Publié le 9 Décembre 2024

 
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Il n'y a pas si longtemps, dans nos campagnes l'hiver était une saison très très difficile à vivre. Sans électricité, sans chauffage, sans téléphone, sans voiture, sans médecin... Mises à part les maisons nobles et bourgeoises, et encore il y faisait un froid épouvantable sauf à deux pas devant la grande cheminée, les fermes et les petites bordes paysannes suintaient l'humidité. La famille se rassemblait dans la pièce unique meublée de la paillasse où l'on se serrait tous bien fort sous une simple couverture de laine grossière pendant de longues nuits.

Et Noël ? Une fête Noël ? Rien de ce que nous vivons aujourd'hui, de cette abondance que nous trouvons normale malgré l’excès. Si l'ordinaire était parfois amélioré, Noël était surtout le temps de l'adoration implorante de la naissance d'un enfant-dieu fait homme dont on espérait qu'il protège et guérisse de tous les maux... En ce temps-là le chemin pour aller à la messe de minuit lui-même était un calvaire. En sabots, évitant à tâtons les flaques gelées ou quelque crapaud, les lanternes faisant gesticuler d'inquiétantes ombres sur les haies, on chantait autant pour se donner du courage que pour invoquer des anges trop irréels s'ils ne devenaient pas malfaisants, croassant dans la nuit épaisse. On rentrait chez soi sans traîner, non, non, pas pour se mettre au chaud car le feu s'était éteint pardi ! Le vent souffle sur le toit et descend par vagues dans la cheminée, des bruits bizarres, vous savez ... une chouette, une sorte de pas étouffés au grenier, cette tuile qui n'en finit pas de cliqueter, le grommellement d'un vieux sanglier...

La nuit de Noël a ses démons. Écoutez plutôt l'histoire de Cataline.

 

 

 

ataline était enceinte. Elle était seule en cette veille de Noël pluvieuse. Pluvieuse d'une pluie fine et pénétrante. La maisonnette était isolée au fond d'une petite vallée, charmante à la belle saison  mais si triste par ce temps gris, fragile au bout d'un chemin creux et cernée de ronces qui semblaient devoir la recouvrir bientôt. Le soleil n'avait pas percé de toute la journée, la nuit était tombée très tôt et son homme n'était pas encore rentré. On n'irait pas à la messe cette année. Il bûcheronnait, à une bonne heure de marche par ces sentiers défoncés et boueux, dans le bois de la posoéra. La posoéra ? La pousouère, la sorcière en gascon, celle qui concocte le poson, le poison. Une silhouette noire, aux mains cagneuses toujours agitées par des imprécations et une chevelure rouge en bataille. Ceux qui l'avaient croisée n'étaient pas restés longtemps à essayer de mieux la dévisager. Lui disait qu'il n'en avait pas peur, et il était parti après le repas de midi, sa cognée sur l'épaule en expliquant qu'il fallait bien abattre ces grands chênes, une commande du châtelain pour la charpente de sa future chapelle. Un travail bien payé. Et le petit à naître aurait besoin de vêtements, d'un berceau, sans compter que Cataline ne pourrait plus aider à la tâche comme avant. En fait la pousouère était morte l'hiver précédent, sans que l'on sache comment, ni où elle était enterrée mais certainement pas dans le cimetière de monsieur le curé. Elle avait laissé une fille qui vivait toujours là, en lisière du bois, dans une bicoque dont on se tenait soigneusement à distance. Parce que " les chiens ne font pas des chats ", les sorcières font des sorcières non ? Jusque là on n'avait rien à reprocher à cette pauvre fille. On allait même parfois la chercher, comme sa mère avant elle, pour aider une femme à accoucher. Cataline n'en avait pas même évoqué l'idée. Tant que tout se passait bien.

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Cataline avait un jeune frère qui ne faisait pas grand-chose de toute la sainte journée. Une après-midi d'été, il paressait à l'ombre d'une meule de foin. L'orage grondait qui le ramena à lui et il vit alors de loin la jeune pousouère arriver, poussant sa chèvre d'une badine et puis se défaisant d'un geste de sa robe pour se baigner toute nue dans une courbe de la rivière, dans un rapide de rochers moussus dont elle se jouait avec grâce. Il était rentré fiévreux et hagard. Il resta prostré pendant trois jours. Lorsqu'il retrouva quelque peu ses esprits, aux questions qu'on lui posait pour connaître son aventure, il ne fit que répondre :" Elle est belle, si belle...". Enfin il montra sur le viel almanach conservé sur le linteau de la cheminée l'image écornée d'une beauté peinte dans quelque palais de la Rome du pape, une Vénus ou une Bethsabée, à la pudeur mieux voilée, relevant sa lourde chevelure d'un blond vénitien en sortant d'une mer bleu nuit. "Elle est si belle". Il en était resté un peu plus pèc (idiot en gascon) qu’auparavant. Ce soir il était sorti, malgré l'état et les supplications de Cataline, pour courir les chemins avec ses compères, tout aussi fols que lui, disant pour toute excuse que la Peyrelevade, le mégalithe dressé depuis la nuit des temps au sommet des prairies sèches de l'Aradjade un coteau exposé au soleil toute la journée et théâtre de tous les prodiges, devait se soulever de terre cette nuit, au douzième coup de cloche. Et qu'un trésor gisait là qu'il suffirait d'emporter pour être immensément riche. Entre son homme obstiné au travail et les lubies de son benêt de frère, Cataline était bien seule ce soir.

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Se penchant avec peine sur son gros ventre Cataline attisait son feu. Le bébé donnait quelques coups de pied qui la faisaient grimacer. Elle sommeillait lorsqu'elle se réveilla en sursaut. Elle aurait juré qu'on avait parlé dehors. Quelques feuilles mortes crissèrent sous la porte et s'envolèrent en désordre dans la pièce, poussées par une rafale de vent qui ébranla les volets. Surmontant son inquiétude, elle mis un châle sur ses épaules et sortit. Oubliant la porte ouverte derrière elle, elle décida d'avancer pour aller à la rencontre de son bucheron qui devait tout de même avoir fini sa tâche et être sur le chemin du retour à cette heure avancée. Cela valait mieux que rester à ruminer ses idées noires. Elle n'aimait pas le savoir si loin. Et si près de la jeune pousouère.

Cherchant le chemin à l'estime, les mains en avant pour éviter de se cogner aux arbres en saillie, elle s'engagea dans le sentier étroit qui conduisait au bois. La lune diffusait une vague lueur à travers les nuages. Plusieurs fois elle trébucha, glissa, tomba à genoux sur le talus détrempé. En pleurs, se redressant avec peine elle perdait sa direction. Elle se retrouva bientôt entourée de buissons épineux qui retenaient sa robe et son châle comme des mains invisibles, fouettant ses joues, écorchant ses mollets. Arrivée sans savoir comment dans une clairière, un rayon de lune éclaira furtivement une branche morte dressée au sol. Elle crut voir un bras surmonté d'une main crispée, la main de la vieille sorcière, morte et enterrée en secret. Elle poussa un cri qui résonna dans le sous-bois, se mit à courir, perdit ses sabots, soutenant son ventre comme un ballot lorsqu'elle aperçut une fenêtre éclairée. Le cœur battant, sans faire de bruit, elle s'approcha du carreau et là, dans la pièce éclairée d'une grande flambée, elle aperçut son homme, allongé sur une paillasse, et de dos la pousouère penchée délicatement sur lui. Prise de vertige, sentant ses larmes abonder, elle poussa un cri rauque et perdit connaissance.

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Lorsqu'elle revint à elle, en souriant une femme lui présentait son enfant dans ses langes. La pousouère ! Elle eut un instant de panique mais sentit la main de son homme se poser sur son épaule. Il la rassura :

- C'est notre pichón, ma mie. Il est beau. Toi et moi nous avons eu de la chance. Elle est venue me sortir de sous le grand chêne qui m'était tombé dessus. Elle m'a ramené ici et soigné. Et puis nous t'avons entendu crier. Elle t'a aidée à accoucher.

Une bonne odeur de soupe et de plantes odorantes mêlée régnait dans la pièce. Des fioles de potions et d'onguents de toutes les couleurs et des bouquets de fleurs séchées suspendus garnissaient tout un mur d'étagères. Cataline prit l'enfant sur elle. La pousouère s'affairait à sa tâche sans bruit. Une douce chaleur envahit la mère et l'enfant. Derrière les carreaux, la neige s'était mise à tomber.

                                                                                          Alinéas

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Post scriptum. Depuis 2017, chaque année à la même période, le carnet d'alinéas s’essaie au conte. Nous y avons emprunté à des Lectourois célèbres, Jean-François Bladé (ici), Alcée Durrieux (ici). L'année 2024 a marqué l'hommage rendu par sa ville natale à Pertuzé. Il fallait par conséquent que l'illustrateur rejoigne cette galerie. En 1984 la Dépêche du Midi publiait, en six petits épisodes, cette BD quelque peu oubliée depuis. On y retrouve les thèmes récurrents de l'illustrateur : le pays, les caractères, le fantastique... Nous avons repris son fil conducteur avec quelques ajouts de notre cru, également en resituant le sujet dans une époque à la fois pas très lointaine et qui nous apparaît si extraordinaire à présent. On ne fait pas parler les morts mais nous pensons que ces emprunts à nos anciens nous sont concédés. Ils prolongent leurs contributions à la légende et à la tradition populaire. Le conte appartient à celui qui le transmet. Qui doit simplement y mettre sa manière et son émotion.

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Publié le 25 Novembre 2024

Royaume de naples-anjou-sicile lectoure - pierre de ferrières - peire de ferrières évêque

 

Au pied du Vésuve, dans l'imposant Castel dell'Ovo de la maison d'Anjou, Pierre de Ferrières a servi le roi de Naples, délaissant son évêché de Lectoure.

Longtemps l’institution "Évêché" a été convoitée pour son potentiel de revenus. Propriétés de rapport et impôts ecclésiastiques constituaient un "bénéfice" qui permettait à l’Église, concurrencée en cela par les pouvoirs laïcs, par le gouvernement royal évidemment, de s’attacher les élites intellectuelles, des administrateurs et des juristes en général qui, une fois nommés au diocèse étaient souvent autorisés, en sus, à poursuivre leurs carrières auprès de leurs structures d’origine, universités, tribunaux, et pour les plus illustres au sein des cours nobles ou ecclésiastiques. Quitte à déléguer sur place leur charge d’âme à un vicaire. Le phénomène est particulièrement tangible au haut Moyen-Âge alors que l’Église accompagne le développement économique qui génère nombre de questions de droit et d’organisation administrative, en participant au gouvernement des états en formation. En ce sens, le cas de Pierre de Ferrières à Lectoure (1296-1301) est caractéristique et d’autant plus intéressant qu’il intervient dans un cadre politique complexe tout autour de la Méditerranée.

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Un évêque signant ses décrets

 

Cadre politique complexe, qu'on en juge. Lorsque Pierre de Ferrières est nommé à Lectoure en 1295 par le pape Boniface VIII, la Provence est partie intégrante du royaume de Naples, domaine de la maison d'Anjou. Après le bref pontificat de Benoît XI, successeur de Boniface, le gascon Bertrand de Got, évêque de Bordeaux et anglophile, devenu pape Clément V, empêché de siéger à Rome où s’enchaînent les luttes intestines, sera invité par le Roi de Naples à reposer sa cour itinérante à Avignon, possession provençale. C'est le début de la période avignonnaise de la papauté, qui durera plus de cent ans et finira par l'imbroglio du grand schisme d'Occident. Au-delà des Alpes, les villes de Lombardie, majoritairement gibelines c’est-à-dire partisanes de l’empereur germanique, et guelfes pro-papauté, alternent alliances et disputes. Les Etats pontificaux sont convoités par la Bavière. Enfin, le Languedoc est sous influence aragonaise. Et la prochaine croisade qui attend, et attendra toujours, est prétexte à alliances sans cesse rompues et militarisation d’une méditerranée sous pression.

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Lectoure aux confins des possessions de la maison d'Anjou à la veille des Vêpres siciliennes

Dans ce contexte, la petite vicomté de Lomagne est une position avancée à la frontière du royaume de France. Territoire qui semble fragile mais se révèle précieux, au sud de la Garonne, tête de pont dans une Gascogne divisée et dont l’ouest aquitain est un fief du roi d’Angleterre. Autant dire que Pierre de Ferrières est positionné à Lectoure de façon stratégique. Économiquement et politiquement, la cathèdre, le fauteuil qui a donné son nom au bâtiment, est à Lectoure doublement précieuse. Cependant Pierre de Ferrières, tout entier affairé à Naples, ne s’y assoira pas physiquement.

Boniface VIII qui nomme Pierre de Ferrières est le dernier pape italien avant l’intermède avignonnais.  Il est célèbre pour avoir porté à son sommet l'absolutisme théocratique de la papauté qui induit la supériorité du pape sur les rois. Son intransigeance se heurte à l’ambition de Philippe le Bel et à sa volonté de limiter à la fois l’autonomie des évêques de France et de nouvelles ponctions fiscales de Rome. Philippe le Bel envisage de convoquer un concile pour juger Boniface. Son chancelier Guillaume de Nogaret est mêlé à l’agression du pontife dans sa villégiature d’Agnani. Boniface décède un mois plus tard. L’épisode paroxystique, auquel succèdera en outre, l'affaire des Templiers, est emblématique de la lutte d’influence que se livrent l’église et les pouvoirs laïcs.

Charles II de Naples-Sicile, qui recrute Pierre de Ferrières, et Louis de Bavière, celui-ci candidat au Saint-Empire romain germanique, eux-aussi, se heurtent aux prétentions de la papauté. Les hommes d’église, juristes, évêques, chanceliers et diplomates, conseillers du pape ou des rois, pris entre deux feux, auront à choisir entre leur fonction, leur fidélité à leur hiérarchie, leur nationalité, et subiront les conséquences de ce conflit et de leurs prises de position. Pierre de Ferrières sera fidèle à la maison angevine.

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Jacques Duèze, pape Jean XXII

S’il est difficile de décrire avec précision le déroulement de la formation du futur évêque lectourois et les prémices de sa carrière puisque les actes officiels ne mentionnent que les princes, laissant dans l’ombre les rédacteurs, techniciens, même s’ils sont parfois les inspirateurs d’une décision, par leurs parcours respectifs, les historiens considèrent que Pierre de Ferrières a fréquenté très tôt Jacques Duèze, futur Jean XXII. Ferrières, issu d'une famille de petite noblesse de Sérignac en Quercy, parle le même idiome languedocien que le cadurcien et doit probablement avoir avec lui des amis communs voire de la parenté. Pierre de Ferrières, en 1288-1294, et avant lui son frère ainé Guillaume, en 1284-1289, enseignent le droit à l'université de Toulouse en plein essor. Pierre est un proche de l'évêque de Toulouse Louis d'Anjou, fils de Charles II, qui sera canonisé en 1317 sous le nom de saint Louis de Toulouse par Jacques Duèze devenu pape. Cette relation avec Louis d'Anjou sera certainement l'occasion du rapprochement avec Charles II. Jacques Duèze suivra les frères de Ferrières dans leur ascension, jusqu'à la cour de Naples. Comme Bertrand de Got, futur Clément V, qu'ils ont dû également côtoyer pendant leurs études, ce sont des juristes au moins autant que des théologiens.

Ainsi, le pape Boniface VIII installe-t-il à Lectoure, avec le soutien du royaume de Naples, un homme de son sérail, comme une borne sur le territoire, marquant son ambitieuse autorité.

 

Il serait prétentieux de prétendre exposer, dans une si brève chronique, l'histoire mouvementée de la maison d’Anjou en Italie. Mais pour comprendre les circonstances de la nomination de Pierre de Ferrières à l’évêché de Lectoure il faut, pour le moins, essayer de résumer cette période, au risque de raccourcis que l’on voudra bien nous pardonner.

En 1262, Charles d'Anjou, frère du roi Louis IX, le futur saint Louis, comte de Provence depuis son mariage avec Béatrice, reçoit la couronne de Sicile du pape Urbain IV qui souhaite éliminer les derniers Hohenstaufen, descendants de Frédéric Barberousse, qui attisent la résistance des villes italiennes à l'autorité pontificale. Mais Charles, dont le gouvernement est brutal envers la noblesse et la bourgeoisie locales et dont les prélèvements pèsent lourdement sur l’île, sera chassé de Sicile par le massacre dit des Vêpres siciliennes (mars 1282) où 2000 Français et Provençaux sont massacrés en une nuit.

Replié à Naples, Charles ne parviendra pas à reprendre pied en Sicile qui passe sous la coupe du royaume d’Aragon (Catalogne, Baléares, Sardaigne), l’ambitieux concurrent de la maison d’Anjou en méditerranée occidentale. En revanche il poursuivra son action en Toscane et Lombardie. A l’Est, il hérite de l’Albanie et a des visées sur Constantinople. Il négocie avec le sultan de Tunisie. Malgré la perte de la Sicile et les nombreuses révoltes qu’il réprime durement dans les Pouilles, en Calabre et à Rome, Charles 1er est le prince le plus puissant d’Italie en cette fin de 14ième siècle.

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Castel d'ellOvo, le siège du royaume de Naples

Sans qu’un tel projet ait été exprimé clairement, les historiens considèrent que Charles d’Anjou a mené une politique qui visait à bâtir un véritable empire méditerranéen. Son fils, Charles II poursuivra, sans succès, les tentatives de recouvrer la possession de la Sicile.

Régnant de 1285 à 1309, Charles II s’attache donc les services des frères de Ferrières, Guillaume et Pierre. En effet, comme son père avant lui, tant sur le plan militaire que pour son administration, il s’appuie sur des hommes venus de Provence mais également de Languedoc et de Gascogne. Le royaume de Naples-Anjou est alors, pour l’élite occitane, l’alternative aux carrières dans le royaume de France. Tant les réseaux de relations, familiales ou de connivence, que la langue, expliquent ce phénomène de cooptation. Bien que les idiomes, provençal, languedocien et gascon, diffèrent sensiblement, la langue d’oc est une culture en commun qui facilite le travail et la complicité de vues.

Quelle est la fonction du chancelier du roi de Naples ? Il est une sorte de ministre de la justice, garde du sceau royal. Il contrôle les actes touchant le domaine, ce qui en cette période de développement du royaume, de litiges et de négociations, revêt une importance capitale. Il est de fait en relation avec les alliés et les adversaires du royaume, France, Provence, Aragon… Ses décisions portent sur les privilèges attachés aux fiefs, la nomination de châtelains, les baux, le droit des personnes (protection des veuves, car le noble meurt jeune dans ce monde en guerre perpétuelle), les controverses et le règlement à l’amiable des litiges portant sur les droits de ban... Avec le protonotaire, sorte de secrétaire général, le logothète, ministre des finances dirait-on aujourd'hui, et d’autres conseillers, il participe à un véritable gouvernement royal. Par l’importance des enjeux, Pierre de Ferrières est donc à Naples, bien loin des préoccupations de son évêché lomagnol.

En 1301, Pierre de Ferrières est promu par Benoît XI à l’évêché de Noyon puis en 1304 au très prestigieux archevêché d’Arles. Il sera ici beaucoup plus présent et intéressé par les affaires de son ministère. L’explication est qu’Arles est un royaume, à cette époque disputé entre la maison des Baux et Charles II de Naples. Ferrières est donc là, mieux qu'à Lectoure, autant au titre de représentant du royaume napolitain que de ministre de l'Eglise. En outre le bénéfice d'Arles est autrement plus confortable que celui de la modeste capitale de Lomagne. Pierre de Ferrières décède en 1307.

 

Lorsque Pierre de Ferrières est nommé à Lectoure, il succède à Géraud de Montlezun qui est considéré être à l'origine de la construction de la cathédrale Saint-Gervais et Saint-Protais. Ce monument connaîtra diverses évolutions et reconstructions avant de devenir celui que nous connaissons. Son emblématique clocher dont la flèche culminera à près de 90 mètres avant d'être rabattue, n'a été élevé qu'à partir de 1487.

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Le successeur de Pierre de Ferrières sera brièvement Raymond III puis, en 1307, Clément V offre le siège de Lectoure à l'un de ses cousins, Guillaume des Bordes, alors que celui-ci n'a pas même l'âge canonique requis (1). Guillaume ne siègera pas plus souvent à Lectoure puisqu'il suit la cour itinérante de Clément puis celle de Jean XXII qui s'établit à Avignon, et ce jusqu'en 1330, une exceptionnelle longévité. Autant dire que la ville n'a pas beaucoup gagné à ces nominations stratégiques et dispendieuses, à ces sacerdoces que l'on peut, de fait, s'autoriser à qualifier de fictifs, celui de Guillaume des Bordes comme celui de Pierre de Ferrières.

Le chancelier du royaume de Naples sera représenté à Lectoure par Guillaume Meschini, son vicaire général, qui non seulement remplit le ministère religieux mais assure en outre la collecte des revenus de l’évêché, dont une partie, dans quelle proportion ?, est probablement convoyée à Naples, au Castel dell'Ovo. Il faudrait un minutieux et sérieux travail de recherche pour estimer le revenu de l'évêque à cette époque. Lectoure est le plus ancien mais aussi le plus petit des évêchés gascons. A la fin de l'ancien régime, une époque qui offre plus de renseignements précis et fiables, il ne génère que la moitié des revenus de celui de Condom (2). Cependant, il est assez riche pour avoir bâti cette cathédrale imposante, particulièrement visuellement à l'horizon du fait de sa position proéminente.

La dîme qui porte sur la production agricole, principale création de richesse à l'époque, est d'un taux d'environ 10% annuel. Entre un tiers et un quart de ce prélèvement revient personnellement à l'évêque. A la dîme s'ajoute la perception d'un cens épiscopal, un impôt sur les églises du diocèse, ainsi que diverses taxes prélevées auprès des prêtres à l'occasion des visites et synodes diocésains. Certes, on a noté que Pierre de Ferrières n'était pas présent dans sa circonscription. Mais son vicaire n'était-il pas délégué également à ce rôle "pastoral" ?  Ce représentant est évidemment rémunéré ainsi que les membres du chapitre cathédral, c'est à dire le personnel religieux qui assiste l'évêque, et qui dans la réalité, particulièrement en l'absence de celui-ci, fait véritablement fonctionner l'institution: " En 1491, trente-neuf chanoines, prêtres et religieux chantaient l'office des âmes du Purgatoire après la fête de Pâques. En 1499, la fête des morts célébrée trois jours après la Toussaint connut un éclat encore plus grand; cinquante-huit prêtres et chanoines du diocèse" ! (3)

Outre le système d'imposition, le diocèse est également propriétaire de biens de rapport, notamment agricoles, de métairies. A sa mort, Géraud de Montlezun, prédécesseur de Pierre de Ferrières et premier bâtisseur de la cathédrale, "en dépit  de tous ces travaux, laissa, paraît-il une grande quantité d'or et d'argent" (4). On le voit le diocèse d'ancien régime est une très importante institution drainant abondamment la richesse locale. Certes une partie de ces finances est réinjectée dans le tissus économique, chez les artisans, les commerçants et le personnel de service. La construction de la cathédrale, pendant trois siècles, a animé l'activité économique lectouroise. Que ce soit pour son intérêt personnel ou pour celui du diocèse, l'évêque est un gestionnaire.

Administrateur avisé, en particulier de ses revenus, lorsqu’il sera promu archevêque d’Arles, Ferrières supprimera le pallium, prélèvement perçu par le nouveau titulaire d’un évêché à sa prise de fonction, et le remplacera par une taxe permanente sur le commerce du blé, un impôt d'inspiration moderne et certainement beaucoup plus productif. Pierre de Ferrières applique à son diocèse provençal les bonnes recettes de gestion testées lors de sa carrière de grand commis du royaume de Naples.

Ainsi, Lectoure, au gré de l'intérêt de ses évêques successifs pour la ville et ses âmes, ou de leur train de vie aux premières loges du monde politique de ce Moyen-Âge mouvementé, pourra offrir à l'expression de sa foi le grand vaisseau de pierre dressé sur le promontoire qui domine le Gers, chœur à l'est et tympan à l'ouest. Du Vésuve aux monts Pyrénées.

                                                                  Alinéas

flèche de la cathédrale de lectoure
Lever de soleil sur la cathédrale Saint-Gervais et Saint-Protais avec sa flèche au 15ième siècle

(1) Guillaume des Bordes, cousin du pape Clément V : http://www.carnetdalineas.com/les-templiers-le-pape-clement-et-l-eveche-de-lectoure

et toutes les chroniques consacrées à l'affaire des Templiers vue depuis Lectoure http://www.carnetdalineas.com/2022/08/lectoure-et-les-templiers.html

(2) Georges Courtès, La cathédrale st Gervais et st Protais, in Histoire de Lectoure (Collectif) 1972.

(3) Maurice Bordes, Evêques et seigneurs, in Histoire de Lectoure (collectif) 1972.

(4) Georges Courtès, ibidem.

Documentation :

- Pierre de Ferrières sur Wikipédia

- Les évêques de Provence et la diplomatie royale sous Charles II (1285-1309)

- Sur la maison de Naples-Anjou voir Wikipédia, notamment Charles 1er et Charles II

- Thierry Pécout, Jacques Duèze, évêque de Fréjus, in Jean XXII et le Midi, Cahiers de Fanjeaux n°45.

- J. Pandellé, Histoire des évêques de l’ancien diocèse de Lectoure, Auch, Bulletin de la société archéologique du Gers, 1er trimestre 1965

Illustrations :

- Le Vésuve et le château des rois de Naples. Détail, http://www.bellanapoli.fr/

- Évêque signant ses décrets : www.communautesaintmartin.org

- Carte. Lectoure aux confins du royaume de Naples-Anjou à la veille des Vêpres siciliennes, https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%AApres_siciliennes, interprétation Carnet d'alinéas

- Portrait de Jean XXII, Triptyque Bâtisseurs du Palais des papes par Henri Rondel 1915-1916. Détail. Palais des Papes Avignon.

- Castel dell'Ovo , Matteo Tripadvisor

- Construction d'une cathédrale : Construction du Temple de Jérusalem, Jean Fouquet, 1470.

- La cathédrale de Lectoure et sa flèche au 15ième siècle, © Michel Salanié.

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 3 Novembre 2024

commerce mulassier - muletiers - convoi de mules mulets ânes

Où vont-ils ces fiers montagnards qui se laissent portraiturer par la célèbre artiste peintre animalière Rosa Bonheur ? On ne dira pas que leur chemin est "muletier". Pas vraiment escarpé comme veut l'exprimer cet adjectif. Plutôt un col largement ouvert, entre Gascogne et Catalogne ou Navarre d'outre-Pyrénées. Convoient-ils quelque marchandise d'un côté à l'autre de la frontière ? Mais leurs bâts semblent peu remplis. Alors, peut-être conduisent-ils ce troupeau d'ânes ou de mulets à destination du marché espagnol des bêtes de somme ? Car le commerce "mulassier" a été florissant pendant plusieurs siècles entre les deux pays. La foire de la Saint-Martin de Lectoure était une de ses étapes réputées.

A tout saint tout honneur. Commençons par Martin.

 

MARTIN, UN SAINT À SUCCÈS

Martin est l'un des saints patrons de France, celui des soldats, des policiers, des maréchaux-ferrants, des meuniers... Il est également le protecteur d'un très grand nombre d'églises, chapelles et bâtiments conventuels. 223 communes lui doivent leurs noms ! Enfin, Martin est le nom de famille le plus fréquent de notre pays encore aujourd'hui. A ce succès plusieurs explications. La principale est le fait qu'au Moyen-Âge, la charité est la première qualité chrétienne, celle qui permet de s'assurer d'accéder au paradis. On ne mesure plus aujourd'hui l'importance fondamentale de cette croyance qui a, ce carnet l'a démontré, contribué énormément à la (bonne) conduite en société, et celle de notre ville en particulier à l'époque de la création de l'hôpital du Saint-Esprit par exemple (voir ici). Or, Martin est réputé pour le geste de charité par excellence : il a partagé son manteau avec le mendiant. L'illustration de Pierre Joubert est là pour appuyer le message spirituel : le glaive du soldat Martin est l'instrument du partage entre le fort et le faible.

saint martin - mule - foire de la saint martin - marché aux mules


Martin, né en 316 en Pannonie, actuelle Hongrie, est officier de l'armée romaine d'occupation en Gaule. Il se fait remarquer très tôt par son sens du partage allant jusqu'à distribuer sa solde. En garnison à Amiens, un soir particulièrement rigoureux de l'hiver 334, il divise sa cape pour couvrir un nécessiteux transi de froid. Les reliques de cette cape (capella en latin) seront conservées à Tours, puis à Aix-la-Chapelle donnant naissance au mot chapelle ce qui démontre l'importance accordée à cette histoire. Martin quittera l'armée, se fera ermite puis sera élu évêque par les habitants de Tours eux-mêmes. Néanmoins il continuera de vivre pauvrement, parcourant la campagne pour répandre la bonne parole et dispenser ses bienfaits. Bien sûr un certain nombre de miracles lui sont attribués et, pour qu'il soit sanctifié, certains ont été reconnus par l’Église. L'histoire de sa vie, rapportée par l'un de ses compagnons et disciple, est considérée comme un ensemble alternant faits réels et légendes. Martin parcourt l'empire romain. L'âne, le mulet et la mule sont le moyen de locomotion habituel du prédicateur. Cependant Martin n'est pas le saint patron des muletiers. C'est saint Eloi. Alors, pourquoi les marchés aux mules avaient-ils souvent lieu à la saint-Martin, le 11 novembre ?

 

LE MARCHÉ DU POIDS LOURD DE L'ÉPOQUE

attelage de mules - attelage voiture

Voilà encore un déficit de notre mémoire collective. Je ne voudrais pas passer pour un père la rigueur distribuant dans ce cybercarnet, comme un tableau d'honneur, bons et mauvais points, mais les ânes, mules et mulets ne sont pas considérés aujourd'hui à la mesure de leur contribution à notre Histoire. Il ne reste d'eux aujourd'hui dans notre langage quotidien que les quolibets, les moqueries et les insultes que ces animaux y ont légué bien malgré eux. "Espèce d'âne !", "Quelle mule celui-ci !", "Âne bâté va", ou encore "Avance bourrique !". Et j'en passe.

Un âne bâté

Autant d'expressions qui négligent le fait que la bête est parmi les plus intelligentes, et qu'elle a été la plus utile des auxiliaires de l'activité humaine. Heureusement, là où elle apparaît encore aujourd'hui dans notre décor, pour notre distraction cette fois, spectacles, balades touristiques et foires justement, elle provoque en général notre affection, sentimentaliste et quelque peu anthropomorphique mais cela vaut mieux qu'un claquement de fouet.

Et puis il y a le précieux travail de conservation des éleveurs. Car, si l'âne est une espèce à part entière, mules et mulets eux, nécessitent l'intervention de l'homme pour naître car ils sont le fruit de l'accouplement, qui n'est pas tout à fait dans l'ordre naturel des choses, entre une jument, de la race cheval, et un âne. Mules et mulets ne se reproduisent pas entre eux pour donner naissance à une nouvelle race, sauf quelques rares exceptions que l'on comptabilise et que l'on analyse en tant qu'anomalies. Aussi faut-il, pour obtenir chacune de ces bêtes, et l'on dira pourquoi elles sont recherchées, s'y reprendre sans fin. Chaque région a progressivement sélectionné son type de mulet, en fonction de la tâche qui lui est affectée traditionnellement et des qualités qui s'imposent : ici traction de voiture, là portage de charge, ailleurs plus rarement mais cela s'est vu, le labour, le treck aujourd'hui (voir ici le site des Mules de Soula auquel nous avons emprunté la photo ci-dessous). Et la monte bien sûr, et pas uniquement celle du pape. En tant que monture, mules et mulets, à condition d'être bien dressés, soignés et conduits sont en effet préférés au cheval, trop haut, trop vif, fragile et cher. Pour le labour le bœuf est certes plus fort mais dans certaines configurations il est moins facile à diriger, lent et trop lourd. Mules et mulets sont réputés pour pouvoir porter de lourdes charges, jusqu'à 100 kilos, sur des longues distances et sur des chemins escarpés qui seront de ce fait qualifiés de "muletiers", nous voici revenu dans nos Pyrénées.

mule chargement de bois

 

Le commerce mulassier trouve son origine en Poitou. Car la région de Niort s'est fait une spécialité de la production de mules et de mulets, en particulier grâce à la sélection d'une race de cheval de trait de lignée flamande, le "Poitevin mulassier", dont la jument accouplée au baudet du Poitou, un âne de forte taille, donne des individus robustes et intelligents. Ainsi, historiquement, un trafic commercial s'est développé qui conduisait les jeunes mules et mulets depuis l'ouest de la France dans les régions qui en avaient besoin, montagneuses et isolées, du Massif Central et des Alpes de Provence, et jusqu'aux Pyrénées lorsqu'ils étaient destinés au marché espagnol, sur le chemin qui nous intéresse.

En effet, l'Espagne a longtemps été dépendante de la production de mules et de mulets de France. Les jeunes bêtes étaient élevées dans l'objectif d'être présentées aux négociants espagnols, à l'automne, à maturité, sur les marchés du Sud-Ouest, dont Lectoure. Parquées jusqu'au printemps au pied du massif, elles passaient les cols et parvenaient sur les foires de printemps du nord de l'Espagne.

carte chemins  foires commerce mulassier

 

Par ailleurs, et ce n'est pas anecdotique, mules et mulets ont eu leur heure de gloire. Lors de la conquête de l'Ouest américain où ils tiraient les chariots des colons. Plus reconnaissants que nous le sommes... les américains ont créé un musée de la mule à Bishop en Californie https://www.mulemuseum.org/

musée mule mulet

Puis, autre fait d'arme, c'est le cas de le dire, le mulet était l'animal de bât des régiments de Tirailleurs marocains du général Juin et de la 1ère Armée Rhin et Danube du maréchal de Lattre de Tassigny, ceux qui ont enlevé le Monte Cassino et les Vosges aux Allemands en 1944. L'état-major allié a reconnu que seules ces unités de l'armée d'Afrique française pouvaient "success the job". C'est donc avec humour mais sans dérision que l'on a dénommé les goums marocains "Royal brêle force".

royale brele force - mule mulet goumiers marocains - rhin et danube

 

Mais revenons à Lectoure. Et à la foire de la Saint-Martin.

 

LES EFFETS D'UN BON GOUVERNEMENT

Si nous ne disposons pas, semble-t-il, de document historique la datant avec précision, la foire de la Saint Martin de Lectoure est beaucoup plus ancienne que les 41 ans que lui attribue timidement son comité d’organisation actuel. Il est dommage de ne pas rappeler cette histoire édifiante bien que les références à la charité chrétienne et à la mule ne fassent plus recette. Cette dernière expression est d’ailleurs tout à fait adaptée car dès l’origine, la recette financière a été considérée comme nécessaire aussi bien par les autorités laïques que religieuses. Les archives ne nous disent pas non plus qui a institué ce rendez-vous annuel dans notre ville, l’un des deux co-seigneurs, vicomte ou évêque, ou bien les consuls ? Peut-être les trois de concert, pour une fois intéressés au même plan.

Les foires apparaissent en Europe du 11ième au 14ième siècles, parfois mentionnées dans certaines coutumes qui énumèrent les libertés traditionnelles, orales à l’origine puis consignées par écrit, accordées aux populations par le seigneur des lieux. En fait de libertés, il s’agit plutôt de règles d’organisation qui conditionnent la paix sociale et donc l’activité économique. Ou bien est-ce l'inverse ? Car le développement rapide de la société au Moyen-Âge s'explique par la conjonction intime du progrès technique, de la croissance démographique, de la productivité, du rôle des corporations professionnelles et des échanges commerciaux, des foires par conséquent.

Ce pourrait être une vue de la Lectoure médiévale, ce détail (agrandissement possible par un clic droit) de l’impressionnante fresque siennoise d’Ambrosio Lorenzetti intitulée « Les effets d’un bon gouvernement sur la cité » exprime parfaitement l’idée. Ou l’idéal… Pas moins de cinq mules y apparaissent aux côtés des acteurs économiques, artisans, commerçants, paysans, maçons sur les toits et même un enseignant et ses écoliers, dans une ville à l’architecture opulente. Ânes, mules et mulets symbolisant le transport de marchandises, rouage essentiel de l'activité commerciale.

sienne - palais de la paix - ambrosio lorenzetti

En effet, comment prêcher la charité si la société dans son ensemble est misérable ? C’est la production de richesse qui permettra d’accorder aux plus démunis le minimum vital. C’est en tout cas le raisonnement, ou la justification, des maîtres de la cité. L’Eglise en particulier a donc souvent favorisé les foires. La vénération du saint patron, les autorisations de quêtes accordées exceptionnellement ce jour-là aux ordres religieux charitables s’accordent avec le commerce qui favorise la production, laquelle à son tour contribuera au rendement de la prochaine dime. Tout le monde y trouve son compte. Charité bien ordonnée commence par... les revenus de l'évêque.

Il existe de nombreuses foires de la Saint Martin en France. Autour de Lectoure citons Duras, Aurillac, Pau et plus près l’Isle-Jourdain, concurrente de nos jours puisque le chaland est volage et peut, d'un coup de cheval vapeur, ou électrique désormais, préférer le pays de Savès à la Lomagne. Mais certaines de ces manifestations sont devenues de " simples " fêtes foraines où s’offrent à foison et avec force sonorisation barbe à papa, pain d'épice industriel blistérisé et autos-tamponneuses. A Lectoure, l’économie locale y trouve cependant encore son compte, commerçants et artisans du cru y côtoyant les associations et les stands purement festifs. Bien entendu, la charité n'a plus rien à gagner ici, désormais dépendante de la solidarité nationale, et règlementée.

Mais pourquoi, la Saint Martin a-t-elle été inscrite si tard sur le calendrier annuel, au risque de se faire assez souvent tremper, comme une soupe ? Ce n’est pas chaque année l’été de la Saint Martin. Il faudrait pour répondre à cette question, fondamentale quand il s'agit d'un rendez-vous de plein air comme un pique-nique ou la kermesse paroissiale, remonter à la bulle du pape, conservée aux archives du Vatican, qui l’a décidé ainsi. Cependant, il est évident que toutes les foires d’automne, quel que soit le saint invoqué, permettaient d’entrer dans l’hiver en se défaisant des stocks de biens périssables, générant de la trésorerie en prévision des investissements de la prochaine saison, et en même temps, à tant que faire, en festoyant avant la période d’hibernation dont nous avons oublié les rigueurs. Une sorte de solstice commercial. Une ripaille exutoire qui n'attend ni Noël ni saint Sylvestre. Et lorsque les mulassiers espagnols, après la foire, ne pouvaient pas faire traverser par leurs bêtes les Pyrénées déjà enneigées, ils campaient sur place en attendant les beaux jours. A l'époque, comme tout, le commerce international suit les saisons.

foire agricole gascogne

 

Enfin Bladé, notre incontournable passeur, rapporte une histoire de loup qui prouve s’il le fallait la réalité de la foire aux mules de Lectoure.

" Alors, les juments poulinières et les jeunes mules qu’on élève pour les vendre aux Espagnols, à Lectoure, le jour de la foire de Saint-Martin, demeuraient seules dans les prés de la rivière de l’Auroue".

Une histoire de loup, de mule... et de romaine, celle-ci n’étant ni une jolie marchande, ni le nom de la route qui longe le Gers au pied de la citadelle, tracée par l’Empire, civilisateur et commerçant déjà, mais la balance qui a réglé les transactions de nos foires, marchés et étals d’échoppes pendant des siècles.

balance romaine - bladé - le loup malade - lectoure foire de la saint martin

                                                             Alinéas

ILLUSTRATIONS :

- Rosa Bonheur, Muletiers espagnols traversant les Pyrénées, 1857.

- Pierre Joubert, Martin partageant sa cape, in Saint Martin, soldat du Christ, Jean-Louis Picoche, ed. Elor 1996.

- Carte postale Attelage de mules - Environs de Cahors, cliché Viguié, Collection particulière.

- Âne bâté, attribué à Raymond Brascassat.

- Mule chargée de bois. www.lesmulesdesoula.com

- Carte des chemins mulassiers entre la France et l'Espagne, in "Le commerce des mules entre la France et l'Espagne à l'époque moderne : l'exemple du Val d'Aran et des Pyrénées centrales", Patrice Poujade, Annales du Midi 1999, pp. 311-324.

- Logo du musée de la mule à Bishop, Californie.

- Compagnie muletière, 1ère Armée française Rhin et Danube, https://rhin-et-danube.fr

- Ambrosio Lorenzetti, Allégorie et effets du bon et du mauvais gouvernement, Palazzo Pubblico de Sienne (détail). https://fr.wikipedia.org/wiki/All%C3%A9gorie_et_effets_du_Bon_et_du_Mauvais_Gouvernement

- Carte postale Jour de foire à Labouheyre (Landes), Cliché Bernède, collection particulière.

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Publié le 23 Octobre 2024

Veuve de guerre - morts pour la france Lectoure - devoir de mémoire - pupille

 

L’officiant proclame un à un les noms gravés sur le marbre du monument. Avec la gravité que l’on doit à ceux qui ont donné leur vie pour la patrie. Après chaque nom honoré, il s’interrompt. Une seconde voix ajoute, comme une sentence, l'écho sinistre : « Mort pour la France ». La cérémonie se répète chaque année depuis plus de cent ans. Il le faut car qui lirait les noms gravés dans le marbre ? Et pourquoi le sont-ils ? Le temps de mémoire est un fondamental devoir collectif. Les guerres se succèdent et l’on fait à intervalle un peu de place sur la stèle. La liste est longue. La triste litanie des 36 000 communes de France. Pro patria.

Tout en écoutant j'essaie de mettre un visage sur ces noms d’homme du pays de Lectoure. Mobilisés, rassemblés à la gare, au pied de l'antique rempart dérisoire. On s'embrasse. On pleure. Certaines femmes sont restées à la maison. Par pudeur. Paysan béret, bourgeois canotier. Qui espéraient bien revenir. Et puis la canonnade. Et puis la boue. « Mort pour la France ».

Alors que rien dans le cérémonial ne le suggère, derrière chaque nom, comme un écho à la sentence, j’imagine un prénom de femme. « Mort pour la France », Lucie... « Mort pour la France », Francine... « Mort pour la France », Marie. Le prénom de celle qui a entendu la terrible formule sur le pas de la porte. Mère, épouse, promise… Formule entendue pour la première fois de la bouche du gendarme missionné par le ministère de la guerre : « Mort pour la France ».

L’officiant poursuit. Des prénoms d'hommes d’autrefois, surannés : Elie, Alphonse, Aristide. « Mort pour la France ». Des prénoms d’arrière-grand-mères : Augustine, Euphrasie, Léontine… Et d’autres plus familiers : Albane, Marguerite, Sereine, car comme les guerres, les prénoms reviennent.

Une fois le gendarme reparti, sa triste mission accomplie, les formules de compassion toutes faites, elle devra être forte, ne pas s’effondrer. Vivre. Vivre seule. Vivre pourtant. Et à son tour porter l’annonce, au père, qui retournera au travail, un peu plus vouté, à la mère, amputée de son amour de mère. L’amour de ses entrailles. Indicible. Les enfants. Leur dire. Surtout leur parler. Le manque du père n'a pas de guérison. Pupilles de la nation. Une rente pour salaire, comme un rappel comptable du deuil. Veuve de guerre. « Mort pour la France ».

Elle n’ira pas crier « Victoire » le jour venu, et se joindre à la foule en liesse, les flonflons… Comment pourrait-elle danser ? Comment ne pas en vouloir au monde entier, aux hommes qui font la guerre, en vouloir à l’Homme, au genre, à tous les hommes, au gouvernant, le chef, l’ennemi ? … Il y a des veuves d’ennemi. Comment dit-on « Mort pour la patrie » en allemand?

Puis, viendra le temps de faire la paix avec son deuil. Elle prendra sur elle, assumera sa tâche et son rôle de femme, de mère. Il y a la litanie, il y a le devoir de mémoire. Et puis il y a la vie.

                                                           Alinéas

 

Bien sûr des noms de femmes sont également gravés sur nos monuments aux morts. De nombreuses résistantes de la seconde guerre mondiale. Preuve s’il en fallait qu’il n’y a pas de sexe faible face à la tyrannie. Et aujourd'hui encore. Le deuil n'a pas de sexe.

Les PFAT (Personnel Féminin de l’Armée de Terre) ont leurs héroïnes. Je me souviens de Madeleine F., infirmière du Corps Expéditionnaire Français en Italie (CEFI), de l’armée d’Afrique du général Juin, rayonnante en treillis au volant de sa jeep marquée à l’étoile US du côté du Garigliano.

Geneviève de Galard, d’origine lomagnole, Terraube étant le berceau de cette très vieille famille, « l’ange de Dien-Bien-Phu » s’il faut donner un nom de légende au devoir simplement accompli, fut « un grand soldat ». Décédée récemment, Toulouse a baptisé une place à son nom.

Aujourd’hui, la femme est combattante, marin, aviatrice, parachutiste, pilote d’hélicoptère, chasseur alpin, plongeuse du combat du génie…

                                                       

femme soldat - femme militaire - féminisation armée française
Sergent Laura, Commando parachutiste CPA 20 - www.defense.gouv.fr

Photo titre : Monument au morts d'Equeurdreville (Cotentin).  Emilie Rolez, sculptrice (1896-1986) et Stèle du monuments aux morts de Lectoure (photo M. Salanié).

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Publié le 23 Septembre 2024

 

e fut l'une des belles découvertes de l'hommage rendu à l'illustrateur lectourois en mai dernier.

 

Plusieurs mois avant la manifestation, en recherchant les œuvres qui pourraient être exposées, nous suivions, de loin, les formes généreuses de cette flamenca pertuzéenne en vente chez un antiquaire du côté de Rodez. Mais elle disparut soudain des radars. Un concurrent. Dépités, nous nous rendîmes au Musée de l'Affiche de Toulouse, le MATOU. Fermé définitivement. Mais on ne décourage pas un Lactorate décidé. Contacté à son tour, le Musée des arts précieux Paul-Dupuy nous rassurait : un fonds d'affiches Pertuzé existait, bien conservé dans ses réserves et il pourrait faire l'objet d'un prêt. Nous tenions notre invité d'honneur. Convention de prêt, choix du lieu adéquat (la salle des Pas perdus de l'hôtel de ville étant un véritable courant d'air, celle des Illustres bien nommée mais pas conforme, et pour finir, grâce à l'intervention du maire, la belle salle des Etats de l'Office de Tourisme Gascogne-Lomagne), transport, assurances, encadrement... une longue collaboration, très professionnelle, avec le concours de Céline Bordes du service Culture de la mairie et les bibliothécaires Anne Depis et Sabah Medjaour, s'engageait avec Claire Dalzin, Responsable des collections d'arts graphiques du musée toulousain, permettant de sélectionner une vingtaine d'affiches qui allaient être accrochées pendant deux semaines aux cimaises lectouroises pour le plaisir des visiteurs.

 

Plaisir et surprise. Car pour ceux qui connaissaient Pertuzé, la variété de style, l'abondance de la couleur, la sobriété de la mise en page furent une redécouverte. La grande adaptabilité demandée à l'affichiste pour chaque évènement à annoncer paraît évidente à la réflexion mais encore fallait-il qu'il soit modeste pour ne pas imposer sa patte, sombre et volubile, caractéristique du folkloriste de Gascogne. L'affiche nécessite un style plus direct, plus épuré. Cette imprégnation du contexte est une des qualités majeures de notre artiste et sans doute ce qui a fait son succès sur ce terrain. Pendant une vingtaine d'année, Pertuzé sera l'affichiste privilégié des associations culturelles et des collectivités locales de Toulouse et de sa région. Bien au-delà de ses bases, sa réputation l'amènera à Beaugency, où il sera primé, à Bilbao où il sera en outre invité à prononcer une conférence sur la BD occitane, en français ou en gascon, on ne sait...

 

Chaque nouvelle demande de conception d’une affiche génère une excitation particulière chez l’illustrateur. Dans un délai relativement court, il lui revient d’imaginer une mise en scène et une seule ce qui fait une grosse différence avec le travail du bédéiste. L'illustration devant symboliser parfaitement le thème et annoncer le contenu de la manifestation. Les personnages, le décor, les costumes, l’époque, la couleur… tout doit être conforme. Là réside la difficulté de l'exercice. Et son intérêt. L’artiste a toute latitude… mais dans un cadre strict ! Le format, les mentions obligatoires, le lieu, la date, l’annonceur, les sponsors, un véritable puzzle lui est livré en vrac dont l’assemblage constitue un exercice de style académique. En même temps et paradoxalement, on attend de l'artiste qu'il reste lui-même, puisqu'il a été choisi pour sa personnalité. Qu’il se surpasse pour être original, drôle ou sérieux ce sera selon, qu’il se renouvelle enfin s’il est commandité à plusieurs reprises successives pour un même évènement comme ce fut le cas, par exemple, avec le festival de Jazz de Lavelanet, le Printemps des courges toulousain ou Théâtre à Grimone (Drôme).

Il s’agit donc d’un véritable challenge et d’un jeu très prisé par Jean-Claude Pertuzé qui s’en fera une spécialité. Il y joue de l'originalité et de la virtuosité de son art, de la typographie, très importante sur ce support de communication, qu'il manie avec science et qu’il aime adapter au message, enfin d’un ton enlevé et cultivé. On imagine qu'il y a dû avoir chez lui un plaisir intime à voir son travail affiché partout en vitrine, dans la presse, dans une sorte de musée de rue, placardé sur les rideaux métalliques abaissés des commerces, des lampadaires des vieilles rues étudiantes et festives de Toulouse, Albi ou Tarbes. Affichette recouverte aussitôt par les manifs concurrentes, recollées par une bande d'aficionados bénévoles obstinés, prélevée subrepticement au cutter par quelque collectionneur fervent dans le millefeuille de ces panneaux d'affichage bariolés et sauvages, tout ceci dans le joyeux désordre d'une campagne de com' qui ne cède en rien à la propagande électorale, excepté l'arrogance.

La collection du musée Dupuy que nous reproduisons ici pour mémoire était complétée par quelques affiches prêtées par nos amis et soutiens bienvenus, Jean-François Buffet, Pascal Mazzonetto et Jean-Claude Ulian.

                                                                   Alinéas

 

PS. Les conditions de prises de vue sur le lieu d'exposition n'ont pas permis d'obtenir la meilleure qualité de reproduction espérée. Ces clichés sont donc ici uniquement à titre documentaire et destinés à garder la mémoire de la manifestation d'hommage à Pertuzé - Lectoure 2024. Le copyright reste la propriété des ayants droits de l'artiste. Reproduction interdite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 4 Septembre 2024

 

 

Si c'était une musique, ce serait le morceau de piano, mi jazzy, mi blues qui a fait le tour du monde, lancinant et hypnotique, accompagnant ces paroles.

On dirait le sud

Le temps dure longtemps

Et la vie sûrement

Plus d'un million d'années

Et toujours en été.

 

ette belle maison de maître, le Caillava, sur la route de Nérac, là où le Gers, dans la pénombre de la peupleraie, tourne, retourne et profite lui aussi du temps qui passe, a illustré la chronique qu'a offert à Lectoure, dans l'édition d'avril 1989 du magazine Esquire, James Salter, célébrissime auteur américain. Le carnet d'alinéas avait fait en 2018 son portrait (ici) mais alors sans avoir découvert où exactement il avait posé sa plume chez nous. Et son regard si original sur notre ville.

 

"En longeant ses abords,

c'est comme un village de pêcheurs, mais sans la mer."

Du Salter. Allégorique et si lucide à la fois. Passant sans prévenir de la banalité à l'inspiration. Depuis le Bastion du château ou au débouché d'une ruelle sur les remparts, nous ne regarderons plus le vallon de Foissin et la vallée du Gers de la même façon. Mais à quelques millénaires près, l'image n'est pas si étrange. Salter n'invente rien car les géographes et les géologues situent ici l'extrémité des avancées maritimes à l'ère de Miocène, c'est-à-dire il y a 15 millions d'années tout de même, le golfe de Lectoure !

A l'horizon, sur la photo du pique-nique du couple Salter et de leurs amis, on distingue Lectoure " comme une merveilleuse épave abandonnée sur une rive lointaine ". Traduction intégrale de la chronique ci-dessous.

Sally Gall, la photographe, missionnée par le magazine pour illustrer les chroniques de Salter, choisissait le noir et blanc, très grainé, légèrement solarisé semble-t-il, peut-être à l'instigation de la rédaction du périodique et sans doute pour donner une impression romantique, vieillotte, comme les États-uniens se figurent la vieille Europe, façon carte postale vintage. Joli, mais de la belle couleur, franche et saturée, aurait mieux convenu à l'ambiance estivale des années 80 au pays gascon, lecture à l'ombre du marronnier vénérable, balade au vieux moulin et, inévitablement, champs de tournesols que l'on ne peut vraiment apprécier qu'en quadrichromie.

Comme d'autres, et si souvent à propos de la Lomagne, Salter évoque l'Italie. Toujours plus de sud. Toujours ailleurs.

Sur Esquire, The houses of a french summer emmèneront le lecteur depuis Arcachon (pendant la guerre, pilote, Salter a été basé à Cazaux) à Bordeaux, Paris, la vallée de la Loire, jusqu'au cap Ferrat et Saint-Tropez... et Lectoure ainsi parmi le gratin du tourisme international. Rassemblées et éditées en anglais sous le titre There and then (Ed. Counterpoint 2013), elles sont quelque peu développées par rapport à la parution dans le périodique new-yorkais et on y apprend en outre plus précisément chez qui l'auteur et sa famille ont été hébergés à Lectoure en 1988. Extrait aperçu sur le web de la version espagnole de ce recueil En otro lugares (Ed. Salamendra 2024) : "Finalmente volvimos al sur, a Lectoure, donde nos esperaba la casa amplia y sencilla del profesor de latín de la escuela del pueblo". Le toponyme et la fonction enseignante du propriétaire, latiniste et hispanisant de surcroît, auront suffi aux vieux Lectourois pour reconnaître les hôtes de Salter, Paul Fave et son épouse. Salter se plaira tellement à Lectoure, working conditions can be pleasant..., qu'une fois les propriétaires revenus de leurs propres vacances et ayant repris possession de leurs pénates, il prolongera son séjour en migrant outre-Gers, à deux kilomètres à vol d'oiseau, au Couloumé, à l'époque appartenant à la famille de Montal.

 

Devisé "The magazine for men", mais bien moins affriolant que Playboy ou que le français Lui, Esquire "s'adresse à une clientèle financièrement aisée. Comprenant des photos dites de charme, il est un mélange de mode masculine, d'articles sur l'économie et sur les nouvelles technologies. Ses pages sont complétées par des critiques de films et de livres, tout comme des articles pratiques" (définition empruntée à wikipédia). De grands noms de la littérature y collaborent offrant leur talent, parfois sans trop forcer, et l'attrait commercial de leur nom. Avant James Salter, parmi les plus célèbres, ce furent Ernest Hemingway et Francis Scott Fitzgerald.

Lectoure verra passer certains lecteurs d'Esquire, suivant gourmandement Salter dans ses pérégrinations. Parmi eux, Karen et Edward auxquels nous devons d'avoir découvert cet auteur, et qui comme lui, reviendront chercher ce qui n'existe pas plus à l'est qu'à l'ouest du nouveau monde, le lierre sur les vieilles pierres, le pain cuit au feu de bois, les bistrots, les vestiges gallo-romains... Le temps long.

 

Sur la photo du pique-nique au bord du lac de Boulouch, le petit blondinet c'est Théo, le fils de Salter et de sa compagne Kay Eldredge, qui fera ses premières classes à l'Immaculée Conception ! On distingue également sa frimousse à l'étage du Caillava. Sa trottinette appuyée contre l'encadrement du seuil. La chronique d'Esquire a 35 ans. James Salter est décédé. Théo est devenu acteur. Aujourd'hui, rue Nationale, main street, les trottinettes sont électriques. Lectoure est toujours un village de pêcheur.

                                                                Alinéas

 

PS. Nous remercions monsieur Paul Fave pour nous avoir communiqué toutes les précisions sur cette rencontre étonnante entre James Salter, la presse masculine US, le Caillava et Lectoure.

 

Traduction de la chronique parue dans Esquire - Avril 1989.

Sous l'immense marronnier du jardin et l'ampoule suspendue à l'une de ses branches, se trouve une longue table en plastique blanc aux extrémités rondes. À cette table, à l'ombre, matin, après-midi ou soir, nous nous asseyons. Les libellules frôlent langoureusement le sol. Le linge sèche. Sur la terre flotte une brume d'août.

Ce qui donne à cette maison son charme, ce sont les vues. Au loin, avec dans l'intervalle uniquement des champs de tournesols, des prairies et des bois, Lectoure s’étend sur la crête d’une colline comme une merveilleuse épave abandonnée sur une rive lointaine. Les saisons semblent défiler sous vos yeux, l’automne et ses pluies, l’hiver, le printemps tant attendu. Impassible, la tour de l’église avec une vague trace d’échafaudage se détache sur le ciel. Ça ressemble à l’Italie, l’hôpital à une extrémité, la cathédrale à l’autre. Entre les deux, une longue étendue de maisons et de murs quelconques donne l’impression d’une côte étrangère. Ce n’est pas un endroit où les Agnelli viennent. Parfois, on aperçoit un visage insolent et superbe qui conduit lentement le long de la rue principale, mais l’agitation la plus intense que j’ai pu observer un jour est celle d’un homme essayant, devant un café, d’apprendre à un perroquet à chanter la Marseillaise. C’est une ville remarquable. Sur ses abords, c’est comme un village de pêcheurs, mais sans la mer. Le paysage qui s'étend en dessous est vaste et immuable. Il y a des dents de mastodontes polies qui brillent comme de l'ivoire dans le musée sous la Mairie, des pièces de monnaie romaines, des bustes antiques.

Vers la fin du mois, un journal a publié une photo d'une plage presque vide. Un couple, la femme seins nus, était penchée en arrière, à côté de leurs vélos, profitant des derniers rayons du soleil.  À l'arrière-plan, un enfant et une femme en robe blanche au bord de l'eau. À l'horizon flou, une coque blanche solitaire et sa voile. « Il finit en beauté », titrait le journal à propos de l'été.

Cet après-midi, elle traversa la prairie jusqu’à l’endroit où je travaillais, installé à une petite table à l’ombre. Cela faisait quatre mois et demi, et nous avions été partout, la mer à Arcachon, Paris, Bordeaux, le cap Ferrat, nous étions assis à lire dans le jardin et avions traversé les champs jusqu’au vieux moulin d’un voisin, à dix minutes de là, pour acheter du pain cuit au feu de bois, nous avions vécu en vêtements de coton, le dos de nos mains était noir, il restait une semaine. « J’aime cette vie », dit-elle doucement.

Je n'ai pas répondu. Après un moment, j'ai hoché la tête. Tout était dit.

 

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Publié le 15 Août 2024

lectoure gers - tour du bourreau - tour de corhaut

es historiens n'en font pas cas, et pourtant l'Histoire du rempart de notre ville n'est pas finie. En effet, le promeneur observera que la nature reprend ses droits après la reddition de la ville et le bourreau ayant remisé sa hache dans la tour d'angle désaffectée.

Et c'est un triomphe ! Car certaines fleurs apprécient particulièrement le profil stratégique de cet ouvrage pourtant sévère, l'aplomb les protégeant des coups du cantonnier méticuleux, l'espace dégagé leur offrant une cimaise gargantuesque à la vue des galeries voisines de Baqué, Sainte-Croix et de la vallée du Gers. Fleurs abondant malgré, ou plutôt grâce à un sol maigre, interstitiel, car c'est leur régime, leur discipline. En quelque sorte un champ de conquête botanique là où le bâtisseur pensait installer un glacis minéral. Peut-être ces sauvageonnes, Coquelicot au nord, Giroflée au sud, ailleurs Valériane ou Cymbalaire des murailles, encore appelée "Ruine de Rome" justement, trouvent-elles leur vitalité dans le terreau de l'Histoire ? Mais Rome n'y est pour rien à Lectoure, au contraire. La Pax Romana avait établi la colonie industrieuse dans la plaine, grasse et paisible, sur la voie rectiligne menant de Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges) à Agen. L'empire protecteur ayant chuté sous les coups de boutoir des Wisigoths, et les Vikings cabotant entre Agen et Auch, les Lactorates orphelins jugèrent préférable de se réfugier sur la colline, de fait réinvestir l'oppidum de leurs prédécesseurs Celtibères. Et le dresser plus encore. Les temples antiques démantelés donnèrent de la bonne pierre de taille. Les autels sacrificiels de la bonne fondation. Le menu peuple se blottit au mur des églises. Les jardiniers investirent la place, pacifiquement. Les poulaillers fleurirent. Le rosier Pierre de Ronsard et la cerise Napoléon aussi.

lectoure gers - jardins de ville

 

Alors, le seigneur des lieux, vicomte de Lomagne et d'Auvilar, avant d'offrir dans une corbeille nuptiale ce nid d'aigle à l'ambition de la maison d'Armagnac, s’installât à l'extrémité de l'éperon rocheux qui fut barré au fur et à mesure du développement du bourg par autant de remparts et de fossés que nous avons aujourd'hui de ruelles perpendiculaires à l'artère commerçante.

lectoure gers - ruelles - rue nationale

 

Mais l'Histoire rattrape toujours l'ambition. Un château trop prétentieux ne fait que focaliser les efforts des adversaires qui alors se liguent et mettent le siège. Au pied du système défensif, bien installés sur la prairie bordant les ruisseaux poissonneux et au chaud des salles meunières déguerpies, dix mille cavaliers à l'écusson de Louis le onzième, autant de gens d'arme et les ribaudes qui vont avec, patientèrent jusqu'à ce que la ville tombe comme un fruit mûr, si ce n'est le rempart lui-même. Aujourd'hui, puni, arasé, occulté, n’impressionnant plus personne, le vestige du château d'Armagnac émerge à peine entre l'hôpital-usine et les cimetières où fraternisent paroissiens et tirailleurs sénégalais. Au pied de la citadelle, le paysan retourne l'humus des vieilles batailles.

lectoure gers - hopital - chateau des comtes d'armagnac - cimetière

 

Le vieux Cazeaux racontait à Jean-François Bladé que les Bohèmes vivaient là, dans quelque semblant de grotte, sous les fenêtres de l'hospice du Saint-Esprit. Le macadam périphérique a recouvert leurs danses, leurs chants, guitare mauresque et tambourin. Personne ne reverra plus l'Homme Vert qui parle aux oiseaux, qui est le maître de toutes les bêtes volantes.

 

- Par les moustaches du pape ! reprenait un narquois grisonnant qui avait servi, voilà des gouttières d'églises qui vous crachent du plomb fondu mieux que les mâchicoulis de Lectoure.

Lorsqu'il lance tous les truands, les estropiés et les coquillards de la cour de miracles à l'assaut de Notre Dame de Paris, Victor Hugo n'est pas encore passé à Lectoure, qu'il ne distinguera d'ailleurs qu'en contre-plongée, depuis le relais de poste du Pradoulin, lors de son voyage retour en diligence depuis les Pyrénées en 1843, en parcourant dans la journée l'étape d'Auch à Agen, route décidément très fréquentée. Dommage, car le grand écrivain se double d'un fantastique peintre de châteaux, murailles et vestiges romantiques. Pas de mâchicoulis de ce côté d'ailleurs ; le rocher fondamental suffit, sauf à retenir le duc de Montmorency, sauf à repousser la logorrhée iconographique de notre siècle voyeur et selfiste, mon cyber-carnet y compris.

lectoure gers - été photographique

 

Au sud, chics et exotiques, ses gloriettes exposées à la ronde, selon la saison ou l'heure qui provoquent son humeur de vieillard, le mur d'enceinte resplendit des neiges de Pyrène, émerge incertain à la vue des citadelles concurrentes dans les brouillards automnaux ou bien, immodeste malgré les assauts du temps, s'enflamme aux couchers de soleil glorieux.

 

Au pied de la ville ceinte, Diane ne s'est jamais baignée à la fontaine Hountélie qui sourd de la muraille, les vestales de Cybèle peut-être, le troubadour pourra le chanter si l'historien n'ose. Ce matin lumineux, sans cérémonie, ni grand prêtre, ni saint Clair martyr, comme un passe-muraille cette élégante silhouette d'un temps pandémique disparaîtra derrière la tour colossale qui semble contenir la ville blottie dans ses bras tentaculaires.

lectoure gers - fontaine diane - saint clair

 

Le vieux routier grisonnant de la cour des miracles avait raison, ce rempart a autrefois été coiffé de mâchicoulis, de tours, de bastions et flanqué d'une barbacane, imposant système servant de sas d'entrée à la porte principale de la ville, disons à l'endroit de notre poste actuelle, croissants chauds, un maréchal d'Empire le regard perdu vers le Danube, les premiers boulistes d'une journée comme une autre... Là, refermant la boucle de sa balade, revenu au présent qui s'impose, le promeneur doit faire un peu preuve d'imagination, aidé par le dictionnaire d'architecture médiévale de Viollet-le-Duc. Aidé également par les mémoires du maréchal de Monluc, qui pointa sa canonnade sur la ville coupable de huguenoterie. Une brèche suffit à révéler l'illusion de l'antique édifice. La ville revint à la messe.

lectoure gers - barbacane - monluc - système défensif

 

Comme la soldatesque des rois de France et de Navarre venus soumettre la ville rebelle, comme le promeneur qui redescend à présent vers la Croix-Rouge entre noisetiers et lauriers, jadis, l'étranger ne pénétrait pas librement dans la place.

Pacifiques, pénitents, malades, mais justement parce que pénitents ou malades suspects aux yeux du sergent de ville derrière le judas de son guichet, durant des siècles, des milliers de pèlerins de Saint-Jacques, logés et nourris à l'hospice, hors le bourg, ou plus en amont encore sur le chemin, à La Peyronelle, ont furtivement contourné les murs de la ville pour rejoindre le gué ou le Pont de pile sur la rivière, laissant la citadelle peu charitable derrière eux, espérant d'autres clochers, la clémence d'autres cieux. Notre ceinture monumentale aujourd'hui labellisée, soignée et convoitée, n'a pas toujours été considérée avec émotion... Le patrimoine suinte la misère passée.

lectoure gers - cathédrale - fossés - patrimoine - remparts

 

A présent abattu en maints endroits, ouvert au monde et à son agitation, le rempart est une histoire en pointillés. Le bastion ne dirige plus ses canons sur les routes qui montent à l'assaut de l'étroite patrie. A leur tour, sous les marronniers, les amoureux, les touristes, et Petite Poucette sur son banc, prennent leur quart de garde.

 

                                                                             Alinéas

lectoure gers - bastion - esplanade des marroniers - vallée du Gers

 

© Photos Michel Salanié

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire, #La vie des gens d'ici

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Publié le 22 Juillet 2024

libellule - demoiselle - odonate - lectoure - gers - gascogne - agrion de mercure

Le carnet d'alinéas a déjà dit son admiration pour la libellule et sa cousine la demoiselle voir ici. Mais voilà qu'une photographe, amateure de talent, nous ramène sur la berge du ruisseau de Foissin pour la reprise saisonnière du ballet gracieux dont on se lasse pas, espérant surprendre l'Agrion de Mercure, rare et discrète danseuse étoile de la qualité de notre environnement, à deux pas de la ville.

 

 

La photographe, Torunn, Norvégienne, est une fidèle amie de la Mouline de Belin. Dans les années 80, entre Vendée et Lectoure, elle chaperonnait deux gamines venues en vacances chez leurs grands-parents, Odette et André. Son prénom la prédestinait pour cette mission de confiance, car il procède du dieu scandinave Thor, idole protectrice mais impitoyable avec les géants qui menacent les dieux... et par extension tous les êtres auxquels nous tenons. Depuis, elle n'a cessé de revenir chez nous, à intervalle, amoureuse des panoramas de la citadelle, de la fontaine Diane, aimant flâner dans notre rue commerçante, prétendument Nationale mais toutefois très exotique pour un regard hyperboréen. Et cette année à nouveau, pour un safari délicat.

Du 5 au 13 octobre prochains, Torunn exposera ses photos dans sa ville de Drøbak, sur le fjord d'Oslo. Notre gracieux insecte gascon y trouvera t-il une cimaise où se poser ? Ce serait alors... "Une demoiselle venue du sud" !

 

L'occasion est trop belle pour Alinéas de quitter un instant notre petit - si, si, il faut être lucide - univers gascon : Torunn nous invite dans son pays, l'un des plus beaux du monde. Magie des grands espaces où semble parfois glisser dans le brouillard l'ombre d'un drakkar.

                                                                                  Alinéas

Aurore boréale à Singsås, Trøndelag

 

Compagnie de mouettes "à l'affut"

 

Le mont Hummelfjell au sud de Røros

 

Séchage de Poissons à Henningsvær, îles Lofoten

 

Sortland, archipel des Vesterålen

 

Pleine lune sur Drøbak

 

Les sirenes de Drøbak, sculpture de Reidar Finsrud

 

Les îles Lofoten

Pour apprécier plus encore le pays de Torunn, deux options : y aller, tentant non ?... ou lire la saga médiévale Kristin Lavransdatter. Les forêts, les montagnes et les fjords majestueux de Scandinavie et leur histoire ne pouvaient pas ne pas inspirer une belle plume. Ce fut Sigrid Undset dont les écrits décrivant la vie nordique au Moyen Âge et réputés pour dessiner d'émouvants portraits de femmes, victimes ou forts caractères, lui ont valu le prix Nobel de littérature en 1928.

" Au fond de la vallée, les ombres plus épaisses faisaient déjà régner le crépuscule sur les terres brunes et nues ; cependant l'air de cette soirée de printemps paraissait saturé de lumière. Les premières étoiles scintillaient, humides et blanches, dans le ciel, là où le vert glauque du couchant se fondait peu à peu avec le bleu sombre de la nuit.
Mais au dessus de la ligne noire des montagnes, de l'autre côté de la vallée, trainait encore un liséré de lumière jaune dont le reflet éclairait la paroi de rocher escarpée qui surplombait la route. Et tout en haut, ce même reflet faisait briller les crêtes neigeuses et étinceler les glaciers, d'où jaillissaient des ruisseaux qui bruissaient sur le versant. L'air tout entier frémissait de leur chant. En bas, le grondement puissant du fleuve leur servait d'accompagnement. Puis il y avait le gazouillis des oiseaux s'élevant de tous les bosquets, de tous les taillis, de tous les coins du bois
."

                               Sigrid Undset - Kristin Lavransdatter - La croix

 

August Cappelen - Cascade dans le Télémark

 

Photos. Tous droits réservés : toropictures2024@gmail.com

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #La vie des gens d'ici, #Beaux arts

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Publié le 17 Juin 2024

Une façon tout à fait efficace, et zen, de reprendre contact avec le réel après plusieurs mois consacrés à notre Gascogne de légendes, de fantaisie et d'arts graphiques : soigner nos rosiers.

Par exemple, ce rosier Banks qui monte à l'assaut de la Borderie de la Mouline de Belin et qui était déjà là il y a cinq ans, lorsque ce carnet exposait notre petite collection de roses.

- Cinq ans déjà, moun diù ! Voyons.

La galerie de rosiers de la Mouline de Belin

 

Mais précoce, au mieux de sa floraison autour de Pâques, notre Banks avait échappé alors à la prise de vues photographiques effectuée au mois de mai pour une chronique publiée en juin. Voilà qui sera réparé. Depuis, ce rosier liane a été élagué plusieurs fois car il est particulièrement vigoureux et pourrait bien, si l'on n'y prenait garde, passer par-dessus le toit et retomber en cascade sur le pas de porte, à l'opposé, avant d'attaquer, libéré et décidé, le chemin de Saint-Jacques et, comme un treillage gargantuesque, la côte vers Lectoure.

Cinq ans ont passé donc. Les hasards de nos cheminements, la complicité d'une voisine, le joli marché aux rosiers de La Romieu... autant d'occasions de compléter aujourd'hui cette revue de nos effectifs charmants et embaumants.

Rosier Banks ou de lady Banks, Banksiae.

Très vivace on l'a dit, sans épines, au feuillage persistant, le rosier Banks offre une floraison abondante, jaune ou ivoire comme ici, par bouquet de cinq ou six fleurs doubles. Idéal pour un escalier, une pergola, on l'a vu dans Lectoure grimper sur un arbre de Judée pour lancer au ciel, fantasque, une estampe aux mauve et jaune entremêlés.

 

Cardinal de Richelieu

Un nom quelque peu trop courtisan pour une rose chevrière souriant au passant sur un chemin perdu du parc naturel régional des Monts d'Ardèche. Mais que fait à ce bout du monde cette belle double ? Bouturée, patiemment acclimatée au fond du vallon de Saint-Jourdain, savoureusement parfumée.

 

Cocktail

Distinguée "rose favorite du monde" par la Fédération mondiale des sociétés de roses en 2015, elle occupe également une place de choix à la Mouline pour saluer nos arrivants de ses bouquets luxuriants qui répondent au souvenir des éclats de rire des lavandières qui travaillaient là autrefois pour le confort des bourgeois de la ville.

 

Rosier châtaigne, Roxburghii plena

Classé parmi les rosiers de Chine et du Japon, supposé originaire de l'Himalaya, il doit son nom vernaculaire à son drôle de fruit couvert de piquants comme une châtaigne. Photos d'emprunt. Cycle végétatif pas encore observé. Nous sommes impatients...

 

Vesuvia

Une grande églantine d'un velours ardent, qui persévère jusqu'aux premières gelées. Bouturée derrière le charroi d'un jardinier municipal et ici protégée des chevreuils le temps de bien s'installer.

                                                               

ALINEAS

 

La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore.
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embrasser ;

Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;


   Alfred de Musset
   Extrait du poème « La nuit de mai »

"La fleur préférée". William Bouguereau

Photos :

- Roxburghii :

Fleur :  Sakurai Midori - wikipédia

Fruit : Krzysztof Ziarnek, Kenraiz

- Autres variétés © Michel Salanié

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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Publié le 28 Mai 2024

C’est l’un des sujets abordés par la médiathèque de Lectoure dans l’exposition « La thématique Pertuzé » encore en place jusqu’au samedi 1er juin… une façon de compartimenter l’œuvre immense et complexe de notre illustrateur, pour mieux l’explorer, la comprendre, puis dans un deuxième temps l’appréhender à nouveau dans son ensemble et l’apprécier entièrement.

En effet, Pertuzé est un excellent portraitiste : classique ou caricaturiste, naïf et cependant expressif au premier regard, comme il se doit pour la littérature jeunesse, minimaliste également pour la BD, fantastique, humoristique… Dans tous ces genres, alternativement, notre artiste, en quelques traits, au-delà du physique, illustre les sentiments, les expressions et les caractères.

Petite galerie zoomée pendant notre exposition.

 

Dominique Larrey, Chirurgien d'Empire, d'après Anne-Louis Girodet.

 

L'une des charmantes licencieuses pertuzéennes...

 

Non, ce n'est pas "Gascogne céleste". Mais "Gascons à table"...

 

Les sorcières n'ont pas toujours l'air méchantes, mais ne vous y fiez pas...

 

Lui, c'est clair.

 

Dessin minimaliste mais un maximum de présence

 

Marceu Esquieu, l'Occitanie portraiturée !

 

Le Basa Jaun des montagnes basques, qui me paraît moins terrible que sa légende non ?

 

Rien qu'un peu de noir sur du papier blanc, disait-il.

 

Farniente enfin. Pertuzé a rangé sa palette.

 

C'était la dernière chronique de notre hommage à Pertuzé. Dans quelques jours votre carnet d'alinéas reprendra le cours normal de ses rubriques variées et toujours lectouroises. Mais il est probable que "l'illustre illustrateur lactorate" repassera par là...

                                                               Alinéas

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Beaux arts

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