A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
La présence des Templiers à Lectoure a été totalement négligée par les historiens. Le Carnet d'alinéas en a retrouvé la trace dans les archives de l'ordre de Malte qui a hérité des biens du Temple après sa suppression par le pape gascon, Clément V.
Clément V n'a pas pu, ou pas voulu, s'opposer à Philippe le bel qui avait mis la main sur l'immense domaine du Temple. Or, nous savons que Clément est passé à Lectoure dont le seigneur est alors son propre frère, Arnaud-Garcie de Got, Vicomte de Lomagne et d’Auvillar par faveur de Philippe le Bel. Il y nommera évêque un de ses cousins, Guillaume des Bordes. Enfin, son secrétaire, également son cousin, le cardinal Arnaud d'Aux, qui construira en un temps record et à grand frais la collégiale de La Romieu, prononcera la sentence que dénoncera Jacques de Molay, le grand maître, ce qui le conduira sur le bucher, un épisode célèbre de "l'affaire". Ces avantages accordés à sa famille par Philippe le Bel et par lui-même, ont jeté sur l'action de Clément V, et donc sur le procès fait aux templiers, un doute qui ne sera jamais dissipé.
A la mort de Clément, son neveu Bertrand de Got, devenu vicomte de Lomagne à son tour, s'emparera de son trésor avant d'être rappelé à l'ordre, sous la menace de l'excommunication, par Jean XXII.
Et Lectoure fait partie du décor de cette incroyable épisode de l'Histoire de France.
Nous rassemblons ici les articles consacrés aux Templiers depuis 2017 sur ce blog. Ils ont été rédigés et publiés au fur et à mesure de nos recherches. Il peut donc y avoir quelques redites, des nuances et des évolutions. De plus, il reste encore matière à recherche mais d'ores et déjà le Carnet d'alinéas est heureux de vous proposer cette chevauchée dans l'Histoire de notre ville, accessible en permanence au menu PAGES.
ier, de très bon matin, alors que je ratissais mon pas-de-porte, un promeneur habitué de notre coin de nature me fit un signe amical. En guise de salut, à mon tour et très banalement, je lui lançais :
- Il fait bon à cette heure !
- Oui mais, répondit-il, j'aurais dû démarrer encore plus tôt.
Évidemment, nous avons la facilité d'habiter sur place. Par ailleurs, après l'avoir assidument pratiquée, pour ma part, je n'apprécie plus la grasse matinée. Et puis notre jardin réclame des soins qu'il est impossible de prodiguer au zénith par ces temps de canicule, alors nous nous levons à l'aube. Nous n'avons donc aucun mérite. Mais ce carnet veut surtout inviter à profiter de ces précieux petits matins frais. La chaleur exceptionnelle, pénible et fatigante, nous oblige à sortir très tôt ou très tard. Dans les deux cas, il y a des avantages, et de jolis tableaux, à faire cet effort. Aujourd'hui, intéressons-nous à la balade matinale et florale. Alors, "A la fraîche", ou "Aahhh, la fraîche !" ?
Les oiseaux virevoltent dans l'air pur avant de trouver un coin à l'ombre et n'en plus sortir. Ainsi nous montrent-ils le chemin qu'il est prudent de suivre, à pied, mais il ne faudra pas tarder car le créneau de température est étroit. La lumière rasante met en valeur les couleurs et les profils. Si les fleurs sont rares ou plus discrètes, elles font assaut d'originalité pour séduire butineurs et leurs suiveurs macro-photographes. Plus résistantes à la cueillette et souvent épineuses, elles n'en sont que plus nobles. Comme la jeunesse, la tendre floraison du printemps n'est qu'un passage éphémère. L'hiver, l'automne et cet été un peu rude ont leurs plaisirs botaniques qu'il faut cueillir, comme disait le poète à propos de la rose.
Allons, dépêchons-nous d'encourager, par notre amoureuse visite, cette nature dont nous ne sommes qu'une brindille, et qui, comme nous, fait le gros dos, en attendant la pluie qui finira bien.
Alinéas
Le nez dans le ruisseau, barricade de Salicaire et de Massette.
Tournesols, évidemment. Ceux-ci ne nous ont même pas vus passer.
Le Faux Sureau ou Yèble, toxique pour l'homme, attire quand même le papillon Demi-deuil et quelques autres affamés.
On a beau avoir les pieds dans l'eau, quand il est l'heure de faner... et de s'égrainer...
En deux temps trois piquants, le Chardon laineux, ou Cirse, développe un étonnant capitule ivoire avant d'y dresser son bouquet parme à destination des butineurs. Enfants, nous croquions ses tiges, tendres et gouteuses comme des asperges. A condition de les peler avec précaution...
Voila un carré de carottes qui n'a pas été souvent biné...
La Mauve. Bourrée de qualités. Il faut penser à prendre son panier.
Millepertuis élégant. Effectivement.
Dialogue quelque peu alambiqué entre Prêle, Vigne vierge de Virginie et Liseron.
Dans quelques semaines, la Clématite des haies offrira ses guirlandes d'akènes au givre. Mais sa floraison est déjà très décorative, ponctuant de myriades d'étoiles le chemin de Saint-Jacques.
Petite Centaurée ou Herbe-à-fièvre. Famille de la Gentiane.
D'habitude, je peste après cette envahisseuse. Mais à distance du potager et à condition d'être bien chaussé et pantalonné, la Picris fausse-épervière, sorte de blonde échevelée, a du charme.
Centaurée-des-près. Famille du Bleuet, autrefois commun, parfois trop dans les cultures de céréales et qui a presque disparu à force d'être chassé par les pesticides. La Centaurée elle, a résisté en suivant les bas-côtés. Pas plus que la vie en communauté, elle ne respecte ni le code couleur ni la coupe de cheveux règlementaire de la tribu. Un sujet vraiment rebelle.
La Cardère sauvage, qui n'est pas un chardon, servait autrefois à carder la laine. A donné son nom au coteau qui fait face à Lectoure au nord, Cardès, car elle devait y être récoltée pour servir à l'industrie textile dans la vallée de Foissin. A également donné son nom à une mouline qui, à notre avis, ne devait pas mouliner la farine.
Comme quoi, l'herbier du Carnet d'Alinéas nous ramène toujours à l'homme, industrieux....
Aujourd'hui, on considère la Cardère comme très importante pour la biodiversité car ses feuilles, assemblées par deux en forme d'abreuvoir, retiennent l'eau de pluie, ou à défaut, de rosée, et ses capitules offrent chacun plus de 500 graines. La Cardère est pour cela, en langage vernaculaire, joliment appelée "Cabaret des oiseaux".
Lectoure n’apparaît que très fugitivement dans la célèbre saga de Maurice Druon, Les rois maudits, au prologue du tome 6 précisément, La louve de France. Fugitivement mais dramatiquement.
Quel élan aveugle et vaguement mystique, quels rêves élémentaires de sainteté et d'aventure, quel excès de misère, quelle fureur d'anéantissement poussèrent soudain garçons et filles des campagnes, gardiens de moutons, de bœufs et de porcs, petits artisans, petites fileuses, presque tous entre quinze et vingt ans, à quitter brusquement leurs familles, leurs villages, pour se former en bandes errantes, pieds nus, sans argent ni vivres ? Une certaine idée de croisade servait de prétexte à cet exode.
La folie, en vérité, avait pris naissance dans les débris du Temple. Nombreux étaient les anciens Templiers que les prisons, les procès, les tortures, les reniements arrachés sous le fer rouge et le spectacle de leurs frères livrés aux flammes avaient rendus à demi fous. [...] Ce fut ces hommes-là qui, un hiver, se muèrent soudainement en prêcheurs de village, et pareils au joueur de flute des légendes du Rhin, entraînèrent sur leurs pas la jeunesse de France. Vers la Terre sainte, disaient-ils. Mais leur volonté véritable était la perte du royaume et la ruine de la papauté.
Dix mille, vingt mille, cent mille... les "pastoureaux" marchaient vers de mystérieux rendez-vous. Prêtres interdits, moines apostats, brigands, voleurs, mendiants et putains se joignaient à leurs troupes. Une croix était portée en tête de ces cortèges où filles et garçons s'abandonnaient à la pire licence, aux pires débordements. [...] Les pastoureaux ravagèrent la France pendant toute une année, avec une certaine méthode dans leur désordre, n'épargnant ni les églises, ni les monastères. [...]. Paris vit cette armée de pillards envahir ses rues [...]. Puis un nouvel ordre, aussi mystérieux que celui qui les avait assemblés, les lança sur les chemins du sud. [...] Le pape Jean XXII, inquiet de voir le flot se rapprocher d'Avignon, menaça d'excommunication ces faux croisés. Ils avaient besoin de victimes ; ils trouvèrent les juifs. Les populations urbaines, dès lors, applaudissant aux massacres, fraternisèrent avec les pastoureaux. Ghettos de Lectoure, d'Auvillar, de Castelsarrasin, d'Albi, d'Auch, de Toulouse ; ici cent quinze cadavres, ailleurs cent cinquante-deux... [...] Les juifs de Verdun-sur-Garonne se servirent de leurs propres enfants comme projectiles, puis s'entr'égorgèrent pour ne pas tomber aux mains des fous.
Maurice Druon a écrit son roman avec l'assistance d'historiens, chercheurs et documentalistes. Le fil historique est tout-à-fait attesté : affaire des Templiers, scandale de la tour de Nesle, administration d’Enguerrand de Marigny, fin de la dynastie des Capétiens directs faute d'héritier mâle, origine de la guerre de Cent Ans. La petite histoire sert parfaitement l'intrigue : luttes fratricides, assassinats, trahisons, échange de bébés, mœurs dépravées, sorcellerie... Enfin, le drame de l'amour impossible du jeune banquier génois et de la fille de famille noble et désargentée donne à l'ensemble son tour purement romantique.
Pour ce qui concerne la présence de juifs à Lectoure, elle n'est pas attestée . Pour Geneviève Courtès, chercheuse Lectouroise qui a étudié la présence d'enfants juifs réfugiés à Lectoure pendant la deuxième guerre mondiale, il n'y a pas eu ici de ghetto, c'est à dire de communauté juive (voir ci-dessous rectificatif le 7.12.22). Compte tenu de l'importance de la ville au Moyen-Âge, on peut imaginer que ponctuellement, quelque commerçant ou artisan ait pu s'intégrer comme il en a été relevés ailleurs en Gascogne, qui se seront pour y être autorisés, convertis officiellement. En l'occurrence, en 1306, Philippe le Bel à la recherche de revenus pour soutenir ses guerres, expulsait les juifs du royaume et confisquait leurs biens. Le roi d'Angleterre Edouard III sera plus accueillant, et dans son domaine d'Aquitaine auquel Lectoure appartiendra momentanément, on connaîtra ici ou là quelques établissements juifs réfugiés.
Alors, l'information, ou l'expression, de Maurice Druon est-elle erronée ? Elle revient cependant souvent chez d'autres chroniqueurs. Plus précisément, il est dit que la troupe des Pastoureaux parvenue à Agen se serait partagée en deux, une partie empruntant la vallée de la Garonne, l'autre celle du Gers, ce qui explique que les massacres signalés dans différents endroits puissent être simultanés. On suppose alors qu'il y a confusion entre juifs et cagots, cette population de parias, contenue dans des quartiers séparés et gravement persécutée. La présence des cagots à Lectoure est attestée celle-ci. Ils sont traités selon les endroits et les époques, de différentes origines méprisantes : Wisigoths, Maures, Cathares, hérétiques ariens, lépreux… et juifs.
Le massacre de ces cagots par les Pastoureaux, peut-être encouragés par la populace de la ville toujours à la recherche de boucs émissaires responsables de la peste qui sévit alors, a dû ressembler à tous les misérables pogroms que les minorités ethniques et religieuses subissent encore aujourd'hui.
Et Maurice Druon, parce que cela sert son récit, reprend donc à son compte l'hypothèse, non prouvée celle-ci, d'une responsabilité des templiers dans la révolte des pastoureaux.
" Maudits ! Tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races. "
Depuis la publication, en 1956, du premier tome de la saga, Le roi de fer, la malédiction lancée par Jacques de Molay, le grand maître de l'Ordre du Temple, sur son bûcher, à l'encontre de Philippe le Bel, de son ministre Nogaret et du pape Clément V a donné naissance à d'innombrables ouvrages littéraires et productions cinématographiques, de qualité variable, et où, souvent, le fantastique domine voire travestit le fait historique. Or, s'il s'est effectivement rétracté de ses aveux, cette apostrophe n'a probablement jamais été prononcée par le grand maître. Elle est l'invention, plusieurs années après les faits, de l'historiographe Paolo Emilio (1455-1529). Par contre, le rôle du pape Clément V dans la fin de l'Ordre du Temple, lui, est bien connu, bien que toujours discuté, et ceci nous rapproche à nouveau de Lectoure.
Clément V, dit le pape gascon. Né Bertrand de Got à Villandraut, près de Bazas, à quelques kilomètres au sud de la Garonne et archevêque de Bordeaux en 1300, il est donc sujet du roi d'Angleterre qui tient la Guyenne, c'est à dire l'Aquitaine. Cette origine gasconne explique, dit-on, son élection en 1305 au pontificat suprême par un conclave qui n'arrivait pas à choisir entre cardinaux italiens et français, la Gascogne étant encore à cette époque une nation distincte. Ce qui n'empêchera pas les historiens de considérer Clément sous l'influence de Philippe le Bel, roi de France.
Le 29 novembre 1308, Clément V et sa cour s'arrêtent pour plusieurs jours à Lectoure. En 1305, l'année même de son élection, le frère de Clément, Arnaud-Garcie de Got, avait été doté par Philippe le Bel des Vicomtés d'Auvillar et de Lomagne, dont Lectoure fait partie, territoire de France à la frontière de l'Aquitaine. Pour services rendus dans la lutte contre l'anglais semble-t-il. De plus, l'évêque de la ville est également de la famille, probablement cousin, Guillaume de Bordes, nommé cette année même, par dérogation puisqu'il n'a pas l'âge canonique. Le frère de ce jeune évêque, Bertrand de Bordes, est également chanoine de la cathédrale, rémunéré à ce titre, mais camérier du pape, c'est à dire son premier serviteur, il ne résidera jamais à Lectoure. Il deviendra plus tard évêque d'Albi, puis cardinal. Un troisième frère de Bordes est seigneur à Astaffort. Il se fera remettre par la commanderie du Temple d'Agen et Gimbrède la moitié des droits sur le moulin de Roques. Ici aussi pour service rendus... La simonie, autrement dit les cadeaux qu'il fait à ses parents, sera reprochée à Clément.
Rappelons également que l'ordre du Temple a possédé un domaine à Lectoure que nous pensons pouvoir situer à l’emplacement du Couloumé**. Etait-il dirigé par un chevalier qui aura été arrêté comme tous ses frères lors de la rafle du 13 octobre 1307 menée par la police de Guillaume de Nogaret ? Clément et ses proches conseillers se sont-ils intéressés à ce domaine lors de leur étape dans la ville ?
Cette venue du pape à Lectoure est un évènement exceptionnel. Il est le personnage le plus important de la chrétienté, le vicaire du christ dans un monde éminemment religieux. A cette époque, basée à Avignon pour cause de désordre à Rome, la cour papale est itinérante. Arrivés à Lectoure, plusieurs dizaines de personnes de la suite de Clément s'installent au château vicomtal, dans les monastères et les maisons bourgeoises réquisitionnées : secrétaires, soldats, serviteurs affairés à la table et à la livrée du pape et de ses cardinaux. Parmi ceux-ci, un personnage important qui apparaît dans la scène du bûcher des templiers qui sert d'introduction dramatique à Maurice Druon : Arnaud d'Aux de Lescout*, encore un cousin de Clément, auparavant son secrétaire à Bordeaux, né à La Romieu, plus tard devenu camerlingue de l'Eglise c'est à dire ministre des finances, qui construira à grands frais la collégiale que l'on connaît. Arnaud d'Aux était diligenté à Paris par le pape, avec deux autres cardinaux, auprès du tribunal inquisitorial que Philippe le Bel avait organisé, pour prononcer la sentence qui graciait les dignitaires du Temple, puisqu'ils avaient avoué leurs fautes. Mais à l'énoncé de la sentence par le cardinal émissaire du pape, l'évènement est historique si la malédiction ne l'est pas, Jacques de Molay ne pu supporter cette infamie et revint sur ses aveux. Relaps, c'est à dire coupable de retomber dans l'hérésie, la plus grave des fautes d'un chrétien à cette époque, le grand Maître et ses compagnons étaient passés par le bûcher le lendemain même, le 18 mars 1314, sur l'Ile aux juifs, Arnaud d'Aux, malgré l'autorité papale dont il était investi, ne pouvant s'y opposer, ou ne le voulant pas car il fallait en finir avec cette affaire.
De fait, cette sentence qui se voulait indulgente bien que les aveux des templiers aient été extorqués par le supplice et après sept longues années de détention dans des culs-de-basse-fausse, était effectivement infamante. La réaction d'honneur du grand Maître, qu'importe qu'il y ait eu malédiction ou pas, est peut-être la plus grande preuve de l'innocence des templiers. Clément V, et Arnaud d'Aux qui mènera les débats pendant le concile de Valence en 1311 et 1312, voudront sans doute reconnaître de facto l'innocence des Templiers en supprimant l'Ordre sans le condamner, et en transférant ses biens aux Hospitaliers de Saint-Jean, privant ainsi in fine Philippe le Bel du butin convoité, ce qu'il en restait du moins. Maigre sanction celle-ci, pour une affaire politico-financière considérable qui aura entaché le règne du dernier grand roi capétien et empoisonné celui du pape Clément.
Le roman de Maurice Druon, richement documenté, captivant de part en part, aux inoubliables portraits de Mahaut d'Artois et de son colossal neveu Robert, du tragique Edouard II, d'Isabelle de France et de son amant Roger Mortimer, du génial banquier lombard Tolomei, pourrait faire l'objet d'une version intitulée "Les Rois maudits vus depuis Lectoure", mais on ne plagie pas un chef-d’œuvre.
Alinéas
PS. Ministre des affaires culturelles en 1973, il n'hésite pas à dresser contre lui une grande partie de l'intelligentsia en affirmant que pour les subventions il faudra « choisir entre la sébile et le cocktail Molotov ». Homme de haute culture, il voudra aussi - ce sera son ultime combat - défendre la langue française. « La civilisation, disait-il, est d'abord un langage. »
Son indépendance d'esprit le pousse même, lui, petit-fils de Samuel Kessel, médecin juif d'origine lituanienne, à refuser en 1997 le principe d'un procès Papon. Cette filiation juive, il était pourtant loin de la renier. Dans son adieu vibrant au cardinal Lustiger, en août 2007, il exalte le lien entre judaïsme et christianisme : « Vous fûtes pendant un quart de siècle une manière de miracle : vous fûtes le cardinal juif. »
L'hommage que Mauriac rendit à Joseph Kessel peut être repris pour Maurice Druon : « Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d'abord la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l'univers sans perdre son âme. »
in La Croix le 15 avril 2009.
* Maurice Druon utilise la graphie "Arnaud d'Auch", que l'on trouve effectivement dans certains documents mais qui prête à confusion et n'est plus utilisée aujourd'hui.
** Nous avons révélé la présence des templiers de Lectoure dans la rubrique "Histoire" de ce carnet :
A propos de la présence des juifs à Lectoure au Moyen-Âge - Rectificatif
Une heureuse découverte documentaire nous permet de revenir sur l’épisode du massacre des juifs à Lectoure par les Pastoureaux, au 14ième siècle. Nous avions imaginé qu’il y avait dans le récit de Maurice Druon, et dans ses sources, confusion entre juifs et cagots, catégorie de population paria.
Mais, contrairementà ce qui nous avait été dit et que nous avons repris en confiance trop vite, il y avait bien, à cette époque, une communauté juive à Lectoure. En effet, nous découvrons que les archives nationales britanniques de Kew conservent une supplique conjointe de l’évêque Géraud de Montlezun et des consuls de la ville adressée au roi Edward 1er pour qu’il confirme que les juifs de Lectoure jouiraient toujours des libertés qui leur avaient été concédées auparavant. La missive est datée du 31 décembre 1281.
Il faut rappeler qu’à cette date le duché d’Aquitaine, domaine du royaume d’Angleterre, s’étend sur l’Armagnac et la Lomagne. On le sait, Edward 1er est venu à Lectoure pour établir les termes du paréage avec l’évêque, c’est-à-dire une répartition des rôles et des pouvoirs. Les consuls ont cependant obtenu que les anciennes coutumes de la ville soient maintenues et également l’autorité du Vicomte de Lomagne. Le cadre juridique local ancestral a ainsi été confirmé, cependant sous l’autorité éminente du co-seigneur, duc d’Aquitaine et roi d’Angleterre.
Il faut apprécier, à propos de cette supplique pour la défense des juifs, le rôle positif de l’église et des édiles pour la protection de cette population allogène ou cultuellement minoritaire et souvent persécutée. Ce sera également le cas pour la protection des cagots, les parias que nous supposions avoir été les victimes des Pastoureaux.
Quelques années plus tard, Philippe le Bel, lui, ne prendra aucune précaution pour chasser les juifs du royaume de France et mettre la main sur leurs biens, comme ceux du Temple.
MS
Le 7.12.2022
ILLUSTRATIONS :
- Les pastoureaux massacrent les juifs de Verdun-sur-Garonne, Chroniques de France ou de St Denis, British Library, Royal MS.
- Portrait de Maurice Druon, photo AFP.
- Les Rois maudits, mini-série télévisée de Josée Dayan, 2005
- Arnaud d'Aux, collégiale de La Romieu, photo M. Salanié
Il y a des jardins de roi et des folies de reine, ou de surintendant audacieux, Amboise, le hameau de Marie-Antoinette ou Vaux-le-Vicomte, des jardins d'artiste, Giverny, Arnaga, le charme, la rigueur, des jardins de pauvre, de curé, de bonne-femme, les jardins ouvriers, celui qui sentait bon le métropolitain, la Chaussée-d'Antin... Et puis il y a le Castéra-Lectourois qui n'est pas un village gersois mais bien un jardin. Qui sert de village. Pour respecter le règlement cependant, on y trouve une mairie, une église, un monument aux morts, tous trois s'élevant du mieux possible au-dessus des parterres, des pergolas et des frondaisons pour faire valoir a minima leurs fonctions officielles.
Il y a longtemps, comme son nom l'indique, le Castéra-Lectourois fut une citadelle campée sur son éperon de calcaire, bordée de remparts austères, revêche et obtuse. Citadelle éphémère à l'échelle de l'histoire botanique, de l'origine des fleurs, des arbres et des oiseaux. Car tout passe et depuis, la nature reprend ses droits. Aidée par l'habitant qui a remisé sa science de la bataille et qui habille la ruine de volutes gracieuses, qui installe lianes et potées sous ses fenêtres, qui brode des roses, des chèvrefeuilles et des acanthes aux archères devenues moucharabiés ou cimaises.
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Comme dans tout jardin, la signalisation est minimaliste mais amplement suffisante au promeneur qui va selon son goût, la couleur, le parfum, le hasard. Minimaliste en particulier l'interdiction de stationner, probablement pour le principe, qui oserait ? Le chemin de ronde n'est pas surveillé et l’allumeur de réverbères sait bien que les roses ne font pas exprès de piquer. Elles sont d'ailleurs chez elles ici. L'or de la pierre leur va si bien, leur ombre aussi y fait des bouquets. La grand-rue s'étire et certaines portes ne s'ouvrent pas, sans doute afin que dure le plaisir de l'attente après avoir frappé au carreau.
Comme une plante rare héritée du jardin d'un aïeul et à laquelle on tient tel un bijou fragile ou comme un viel almanach écorné, l'église dédiée à sainte Madeleine a fait l'objet de soins attentionnés. Le socle de calcaire du Castéra ayant tendance à se déliter, donnant le meilleur terreau. Citadelle et chaire éphémères. D'impressionnants tirants boulonnés sur le clocher sont festonnés d'églantines et surveillés de près par des compagnies de pigeons qui font du jardin-village une volière à ciel ouvert. A l'opposé du balcon rocheux, dans un parc offrant l'un des plus jolis cadres sur la vallée du Gers, Marie à l'enfant et Madeleine, dressant au monde une croix de dentelle bronze, sont joliment revêtues d'un négligé de lichen. L'ange du monument aux morts aussi qui accroche sa mémoire de fleurs de pierre aux rayons du soleil.
Chaque versant du jardin a son thème. Au sud, le Castéra-Lectourois prend des couleurs de Méditerranée. Cactus, lavande et agave s'exposent avec exubérance en terrasses rocailleuses, contrastant avec la réserve de la grand-rue. Derrière son mur d'enceinte que l'on dépasse aisément sur la pointe des pieds, maison-jardin dans le jardin-village, une mi-bourgeoise, mi-gasconne hésite entre ombre et lumière, entre bonne compagnie et secret, entre citadelle et faubourg, faubourg qui s'étire inévitablement au-delà vers le monde. Puis le paysage rejoint le jardin, la vallée le balcon, une fleur de pierre orne le mur d'un cimetière et l'on reposera heureusement au panorama de Gascogne. Enfin, au nord, aujourd'hui, le jardinier du village monte à l'assaut des remparts où la nature, sauvage et obstinée, ne renonce pas. Au jardin-village, chaque jour de travail minutieux compte.
Hérisson : drôle de nom pour une pièce de mécanique ! L'ancêtre du charpentier de moulin, comme tous les artisans, est allé chercher dans la nature et dans son environnement immédiat les termes qui permettaient de désigner ses inventions de façon imagée. La pièce de bois et de métal que les recenseurs lectourois de la Société Archéologique du Gers (SAG) ont découvert à Laucate, moulin à vent situé à la pointe du plateau de Lamarque à Lectoure, a dû attendre l'expertise de la Planète des Moulins de Luzech (Lot) pour avouer son nom et en même temps sa fonction.
Le moulin de Laucate est aujourd'hui la propriété de Jacques Barbé, fils de Léo Barbé, photographe, historien, ancien secrétaire de la SAG, disparu en 2013, qui avait heureusement entretenu ce bâtiment hérité de son grand-père meunier, en particulier en rénovant sa toiture, c'est par là qu'il faut commencer évidemment. Peu de vestiges de l'installation meunière subsistent et, dressée sur un mur à proximité, cette roue intriguait et sa fonction avait été oubliée. Le dernier meunier, Baptiste Ricau, descendant d'une vieille lignée de meuniers Taurignac-Ricau, selon les époques et en fonction des mariages, exploitants ou propriétaires des moulins à vent de Sainte Croix, des Justices, et des moulins à eau d'Aurenque, Pauilhac, Marsolan, et des moulines de Ducos et Canteloup que nous ne localisons pas, a probablement cessé son activité en 1871-1872, comme toute la corporation sous l'effet de la concurrence de la minoterie.
Le hérisson est une roue qui permet de démultiplier le travail des ailes et du bras du moulin à vent en actionnant simultanément deux lanternes et deux meules. Il ne s'agit pas en général de produire plus de farine mais de travailler en même temps ou successivement avec deux pierres de qualités différentes, pour moudre deux variétés de céréales, souvent une céréale destinée à la boulangerie et la seconde destinée à l'alimentation animale, la Lomagne étant historiquement un pays d'élevage. Ce dédoublement de l'énergie éolienne est ingénieux et précieux dans un pays où les vents ne sont pas réguliers et où chaque épisode venteux doit être exploité au mieux. Posséder deux moulins n'est pas donné à tout le monde et s'ils sont distants il y faudra deux meuniers, qui devront se partager le bénéfice... Tenant à maîtriser son affaire et son revenu, grâce au hérisson le meunier actionnera ses deux meules à vue.
Le hérisson se distingue du rouet par le positionnement de ses alluchons (dents ou pointes de bois) en prolongement de la pièce lorsque ceux du rouet installé sur l'arbre tournant sont orientés perpendiculairement au support. S'il est ingénieux, le système présente cependant des contraintes. La première étant, dans les moulins gascons souvent de petit diamètre, la nécessité d'aménager deux niveaux pour pouvoir positionner l'une au-dessus de l'autre les deux meules dans l'espace disponible. La seconde étant le poids supplémentaire généré par le développement du système et partant, la nécessité de disposer d'une puissance du vent supérieure si l'on veut actionner les deux meules ensemble. Ce que l'on gagne en doublement de la capacité de travail peut être en partie perdu par la dépendance d'un vent plus fort.
A l'occasion de la donation du hérisson de Laucate par Jacques Barbé, Jean Rogier, du musée de Luzech, commentait le schéma de l'installation. " L’ensemble schématisé ici met en évidence les fonctions différenciées de ces deux organes de transmission.
Le rouet, solidaire de l’arbre moteur, constitue un engrenage d’angle avec une lanterne ou un pignon, pour transmettre le mouvement de rotation à l’arbre de transmission vertical.
Le hérisson, lui, solidaire de l’arbre vertical de transmission, engrène sur des pignons ou lanternes satellites afin de pouvoir mettre en rotation simultanément plusieurs meules. Chacun de ces pignons est mis en prise ou non à la demande.
Les hérissons sont des organes de transmission communs aux moulins à vent et à eau
Au courant du dix-neuvième siècle, la fonte d’acier prend progressivement la place du bois.D’abord mixtes, en bois et métal, les jeux d’engrenages deviendront entièrement métalliques grâce à une connaissance plus fine des profils des engrenages et une meilleure maîtrise des techniques de coulée."
Si le système peut avoir son équivalent dans les moulins hydrauliques, ce n'est pas systématique. Car là où le moulin à vent ne peut pas comporter deux jeux d'ailes, deux prises au vent, le moulin à eau lui, peut être doté de plusieurs prises sur le cours d'eau ou sur le réservoir, chacune alimentant son propre rouet, les meules étant dans ce cas totalement indépendantes, sans l'intervention d'un hérisson. Le stockage du potentiel hydraulique en amont du bâtiment est l'un des avantages du moulin à eau qui lui ont permis de survivre à la révolution technique quelques années de plus avant d'être dépassé, à son tour.
On le voit bien, tout le raisonnement du meunier le conduit à mettre en œuvre les améliorations techniques et l'organisation du travail susceptibles d'accroitre la productivité et la rentabilité de son appareil lesquels sont le moteur de l'inventivité humaine.
Dans la revue de la Société Archéologique du Gers de 1981 (page 13), une publication de Paul Magni signale au moulin de Pauilhac, sur la route qui relie Terraube à Fleurance, un système probablement de ce type : "Le mécanisme incomplet présente un double système de meules au 2ème étage. Les engrenages sont situés à l'étage inférieur (1er étage). Une grande roue à alluchons rayonnants, horizontale, devait communiquer aux deux lanternes le mouvement vertical d'un système classique". On comprend que "la grande roue à alluchons rayonnants", c'est à dire le hérisson, a disparu de Pauilhac. Ce moulin ayant fait partie du réseau de la lignée Taurignac-Ricau, peut-on imaginer Baptiste Ricau emportant à Lectoure cette pièce précieuse devenue inutile lorsque l'activité de Pauilhac a cessé, l'artisan espérant encore faire bénéficier son dernier moulin de ce plus technologique ? Dans tous les cas, il était trop tard. Les moulins à vent se sont multipliés au 18ième, en particulier du fait de la fin des privilèges nobles, au point de provoquer l'installation d'entreprises trop nombreuses et de trop petite dimension, qui seront fatalement très vite non rentables, avant même l’avènement de la minoterie. Les ailes de Laucate ont arrêté de tourner comme toutes celles de Lomagne et de France. L'engrenage de l'histoire travaille inexorablement et le hérisson a été abandonné contre son vieux mur.
Devenus romantiques par l'effet de la ruine, de la végétation envahissante, au bord de l'eau ou au sommet de nos paysages collinaires, les moulins sont avant tout on le sait, à l'origine de l'industrie moderne, en particulier de la turbine, omniprésente dans les domaines de l'énergie et du transport. Les recenseurs de la Société Archéologique du Gers relèvent souvent dans les archives, au cadastre, dans les dénombrements et sur les actes d'état civil ou les contrats commerciaux, la mention "usine" en lieu et place de "moulin" ou de "mouline" et la qualité "vivant de son industrie" attribuée au meunier. La conjonction du développement de la minoterie, de l'électricité et du transport ferroviaire a déplacé en très peu de temps l'énergie, l’innovation, la croissance et la création de richesse vers d'autres centres économiques. On n'arrête pas le progrès. Le hérisson de Laucate est entré au musée de La planète des Moulins de Luzech. Rénové, documenté, il participe à l'enrichissement de la mémoire du travail et de l'ingéniosité des meuniers d'autrefois.
Michel Salanié
Lire également ici l'histoire du couplage éolien/hydraulique des moulins de Bazin et de Laucate.
Avec la collaboration amicale et technique de LA PLANÈTE DES MOULINS, à Luzech dans le Lot https://www.museelaplanetedesmoulins.fr/ dont nous recommandons la visite.
Illustrations :
Photo du moulin de Laucate, vu depuis Saint-Gény: Michel Salanié
Photo de Baptiste Ricau aimablement communiquée par la famille Barbé
ette abeille du Rucher de Lectoure et cette cétoine dorée qui butinent sur le coteau de Rajocan, nous le disent.
- Foin des symboliques ridicules et des marques infâmes : le jaune est bon !
Ajoutons, bon et beau. Pour les autres rapprochements, glorieux ceux-là, le soleil n'est pas jaune, de plus il est déconseillé de le regarder en face. Quant à l'or, en lingot à l'ombre d'un coffre fort il ne nous intéresse pas. Finement ciselé, bijou se balançant sur le tendre modelé de la gorge d'une jolie fille, je ne dis pas. Il se rapprochera alors de toutes ces œuvres d'art de la nature semées par un bon génie sur notre chemin.
Lumineux, remarquable, chaud, resplendissant, gai, léger, vif... les adjectifs pour qualifier cette couleur dénotent l'émotion que le jaune provoque chez le promeneur avant même d'observer la forme, de rechercher le parfum, de se remémorer le nom de la fleur. Pour le parfum, nous ne pourrons rien pour vous. La forme, ces modestes clichés s'y essaient. Et puis nous avons fait cet agréable travail de recherche botanique pour nous donner le prétexte scientifique d'une petite ribambelle de fleurs de chez nous en livrée dorée.
Alinéas
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La fleur du Pissenlit ou Dent de lion, Taraxacum sect. Ruderalia, que nous mangions en salade cuite il y a deux alinéas à peine (voir ici) n'est pas une fleur mais un bouquet de fleurs ! Car, au bout de la tige creuse, la capitule rassemble jusqu'à deux cents fleurons ligulés (pétales soudés), qui donneront naissance chacun à un akène, sorte de parachute... que "je sème à tout vent".
Le Bouton d'or, Ranunculus repens. Principale vertu : permettait autrefois, au vu de son reflet blanc sur son menton, de deviner si notre petite amie, ou petit ami selon la préférence de chacun, aimait le beurre. Permettait en même temps et surtout d'approcher au plus près le minois convoité... Devenu inutile avec les méthodes modernes.
Cousine renoncule du précédent, la Ficaire, Ficaria verna, ou Herbe aux hémorroïdes (pommade à base des tubercules et de saindoux). Egalement nommée Epinard des bucherons, les jeunes feuilles se mangent en salade. Sans garantie https://cuisinesauvage.org/recipe/salade-de-ficaire-dagrumes/
Beaucoup plus rare, découverte, photographiée et aimablement autorisée par notre amie Isabelle Souriment : une Tulipe sauvage, Tulipa sylvestris. Un peu fanée, son jaune devient joliment mordoré.
Rose Mermaid (Sirène en anglais). Cultivar hybride de Rosa bracteata et d'un hybride de thé. Cette corolle simple peut faire passer cette belle sophistiquée pour une fleur sauvage, une sorte d'églantine qui ne rosirait pas sous le regard du promeneur effronté.
Une Araignée-crabe, ou Thomise, mime le jaune de cet Iris germanica, à l'affut de quelque proie attirée dans ce fascinant traquenard.
Mahonia faux houx, Berberis aquifolium, une sorte de Mimosa qui piquerait. Floraison précoce et très odorante. Lors de la visite d'insectes, le contact induit un mouvement des étamines qui se détendent et se rabattent alors vers le pistil en environ 1/10e de seconde. C'est l'un des mouvements les plus rapides parmi les végétaux (Wikipédia). Le jaune n'a pas de temps à perdre.
Certes, le Tournesol, Helianthus annuus, n'est pas un modèle de biodiversité, quand il ne pose pas de graves problèmes d'érosion pendant les périodes orageuses en raison du sol totalement nu à ses pieds, mais il faut reconnaître qu'il offre de magnifiques compositions et qu'il est souvent associé à la Gascogne dans l'esprit de nos visiteurs. Jaune pub.
Sur les vieux murs de la Mouline de Belin, Sedum reflexum, Orpin des rochers. Un nom commun qui viendrait du latin auripigmentum : de l'or en fleur.
Consoude, Symphytum officinale. Supposée cicatrisant et même accélérant la consolidation des fractures, d'où son nom vernaculaire. Originaire de l'ouest de l'Asie, elle s'est, en raison de ces vertus médicinales, répandue le long des chemins pèlerins (Symphytum peregrinum) qui en avaient bien besoin. De fait, installée sur les ruisseaux de Lectoure en importantes colonies. Famille de la Bourrache et du Myosotis.
La Grande chélidoine, ou Grande éclaire, Chelidonium majus, « grande hirondelle » en latin. Famille du coquelicot. Son latex est utilisé pour bruler les verrues.
La Giroflée, Erysimum cheiri, ou encore Violara en gascon en raison de son parfum de violette. Capable de transformer un vieux rempart négligé en cimaise.
Et pour finir, mais il y en aurait tant d'autres, la Coronille, Hyppocrepis emerus, dont les haies généreuses et embaumées conduisent le pèlerin de saint Jacques vers son étape au pied du clocher cathédral.
Le genre littéraire du roman historique connaît un lectorat divisé en trois catégories plus ou moins réceptives, dont deux peuvent aller jusqu’à renâcler à ouvrir le livre proposé. Dans la première catégorie, les lecteurs historiens, amateurs ou professionnels, a fortiori s’ils sont spécialistes de l’époque où se déroule l’action, seront méfiants, butant sur la première erreur ou sur un anachronisme insupportable. Le second segment, celui des liseurs... comment les qualifier ? romanesques ? sera parfois dérangé par le lien du récit avec la trame historique, souvent sujette à polémique voire à contradiction politique, empêchant la fiction de se développer et le plaisir de lire de s’installer totalement. Enfin, il y a les amateurs du genre, libres de toute référence et bon public, qui se laissent emporter par l’intrigue avec en arrière-plan un décor profond et dramatique créant l’ambiance, d’un réalisme plus ou moins familier, les lecteurs séduits par un roman dans le roman de l'Histoire.
Les exemples sont nombreux, et pour nous rapprocher de notre sujet du jour, dans le sous-genre saga, citons l’inépuisable aventure égypto-maniaque de Christian Jacq, ou bien Les enfants de la terre, succès planétaire et néandertalien de Jean M. Auel, et plus près de nous dans le temps, La rivière Espérance de Christian Signol, plus modeste mais si évocatrice pour tous ceux qui ont quelque racine en Dordogne.
Encore faut-il que le style soit à la hauteur de l’Histoire, celle qui s'écrit avec un grand H.
Sans doute son patronyme a-t-il conduit Alain Armagnac à situer sa saga en Gascogne. L’anthropo-toponymie, l’étude des noms de lieux dérivés des noms de personnes suggère effectivement que le substantif régional Armagnac viendrait du germain Hermann, romanisé en Arminius. Les Francs de Clovis ayant chassé les Wisigoths de notre région en l’an 500 et quelques, les historiens ont supposé qu’un lieutenant du premier roi de France nommé Hermann se serait vu, en récompense de ses exploits, déléguer la direction de la région conquise. Mais sans que le fait soit documenté, ceci autorisant toutes les fictions et cet auteur lui-même à proposer sa version, qu’il situe cependant cinq cents ans plus tôt. Pourquoi pas.
Alain Armagnac s’inspire d’un fait historique célèbre, documenté celui-ci, la vie d'Arminius le Germain.
Arminius, né vers 17 av. J.-C. et mort vers 21, est le fils d’un chef de la tribu des Chérusques, établie sur le fleuve Weser, au nord de l’Allemagne. Otage des Romains, il est emmené à Rome, éduqué et élevé à la citoyenneté romaine. Il devient membre de l’ordre d’élite équestre et revenu en Germanie en 9 ap. J.-C. aux côtés du gouverneur Varus, il trahit son protecteur, prend la tête de sa tribu, fédère les chefs germains et attire l’armée romaine dans un piège. La bataille de Teutobourg est le pire désastre militaire subi par Rome. Trois légions et leurs auxiliaires sont décimés. Varus et ses officiers se suicident. Les survivants sont emmenés en esclavage. Rome abandonnera durablement son avancée à l’est du Rhin, ce qui a fait pour les historiens nationalistes allemands, de cette bataille un évènement fondateur. Mais en fait, les Germains ne sont pas unis et Arminius sera plus tard assassiné par ses alliés.
L’éducation d’Arminius à Rome et son intégration à l’armée romaine fait inévitablement penser à Piso, le supposé roi des Lactorates, tribu gauloise établie dans notre actuelle Lomagne. Mais Piso, lui, n’a pas trahi son tuteur, au contraire. Il est mort au combat aux côtés de César, lequel lui rendra hommage dans La guerre des Gaules, ce qui nous le fit connaître. Et de ce fait, contrairement aux Chérusques de Germanie, les Lactorates seront considérés, sinon jugés, par l’Histoire comme "alliés" de Rome. Et Lactora pourra offrir le cadre du roman d’Alain Armagnac.
Mais auparavant, à la suite du massacre de Teutobourg et pour prévenir les représailles, le romancier fait transiter la fuite de la famille Arminius en Périgord, pays de Focilla, mère du héros et chamane de surcroît, dans la mythique "Vallée de l'Homme", où sera dissimulé le trésor de guerre pris sur les romains de Teutobourg dans la grotte de Commarque, devenue de ce fait vénérable, d'où le sous-titre du roman. Faire d'une bataille une renaissance... Toujours pour le symbole, dès l’installation du décor, l’auteur tente un rapprochement phonético-linguistique très osé en établissant un lien de parenté entre le fleuve allemand « Weser », berceau des Chérusques, et la rivière « la Vézère », sur laquelle se trouvent les sites préhistoriques de Lascaux, des Eyzies et de Commarque. Armagnac scénarise également une vertigineuse distribution des rôles, attribuant aux parents d’Arminius des origines géographiques extrêmes, mère Vascone côté Périgord, père né en Sicile, d’ascendance troyenne, belle-mère Ibère tendance Berbère, et beau-père Scythe venu des steppes d’Asie centrale ! Une Germanie interraciale. Un métissage dans l’espace-temps du récit, non pas impossible mais quelque peu accéléré. Passons.
Et notre Lactora dans ce monde antique observé par un esprit œcuménique, dans un espace pré-européen ? Direction le sud.
Alain Armagnac est Sarladais et, encore une fois patronyme oblige, il englobe le Périgord dans une grande Gascogne débordant largement au nord de la Garonne. Nous éviterons d’ouvrir un débat sur ce point de géopolitique historico-régionaliste. Il y faudrait une session universitaire. Et je sais quelques risques d’affrontements, doctes mais potentiellement partisans.
Pour finir de conduire le proscrit et sa famille au cœur de l’Armagnac, point d’orgue du récit et berceau de la saga qui se profile, Alain éponyme imagine un domaine dit "de la Baïse" à quelques bornes milliaires de la cité gallo-romaine de Lactora, l'antique Lectoure, pour y bâtir une villa. Nous y voilà. Cité et villa vasco-romaines faudrait-il me corriger, car l'auteur voit ou veut voir une Vasconie préexistant à la conquête par Publius Crassus, lieutenant de César, à cheval sur les Pyrénées, mi-ibérique, mi-aquitaine, même pas bousculée par les celtes qui n'auraient fait que passer, unie, radieuse et civilisée. Une autre disputatio universitaire en vue.
Pour choisir le cadre de ce refuge, on suppose qu'Alain Armagnac connaît et aime notre ville pour ne pas lui avoir préféré Eauze, pourtant capitale de la Novempopulanie, subdivision de l'Aquitaine gallo-romaine, et à sa porte, la villa de Séviac posée effectivement sur une berge de la rivière Baïse. C’est le droit le plus strict du romancier et en outre cela justifie notre chronique.
Le récit, au fur et à mesure de la construction de ladite villa rurale, fait une peinture de Lactora relativement conforme à ce que l’on sait. L’établissement à l’intersection de deux voies romaines, celle reliant Agen aux Pyrénées et au-delà, et la via Aquitania conduisant de Toulouse à Bordeaux. La colonisation par les vétérans de l’armée romaine, dont le beau-père d’Arminius, fait historique, peut se réclamer. L’organisation politique sur le modèle romain, le principe électif, les consuls, la monnaie à l’effigie d’Auguste, l’impôt prélevé par l’administration impériale, la Civita romana à rapprocher de la Res Publica Lactoratium gravée sur nos célèbres autels tauroboliques, auxquels Alain Armagnac ne fait du tout allusion d'ailleurs. Il y aurait eu là pourtant matière à romancer.
Faut-il faire remarquer, dans ce tableau antique, une anticipation d'au moins deux ou trois siècles à situer Lactora sur son éperon rocheux alors qu'on nous a enseigné que la ville romaine était installée dans la plaine de Pradoulin, sans remparts, grâce à la pax romana ? Là, j’avoue faire partie de la première catégorie des lecteurs qui focalisent petitement sur l’orthodoxie historique.
Pour compléter le décor offert par Lactora, l’auteur nous invente généreusement, des thermes, un gymnase, un forum, une école où l’on enseigne le latin, le grec, le droit romain, les sports olympiques, les belles lettres et l’art oratoire, autant de monuments et d’institutions que l’archéologie n’a pas situés et pourtant probables ou du moins possibles. Mais l’action ne s’y développe pas, ce qui aurait pu donner consistance à notre antique cité, et au roman aussi !
On devine dans le personnage du consul de Lactora, Publius, qui accueille le fils d’Arminius dans l’école lactorate, l'auteur lui-même. « Tout ce discours était destiné à faire comprendre insensiblement à Nelda (la compagne d’Arminius, NDLR) que s’il (Publius) apparaissait comme gallo-romain aux yeux de tous, il était Vascon et fier de l’être. En fait, l’avenir lui donnera raison puisqu’il n’est pas douteux qu’à travers l’histoire des deux derniers millénaires, ce vaste territoire a toujours montré son attachement à des mœurs où l’autonomie, la liberté, les décisions prises collectivement, un certain esprit de résistance et de laïcité, une langue ancienne qui se pratique encore des deux côtés des Pyrénées et que des habitudes culturelles, sportives, alimentaires et autres, bref, un certain art de vivre entre eux et avec la nature, sont encore observés de nos jours. »
Voilà une profession de foi sympathique mais pour le moins péremptoire, gasconnade à la Cyrano de Bergerac.
Le vocabulaire employé par Alain Armagnac est moderne, les tournures de phrases actuelles, ceci facilitant la lecture certes, toutefois jusqu’à la pauvreté. Au-delà des approximations et des hypothèses historiques, trop d’informations superficielles, dans des registres intéressants mais ici mal agencés, la place de la femme dans le système tribal, la préhistoire, la vie près de la nature, l’agriculture, la génétique, le chamanisme, les loups, la lithothérapie, la tannerie, tout à trac… troublent le développement de l'action romanesque au lieu de la servir. Lectoure cité gallo-romaine et creuset de civilisations aurait mérité mieux.
Lupus, le fils d’Arminius et de Nelda, épousera la fille du consul lactorate. Ils seront les géniteurs d’une dynastie, Les descendants d’Arminius, qu’Alain Armagnac suivra dans deux tomes supplémentaires : Loup le Vascon qui fréquentera Charlemagne et Juan l’Occitan qui croisera le fer pendant la guerre entre Armagnacs et Bourguignons. Mais nul lecteur, et pas plus le chroniqueur, ne sera contraint de suivre contre son gré une saga littéraire, fût-elle passée par Lectoure.
Alinéas
Arminius et le trésor de Commarque, Alain Armagnac, Ed. France Libris 2020.
Très romancées mais spectaculaires, l'histoire d'Arminius et la bataille de Teutobourg ont fait l'objet d'une série grand public diffusée sur Netflix. Voir la bande annonce ici : https://www.youtube.com/watch?v=dAfi16oMZVs
Illustrations :
Titre : Statue de jeune homme, parfois identifié comme étant Arminius. Musée Pouchkine Moscou. Wikipedia Commons / Shakko.
Arminius à la bataille de la forêt de Teutobourg, par Peter Janssen, 1873. Wikipedia Commons / Mharrsch.
Ce n'est pas une formule littéraire. Mais bien une évidence, une réalité dont la ville, ses habitants et ses gestionnaires, sont tout à fait conscients, il suffit de se le redire. Lectoure ne serait pas Lectoure sans ses ruisseaux, sans le Gers et sans notre vallée de Foissin, autrefois nommée le Saint-Jourdain ou encore les Ruisseaux, le riu correge, le ruisseau des corroyeurs. Le magnifique panorama à 180° qu'offre Lectoure, depuis les remparts ou de loin, naît de son histoire géologique et hydrologique.
Depuis le sud vers le nord, l'abbaye de Saint Gény, la ville gallo-romaine de Pradoulin, la zone industrielle, le chemin de fer, l'usine de traitement d'eau potable, l'agriculture, les moulins, l'artisanat médiéval... l"Histoire de la ville ne se résume pas en un tête-à-tête entre l'évêque et le vicomte de Lomagne, rue Nationale ou à l'abri des remparts.
On vit dans la vallée, on y travaille. Lectoure doit réapprendre ses vallées, les protéger pour se protéger elle-même.
Voici une sélection des photos projetées pendant la première des "Rencontres aux Ruisseaux" organisée par l'association des Amis de la vallée des Ruisseaux du 11 mars dernier.
En fait, je ne devrais pas commencer par la fin de la recette. Je prends le risque de vous déplaire. Mais la salade de pissenlit cuite que je vous propose est un accompagnement, et je voulais vous appâter dès l'abord avec le plat principal. Remarquez bien, tenir un œuf pour un plat, c’est déjà chercher la difficulté. Et puis le pissenlit, ça ne se trouve pas au rayon frais du premier supermarché venu, lavé, blistérisé, prédigéré. Comment faire ? Marcher dans la campagne ? Mon dieu, comment est-ce possible ?!
L’auteur des Brèves de comptoir* l’a révélé : « Pour les Parisiens, un œuf, c’est déjà un zoo ! ». Je vais quand même devoir vous proposer cette excursion sauvage et terriblement aventureuse : la cueillette du pissenlit.
Car la balade fait partie de la recette. Ce n'est d'ailleurs pas le moindre de ses intérêts. Si vous attendez un joli petit matin ensoleillé, ce que je peux comprendre, ne tardez pas trop tout de même. Notre recette se déguste entre hiver et printemps, avant que la plante ne fleurisse abondamment et lorsqu'elle est encore tendre. Marchez, respirez, écoutez la nature qui a tant de choses à vous dire. Y compris le silence. Ça titillera votre appétit.
Vous vous serez munis d'un couteau pointu. Car il faut aller chercher le collet de la plante et ne pas arracher ou découper les feuilles en vrac. Oui, je sais, je suis exigeant. La cuisine est un art. Une cérémonie.
Pour 4 personnes il faut compter un panier plein. Car à la cuisson, le volume va réduire considérablement.
Ici, se situe l'opération de tri et de lavage. Laborieuse mais une ou deux fois par an, c'est peu de choses en regard du plaisir qui se profile. Les champignons, les bigorneaux... ça se mérite. Retirer les herbes, les feuilles fanées... les limaces. Un zoo, je vous dis ! Séparer les feuilles de la racine au plus près du collet pour conserver la partie blanche et charnue (tout est relatif). Retirer les fleurs et les boutons de fleurs lovés au cœur de la plante. J'en connais qui réserveront quelques capitules de fleurs pour décorer. Des esthètes. Rincer avec au moins trois eaux, voire quatre.
Vous ferez blanchir la salade ainsi préparée dans un grand faitout d'eau bouillante environ 3 à 5 minutes. Passez et essorez entre les mains (eh oui...) de façon à obtenir une matière bien sèche. Hachez grossièrement encore que la présentation puisse gagner avec une feuille entière. Poêlez soigneusement avec un peu d'huile. Ail et sel. Disposez dans une assiette avec une vinaigrette au vinaigre balsamique.
Pour l’œuf à la poêle je n'insiste pas ?
Nous aimons bien cette préparation campagnarde avec des croutons et des pommes de terre sautées. Une tranche de ventrèche grillée et l'on frôlera le purgatoire.
Les vertus médicinales du pissenlit sont nombreuses et bien connues. Autrefois, on y allait tout de même un peu fort. Extrait de mon grimoire de 1759 :
La racine de pissenlit en amulette, du docteur Schmuck, je pense que ça devrait marcher encore aujourd'hui. Perso, je vais rester sur la salade cuite.
Alinéas
PS. Certains pratiquent la salade crue. Attention, bien laver pour éliminer les risques de douve du foie.
La gelée de fleur de pissenlit est un péché.
* Jean-Marie Gourio, un compatriote gascon, Néracais.
Depuis l'esplanade du Bastion, à l'origine ouvrage militaire comme son nom l'indique, remblayé et civilisé à coups de brouettes et de seaux au 18ième siècle par le petit peuple lectourois réquisitionné, donnant à ce grand vaisseau qu'est Lectoure une sorte de gaillard d'arrière, la chaîne des Pyrénées est un merveilleux décor, une terre lointaine à bâbord, un éternel Eldorado. Décor cependant capricieux, car il n’apparaît qu'à certaines conditions atmosphériques. Nous évitons de promettre ce spectacle à nos visiteurs qui pourraient n'y trouver, une fois parvenus devant la table d'orientation, heureusement témoignant de notre bonne foi, qu'un pâle horizon gris-bleu chapeautant les coteaux de Gascogne, panorama charmant certes, mais " rien d'extraordinaire ! ", au mieux un beau théâtre d'ombres chinoises. Et le lectourois qui ne connaît pas sa chance, ne pense pas toujours à sortir de son étroit carrelot, de sa rue trop Nationale ou de sa profonde vallée des Ruisseaux pour aller y voir lorsque que cela le mériterait. Sans compter que le dicton prévoit que les jours de grand spectacle annoncent la pluie à court terme...
Le géologue est moins romanesque et moins paroissial. Il situe l'évènement colossal de la naissance de la chaîne montagneuse entre 50 et 15 millions d'années, précision toute relative, qui refoule l'océan à la place que nous lui connaissons, le golfe de Lectoure - une appellation tout à fait scientifique et non pas une gasconnade de blogueur - devenant in fine le golfe de Gascogne. Un pays est né, lové dans l'arc garonnais, montagne, fleuve et océan se partageant les apports de sédiments qui feront sa richesse et ses multiples visages, d'est en ouest et du sud au nord, des terres à céréales lomagnoles jusques aux landes, des pâturages béarnais jusqu'aux géométriques alignements potagers et fruitiers du bas-pays.
Le poète Saint-Clarais Jean-Géraud d'Astros lui, et bien qu'écclésiastique, faisant partie de cette génération d'intellectuels de la Renaissance qui a cru ou voulu voir un ancêtre grec au gascon, sans doute pour s'affranchir du romain par trop envahissant et s'identifier au peuple soumis mais à jamais glorieux, situe dans la montagne le berceau de la race.
Episode de la mythologie grecque, les douze travaux d’Héraclès, fils de Zeus devenu Hercule chez ces copieurs de romains, ne comptent pas ce treizième exploit : l'érection d'un tombeau gigantesque en hommage à une belle éplorée.
Pyrène était la fille du roi des Bekrydes, peuple installé sur la côte languedocienne de la mer Méditerranée. Revenant de l'extrémité du monde connu après l'un de ses exploits, Hercule vint à passer par-là et le roi l'invita à sa table. Pyrène tomba amoureuse du bel athlète. Les deux jeunes gens passèrent quelques semaines idylliques sur les coteaux dominant la belle bleue, rêvant, comme tous les amoureux du monde, d'un avenir généreux : « Tu pourrais devenir berger et nous aurions le plus beau troupeau du pays » lui dit-elle. Mais l'étranger avait fort à faire. Le passage d'un vol d'oies sauvages le rappela au souvenir de son pays et il partit. Pyrène le chercha, se lamenta, hurlant désespérément dans la direction prise par Hercule. Pris de remords, celui-ci revint, mais trop tard. Pyrène était morte, de chagrin ou des blessures infligées par les bêtes sauvages, les récits varient sur ce point. Fou de douleur, Hercule fit un tombeau de fleurs et de feuilles à la belle martyre dans le secret de quelque vallée qui avait abrité leurs ébats. Et tout le temps que dura sa tristesse, il empila les rochers tout autour, donnant naissance aux montagnes qui portent depuis le nom de l'éternelle aimée.
Une légende joliment mise en image par notre Lactorate illustrateur, Pertuzé, qui aimait tant et pratiquait la montagne.
Les historiens s'accordent à considérer que le mot Pyrénées a bien une étymologie grecque. Par ailleurs, des comptoirs hellènes ont existé sur la côte languedocienne et sont toujours fouillés et étudiés sur la base d'infimes vestiges où il faut faire la part du grec et du romain, de l'hypothèse et de la preuve, d'Agde à Empúries en Espagne, Collioure et Port-Vendres (Port Vénus...) étant parmi les candidats à l'identification du site de Pyrène, port d'entrée du monde antique en Gaule. Migration, commerce, conquête...
Après cet épisode originel, notre montagne se voit attribuer par les historiens et les gouvernants de part et d'autre, une fonction de frontière à laquelle la prédestinait son profil allongé de la Méditerranée à l'Atlantique. Il fallut attendre le traité de 1659 signé entre Louis XIV et Felipe IV, roi des Espagnes, un pluriel englobant le Portugal, les Amériques, les Indes, la Sicile, les Pays-bas... donnant à cet outre-monts une profondeur aventureuse et dorée. « Les monts Pyrénées qui avaient anciennement divisé les Gaules des Espagnes seront aussi dorénavant la division des deux mêmes royaumes ». Le tracé de la frontière sur le terrain étant peu envisageable, on transigea sur la formule approximative « la crête des montagnes qui forment les versants des eaux », en s'accordant toutefois, heureusement pour nos fromages, sur le maintien des coutumes de pacage, "lies et passeries" pratiquées par les communautés paysannes installées à cheval sur le tracé théorique et aujourd'hui pointillé sur notre Géoportail national. Car il faut aussi dire l'histoire des peuples montagnards, basques, béarnais, andorrans, catalans... et leurs voisins des versants sud, dont les modes de vie sont relativement heureusement préservés grâce à l'isolement et l'altitude.
Mais l'herbe étant toujours plus verte ailleurs, cela n'a pas empêché les intrusions dans un sens et dans l'autre. Les Wisigoths abandonnaient leur royaume de Toulouse, y compris leur cantonnement de Lectoure, pour aller se sédentariser en Ibérie. Les Vascons les remplaçaient avant que les Francs et les Ostrogoths ne les repoussent dans leur repaire d'Euskadi, d'où ils infligèrent un cinglant Roncevaux à l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne, le nom de Gascogne persistant toutefois de ce côté-ci. Les Sarrasins ayant conquis Al-Andalus ne virent pas dans les Pyrénées un obstacle à poursuivre leur fantastique djihad. Enfin, les royaumes de Catalogne, Aragon et Navarre essaieront un temps, de concilier les versants nord et sud. avant que le traité signé par Louis et Philippe sur l'île des Faisans, située à l'embouchure de la rivière Bidassoa, à l'extrémité occidentale du massif, n'officialise la partition de l'isthme hispanique.
Je ne saurais oublier dans ce travelling historique notre maréchal statufié non loin du panorama pyrénéen mais lui tournant le dos pour regarder vers son futur tragique. Engagé le 20 juin 1792, en même temps que ses compatriotes Banel, Lagrange, Laterrade, Soulès... Jean Lannes a quitté Lectoure pour rejoindre le 2ième bataillon des Volontaires du Gers. La guerre dite du Roussillon voit la jeune République française résister à la coalition des forces espagnole, portugaise et anglaise. Blessé une première fois à Banyuls, Lannes fit dans les Pyrénées preuve d'exceptionnelles qualités de commandement qui lui ont valu sa rapide promotion.
On regrettera peut-être la superficialité de ces raccourcis. Le principe du carnet d'alinéas voulant que l'on ne s'éloigne pas trop de Lectoure. Mais à deux heures de route, il y aurait tant à raconter. Les Pyrénées sont une riche chronique où se côtoient l'homme de Niaux (Magdalénien, 13 000 ans), le gallo-romain de Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges), le "parfait" cathare de Quéribus, le pèlerin de Saint-Jacques montant depuis Saint-Jean-Pied-de-Port vers Roncevaux pour basculer vers Pampelune, et la petite Bernadette agenouillée devant la grotte de Massabielle, traduire "la vieille roche" on y revient, à Lourdes, mondialement vénérée.
Enfin, on peut aussi vouloir oublier mythologie, religions, faits de guerre et autres nationalismes. Aujourd'hui, une simple balade dans les Pyrénées offre au citadin bordelais ou toulousain, et au Lectourois qui veut excursionner au cœur du paysage qui lui sert d'horizon les jours de grand clair, un plein d'énergie et un moment de sérénité. S'il est difficile de nos jours de randonner, y compris dans nos campagnes, sans se frotter désagréablement à quelque zone, pavillonnaire ou industrielle, sans longer une route nationale voire une autoroute ou quelque cheminée démesurée, après avoir été passage migratoire, commercial ou guerrier, les chemins de Pyrène semblent pouvoir nous conduire, s'il le fallait, au dernier refuge.
Alinéas
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Pour les amoureux des vues de Lectoure sur fond de Pyrénées, nous recommandons vivement les photos grand format, tirage papier à encadrer ou plaque prête à accrocher, de Damien Leroy, photographe rue Nationale.
Courriel : studio.leroy@orange.fr
Tél. 05 62 68 82 83.
ILLUSTRATIONS :
- Couverture de l'album de Pertuzé, Pyrène, Ed. Loubatières
Pertuzé a également illustré les 4 volumes des Chants de Pyrène 1981-1984 Ed. Loubatières.
- Carte postale de Port-Vendres, collection particulière