Publié le 10 Mai 2018

Dans les années 1970, mademoiselle Karen K., jeune enseignante de lettres toute fraîche émoulue de l’université, débute sa carrière dans un lycée de la périphérie de New York. Comme il est de bon ton, elle est invitée par le club féminin de lecture de la ville. On pense ainsi, très civilement, permettre à la nouvelle arrivante de se présenter, de faire connaissance et de s’intégrer. Lors de chacune de ses réunions, le club demande à une des participantes de lire à voix haute l’extrait d’un ouvrage sélectionné par un comité de lecture rassemblant les plus cultivées de ces dames. Mademoiselle Karen est évidemment désignée. La règle du club veut que la lectrice du jour ne connaisse pas l’œuvre. L’auteur : James Salter, diplômé de l’académie militaire de West Point, pilote de chasse, héros de la guerre de Corée, a connu le succès en 1956 avec un premier roman The Hunters (Pour la gloire dans sa traduction en Français) qui sera porté à l'écran en 1958 avec en vedette Robert Mitchum. Les hommes, la guerre, l’héroïsme. Karen est en confiance.

James Salter, pilote de chasse pendant la guerre de Corée

 

Le titre du jour : A sport and a pastime.  

L’ambiance est feutrée. Le thé est servi. Quelques minutes s’écoulent où l’on échange amabilités et banalités. Puis Karen ouvre le livre et commence à lire, le plus posément et clairement possible, découvrant le sujet au fur et à mesure, comme la plupart des auditrices.

C’est l’histoire d’un jeune couple d’amoureux, lui américain aisé et dilettante, elle petite française provinciale. Le narrateur est un ami dont on ne sait s’il a vu ou entendu ce qu’il décrit ou bien s’il fantasme…

Chapitre 19. « Un après-midi, en visite aux sources de la Marne, ou peut-être est-ce à Azay-le-Rideau, rien n’est certain, ils se promènent en prenant le soleil et parlent des façons d’aimer, la douce variété […] Ils marchent lentement, les yeux au sol. De loin, on dirait des camarades de classe en train de discuter d’un examen. […] Ils sont arrivés à la voiture. Il lui ouvre la portière, puis fait le tour jusqu’à son côté ».

Karen se redresse et cherche du regard l’organisatrice de la rencontre. Celle-ci d’un sourire bienveillant valide cette introduction et d’un hochement de tête l’encourage à poursuivre.

« Et puis, dans cette fabuleuse voiture qui n’existe que dans mes rêves, comme le Hollandais volant, comme le cor de Roland, qui sillonne les routes désertes de France avec ses phares un peu ternis, son élégance un peu décatie : dans cette Delage bleue avec ses portières qui ouvrent dans le mauvais sens, les genoux l’un contre l’autre, bien calés dans les sièges, ils filent vers chez eux [...] Les villages s’estompent, les rivières deviennent noires. Elle le déboutonne et sort son sexe en érection ; pâle comme un héron au crépuscule,... »

Karen s’interrompt pensant à une erreur de typographie. Non, c’est bien ce qu’il y a écrit ! Un moment d’hésitation, une bouffée de chaleur l’envahit.

Notre jeune et innocente professeure piquera ce jour-là le fard de sa vie.

Cherchant de l’aide dans l’assistance, on lui fait signe de continuer. Elle s’éclaircit la voix d’un raclement de gorge et reprend avec à présent, elle le sent, un léger tremblement de la diction. Quel ton doit-on prendre quand on lit en public un tel texte ?!

« …tous deux regardant la route droit devant eux comme n’importe quel couple. Elle forme un cercle avec ses doigts qu’elle lui passe doucement autour, et puis qu’elle fait descendre. Ses doigts si frais, si fins […] Dean reste assis droit comme un chauffeur. Il respire à peine. […] La nuit est froide. Elle est silencieuse, d’une clarté perçante. Contre l’obscurité des toits, rapprochées les unes contre les autres, les flèches de la ville s’élèvent, illuminées, baignées de lumière terrestre ».

Le chapitre comporte une deuxième scène très érotique que nous tairons, non par pudeur, mais pour ne pas enflammer notre cybercarnet… Et il en va de même pour chaque chapitre.

Il faut tout de suite rendre à la vérité littéraire que ce roman n’est pas pornographique. Salter peint l’éternel et dramatique face à face du corps et de l’esprit. Il y a là aussi une belle description de la France des années soixante, la photo d’une époque révolue, entre Robert Doisneau pour le quotidien et Jeanloup Sieff pour la sophistication. Mais je me souviens avoir fait rire mes amis dubitatifs et peu réceptifs à mon romantisme naïf lorsque je disais mon admiration pour le film de Jean-Jacques Annaud mettant en image L’amant de Marguerite Duras, au motif qu’il comportait de magnifiques paysages d’Asie.

Jane March, jouant le rôle de Marguerite Duras dans l'Amant

 

Salter a souvent décrit son amour de la France. « Quand vous voyagez d'un pays à un autre, l'air sent différemment. Je ne veux pas parler seulement du parfum des villes, mais de la nature, de la texture de l'air qu'on y respire, des bruits qu'on y entend, ceux de la rue, du trafic... En France, même le téléphone sonne français. Les choses changent, naturellement. Je me souviens d'une France qui n'était pas si moderne, si intense. Une France des routes vides et des plages désertes, où, quand on roulait le long de la nationale 7, on pouvait entendre le bruit des arbres qui défilaient et qui faisaient "cha-cha-cha"... Cette France-là a disparu. Mais pourquoi être sentimental à ce sujet ? Les gens qui naissent aujourd'hui ne voient pas le changement. Paris, par exemple, est restée presque la même. Et elle défend très bien sa position dans le monde. Elle a l'affection des gens. »

C’est fini. Karen se laisse choir sur sa chaise, abasourdie. Quelques secondes de silence, puis la conversation reprend dans l’assistance, à propos de choses et d’autres et de l’air du temps, comme si de rien n’était. Pour conclure, l’organisatrice, dont on ne dit pas si elle savait ce qu’elle demandait de lire à Karen, annonce la date de la prochaine réunion.

Les années ayant passé, après cette lecture à voix haute-surprise qui est devenue pour elle une plaisanterie racontée à l’envi, Karen et son mari Edward, retraités, sont arrivés à Lectoure en 2013 après avoir traversé le Pays basque et les Landes. Ils choisissent leurs étapes sur les pas de Salter. Car en 1969, l’écrivain a parcouru le Sud-Ouest en tant que metteur en scène d’un film intitulé Three, inspiré de ce fameux roman, avec en particulier une toute jeune actrice nommée Charlotte Rampling. Mais sans aucune scène érotique. Et sans succès.

 

Il est question une fois de Lectoure dans l’œuvre de Salter, ce pourquoi nous lui donnons une place dans notre rubrique littérature bien qu’il ne s’agisse pas d’un roman mais d’une sorte d’almanach gourmand, Chaque jour est un festin, écrit en collaboration avec sa femme, Kay Salter. La date du 28 août est consacrée à l’Armagnac. Après avoir comparé notre belle aguardiente au cognac et vanté ses mérites, les auteurs racontent une anecdote qui leur paraît illustrer l'ambiance de la Gascogne.

« Comme nous passions ce mois d’août dans une grand ferme près de Lectoure, nous fûmes invités à quelques-uns de ces dîners par l’intermédiaire d’amis. Par une chaude soirée, à une tablée de 40 personnes, l’hôte leva son verre et proposa, en solide bon vivant du Sud-Ouest, que tout le monde se réunît dans le salon pour un concours de chant. Soudain à une table voisine, un homme poussa un cri et se mit debout ; quelques instants plus tard, une femme fit de même. Il fallut quelques minutes pour s’apercevoir que six mètres plus haut, cachées dans les moulures, des guêpes succombaient sous la montée de la chaleur et tombaient comme des billes de plomb sur les tables, piquant partout où elles atterrissaient.

Le concours de chant fut annulé, mais on refit passer une tournée d’armagnac comme antidote et consolation ».

Entre sport, passe-temps et festin, Salter ne choisit pas. Ses couples font l’amour, voyagent et mangent plutôt luxueusement. On s’interroge évidemment et puis souvent on se perd.  Rien que de très actuel.

Bien qu’elle ait été diffusée de façon relativement confidentielle, la première édition de Un sport et un passe-temps a fait scandale. La publicité qui se voulait humoristique énonçait qu’il ne s’agissait pas de baseball… Au total, cet écrivain rare aura publié seulement six romans. Aucun de ces ouvrages n’a connu de succès de librairie très important mais la critique élogieuse et un public de plus en plus nombreux et fidèle ont assuré sa notoriété. Son érotisme cru et sans lyrisme appartient à son époque. Les révoltes de la jeunesse du monde, la libération sexuelle, le festival de Woodstock. Et chez nous, Je t’aime, moi non plus de Gainsbourg et Le dernier tango à Paris de Bertolucci.

Guillaume Goubert dans La Croix dit de lui : "Sa prose ne repose pas sur des effets de vocabulaire ou des tournures complexes. L’enchantement tient aux imprévus de son cours. James Salter sait restituer le décousu de la vie, le tumulte des pensées qui, précisément, ne sont pas pensées, ces sentiments contre lesquels, a dit un jour Milan Kundera, on ne peut rien. La vie intérieure des personnages apparaît ainsi dans ce qu’elle peut avoir d’erratique, d’inconséquent, d’inavouable."

 

En littérature, Salter est à l’idée de couple, au paysage du quotidien, à la lumière et à l’ombre, fugaces et méditatives, ce que Edward Hopper est en peinture. Les histoires sont simples, banales, à la limite de l’ennui si l’on ne pressentait pas le détail, le mot qui surgira, bouleversant notre vision de l’instant et transformant cette banalité en un tableau à la portée universelle.  Son style est qualifié d’élégant, de lumineux. Lui-même disait dans une interview parue en 1993 dans la revue The Paris Revue «Je suis un frotteur, quelqu’un qui aime frotter chaque mot dans sa main, pour le faire tourner et le sentir, pour comprendre si c’est vraiment le meilleur mot possible. Est-ce que ce mot dans cette phrase a un potentiel électrique ? Est-ce qu’il est utile ? Trop d’électricité va faire dresser les cheveux du lecteur sur sa tête. C’est une question de rythme.»

En exergue de son dernier roman, Et rien d’autre, on lit ce qui peut être considéré comme son testament littéraire : « Il arrive un moment où vous savez que tout n’est qu’un rêve, que seules les choses qu’a su préserver l’écriture ont des chances d’être vraies. »

 

                                                                          ALINEAS

 

En 1969 à Lectoure, pas de Delage pour les amoureux mais Dauphine, 4L et Deuche.

 

PS. Je ne choisis pas les auteurs de cette rubrique Littérature. Ce sont eux qui choisissent Lectoure. Victor Hugo ici et Alexandre Dumas ici, qui ont précédé Salter sur notre carnet, n’ont pas écrit de textes érotiques, leur époque ne le permettait pas. Etant de vrais ogres, dominateurs et insatiables, ils en auraient pourtant trouvé, à demeure, la "matière première". Leur créativité était-elle dépendante de leur caractère et de leur liberté de mœurs ? Paradoxalement, ces deux génies littéraires ne pourraient probablement pas vivre leur vie aujourd’hui comme ils ont pu le faire au 19ième siècle.

 

On trouve de nombreux articles de presse consacrés à l'œuvre et à la vie de J. Salter sur internet. Je recommanderais celui-ci, où l'on croise Gide, Duras et Nabokov, écrit à l'occasion de la parution de son dernier roman en 2014, Et rien d'autre, dont l'action se déroule dans le monde de l'édition:

http://next.liberation.fr/livres/2014/08/27/james-salter-en-pique-sur-le-monde-de-l-edition_1088178

 

ILLUSTRATIONS:

- Montage titre: M. Salanié

- Photos Salter, United Artists, JJ. Annaud

- Edward Hopper, Excursion into philosophy

- Carte postale Cim

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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Publié le 29 Avril 2018

GODILLOTS, VIOLON

&

PATRIMOINE JACQUAIRE

 

Venez fêter à Lectoure les vingt ans du classement du grand chemin au "Patrimoine mondial de l'UNESCO".

Une animation originale de l'Office de Tourisme. Pour ceux qui préfèrent amener le pique-nique tiré du sac, le tarif est de 8 euros seulement.

 

Elle est chouette l'affiche de l'Office de Tourisme. Mais je ne résiste pas : il faut toujours que j'en rajoute... en restant dans le thème toutefois. De gauche à droite, "La Mouline de Belin, avant la grimpette", "A l'ombre des grands arbres du parc du Couloumé", et enfin au pied de notre cathédrale, une sorte d'itinéraire bis du grand chemin pour les lectourois,  "Le sentier de la tour du bourreau", qui monte dru comme une pénitence.

E ultreïa, e suseïa, Deus adiuva nos.  

                                                                  ALINEAS

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Chemins

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Publié le 13 Avril 2018

La France est parcourue par un fantastique réseau de 525 000 kilomètres de cours d’eau, fleuves, rivières et torrents. Soit plus de 13 fois le tour de la planète ! On estime qu’à l’apogée de l’industrie meunière, plus de 100 000 moulins exploitaient la force motrice de cette gigantesque réserve d’énergie. Soit 800 à 1200 par département. Le record de concentration est attribué à la Bonnette, une rivière affluente de l’Aveyron, du côté de Caylus en Quercy, où ont été installés jusqu’à 32 moulins sur 26 kilomètres ! La documentation ne nous dit pas si celui qui a arpenté le réseau hydraulique national pour dresser ce tableau a pris en compte les ruisseaux secondaires parmi lesquels ceux de Lectoure qui nous intéressent au premier chef, les Balines, Bournaca, Foissin. Sur le dernier par exemple, nous recensons 4 moulins sur 3,7 kilomètres. La capitale de la vicomté de Lomagne, devenue place forte de la maison d’Armagnac, évêché de surcroît, avec ses 5 000 habitants à nourrir au Moyen Âge, exigeait une dizaine de meules meunières à portée de remparts, et aussi des moulins à huile, des foulons à tissu… A cette époque, la zone industrielle, c’est ici, au bord du Saint Jourdain.

Mais si le moulin est réputé pour avoir libéré l’homme (et la femme, oui bien sûr !) de tâches lourdes et répétitives, son installation a nécessité un effort à la mesure des éléments. Car le relief est par nature pentu, les berges sont gorgées d’eau et mouvantes, la végétation exubérante.

Nous avons déjà posé comme base [ici] l’intérêt de disposer, à proximité du projet de construction, de la matière première, de la bonne pierre et du bois de charpente, dont la bâtisse sera gourmande.

L’eau, quant à elle, serait une évidence ? Et la meule une affaire qui tournera ensuite toute seule, par la magie de l’hydraulique ? Que nenni. L’énergie restituée n’est jamais gratuite. La tâche sera immense.

 

Le moulin de Roques à Astaffort, et son barrage sur le Gers.

Sur un cours d’eau important, comme un fleuve ou une rivière, l’adduction d’eau sera obtenue par la construction d’un barrage ou d’un canal d’amenée, d’un bief, un ouvrage sur lequel le moulin accrochera ses fondations et s’avancera prudemment, en saillie. Ici, l’art de l’ingénieur consistera à diviser le flux généreusement offert par la nature pour le dimensionner à la capacité du bâtiment projeté qu’il faut en outre protéger, par un enchaînement de dérivations, d’écluses et de déversoirs.

Mais sur les timides petits ruisseaux adjacents, il en va différemment. Particulièrement en Gascogne où la pluviométrie est très irrégulière. Ici le problème du moulin ne sera pas le trop-plein d’eau mais au contraire sa rareté et donc sa collecte et sa concentration. Le système féodal, par recherche d’autarcie, a conduit à la multiplication de moulins de taille réduite. Une fois le bâtiment posé là, au cœur du domaine agricole, le travail consistera à aller chercher la ressource, parfois très loin. L’effort sera dans ce domaine infini et admirable. Il faudra successivement faciliter le surgissement de l’eau, la conduire, la stocker, l’élever au niveau requis, la lâcher avec mesure et précision, enfin l’évacuer. Amener de l’eau à un moulin. À la Mouline de Belin par exemple.

 

Pendant cinq siècles, par tout temps, ce bonhomme besogneux, trempé dans ses misérables chausses, moine ou serf à l'origine, puis au fil des siècles, pauvre journalier, tenancier honorant sa corvée, ou garçon meunier enfin, pour assurer une circulation de l’eau, rapide, régulière, sans perte, devra curer inlassablement les fossés et les canaux, défricher les berges, relever les talus, rebâtir les murs de soutènement. Un travail de fourmi, exténuant, toujours à recommencer. Le père-abbé, le seigneur, le maître-meunier y veillent certes, mais avec eux et pour eux, des générations de travailleurs obscurs ont assuré l’approvisionnement du moulin en eau. Sans cela, on le constate aujourd’hui, après quelques années d’abandon, les lieux se couvrent de taillis, les abords deviennent marécageux, les retenues et les canaux disparaissent sous les sédiments déposés par les crues. Ici plus qu’ailleurs la nature libérée reprend ses droits.

Tout d’abord, voyons d’où vient notre eau. La Mouline de Belin n’est pas arrivée sur ce minuscule petit ruisseau et précisément à cet endroit sans raison. Cinq sources relativement abondantes et régulières alimentent le cours d’eau. Le plan que voici est parlant.

Pour visualiser en grand, clic droit sur le plan et [afficher l'image]

A l’origine, il est probable que ces sources devaient appartenir au même domaine. S’il s’agit des Templiers, ce que nous croyons, la règle de Saint Benoît précisait que le monastère devait être construit de manière à ce que l’eau, le moulin, le jardin soient dans l’enceinte pour que les moines ne soient pas forcés de se répandre à l’extérieur, ce qui ne convient nullement à leur âme… (ut non sit necessitas monachis vagandi foris, quia omnino non expedit animabus eorum).

Pour que l’eau sourde le plus librement possible, l’endroit est dégagé, les arbres écartés et la pente soigneusement tracée et entretenue. Progressivement, les sources seront bâties, couvertes et deviendront les fontaines que les lectourois connaissent, certaine, Saint Michel en l’occurrence, étant considérée encore aujourd’hui offrir une eau salutaire, ce qui devait laisser le meunier de marbre. Lorsque le domaine sera démembré, autour du 15ième siècle, la perte de la maîtrise des sources sera sans doute l’une des causes de la désaffectation du moulin.

La fontaine de Charron

Sur le cours d’eau, aux endroits où le terrain est en surplomb et risque de glisser par l’effet des crues, des murs de soutènement particulièrement forts seront dressés : fondations profondes, moellons de très grosse dimension, drains… Un travail titanesque réalisé à mains nues par des équipes de manœuvres sous la direction de maîtres bâtisseurs. Ce que l’on appelle aujourd’hui en travaux publics des « ouvrages cyclopéens », qui seraient à présent réalisés sans peine ou presque, à coups de pelles mécaniques, de bulldozers et de camions-toupie béton.

Vestige d'un mur de soutènement en aval de la Mouline de Belin

L’entretien des fossés d’écoulement depuis les sources et du lit du ruisseau lui-même sera prioritaire. Au vu de la longueur du réseau, on peut estimer que deux ouvriers sont affectés en permanence à cette tâche sisyphéenne. Houe, panier et serpette à la main.

Il faudra également lutter contre l’érosion. A titre d’illustration, au 16ième siècle, lorsque l'église et la noblesse cèderont l’exploitation des moulins à des artisans, meuniers de métier, les contrats de location feront obligation aux preneurs de remonter le limon, à chaque printemps, de l’aval vers l’amont, l'unité de mesure étant la charrette (!), à la fois pour maintenir le niveau des terres autour du site et pour ne pas gêner le fonctionnement des moulins situés en contrebas car de nombreux procès de voisinage sont intentés.

Enfin autour du moulin. Puisque le débit naturel du ruisseau ne permet pas à lui seul de faire tourner la meule, en profitant de la disposition naturelle du terrain, il faudra aménager une retenue (encore un joli chantier !) qui emmagasinera le potentiel suffisant pour actionner le mécanisme meunier pendant… un certain temps. Quelques sacs seulement de céréales passeront entre les deux pierres. Et puis on s’arrêtera en attendant que la réserve d’eau se reconstitue. Foin des 3X8 heures ! Encore une explication à l’obsolescence de ces petits moulins au bénéfice des « usines » installées sur le Gers et capables de tourner sans discontinuer,  au rythme du défilé des mulets du pays.

La retenue est implantée au niveau nécessaire pour donner la puissance voulue ; ce sont des calculs savants que maîtrisent parfaitement les ingénieurs des congrégations monastiques. S'il y a surplus d’eau affluant dans la retenue en cas de crue, celle-ci sera évacuée dans le lit du ruisseau par un déversoir, contournant ainsi le moulin. L’eau nécessaire au mécanisme sera conduite dans un puits disposé devant l'arche d'entrée du flux dans le moulin.

L'unique vestige du système hydraulique sur le bâti de la mouline de Belin: l'arche d'entrée de l'eau dans laquelle a malheureusement été insérée une porte lorsque la salle du rouet a été transformée en étable.

Dans ce puits est installé un conduit, le canon à eau, qui projettera le flux puissant sur la roue en bois, appelée rouet, elle-même reliée à la meule, mais ceci sera une autre histoire*.

Après avoir fait tourner le rouet, l’eau ressort du moulin par une arche dite de défuite et regagne le ruisseau en contrebas.

A la Mouline de Belin, moulin défensif [voir ici], une douve passe au pied de la porte d’accès équipée d’une passerelle, escamotable en cas de danger. Le moulin est donc entièrement entouré d’eau. Comme elle n’est pas très abondante, en cas d’attaque les écluses du déversoir et de la douve seront grandes ouvertes et la base de la bâtisse sera ainsi entièrement inondée. On espère que les assaillants se laisseront impressionner par ce dispositif. En tout cas cela donnera le temps de sonner l’alerte et d’attendre de l’aide de la citadelle voisine.

On le voit donc bien, un travail considérable incombe au maître des lieux et à ses servants pour « amener de l’eau à son moulin ». Aujourd’hui, en français, cette expression commune signifie, de façon imagée, que l’on apporte un argument à quelqu’un dans un dialogue, à l’occasion d’une controverse, au cours d’un exposé, pour étayer une thèse. Les dictionnaires assurent évidemment que cela remonte à ce temps que nous décrivons où l’eau qui parvenait au moulin représentait un « avantage » pour le meunier. Certes, mais à présent que nous avons fait ce rapide tour des moyens considérables à mettre en œuvre, il nous apparaît que l’origine de l’expression est plus complexe et plus signifiante. Le moulin nécessite en amont un gros travail, une conjugaison d’efforts et d’énergie. On pourrait dire également que les petites sources font les gros ruisseaux et faire remarquer que l’on amène souvent de l’eau au moulin d’un interlocuteur par un argument de dernière minute, que l’on présente comme un apport déterminant. Au bon endroit, au bon moment.

Alors, actionnant la trappe qui commande le canon à eau, le maître-meunier libère le flux rugissant et met en branle la lourde et bruyante mécanique de ses meules. Les eaux rassemblées patiemment en amont s’engouffrent dans la gueule du moulin, sombre et gourmande, grande ouverte comme celle de Gargantua naissant tout habillé du ventre de sa mère et réclamant « A boire, donnez-moi à boire ! ».

                                                                    ALINEAS

 

* Effectivement, dans le midi de la France, la quasi-totalité des moulins hydrauliques sont équipés de rouets disposés à plat, à l'intérieur du bâtiment et non pas d’aubes, verticales et extérieures comme on pourrait le croire parce que les illustrateurs ont trouvé plus explicite de les représenter ainsi.  Nous y reviendrons.

ILLUSTRATIONS:

- Ci-dessus, la "gueule" du moulin de Gô dans la Mayenne. Bel exemple d'une rénovation par une association de passionnés. http://www.moulindego.com/

- Photos et schémas: M. Salanié

La cascade de la photo-titre est celle de la mouline de Roque, en aval de la mouline de Belin.

- Vue satellitaire du moulin de Roques à Astaffort (47): Google Maps

- Plan des 5 sources sur la base d'un plan Google Maps

- Mois de janvier du calendrier du Rustican, 1306. Pietro de Crescenzi. On a supposé qu'il s'agissait d'une représentation d'extraction de l'argile. Mais il peut aussi s'agir de l'entretien des berges du ruisseau. Et Alinéas veut y voir évidemment Lectoure en fond de décor.

DOCUMENTATION:

Pour les amateurs de vulgarisation technique illustrée, un magnifique ouvrage: Du moulin à l'usine textile, David Macaulay, Bibliothèque de l'école des loisirs, 1977.

En particulier, voir ici l'illustration de la technique de creusement du bief:

https://leconschoses.blogspot.fr/2013/12/du-moulin-eau-lusine-textile-david.html

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Moulins

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Publié le 29 Mars 2018

Pas la peine de se le rabâcher, voilà un printemps pourri ! La végétation est en panne. Nous prions chaque jour le saint de l'almanach du jardinier afin qu'il protège la floraison des fruitiers. Sur le coteau de l'arradjade, haut perché à dessein, notre rucher abrite des colonies  d'abeilles qui tentent, par petits escadrons, une sortie à chaque minute de soleil miraculeusement introduite entre deux plafonds nuageux, lourds comme des serpillières trempées.

Alors que faire? Cherchez bien. Quelques végétaux éclaireurs annoncent les beaux jours. Petits, discrets, ils ne font pas encore un paysage. Mais en les observant de près, on s'extasie devant la perfection des formes et la profondeur des coloris.

"Laisse tomber ta cyber-plume Alinéas. La nature pousse ici son génie."

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Photos M. Salanié

Pour agrandir la photo: clic droit et [afficher l'image].

 

Il faut déjà préparer la saison 2019, en semant à tout vent les akènes de pissenlit.

 

Cohorte de fleurs de prêle préparant un lâcher de spores.

 

Atterrissage d'une abeille en mission sur une coronille encore trempée.

 

Il ne sent pas, mais quel bouquet ! Le laurier thym.

 

Compétition entre un bourgeon à feuille et une grappe florale sur un arbre de Judée. Celui-ci est né d'une graine prélevée à l'Alhambra de Grenade.

 

Rencontre au sommet sur l'aulne glutineux: infrutescences de l'été dernier, chatons de l'hiver et feuilles naissantes.

 

La ballote fétide: avec un mauve si classe il faudrait faire réviser ce nom là.

 

Le sédum palmeri fourbit sa hampe florale. Il paraît que les succulentes sont des plantes de milieu aride !....

 

A part son qualificatif qui lui trouve un air d'os, la stellaire holostée est la plus gracieuse des petites fleurs. Je préfère le nom langue d'oiseau.

 

Vous répèterez plusieurs fois sans vous tromper:  mousse et couches de champignons de souche.

 

Le mahonia, comme un mariage de mimosa et de houx.

 

Troglodyte mignon attendant pour pondre que le robinier faux-acacia veuille bien mettre son feuillage.

 

L'anémone des croisés n'est pas un héritage de notre templier de Naplouse mais un joli cadeau de Godelieve et Jean.

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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Publié le 16 Mars 2018

 

Pendant des milliers d’années, un ciel d’origine du monde a délavé la gangue argileuse du promontoire qui ne s’appelait pas encore Lectoure. Au pied du rocher mis à nu, la terre s’est accumulée en attendant l’artisan qui lui donnerait vie. Le quartier de Pradoulin*, l’un des sites choisis par Rome pour développer son industrie entre Pyrénées et Garonne, a connu son heure d’intense activité potière et artistique. C’est ici que Roger Thévenon, succédant au potier gallo-romain,  a installé son atelier. Après une vie de cadre dirigeant dans l’industrie en région parisienne, il choisit le calme de cette plaine au bord du Gers pour s’adonner à son créatif passe-temps.

 

Il applique la glèbe souple par couches successives pour donner

naissance, à partir du néant, à la forme qui n’existait auparavant que dans son esprit. Le tailleur de pierre, lui, attaquera la matière de ses outils taillants, retirant l’excédent qui masque encore l’œuvre finale, virtuellement préexistante au cœur de la concrétion depuis les temps géologiques. La sculpture est dichotome : la forme naît de l’imagination de l’artiste, soit par ajout, c’est le modelage, soit par soustraction de matière, c’est la taille.

 

Dans les landes de Gascogne, au Paléolithique supérieur, un sculpteur appartenant à la seconde des deux écoles a donné à l’Humanité, la Dame de Brassempouy, faite d’ivoire dans un pays de sables. Etait-elle déesse ou bien simple mais sublime servante ?

Au centre, la Dame de Brassempouy, 23 000 ans et un air de famille

avec les créatures de Thévenon.

 

Par atavisme avec les lieux, telles des vierges dédiées au service du temple de Cybèle dressé sur la colline sacrée des Lactorates, les belles de Thévenon ont la plastique qu’exige leur vocation exposée au regard des

fidèles. Elles sont les petites-filles de l’Aphrodite de Praxilète, des Grâces de Lucas Cranach et des odalisques de Matisse. Le monde antique, la chrétienté, les civilisations d’Orient et d’Occident ont distillé leur art, chacun à sa manière, sans jamais pouvoir ni vouloir rejeter les influences externes, pour peu qu’elles respectassent leurs sentiments et leur maturité. Ainsi Thévenon synthétise t-il par un patient travail de modelage, les canons des artistes de son panthéon, du classicisme grec à l’art nègre**, indigène et art déco.

 

Certaines de ces sculptures de plâtre seront reproduites dans le métal pour tendre à l’immortalité.

A Rome,  les vestales étaient choisies et devaient rester vierges durant leur long sacerdoce. Notre temps n’a plus ces rigueurs et pour séduire nos temples médiatiques qui brûlent si facilement ce qu’ils ont adoré pas plus tard qu’hier, le monde n’en finit plus de s’agiter. 

 

Roger Thévenon lui, insensible aux modes, possède l’art d’inscrire la beauté éternelle dans la terre et dans le bronze. 

 

                                                             ALINEAS

 

Pour visualiser isolément chaque sculpture, clic droit et [afficher l'image]

 

* De « ola » en gascon : le pot de terre, la marmite. Le champ qui recouvrait les ruines de l’ancienne cité gallo-romaine était parsemé de tessons de terre cuite, devenu ainsi « le prat d’oule ».

** L’adjectif résistera t-il au rectificatif  du vocabulaire historique qui sévit actuellement, y compris dans le registre artistique ?

 

Photos Michel Salanié. Droits de reproduction Roger Thévenon.

Reproductions: Maison de la Dame de Brassempouy, Nu bleu II Henri Matisse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Beaux arts

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Publié le 23 Février 2018

COMMENT PEUT-ON

 

ÊTRE LECTOUROİS ?!

 

A l’automne 1842, sur la promenade du Bastion, pendant le changement des chevaux de la diligence qui la conduit d’Agen vers Pau, Louisa Stuart Costello, femme de lettre anglo-irlandaise, observe avec amusement les gamins lectourois (« street urchins », oursins des rues dit-on en anglais) jouer avec un énorme chien des Pyrénées.

Comme les artistes, Manet ici, le touriste du 18ᵉ voyage avec son carnet de croquis.

 

De tout temps, le voyageur regarde avec complaisance les enfants du pays qu’il traverse. Parce que l’enfant est plus disponible sans doute, plus naturel et communicatif que son parent qui est souvent méfiant devant le curieux, voire hostile devant l’inconnu.

Comme Victor Hugo dont nous avons déjà raconté le passage dans notre petite ville deux ans plus tôt, cette aristocrate qui parcourt le Sud-Ouest de la France avec un groupe d’amis ne dormira pas à Lectoure,

 

Cahots, promiscuité et... porcs gascons, le voyage en diligence n'est pas de tout repos.

 

probablement faute d’hôtellerie décente et également parce qu’à égale distance d’Auch et Agen et dotée de moins d’intérêt, cette étape technique ne retient pas les voyageurs de qualité. Poétesse, peintre, historienne, nouvelliste, Costello publiera le récit de son voyage deux ans plus tard sous le titre « Béarn and the Pyrenees – A legendary tour to the country of Henri Quatre ». L’accentuation et le nom officiel du prince béarnais en VO pour son lectorat anglais, de même que toutes les expressions en français dans le texte donnent une idée de sa maîtrise de la langue, de sa volonté de rendre l’ambiance et de son intérêt pour la culture et les traditions du pays. A l’époque et dans toute l’Europe, parler en français est un signe de distinction et bien sûr une facilité pour le voyage.

 

Louisa Stuart Costello

Après la scène de rue offerte par les gamins, Louisa Costello, fera une brève mais élogieuse description physique de Lectoure (voir extrait ci-dessous) et en particulier de sa position élevée offrant de belles vues sur le paysage environnant que son regard d’artiste apprécie. Ce jour là et malgré le beau temps, les Pyrénées ne sont pas visibles. Elle qualifie le style du clocher de la cathédrale de mi-gothique, mi-anglais !? Passons. Enfin, elle évoquera, avec respect et sensibilité, la mémoire du maréchal Lannes, l’enfant du pays. A peine trente ans après sa mort sur le champ de bataille et la fin dramatique du premier Empire, voilà une prudence qui ménage la susceptibilité de la nation vaincue sévèrement à Gibraltar et Waterloo, et l'expression du tact d’une grande dame que l’on retrouve tout au long de ce récit.

 

Le 17 mars 2017, le New York Times, grand quotidien américain, publie un article signé de David Mc Aninch sous le titre « Is Gascony the most delicious corner of France ? », question à laquelle nous répondons de façon unanime : allez, tous avec moi, « Oui ! ». Il y fait, entre autres, une publicité incroyable à "notre" Café des sports, my favourite bar in France rien de moins, où il s’étonne qu’un inconnu lui confie sans hésiter pendant un instant son enfant pour aller prendre un verre au comptoir. Encore un cliché de gamin attendrissant le visiteur. Plus loin Lectoure est qualifiée de prim and prettyfied, c’est-à-dire quelque chose comme chic* et joliment apprêté, ce qui ne serait pas le cas ailleurs dans le Gers est-il précisé, les communes voisines auront apprécié….

Le journaliste n’est pas passé en Gascogne comme Louisa Costello, en simple touriste. Installé à Plaisance du Gers avec femme et enfant pendant deux ans, il s’est imprégné de notre mode de vie ce qui lui a permis de publier en connaissance de cause et sérieusement documenté un livre intitulé « Duck season » que l’on peut traduire par « Une saison de canard ». Titre un peu réducteur certes, mais ne boudons pas notre plaisir car le média new-yorkais qui publie cet article affiche des scores à la dimension du pays de Donald (…) : 1,2 millions d’abonnés quotidiens, 1,6 le dimanche et 2,2 sur internet ! Dans ces conditions la publication devait donner quelques retombées. Elles n’ont pas été précisément comptabilisées par l’Office de Tourisme ni par le tenancier du fier bistrot mais la Mouline de Belin en a accueilli plusieurs, coupure du journal (intégralement reproduite ci-dessous) exhibée à l’arrivée pour solliciter notre intervention en vue de la réservation (!) à la table de l’établissement lectourois désormais estampillé d'une étoile sur les tablettes des routards américains.

 

Un site, un patrimoine et un tissu commercial original. Lectoure cultive sa différence.

 

On n’imagine pas le poids des mots qui déclenchent immédiatement chez les étrangers un intérêt pavlovien et qui renvoient à l’image idéalisée qu’ils se font de notre pays : terrasse de bistrot, Bordeaux, Bourgogne ou Armagnac, confit de canard, bal du 14 juillet, mademoiselle…. Ce qui fait qu’une fois visités deux ou trois châteaux de la Loire, le Louvre et Saint Trop’, il leur reste encore à découvrir…. la France "d’en-bas".

 

Un autre repaire de "sportifs", disparu celui-ci : la Taverne des sports ! Sur le Bastion.

 

Il faut remonter au milieu du 18e siècle pour voir les hautes classes sociales d’Angleterre, d’Allemagne, de Hollande, de Russie et de France institutionnaliser pour leurs grands enfants, en guise de complément de formation, un long voyage intitulé « Grand Tour », qui s’écrit de la même façon en anglais. L’idée aujourd’hui banale, selon laquelle les voyages forment la jeunesse, trouve son origine au siècle précédent, celui des Lumières, « ...pour en rapporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons, et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d’aultrui » écrivait Montaigne. Outre les notes manuscrites, les croquis et les dessins permettent à ces tourists, ces étudiants au long cours, qui seront plus tard parmi les premiers photographes amateurs, de mémoriser les paysages entrevus, de reproduire certaines œuvres artistiques, les spécificités architecturales, de saisir quelque portrait d’après nature.

Puis les "vieilles anglaises", les souffreteux, les golfeurs, les plaisanciers et les amateurs de grand air feront, à leur tour, la fortune

 

Luchon. Reproduction d'une affiche de la Compagnie des Chemins de fer d'Orléans et du Midi

 

des villégiatures françaises depuis la Côte d’Azur jusqu'au Pays basque, Nice, Pau, Biarritz… Lectoure doit certainement le passage de ces premiers visiteurs, ayant laissé trace de leur étape à travers l’édition de ces sortes de guides touristiques ou sur simple carte postale, à sa position sur la route pour rejoindre les Pyrénées et plus exotique encore, l’Espagne. Le chemin de fer qui devait relier initialement Limoges à Saragosse, concédé à la Compagnie du Midi et du Canal latéral à la Garonne, sera mis en service jusqu'à Auch, et donc desservira Lectoure, en 1865. La voie atteindra son terminus à Vic-de-Bigorre en 1869. Pourtant, l'attraction des métropoles de Toulouse et Bordeaux et des littoraux, méditerranéen et atlantique, fera que le gros des contingents de touristes transitera à l'est et à l'ouest, préservant, un mal pour un bien, son caractère rural et spontané au département du Gers.  Aujourd’hui encore, nous voyons défiler les skis fixés sur la galerie des voitures empruntant la RN 21 et qui saluent notre maréchal statufié sans s’arrêter.

 

Enfin, une autre célébrité a raconté sa découverte de la Gascogne. On lui attribue la francisation de l’anglais tourist et il est chez nous souvent invoqué comme porte slogan publicitaire : Henri Beyle, alias Stendhal aurait qualifié notre petit coin de Gascogne, le pays de Lomagne, de « petite Toscane ». Est-ce dans Voyage dans le midi de la France ? Nous n’avons pas retrouvé dans cet ouvrage l'éloge maintes fois exploité. Par contre, il apparaît que cet air de famille avec l’Italie, que Stendhal connaît bien et qui vaudrait attestation de qualité, est revendiqué par un certain nombre d’autres places : le Gaillacois en Tarn-et-Garonne, un établissement huppé du bas-Armagnac limitrophe des Landes, Clisson près de Nantes et même le Beaujolais... Bien que le ciel d’Italie ne soit pas marque déposée, il faudrait s’entendre !

Faisant suite à Mémoires d'un touriste publié en 1868, ce récit de voyage paru en 1930 , posthume donc, est évidemment bien rédigé, certaines anecdotes sont cocasses, l’ensemble est érudit et historiquement enrichissant. Mais Stendhal ne peut pas dissimuler qu’il voit les régions qu’il traverse et leurs habitants essentiellement au travers du prisme déformant de sa personne, égocentrée et précieuse. Lors d’un trajet qui le conduit de Bordeaux à Toulouse, en bateau jusqu’à Agen puis en

De Bordeaux à Agen Stendhal voyagera en bateau à vapeur. Belle époque.

 

diligence, il n’est pas tendre avec notre région, c’est une litote. Lisez plutôt. « Figurez-vous le plaisir de disputer un coin de coussin à des gascons sentant l’ail ». A Toulouse, « Grossièreté et saleté incroyable de la classe peuple de Toulouse » ! A Auch, «  …vitraux à couleurs vives. C’est la beauté suprême pour le paysan qui achète dans les foires les estampes coloriées et pour les savants chez lesquels la vanité anéantit le sentiment du beau ». Pauvre maître verrier, Arnaud de Moles. Pauvres de nos aïeux.

Le récit étouffe de ces incessants jugements superficiels et inutilement agressifs. Vraiment désagréable.

Revenons à la Toscane. Comme la Lomagne, elle est introuvable dans ce texte. Stendhal se plaint en permanence du style gothique, de « la laideur gauloise » ! C’est dans la diligence entre Agen et Toulouse qu’il fait référence à l’Italie : « …la vue de Moissac… m’a fait un vif plaisir. Je me serais cru dans ma chère Lombardie. Beauté du ciel, douceur de l’air et surtout maisons bâties en briques avec des corniches élégantes ». Nous y voici semble t-il mais le rapprochement tient « surtout » à l’architecture, au bâti. Je propose donc à ceux qui recherchent une caution pour promouvoir leur coin de bocage de réserver la référence stendhalienne d'une ressemblance avec la Lombardie -et non la Toscane ce qui n’est peut être pas très différent- à la seule région de Moissac et, rive gauche, à la Lomagne garonnaise qui a son charme c’est vrai, avec laquelle

 

Galerie à l'italienne, brique toulousaine. Auvillar en Lomagne garonnaise.

 

le pays de Lectoure partage le ciel sinon tout à fait l'architecture.

Pour ma part, je relirai peut-être un jour par acquit de conscience Le rouge et le noir ou La chartreuse de Parme, mais il faudra auparavant que je m’efforce d’oublier ce vilain touriste là. En visitant le château de la Brède, Stendhal dit avoir un culte pour Montesquieu. Il aura lu à l’envers « Comment peut-on être persan ? » où le grand philosophe gascon fustige le parisianisme : pour cet observateur pontifiant et dédaigneux, cela aurait pu donner:

- Comment peut-on être gascon ?

- Et Lectourois alors !?

Remarquez, lorsque j’étais gamin, pas très loin d'ici mais il y a longtemps, dans un mélange de méfiance et d’admiration, nous traitions tous les touristes de « parisiens ». Avec éventuellement, à l'appui, quelque qualificatif désobligeant en patois. Oursins et sauvageons.

 

En réalité, pour la satisfaction de notre goût de la relation humaine, nous accueillons aujourd'hui à Lectoure une très grande majorité de visiteurs sympathiques, ouverts et qui savent trouver en faisant ce beau détour ce qu’ils viennent y chercher. Par bonheur, notre petit coin est encore loin de la saturation que subissent les zones touristiques, côtières par exemple, loin des paquebots gigantesques et hautains, traversant par le canal de la Giudecca, Venise si fragile, loin des quotas de visiteurs qui commencent à apparaître, aux Cinque Terre sur la Riviera et à Barcelone par exemple. Rue Nationale on ne se bouscule pas tous les jours. Et si l'on croise un touriste à la belle saison dans nos prés où certains savent maintenant que se cueille le bonheur, on en parlera encore en hiver devant la cheminée.

 

                                                         ALINEAS

 

* Comme premier résultat, pour prim le dictionnaire nous donne « collet monté », mais je ne pense pas qu’il y ait eu chez le rédacteur la volonté d'exprimer le sens péjoratif que l’on donne en français à cette expression. Alors nous avons plutôt choisi le terme chic que les anglophones utilisent d'ailleurs souvent tel quel, en français dans le texte.

 

LOUISA STUART COSTELLO

Texte intégral Vol.2

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102170f/f5.image

VICTOR HUGO

- Notre alinéa sur le passage de Hugo à Lectoure :

http://www.carnetdalineas.com/2017/02/de-notre-dame-de-paris-aux-remparts-du-chateau-des-comtes-d-armagnac-ou-le-passage-de-victor-hugo-a-lectoure-c-est-une-des-plus-bell

- Il faut également noter la très intéressante Présentation de Francis Claudon, Le Voyage romantique, dans Victor Hugo - Voyage dans les Pyrénées. Editions du Félin 2001.

MONTAIGNE

http://les-proverbes.fr/site/proverbes/les-voyages-forment-la-jeunesse/

STENDHAL

Texte intégral de Voyage dans le midi de la France.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6950r

 

 

ILLUSTRATIONS

- Manet - L'enfant et le chien

- Jean-Baptiste Louis Guy - La diligence à Lanslebourg

- Photos

  Lectoure: M. Salanié

  Auvillar: avec l'aimable autorisation de http://mes-petites-boites.over-blog.com 

 

LET'S READ ABOUT LECTOURE IN ENGLISH

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 8 Février 2018

BESOGNE

 

DE FEMME

 

 

Derrière les lézardes du vieux moulin habillées de lierre, sous la poussière du temps qui gagne toujours, nous n’avons pas retrouvé la meule ni aucun autre vestige de l’industrie du maître des lieux. Non, nous n’avons trouvé d’autre témoignage du travail de nos anciens qu’un battoir de lavandière, pauvre planche de frêne, posée là sur une pierre plate, comme si la femme pensait revenir le lendemain. Le lendemain du jour qui fut le dernier du lavoir de la Mouline de Belin.

 

De tout temps, le moulin meunier a rassemblé autour de lui, de nombreux petits métiers, ayant en commun non pas l’énergie que dompte la mécanique, mais l’eau elle-même, retenue en amont ou bien libérée en aval c’est selon : vannier, pêcheur, potier, teinturier, tanneur…. Et enfin, au milieu de ce monde d’hommes, la femme à sa tâche, ménagère ou collective.

 

Parmi les plus âgés d’entre nous, quelques-uns ont en mémoire l’image d’une vieille, parente ou figurante anonyme d’un incroyable passé, à genoux, manches relevées, trempant et relevant le linge en cascade savonneuse, le battant une, deux, trois fois, puis recommençant une, deux, trois et encore, encore, comme un pantin dont le ressort fait office de volonté. Ces femmes ont fini leur vie le corps cassé, la face et les paumes violacées et crevassées. Il faut essayer, ne serait-ce que quelques minutes, de plonger les mains dans le ruisseau en hiver. Il faut pour comprendre, se contorsionner, une heure, à genoux, les reins se courbant et se redressant, avec à bout de bras une charge de plusieurs kilos…

 

 

La documentation sonore nous fait défaut, mais on peut imaginer que l’enchaînement des coups de battoir et des grincements de la paire de meules et du mécanisme du moulin devait composer une sorte de concert comparable à un ensemble de percussions ou de musique contemporaine, idéal pour sonoriser un film documentaire sur le travail à la chaîne en usine. Mais il y a un gouffre entre les deux instruments : alors que la mécanique du moulin est née de la volonté de s’en affranchir, le battoir utilise la force "animale".

 

Pourtant, la plupart du temps, dans notre imaginaire, la lavandière est un personnage romantique. Jeune, belle, gironde, la femme expose, apparemment sans complexe, son décolleté et sa génuflexion suggestive au regard mâle, telle la danseuse légère d’une opérette au grand jour. Comme la bergère et l’infirmière, les peintres et les poètes l’ont "iconisée", muse laborieuse et accessible.

 

 

 

Sachez qu’hier, de ma lucarne,
J’ai vu, j’ai couvert de clins d’yeux
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux.

Près d’un vieux pont, dans les saulées.
Elle lavait, allait, venait ;
L’aube et la brise étaient mêlées
À la grâce de son bonnet.

 

…………………

 

« Ô laveuse à la taille mince,
Qui vous aime est dans un palais.
Si vous vouliez, je serais prince ;
Je serais dieu, si tu voulais. »

La blanchisseuse, gaie et tendre,
Sourit, et, dans le hameau noir,
Sa mère au loin cessa d’entendre
Le bruit vertueux du battoir.

 

Ce poème de Victor Hugo a pu être inspiré d’une brève vision, du souvenir d’une chaste rencontre, ou bien même était-il pure songerie. Ne trouvez-vous pas qu’il va vite en affaire, depuis la rencontre de la belle sur la berge jusqu’à la "conclusion" ? Trop facile la lavandière. Certes le genre poétique autorise toutes les fantaisies et exige un certain rythme. A la date de publication de Chansons des rues et des bois, le grand homme a 63 ans…

 

Emile Zola, lui, est moins volage et nous fait souffrir à suivre la longue

descente aux enfers de Gervaise Macquart, héroïne dramatique se battant sauvagement au lavoir pour l’amour d’un homme, installant boutique de blanchisserie dans le Paris prolétaire du 19ième siècle, puis enfin, trop faible, sombrant dans l’alcoolisme.

 

Loin de la rime et du roman naturaliste, les lavandières de nos provinces ne sont pas tombées dans l’oubli pour autant. Un grand nombre de cartes postales et de photos anciennes ont immortalisé le lavoir de nos villages et les femmes y travaillant. Le lieu a la réputation d’être propice à la transmission des informations, ragots et médisances. La lavandière est donc, de fait, suspecte de bavardage. Mais sur ces photos, les tenues, l’évidence de la tâche à accomplir, la place du lavoir dans le paysage sont autant de témoignages édifiants de l’importance de la lessive dans le quotidien de nos anciens.

 

Tout près de la Mouline de Belin, les lavandières de l’hôpital de Lectoure, posant sous la houlette - le chapelet en l’occurrence - de la religieuse en charge de l’équipe du lavoir des Ruisseaux d’en-bas*, présentent à l’objectif, avec quelque raideur, leurs instruments : battoir, bloc de savon, mixture artisanale**…. Le photographe faisait-il œuvre documentaire ?

 

Ici point de poésie, ni de galanterie. Juste la besogne.

 

 

Ce qui confère au lavoir et à la lavandière sa place privilégiée dans notre iconographie, et ceci est un point commun avec le moulin, c’est son exposition au regard du photographe, du peintre, de l’écrivain et du public spectateur en général. L’accessibilité des lieux, la périodicité et la fréquence de la tâche, l'éclairage naturel sont autant de facteurs facilitant l’observation par les curieux et l’exploitation de la scène par les artistes.

 

 

Dans le célèbre tableau de François Boucher ci-dessus, idyllique ou léger à première vue, la symbolique du linge et de l’aube s’agitant simultanément sur l’eau, les plans en perspective de la lavandière et du meunier donnent à la scène un sens plus complexe et profond qu’il n’y paraissait d’abord. Le récit de deux relations avec l’élément, de deux vies parallèles, un impossible dialogue entre l’homme et la femme, et la victoire de la machine sur le geste ancestral.

 

 

Pour inaugurer cette rubrique consacrée aux caractères, aux personnages qui ont vécu et travaillé au moulin ou dans son abord immédiat, il pouvait sembler évident que le premier alinéa de la série dut revenir au meunier, à l’homme de l’art, celui sans lequel notre affaire ne pouvait pas tourner rond. Bien sûr. Eh bien, au contraire, nous avons choisi de rendre hommage à cette figure attachante et modeste, la lavandière qui attendra longtemps encore le secours de la mécanisation.

 

                                                                   ALINEAS

 

 

* On dit que les lavandières d’en-haut et de la Mouline de Belin étaient appréciées par les bourgeois du fait que l’eau de ces lavoirs, situés en amont, n’était pas « troublée » par les écoulements nauséabonds des fossés en provenance de la ville…

 

** Des boules de bleu ont été découvertes il y a quelques années autour du lavoir des Ruisseaux d'en-bas. Le bleu outremer, utilisé avec la dernière eau de rinçage pour obtenir un blanc plus éclatant était extrait du lapis-lazuli provenant d’Afghanistan, et par conséquent très onéreux. Synthétisé et commercialisé dans les années 1830 sous la marque Guimet, le bleu devint économiquement abordable pour tous.

Pour obtenir un blanc "plus blanc que blanc" (référence à un "vieux" sketch), sans outremer et avant l'avènement de la machine de la mère Denis (référence à une "vieille" publicité), on utilisait une décoction d'ortie ou de la cendre; pour assouplir, la saponaire, pour parfumer, le laurier et pour empeser cols et manchettes, la farine de rhizome d'arum ! Un début de perturbation du milieu naturel plutôt écologique semble t-il, mais les analyses pour le confirmer font défaut...

 

Victor Hugo. Chansons des rues et des bois. Le poème en entier.

https://fr.wikisource.org/wiki/Choses_%C3%A9crites_%C3%A0_Cr%C3%A9teil

 

Emile Zola. L’assommoir.

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Assommoir

 

DOCUMENTATION

 

La lavandière

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lavandi%C3%A8re

 

Bernard Augereau : Les dits du linge. Contes et racontes des lavoirs en Anjou

https://books.google.fr/books/about/Les_dits_du_linge.html?hl=fr&id=9TxAC9ecu14C

 

Lessives d’autrefois et techniques de lavage

http://espritdepays.com/patrimoines-en-perigord/patrimoine-bati-du-perigord/les-lavoirs-du-perigord/lessives-dautrefois-techniques-de-lavage

 

http://patrimoine-historique-du-canton-de-mouy.fr/spip.php?article32

 

Vidéo. Un lavoir reconstitué. Version ensoleillée.

https://www.youtube.com/watch?v=a9XKAK-5yp4

 

ILLUSTRATIONS

 

- Photos battoir et lavoir de la Mouline de Belin, Michel Salanié

- Carte postale, Lavandières du Lot

- Les lavandières et la lettre d'amour, Eugène de Blaas

- Illustration L’assommoir, Ed. Charpentier 1877

- Photo Les lavandières de l'hôpital, Lectoure à la belle époque, Syndicat d'Initiative de Lectoure 1984

- Le moulin, François Boucher, Musée du Louvre

- Illustration Les lavandières, H. Valentin

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 20 Janvier 2018

Sous le Manteau

 

de la Sainte Vierge,

 

le Pain de serpent !

 

 

Par ce petit temps froid et humide de janvier, le sous-bois d’Arrajacamp n’offre pas les visions quasi-exotiques qui font l’enchantement des promeneurs à la belle saison. Ténébreux et enchevêtrés, ces fourrés peuvent même susciter une certaine inquiétude.

 

Bien encapuchonnés, nous assurons notre pas sur les cailloux émergeant de la trace boueuse qui s’ouvre devant nous, le regard recherchant ce qui pourra rompre avec le monotone décor brun-vert. Ici quelques pelotes givrées de graines d’Herbe aux gueux, là une constellation de baies de Fragonnette joyeusement cerises.

 

 

Et voilà dans cette clairière, un tapis de feuilles d’arum, étonnement triangulées et vernissées au point d’inquiéter avant même d’énumérer toutes les menaces, réelles ou imaginaires, attribuées par nos aïeux à ce végétal que nous sommes nombreux à avoir connu lorsque nous étions enfants, sous le nom d'Herbe à serpents. Dans l’arum tout est beau et mystérieux. Beau, mystérieux et un brin compliqué. Alors, pour le découvrir ensemble, il faudra un peu de méthode. En suivant les saisons par exemple : la feuille en hiver puisque nous y sommes, la fleur au printemps et le fruit en été. Sans oublier la racine.

 

Auparavant, faisons son affaire à un intrus. L’arum de nos autels, du bouquet de la mariée, des coquets jardins de bonne femme, celui là n’est pas de chez nous ! Non, non. Celui que l’on dit aussi Arum des fleuristes, n’en est pas un : Zantedeschia aethiopica est originaire d’Afrique du sud. "N'es pas d’aquí".

 

Prenons également nos précautions dès le début : toutes les parties de la plante sont considérées comme hautement toxiques. On ne pourra pas nous le reprocher, il faut consulter ici.

 

Mais c’est vraiment une très esthétique et très curieuse espèce.

 

La feuille donc, tout d’abord. Dans nos sous-bois de Gascogne, et de toute l’Europe de l’Ouest pourvu que le terrain soit riche et humide, de magnifiques tapis de feuilles en forme de fer de lance, bordées d'un élégant galon, d’un vert saturé et brillant, veinées de blanc crémeux,  s’exposent au regard. Arum italicum. Arum maculatum lui, viendra au printemps. Du fait de sa ressemblance avec la feuille de figuier, on l’appelle parfois dans le midi, Figueiron. Et encore pour sa forme, Oreille d’âne, Pied de veau et chez nos amis anglais, avec plus de poésie, Adam and Eve ! L’équivalent de notre feuille de vigne, prude certes, mais avec ce petit temps bbrrr….

 

Un bouquet façon Bonne-Maman

 

La feuille d’arum participe à la composition de superbes bouquets champêtres, en évitant par précaution la collecte par de petites menottes...

 

Sur le plan médicinal, après différentes préparations qu’il serait top long et aventureux de décrire, la feuille est considérée cicatrisante en application sur les plaies, les polypes, les ulcères, ce que les vieux grimoires de médecine appellent noli me tangere, "ne me touche pas". Un site internet de santé par les plantes osant même, sans nuance, déclarer l’arum efficace dans le traitement des cancers du nez et du sein... Au 12ième siècle, Hildegarde de Bingen, célèbre nonne faite sainte, et référence de tous les naturopathes, le recommande pour traiter la goutte, la feuille étant pour cela mélangée avec du sel ou cuite dans du miel ! Toujours en application bien sûr !

 

Après la médication, et par goût des bonnes choses bien de chez nous tout de même, disons que la feuille d’Arum italicum est appréciée du cochon. Ici le fameux porc noir gascon, élevé en plein air comme il se doit, pris en flagrant délit de gourmandise précisément dans un parterre d'arum.

Pour le cochon traditionnellement engraissé à la ferme en vue de la consommation familiale, l'arum était ramassé en sous-bois par quelque vieille affectée à la tâche, puis servi à l'animal dans son auge, pour corser sa pâtée dit-on ! Comme quoi la toxicité est relative.

 

La fleur à présent. Surprenante. Un cornet vert pâle (la spathe) contenant une sorte d'appendice charnu, jaune chez italicum et violacé chez maculatum, comme une petite massue (le spadice). C’est cet ensemble, ce couple végétal étonnamment figuratif, qui a inspiré nombre de désignations : si le nom commun « gouet » semble remonter au latin gubia, la gouge, sans doute pour sa forme rappelant l'outil du menuisier, les appellations populaires Giraude de moine, Membre d'évêque, Vit de prêtre, Vit de chien ou encore Mata Madona annoncent clairement l’inspiration érotique. Dans la même veine, nous avons en gascon, Cocurot, la femelle du coucou.

 

 

Le mot gouet peut aussi être rapproché de l’occitan et du provençal "goge" qui désigne une fille non mariée, une servante, voire une prostituée.

 

Le mâle, le mal fait homme, se dresse donc ici insolemment, provoquant. Quant au reptile dont, enfants, nous pensions seulement et naïvement qu’il s’en nourrissait, il était en fait partie intégrante de la plante, et la plus remarquable. L’arum et son phallus doré, fièrement offert à l'adoration d'on ne sait quelle chapelle en plein air, l’Herbe à serpent, celui de la faute originelle. Le démon.

 

Légende et imagerie confondues donc, car dans la réalité, il n’a jamais été établi que le serpent loge à proximité de l’arum. La théorie des signatures, qui tire des enseignements des similitudes entre végétaux et humains et qui voudrait que son suc soigne les morsures de l’animal à sang froid, non plus. Son effet aphrodisiaque, pas mieux que l’on sache.

 

Toujours par la forme de cet appendice, relevons les appellations de Fuseau, Pilon, Chandelle…

 

Référence d’un registre éloigné en principe, nos anciens trouvaient également que le cornet triangulaire de la fleur ressemblait à une capuche, un manteau, d’où le nom de Manteau de la Sainte vierge, Bonnet de grand prêtre (Aaron en hébreu et en grec ancien, le frère de Moïse, étant le premier prêtre du Livre de l’Exode, d’où Arum), Religieuse, Capouchoun en gascon…

 

 

L’énumération n’en finit pas, signe d’un grand intérêt de la part de nos anciens, des botanistes, des érudits et des poètes.

 

Il serait trop long, et cela dépasserait largement nos compétences, de décrire en détail l’étonnant processus de pollinisation de l’arum. Un système très élaboré : les fleurs, mâles et femelles, cachées à la base du spadice émettent une forte odeur, fétide parait-il, mais attractive. Une fois entrés dans le compartiment, les insectes sont empêchés d’en ressortir par une barrière de filaments. Un piège... diabolique.

 

Le fruit. Pour qui, pourquoi la nature l’a-t-elle fait si visible ? Et attractif.

Pas d'amateurs à notre connaissance. Sauf le fameux serpent. Faux, semble t-il à nouveau bien que ceci ait pourtant donné l’appellation Raisin de serpent. Peut-être en forme d’avertissement. Car ce sont les enfants qui pourraient être piégés. Les baies vertes puis rouges, regroupées en épis serrés étant très toxiques, il convient d’être particulièrement attentif.

 

Enfin la racine. Les tenants de la théorie des signatures évoquée plus haut, trouvent que le rhizome de l’arum ressemble aux testicules de l’homme. Mouaiiis… Un peu tiré... par les cheveux. Il y a bien cet air de pruneau d’Agen fripé. Passons.

 

 

En temps de disette, et dieu sait si nos ancêtres ont eu à en souffrir, on tirait de cette racine de la farine. D’où un certain nombre d’appellations : Herbe à pain, Pain de crapaud, de lièvre ou de pourceau. La recette étant perdue et la réputation toxique de la plante établie, nous ne recommandons pas d’essayer, en tout cas si la faim ne vous dévore pas.

 

Toujours dans la boulange, le nom Pain de serpent lui, nous ramène au pistil de la fleur, une ressemblance plutôt du genre baguette parisienne.

 

La lavandière du bord du Saint Jourdain, dont nous tirerons le portrait

très bientôt, emploie l’amidon d’arum pour empeser cols et manchettes des bourgeois de Lectoure: d'où Racine amidonnière.

 

A toutes fins utiles, sachez qu’en magie (je vous rassure, magie blanche c'est-à-dire positive et préventive), le rhizome d’arum enveloppé dans une feuille de laurier favorisera à coup sûr vos entreprises juridiques. Je sens que ça va biner sec cet hiver dans le voisinage !

 

Plus détaché des contingences, pour les amateurs d’ikebana, pour les esthètes et en vue du printemps prochain, nous vous offrons ce magnifique bouquet du maître des fleurs, Henri Matisse : « Arum, Iris et Mimosa ».

 

Adishatz.

 

                                                             Alinéas

 

 

SOURCES:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Arum_italicum

https://www.complements-alimentaires.co/arum/

https://jardinage.ooreka.fr/plante/voir/1961/arum-maculatum

http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1955_num_43_147_11395_t1_0225_0000_2

http://aceras-photos.over-blog.com/article-2709296.html

https://www.fichier-pdf.fr/2012/11/09/lexique-francais-occitan-1/preview/page/95/

 

Nous vous recommandons en outre vivement le magnifique ouvrage, "Herbier érotique" de Bernard Bertrand aux Editions plume de carotte, illustré par le lectourois Jean-Claude Pertuzé, "Maître graveur es-coquineries" précise t-on.

 

PHOTOS:

Arum, Michel Salanié

Porc noir, Ferme de Beleslou à Cagnotte (Landes) http://www.ferme-beleslou.com/porc-gascon/

Tableau Matisse, Musée Pouchkine, Moscou

 

 

 

                                                    

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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Publié le 2 Janvier 2018


LECTOURE

 

SUR SCÈNE

Lectoure est un modèle très photogénique. Sans doute l’influence du promontoire rocheux à usage de piédestal. Théâtrale. Nonchalamment exposée au soleil, pimpante au petit matin frais, ou, pour les promeneurs de l'ombre, sombre et fantasmatique dame de la nuit. Il suffit d’avoir un peu de patience, de chance et de saisir ses poses de comédienne qui joue les modestes, ses mises en scène de cinéma sur fond de Pyrénées ou façon blanc manteau. Ne lui demandez rien qu’elle n’ait décidée elle-même, car elle a son caractère. Un peu star, oui. Vous n’aurez qu’à repasser, ou attendre le bon éclairage. Si vous voulez varier les effets, zoomez sur ces jacquets qui lui chatouillent le flanc Est, ou sur ce chevreuil-caméléon qui broute les blés murs en zieutant la belle depuis le promontoire voisin. Vous pouvez enfin tenter une macro sur ces hussards de coquelicots montant à l’assaut de ses remparts. Mais revenez toujours au sujet principal : la coquette n’attend que cela…

 

A l'expérience, nous trouvons dommage que le "bandeau", la photo en tête de ce carnet d’alinéas que nous avons choisi, par principe, de faire varier régulièrement, disparaisse définitivement de la toile. Parfois rescapé quelques semaines en vignette sur Google,  mais clic et re-clic, résultat négatif : N’habite Plus à l’Adresse Indiquée. D'où l'idée de ce portefolio-archive.

 

Restons modestes, cette "photo-chapeau" n'est pas une pièce de musée*, mais nous la sélectionnons avec beaucoup de soin, et de plaisir, dans notre photothèque, car elle met en valeur le décor que la Mouline de Belin partage avec ses voisins, avec tous les Lectourois, les pèlerins et les touristes, notre précieux patrimoine visuel.

 

Autrefois dans les familles, il y avait la soirée diapos. Alors, pour les amis, les retardataires, pour les distraits et les amateurs-mateurs, pour le plaisir tout simplement, voici notre rétrospective des bandeaux 2017 du Carnet d'alinéas. Merci de nous dire votre premier choix personnel en inscrivant le N° de la photo dans le champ "Commentaires" ci-dessous.

 

                                                                        Alinéas

 

PS. Pour agrandir les photos: clic droit et [Afficher l'image].

 

* On nous pardonnera le rattachement un peu excessif de cet alinéa-là à la rubrique Beaux-arts mais il fallait bien lui trouver un point de chute.

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Beaux arts

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Publié le 17 Décembre 2017

 

Malgré l’heure tardive et la pénombre qui envahissait le sous-bois, l’enfant marchait d'un pas tranquille. Sur le sentier étroit et accidenté, chaque obstacle lui était parfaitement familier et il savait qu’il aurait pu trouver son chemin les yeux fermés. La branche basse qu’il évitait souplement sans la regarder, la saillie d'une racine sous son soulier assuré, le frôlement saccadé d'une tige de ronce sur la toile de son pardessus, autant de repères pour lui sur sa position exacte dans ce bois d’Arrajacamp, son domaine d’aventure.

 

Derrière le rideau d’arbres et de bambous, dans sa progression, par intermittence, il devinait le clocher cathédral se dressant au dessus du profil de la ville allongée sur son promontoire. Le temps pastel de cet Avent immobilisait toutes choses.

 

 

Il s’approcha de la lisière d’où il pouvait distinguer en contrebas les lumières du hameau familier. Il aimait cet endroit isolé qui lui offrait un balcon sur le monde. L’ondulation des prairies et des cultures. Un vent doux, chargé de senteurs de terre, de sureau fané et de fumée de cheminées. Le silence, ponctué du croassement de quelques corneilles traversant le ciel du vallon de part en part.

 

- Elle va pleurer, petit.

 

La voix rauque qui venait de s’élever dans son dos le fit sursauter. Il se retourna. La vieille répéta.

 

- Demain elle va pleurer.

- De qui parlez-vous Madame ?

- Tu ne connais pas la fille d’Arrajacamp petit ?

- Non.

- Reviens demain. Tu verras.

 

La vieille tourna le dos et disparut dans la nuit qui, soudain, avait envahi le bois et la soustrayait au regard comme par sortilège. L’enfant, peu rassuré à présent, sortit du couvert précipitamment et, traversant en dévalant la succession de champs, de vergers et de haies qui le séparaient des maisons, rentra chez lui essoufflé et agité.

 

Il ne dit rien à ses parents de sa mystérieuse rencontre. Ici, tout le monde craignait cette vieille vivant seule et misérable dans une masure construite à l’écart. Lui connaissait ses habitudes et il évitait simplement de trop s’approcher d’elle lorsqu’il l’apercevait au loin, hirsute et gesticulant dans un monologue incompréhensible.

 

- C’est quoi l’Arrajacamp, Maman ?

- Tu sais bien allons, tu y passes toutes tes journées, du lever au coucher du soleil.

 

C’est en effet le nom que l’on donne partout en Gascogne, des Pyrénées aux dunes de l’océan et jusqu'aux abords de Garonne, à ces coteaux exposés plein sud et que l’on dit pour cela arrajades, arraja camps,  des "champs arrosés" de soleil, "inondés" de lumière. A une époque lointaine où la forêt épaisse et sombre occupait la plus grande partie du paysage, de tels espaces dégagés et lumineux étaient remarquables et leur nom dit bien ce que l’homme y ressentait.

Ici, face à la citadelle de Lectoure, en contrebas du plateau rocailleux occupé par la grande forêt de Saint Mamet et dominant le vallon du ruisseau de Saint Jourdain, c’est un espace inculte, argileux et maigre, que l’on réservait au pacage des troupeaux de moutons et de brebis surveillés par quelque gamin ou bien gardés par un chien dressé que l’on commandait à distance.

Plus tard les botanistes donneront à ce type d'endroits le joli nom de "prairies à orchidées".

________________

 

Le lendemain, l'enfant reprit le chemin du coteau.

 

Dressant le nez par-dessus les haies d’épines noires, il marchait en sautillant pour essayer de distinguer de loin, le cœur battant, la lisière du bois où elle lui avait donné rendez-vous.

 

Le ciel était bas. Mais étrangement lumineux. Arrivé à l’endroit où le coteau s’arrondit devant le taillis, il faillit chuter en glissant, surpris par un sol gorgé d’eau comme si une averse de pluie venait de tomber. Pourtant le temps était sec depuis plusieurs jours. A ses pieds, l’étendue d’herbe rase scintillait, reflétant comme un miroir le ciel rougeoyant. L’enfant était fasciné par ce spectacle inexplicable.

 

Cette fois-ci la vieille arriva face à lui, suivant un étroit passage à sec, sa silhouette noire se détachant devant un rideau d’arbres fantastiques dressés sur une falaise irisée de mille reflets.

 

Alors, à voix basse, elle raconta l’histoire de la fontaine d’Arrajacamp.

 

________________

 

Il y a très longtemps, vivaient ici, deux enfants qui s’aimaient.

On les voyait, toujours ensemble, gardant leurs troupeaux d’oies et de brebis.

 

 

Le garçon et la fille ne s’étaient pas choisis mais leurs familles les destinaient naturellement l’un à l’autre. Car, du matin jusqu’au soir, ils ne se quittaient jamais, se rendant utiles au domaine auquel ils appartenaient, pataugeant au bord du ruisseau, ramassant les fruits des haies et des friches, capturant les petits animaux des fossés et des mares. Ils étaient heureux mais ne le savaient pas.

 

Un jour, un capitaine du Comte d’Armagnac passa dans chaque ferme et chaque hameau pour recruter de nouveaux soldats. Il fallait du sang neuf pour renforcer les troupes que l’on envoyait s’opposer aux armées du Roi. Deux Papes, l’un à Rome, l’autre en Avignon, se disputaient le trône de Saint Pierre. Les  provinces de France s’entredéchiraient. Les hommes étaient devenus fous.

 

 

Le jeune garçon n’eut pas à discuter. « Tu seras fifre, pour mener les troupes au combat » avait dit l’officier. En secret, lui se disait : « Je veux être cavalier. Je verrai la ville de Toulouse, Paris peut-être. Et l'Océan ». « Attends moi, ma mie. Je reviendrai, riche et couvert de gloire » cria-t-il lorsque la bande en armes se mit en marche.  On ne le revit plus jamais dans le pays.

 

La bergère passait son temps au bord du chemin qui va de Miradoux à La Romieu, questionnant les jacquets, les gueux et les marchands. Mais eux ne savaient jamais rien. Elle grandissait et devint belle.

 

 

 

 

Elle repoussait les avances des garçons du voisinage qui la courtisaient. Un printemps, elle disparut. Pendant trois nuits, les chiens des hameaux de la vallée du Saint Jourdain hurlèrent à la mort.

 

A la pleine lune qui suivit, les prairies qui bordent le bois d’Arrajacamp furent inondées.

 

- Comme aujourd’hui petit, alors que le temps n’est pas à la pluie.

 

Depuis les remparts de Lectoure, les bourgeois étonnés voyaient  le coteau refléter une myriade de rayons de soleil. Les Consuls de la ville envoyèrent une délégation sur les lieux et l’on découvrit la source, sous un grand tilleul, au pied d’un rocher.

 

Un curé, qui vécut ici même la fin de sa vie, en ermite, a fait recouvrir la résurgence d’une voute de pierre. Son eau s’écoule, sans jamais tarir, dans un fossé qui descend jusqu’à la Mouline de Belin. Mais ce n’est pas lui qui parfois inonde les champs.

 

- Non, petit. C’est la fille qui pleure. Lorsque le chagrin est trop gros, lorsque l’on entend à nouveau le bruit d’une guerre ou de quelque méchante querelle comme les hommes savent en inventer, elle pleure tant et plus, et la terre d'ici qui a du sentiment, porte ses larmes au soleil et au vent de l'arrajade pour les sécher.

 

                                                   Alinéas

                                                   Illustrations William Bouguereau

 

 

TOPONYMIE ET HYDROGRAPHIE

La fontaine dont il est question ici est souvent appelée dans le voisinage "Arrajacan", ce que l'on a traduit par "rage du chien". Mystérieux et romantique. On a même écrit sur ce chien là. Or, la raja en gascon n'a jamais voulu dire la rage. La rabia, oui ! Alors il fallait une nouvelle légende pour faire taire ce chien là.

En effet, comme de nombreux autres arrajades en Gascogne, coteaux arides exposés au soleil, il est très probable que le site ait été plutôt nommé localement arraja camp, champ arrosé de soleil, la prononciation du [p] final étant estompée, provoquant ainsi la confusion avec can, le chien. Il ne faut pas compter sur le cadastre pour nous en apprendre plus. Alors place à l'imaginaire.

Nous reviendrons un jour sur le phénomène, réel, de l'inondation des champs indépendante de la pluie, les sources qui alimentent le ruisseau de Foissin étant de type vauclusien, c'est-à-dire de résurgence de nappes profondes et non pas d'infiltration. De ce fait, elles sont moins sensibles à la pluviométrie immédiate et sont parfois abondantes alors que le temps est sec localement.

 

Photos Florence De Marchi, Philippe Grenier, M. Salanié

 

ILLUSTRATIONS

Toutes les illustrations de notre conte sont les œuvres de William BOUGUEREAU (1825-1905).

Représentant de la peinture académique néo-classique et réaliste, Bouguereau a connu un immense succès de son vivant notamment à l'étranger, alors qu'il était déconsidéré en France par la critique, sous l'influence du modernisme et de l'avant-garde de l'époque.

Indépendamment du goût des institutions de son époque pour l'art pompier et baroque, on ne peut pas ignorer son génie du portrait. Ses bergères et gardeuse d'oies, ses mendiantes, ses ouvrières et ses baigneuses ont une grande présence et font partie de notre patrimoine iconographique. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des précurseurs de l'hyperréalisme.

Malgré son absence quasi-totale du genre Paysage où il eut été utile dans le contexte de notre conte, Bouguereau nous offre ici une magnifique galerie de portraits d'un naturel et d'une expressivité profonde, de costumes et d'ambiances réalistes, bien qu'idéalisées, dans l'espace rural.

Œuvres reproduites: Jeune fille allant à la fontaine (1885), Le repos, détail (1879), Au bord du ruisseau (1879), Pifferaro (1870), Jeune bergère debout (1887), Biblis (1884).

https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Bouguereau

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_peintures_de_William_Bouguereau

 

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Contes

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