'il a 14 ans lorsqu'il arrive à Malte pour la première fois, soit six ans avant l'exécution de ce tableau célèbre. Il y reviendra une deuxième fois en 1606, sous les ordres du Grand Maître Wignacourt, et a donc certainement croisé le grand peintre, mauvais garçon admis dans l'Ordre par la seule grâce de son talent.
- Le siège de Malte (détail), d'après Matteo Pérez d'Aleccio, château de Lacassagne - Saint-Avit.
- Une galère de l'Ordre de Malte, Lorenzo Castro (vers 1680).
- Photo aérienne, IGN.
- Photos du dîmaire de l'Ordre de Malte conservé aux archives municipales de Lectoure, Michel Salanié.
- Plan des dîmaires de l'Ordre : base carte IGN, réal. M. Salanié
- Carte postale de l'église de Lagarde-Fimarcon, collection particulière
- Débarquement de Bonaparte à Malte, illustration Gudin-Motte-Grenier, Greenwich National Maritime Museum.
Je me suis laissé dire que mon rendez-vous printanier était attendu. Pourtant l'hiver n'a pas été trop rude ? N'importe, le cycle est immuable et notre envie de couleur, de parfum et de tendresse est irrépressible. Quelque chose de profond, remontant à nos origines, au jardin d’Éden. Mais je resterai sobre. Ce sera un alinéa mono-fleur. Une fleur qui mérite distinction car elle envahit notre vallée du Gers par milliers.
ous voulez savoir où se trouve cet endroit magique ? Je vous dis tout. Vous traversez le pont d'ouest en est, vous tournez à droite. Au premier tunnel piétonnier vous passez sous la voie ferrée désaffectée. Et vous y êtes. Suivez la haie de noisetiers, de cornouillers et d'ormeaux encore dénudés, qui festonne la rivière jusqu'au bout de la presqu'île. C'est pas chouette ?
- Quoi ? Je ne vous ai pas dit où se situe le point de départ ?Ben, oui. Faut quand même les gagner ces fleurs.
Et puis pour tout vous avouer, on est tellement bien tous seuls... Vous ne nous en voulez pas ? Tiens, voilà la photo aérienne. Alors là, ça devient trop facile.
Il paraît que dans certains départements, la jonquille est protégée et que sa cueillette est réglementée. Je n'ai pas vérifié dans le Gers. Les champignons dans l'Aveyron, les palourdes à Noirmoutier... Il n'y a plus que les arrêtés d'interdit qui fleurissent. Mais, ici nous restons très raisonnables. Un bouquet pour la maison, un pour notre mamie-des-jardins, et puis surtout sentir, humer, apprécier l'instant à sa juste valeur. Il a raison Chatiliez : le bonheur est dans le pré.
- Profite, lapin !
On l’appelle communément Jonquille parce que sa feuille évoque le jonc. En Gascogne, on dira parfois coucut. C'est sûr, il y a risque de confusion avec la Primevère officinale. D'autant que tout est toxique chez cette charmeuse, fleur, feuille et bulbe. Le bétail le sait qui n'y goûte. Mais franchement : pseudonarcissus ! Quelle idée, qui en manque totalement ? Une vraie fleur de chez nous.
Il faut dire que la famille des Amaryllidacées est riche : 59 genres et 800 espèces ! Je comprends que le botaniste de service soit à court d'imagination pour baptiser tout ce joli monde. Personnellement j'aime bien "Jonquille trompette". Mais alors, des trompettes qui respecteraient le silence des lieux.
Je ne trouble donc plus par l’éclat des trompettes,
Des champs accoutumés aux soupirs des musettes ;
Si je chante aujourd’hui sur ces paisibles bords,
Muses, ne m’inspirez que d’aimables accords.
Virgile - Les Bucoliques
Mais voilà qu'un Myrobolan vient ajouter à mon discours qui folâtre, son grain... de beauté.
Le propriétaire de cette belle gasconne sait-il qu'au pied de sa terrasse distinguée, travaille incognito un jardinier rustique qui ne connaît ni mur d'enceinte, ni allées de gravillon blanc et encore moins sujets exotiques ? Culture de l'authentique.
Nous voici revenus aux pieds de Lectoure, sur le ruisseau de Foissin. Une réintroduction laborieuse de Pseudonarcissus qui commence à porter ses fruits. Oups ! Ses fleurs. Dans quelques décennies, les gamins des écoles viendront galoper dans une mer émeraude constellée de jonquilles, comme des étoiles tombées là puis oscillant au petit vent.
Tiens, une "vraie" Narcisse, en train de s'égoutter. Sans doute échappée d'un godet de jardinerie. A voir si elle saura s'indigéniser à son tour.
S'il fallait résumer l'image que l'opinion populaire, pour ce que l'étude documentaire permet d'en connaître, nous renvoie de la meunière à travers les époques, deux adjectifs, pas nécessairement antinomiques d'ailleurs, seraient en concurrence : "aguicheuse" ou "esseulée". Bien entendu, à vouloir schématiser un phénomène social à ce point, on risque de tomber, dans la caricature très souvent, à coup sûr dans le simplisme. Ce qui est le propre de l'opinion publique. Or, évidemment, il y a autant de meunières que de moulins. Alors, d'où nous vient cette image négative et l'appauvrissement de la réalité qui en découle ? Du meunier bien sûr ! De la caricature dont l'homme lui-même pâtit, de son métier et de son cadre de vie, du moulin finalement autour duquel nous n'en finissons pas de tourner.
Nous avons esquissé le portrait du meunier (voir ici). Mais l'Histoire des moulins ne s'est pas faite sans elle, sans sa compagne, employée aux petites et indispensables tâches de la meunerie, évidemment mère de famille et ménagère dans un environnement difficile voire dangereux, loin de l'image bucolique de l'iconographie du moulin, et enfin, parfois véritable chef d'entreprise.
LA MAUVAISE RÉPUTATION
Notre meunier est malaimé. Homme lige du seigneur dans le système féodal, bénéficiant de privilèges mal acceptés par le voisinage, plus tard artisan affairé, supposé riche, le meunier est souvent accusé de resquiller et de ne pas rendre au paysan toute sa farine. Comment pourrait-on épargner la meunière dans ces conditions ?
Accueillant le client, elle sera accusée, par les hommes de vouloir leur masquer la manœuvre malhonnête du meunier dans la pénombre de son atelier, et, si la dame a quelque beauté, par les femmes restées à la ferme, de conter fleurette à leurs bêtas de maris. De là à penser que le moulin est toujours un lieu libertin, il n'y a qu'un pas que les méchantes langues n'hésitent pas à franchir. La forge est au diable, la cuisine au sorcier, le moulin au coquin ; finalement, nos ancêtres voyaient déjà l'industrie d'un mauvais œil.
L'affaire fut officialisée dans l'opinion par l'effet d'un succès théâtral, La partie de chasse d'Henri IV de Charles Collé, où le bon roi - il fallait qu'il fut gascon ! - profite des largesses du meunier Michau, de sa table et du lit conjugal de surcroît. La légende de la meunière légère rejoignait ainsi la réputation du vert galant, pour laquelle les français ont une certaine indulgence.
Autre cliché ayant la vie dure, il faut rappeler que le meunier n'est pas le bonhomme endormi, enfariné ou écrasé sous la charge que nous serine la chansonnette et les lettres de mon moulin. Il est avant tout un manuel, mi-charpentier, mi-mécanicien. Toujours à l'écoute de sa machine, soignant ses engrenages et son système, pour parer à l'accident qui, s'il n'est pas bien négocié, tournera à la catastrophe. On peut être sûr dans ces conditions, que l'homme est rude, vif et peu amène. Et qu'elle en subit les conséquences. Si elle a du caractère, restant à l'écart de la meule et de son ambiance tendue, la femme du meunier pourra occuper de son côté le rôle valorisant de commerciale (vocabulaire contemporain mais la réalité est bien celle-là) investissant l'espace entre son homme et le client, avec les risques de médisance évoqués ci-dessus. Si elle n'en a pas le goût ou bien qu'on ne l'y autorise pas, elle fera le dos rond et passera pour malheureuse, ce qui pour autant ne suscite pas toujours la compassion, voire pour niaise, et donc facile, aux yeux des deux protagonistes masculins.
UN PETIT COIN SI TRANQUILLE
Notre alinéa décrivant le moulin comme un potentiel champ de bataille au Moyen-Âge (voir ici), a déjà usé de ce paradoxe. On comprend bien que l'isolement des moulins qui nous séduit aujourd'hui, mais par beau temps, avec le confort moderne, des voies d'accès et des mesures de sécurité bien pensées, n'a pas été un cadre de vie idéal pour la femme qui, de toutes façons, sera tenue à l'écart de la mécanique, isolée et fragile dans un décor entièrement voué à l'outillage et à la manœuvre, sujette à l'ennui. Ou bien au fantasme des voisins et des étrangers.
Elle n'apparaît pas tout à fait aussi sauvageonne et exposée que la bergère car son homme n'est pas loin. Mais il y a là, a fortiori, pour un galant quelque excitation égrillarde. Les va-et-vient de la belle devant le moulin, l'exécution de ses tâches au bord de l'eau, l'attention qu'elle porte au nouveau venu sont autant d'invites pour le spectateur masculin, du moins peut-il s'en convaincre.
Et lorsque Pagnol, inspiré par l'opéra de Schubert, en fait une romance populaire, La Belle Meunière passe du rang de cliché à celui de mythe culturel.
Or, toujours en contradiction totale avec cet imaginaire suggéré, en réalité le lieu est dangereux, humide ou venteux selon les cas, bruyant et encombré. L'expression exacte dit "entrer comme un âne dans un moulin". Âne ou intrus qu'importe : certes son intérieur est à l'étage ou à quelque distance, mais la ménagère voit aller et venir ce monde rustique à toute heure du jour, au mieux échangeant un bonjour-au revoir. Vous parlez d'une compagnie !
En fait, le lieu de vie du couple meunier est un fantastique théâtre. D'innombrables chansons,poèmes, romans, peintures choisissent le moulin comme cadre. Le sujet méritera d'être développé mais disons d'ores et déjà que ce phénomène est dû, tout simplement, à la situation du moulin dans le paysage. A l'écart de la ville mais au centre des préoccupations de ses habitants, objet d'attention des riches et des pauvres qui s'y côtoient par nécessité, avec la nature pour arrière-plan, dramatique ou réjouissant ce sera selon, point de passage, observatoire, et surtout espace de vie exposé aux regards, pour moitié à la lumière et moitié à l'ombre, le lieu autorise tous les scénarios. Et si le meunier tient parfois un rôle de premier plan, il est aussi fréquent et réaliste de le laisser s'affairer et bougonner en coulisses, poussant la meunière sur l'avant-scène, lui faisant endosser, pour faire court, le costume typique de la séductrice ou bien celui de la faible femme.
Mais la réalité est beaucoup plus prosaïque, la vie d'un moulin n'est pas une fable, et l'épouse du meunier devra très souvent assumer toutes les responsabilités de l'industrie.
LA CHEF D'ENTREPRISE
Car l'imagerie nous dépeint un meunier sûr de lui et bien portant. Mais l'accident de travail est très fréquent. La manipulation des lourds appareillages, la charge répétée des sacs de grain ou de farine, l'eau profonde et torrentueuse, le rhabillage de la meule au marteau boucharde, l'atmosphère empoussiérée, les risques du métier sont nombreux et les accidents souvent graves. Les blessures, la maladie, la mort violente enfin, rôdent autour du moulin. Et le lot de misère qui en est le corollaire.
La femme, embarrassée d'un invalide ou devenue veuve, devra prendre en mains la direction des opérations. Un garçon meunier sera appelé en renfort à la meule. Et parfois accueilli dans l'intimité.
Courageuse, organisée, gestionnaire adroite, celle que l'on pourra alors, cette fois-ci à juste titre, qualifier de "meunière" ne déméritera pas à la tête de l'entreprise. Mais bien sûr, il lui en sera fait par la rumeur, une fois de plus, par ignorance et médisance, reproche et injustice.
Oui, le moulin est une scène où s'expriment tous les caractères, exacerbés par l'importance et l'exposition de cette industrie dans la société. Malheureusement, rares sont les œuvres présentant un portrait physique réaliste de la meunière, ouvrière ou chef d'entreprise. Par contre, les représentations folkloriques, romantiques, humoristiques, et celles relevant du registre de la gaudriole, abondent et ne nous aident pas à approcher la réalité et à rendre hommage à ce personnage-clef de l'histoire de la meunerie. Des générations de femmes ont pourtant porté dignement leur fardeau, pour contribuer de plus ou moins près au mouvement laborieux de la meule, et en vivre dignement, tout simplement.
ALINEAS
ILLUSTRATIONS
Photo-titre, montage M. Salanié : Natale Schiavoni et Jeune femme dans un champ, Jules Breton.
La petite meunière, Estampe Epinal, Coll. Musée de Bretagne.
Henri IV chez le meunier Michau, Alexandre Menjaud, Musée du château de Pau.
Affiche de La belle meunière, film de Pagnol, photo Mirkine. Moulin de la Colle sur Loup.
La fille de la meunière a perdu sa jarretière, dessin C. Lestin.
il paraît que pour éponger le surplus des deux réveillons successifs il faut faire un jogging de 60 km... Je ne le sentais pas bien.
Mais je n'ai pas pu refuser cette petite promenade dominicale à mon guide (noonnn, pas Nathalie !), qui m'a en outre concédé d'emporter mon appareil photo. Avec ce temps radieux, je ne l'ai pas regretté.
- Allez, on vous emmène.
Nous avons choisi le PR4. Pour éviter le faubourg, nous avons pris la voiture jusqu'à Malemule. Drôle de nom. Un coin à installer un moulin à vent. Mais, si cette mule fait la bête, on ne va pas y arriver. Bon, nous on s'en moque, ça va plutôt descendre. Pour démarrer en tout cas. Direction le ruisseau de Lesquère. C'est parti pour environ 8 km.
Alinéas
PS. Oupsss ! J'allais oublier. Pour tous les lecteurs de ce carnet, abonnés et surfeurs de passage : Bona Annada !
Arton dans ses vignes. Ça me fait penser qu'il faudrait refaire le plein de la cave.
Du côté de Gravette, une compagnie de marcassins à la queue leu leu derrière madame Laie.
- Allez les petits ! On suit ?
Trois minutes plus tard, les mêmes du côté de Lafond ! Vont plus vite que nous, les bougres.
Un chêne remarquable. Fût entre 3 et 4 mètres de circonférence.
Des noix de galle également de dimension exceptionnelle.
A Gravette ou Grave, l'un des deux, un pigeonnier à la charpente très travaillée.
Le moulin médiéval de Lesquère qui méritera que nous lui consacrions un prochain alinéa.
Aux confins de la Lomagne, sur la Garonne, les cheminées de Golfech. On n'y coupe pas...
Vu d'ici, il manque un je-ne-sais-quoi au château de Plieux ? Son fier promontoire pardi !
A Marès : la mer.
Notre passage suscite l'admiration, je crois.
Samatan, ancienne propriété de l'Amiral Boué de Lapeyrère. Une "rénovation" dont on préfèrera ne retenir que ce contre-jour....
On vous a peut-être dit que la terre serait ronde et tournerait sur elle-même ? Bon. En tout cas ça n’a pas été toujours vrai ici, à Lectoure. La preuve, l’histoire que voilà se passe bien avant que la ville ne ressemble à ce que nous connaissons. Pas de promontoire. Ni Vieille-côte, ni Côte-de-Péberet, ni sentier de la Tour-du-bourreau. Pas de château repaire d’Armagnac, pas de clocher cathédral. Puy, pech, serre, motte, peyrusquet... les mots pour nommer le relief n’ont pas encore été inventés.
A cette époque, le pays gascon baignait dans une mer infinie. Le rivage n’en était pas escarpé et l’arrière-pays était recouvert d’une forêt ondoyant mollement.
Un pêcheur habitait là, pauvrement mais vivant honnêtement du fruit de son travail, comme ses ancêtres avant lui, de toute éternité.
Un jour, comme tous les jours, le pêcheur mit sa barque à l’eau, hissa la voile et partit au large, à la recherche du banc de poissons qui viendrait s'emberlificoter dans son filet. A quelques encablures du rivage, il croisa le voilier d’un vieux pêcheur habitant le village voisin qui s’en revenait bien plus tôt que d’habitude.
- N’y vas pas petit, lui dit le vieux. La mer est vicieuse aujourd’hui. Tu vas tomber dans un trou de vent.
Le trou de vent est la hantise du marin, qui peut rester des heures à attendre pour voir sa voile se gonfler et pouvoir revenir vers la côte. Quand ce n’est pas la tempête qui se lève.
- Et méfie-toi des poissons qui parlent, bougonna-t-il en s’éloignant. Surtout ne leur réponds pas !
Le vieil homme perdait un peu la tête. On avait pris l‘habitude de ne pas écouter ses sornettes. Pensez donc, des poissons qui parlent !
Mais peu de temps après, le vent tomba effectivement. Habitué à ces évènements de mer et aussi pour maîtriser son inquiétude, le pêcheur s’occupa d’abord à rapiécer son filet, à calfater sa barque à l’étoupe de chanvre et à la poix… lorsqu’il aperçut à la surface de l’eau un frétillement. Il s’apprêtait à lancer une ligne lorsqu’il entendit des voix.
Trois gros poissons à visage humain s’approchèrent de la barque. Le premier dit :
- Je suis la Fortune. Vois, mes écailles sont d’or. Chaque jour, l’une d’elle se détache et coule au fond de la mer dans un grand coffre. Le veux-tu ?
Se rappelant le conseil du vieux pêcheur il ne répondit pas.
Le second dit :
- Je suis le Savoir. Je peux concevoir pour toi un bateau et une voile bien plus rapides que tout ce qui existe aujourd’hui dans les ports de ton pays. Le veux-tu ?
Le pêcheur ne répondit pas.
Le troisième poisson avait la voix et l’apparence d’une très belle femme jusqu’au dessous du nombril mais en lieu et place de la taille et des jambes, il était doté d’une nageoire dont il semblait très fier et qu’il exposait au regard du pêcheur, à la surface de la mer.
- Je suis la Beauté. Je peux t’offrir l’amour d’une femme aussi belle que moi mais qui sera constituée, par commodité, comme toutes celles de ta race. Le veux-tu ?
Alors, voyant qu’il s’obstinait à ne pas répondre, ceci malgré la tentation, les trois poissons devinrent rouges de fureur et se mirent à nager en cercle, si vite, si vite qu’un grand vide se forma au centre de leur ronde infernale, comme un gigantesque entonnoir embrumé tourbillonnant jusqu'au tréfonds des abysses.
En direction du soleil, voilé par de fantastiques nuages percés d’éclairs, une montagne se dressa où jaillirent des sources chaudes, laissant échapper des fumerolles et des geysers de boue jaunasse. Le tonnerre masquait le grondement des vagues déferlant sur le frêle esquif qui tanguait dangereusement
Le vent se leva brusquement et des nuées se mirent à tournoyer dans un ciel de fin du monde. Sans perdre de temps, le pêcheur hissa sa voile et prit la direction de la côte.
Derrière lui, au fur et à mesure qu’il grimpait à la crête des vagues et qu'il dévalait dans l'écume, le cratère d’eau formé par le tourbillon sous l’effet de la ronde terrible des trois poissons, laissait apparaître le fond marin, des collines, des rivières et tout un paysage qui deviendrait plus tard celui de notre Gascogne.
Arrivé sur le rivage, le pêcheur abandonna sa barque qui, la mer étant à ce moment-là complètement asséchée, se coucha sur le côté misérablement. On dit qu’elle y est encore aujourd'hui, quelque part sous une couche de sable du côté de la salle de Gère. L'homme prit dans sa masure quelques outils et se réfugia sans attendre son reste, dans les abris des rochers de Cardès.
Pendant ce temps, une rivière dévala de la montagne que l’on n’appelait pas encore Pyrénées et creusa son lit vers le nord. Elle creusa, creusa. Et alors, à ce moment-là, oui je veux bien, à ce moment-là seulement, sous l’effet de tout ce charivari, la terre se mit à tourner de telle façon que la rivière creusa le rocher vers le soleil levant et déposa sur l'autre rive, vers le soleil couchant, les boues et les sables arrachés au sol. Ce qui explique que chez nous, tous les fiers castelnaux, dressés sur de rocailleux plateaux, dominent la rivière qui leur sert de défense naturelle et que, sur l’autre berge, sont étendues des prairies grasses à souhait qui font la vie douce dans ce pays. Enfin, aujourd'hui.
Car, le soir même de la dernière sortie en mer de notre pauvre pêcheur, un promontoire avait pris la place de son petit village. On y construisit des remparts hérissés de mâchicoulis et de tourelles. Un sinistre château occupait l'avancée du rocher sorti des entrailles de la terre. Une citadelle était née. Vinrent les civilisations et les temps barbares. Vinrent les bâtisseurs orgueilleux et les pillards, les religions et les hommes de peu de foi.
Pendant quelques temps encore, le pêcheur s'approcha de l’endroit où il avait vu la mer pour la dernière fois. Sous les frondaisons vertes et bleues des peupliers et des saules, devant lui, le soleil dessinait sur l’eau des reflets d’argent, comme un banc de poissons qui frétille à la surface de l’océan.
ALINEAS
PS. Maître es-contes populaires, le lectourois Jean-François Bladé ne retenait pas "les narrations les plus faibles, les plus altérées, [provenant] des demi-lettrés, notamment les instituteurs primaires, qui en savent trop pour rester naïfs, et pas assez pour le redevenir".
Tant pis. Je dédie cette fantaisie carnéiste à Gaspard-Gustave Coriolis (1792-1843), mathématicien français auteur du théorème de mécanique qui porte son nom « Toute particule en mouvement dans l'hémisphère nord est déviée vers sa droite (vers sa gauche dans l'hémisphère sud) », soit l'application de la force axifuge à l'échelle de la planète. Et quand on précise qu'à la surface de la terre, la vitesse est de 800 km/h à l'équateur ! Vous ne vous en doutiez pas à l'instant même, en me lisant... vous penchez dangereusement vers votre droite, en regardant le pôle nord.
C'est fou comme les grands génies ont le don de nous emmener dans des mondes où la poésie retrouve des champs d'expression infinis : Copernic, Darwin, Newton...
Les géographes et géologues situent ici l'extrémité des avancées maritimes à l'Helvétien, c'est-à-dire il y a 15 millions d'années tout de même. Le golfe de Lectoure : ça fait rêver, non ?
Enfin, vous aurez reconnu Pâris, le berger fautif de la guerre de Troie, transformé pour la cause en pêcheur gascon et manquant cette fois-ci de rencontrer la belle Hélène. Aphrodite n'ayant pas su le convaincre. Héra et Athéna non plus d'ailleurs. La guerre n'aura donc pas lieu, pas encore, mais quel chamboulement dans le paysage !
PHOTOS :
Orage sur les Pyrénées : Pierre-Paul Feyte que nous remercions chaleureusement et dont vous trouvez les merveilleuses photos ici : http://www-feyte-fr.photodeck.com/
Voilier entre ciel et mer et Château des comtes d'Armagnac : Michel Salanié