A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
Ce sont les plus surprenantes balades. Celles où l'on se perd sur les chemins familiers, marchant à l'estime ou à l'écoute des bruits de la nature, si feutrée cependant, jusqu'à l'odorat, autant de sens délaissés auxquels il faut se confier, redevenu sauvage par la force des éléments. Saluer en frémissant cette silhouette sortie de nulle part, trop proche dans cet espace réduit et toutefois si vite et si mystérieusement évanouie. Etait-ce un songe ? Une âme ? Un voisin peut-être ? La ville elle, n'a jamais eu cette apparence évanescente et ne ressemblera plus à cela même dans quelques secondes, comme si l'on voulait effacer la trace de ce théâtre vaporeux et fantasque, de cette symphonie en flou majeur. Il n'y a pourtant pas un souffle de vent. Qui se joue de nous ? Un soleil à toiser, comme une lune façon lampadaire, voire comme baudruche emportée par un souffle de crachin. Tout est plus fragile, et de fait, précieux. Moins de détail, moins d'environnement rend chaque chose, ce viel arbre, cette compagnie de chevreuils, unique et jubilatoire. Une bête inquiétude et la froidure humide sur le visage poussent à allonger le pas lorsqu'une glissade tout juste rétablie impose au contraire d'assurer son équilibre. Rechercher un horizon, un cadre, comme une main courante dans la houle. Par temps pandémique, faute d'ondée alizéenne, de toute façon moins mystérieuse, trop colorée, trop zouk, la balade dans le brouillard lectourois est une bordée exotique à deux pas de chez soi. Un tour de magie gargantuesque. Un rêve tout éveillé. Inestimable.
Nous avons révélé dans un précédent alinéa les origines de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure. Créé par la commanderie bretonne du Saint-Esprit d'Auray au 14ième siècle, installé à l'emplacement de l'actuel hôtel des Doctrinaires, cet établissement a probablement été doté à l'origine par le vicomte de Lomagne soucieux de respecter ainsi la première des obligations du bon chrétien, la charité. Puis, nobliaux ou bourgeois, les lectourois plus ou moins fortunés également désireux d'assurer leur vie éternelle, ce qui n'est pas exclusif d'une pure générosité, ont complété progressivement le domaine du Saint-Esprit.
Il faudra aménager ce bâtiment et ses dépendances, les entretenir, et louer ce qui peut l'être, en particulier le domaine agricole, afin de générer des revenus réguliers permettant de loger, nourrir et soigner les malades et les pauvres, qui sont légion à l'époque, et de rémunérer les hospitaliers laïcs.
Les comptes de l'hôpital, Condes de l'espitau deu Sant Esperit de Laytora de 1457 à 1558 * nous sont parvenus et sont une source précieuse d'informations sur la vie, non seulement de l'établissement charitable, mais également celle de la ville elle-même. En 1457, le comte Jean V est surtout préoccupé par sa relation orageuse avec Louis XI. Cependant, il reçoit les délégations des représentants de la ville dans l'église Saint-Esprit, probablement du fait de sa capacité d’accueil et peut-être pour éviter d'ouvrir la porte de son château.
L'hôpital lui, est géré par deux bourgeois élus pour un an, les gouverneurs, sous le contrôle des consuls de la ville. Cette situation n'est pas spécifique à Lectoure. L'ordre du Saint Esprit a, dès l'origine, sollicité ce contrôle laïc et ce parrainage dans ses maisons, pour libérer les hospitaliers de cette tâche, et sans doute afin d'intéresser la collectivité et se mettre sous sa protection. Mais en même temps, un trop grand nombre d'établissements a été créé, dispersé en France et dans les royaumes voisins, et il semble que les effectifs religieux soient insuffisants voire absents. A Lectoure comme dans toutes les villes, les municipalités vont donc devoir prendre le relais lorsque l'ordre du Saint-Esprit sera défaillant.**
Jugeons-en. Le premier état des lieux dressés par les gouverneurs de l'hôpital en 1457 est éloquent :
Il fut trouvé dans la chambre où dorment les pauvres quatre couettes de petite valeur
- quatre traverses de peu de valeur
- trois couvertures de lit de peu de valeur
- cinq ciels de lits de bois dont deux neufs et les autres de peu de valeur
- deux petits bancs de bois
- deux tables à quatre pieds de cœur de chêne de peu de valeur
- 23 draps desquels 7 étaient bons et les autres de peu de valeur
- deux coffres, un avec clef, l'autre sans clef ni couvercle,
- un tonneau de bois assez bon
- trois vieilles cuves de peu de valeur
- une serpillière bonne
On le voit la capacité de l'hôpital est très limitée et le mobilier réduit à l’extrême. Les instruments de cuisine sont évoqués l'année suivante : un vieux chaudron... une canette d'étain et une crémaillère... Il n'y est aucunement question de pharmacie ou de médecine.
On estime que la capacité du Saint-Esprit s'est élevée plus tard jusqu'à vingt à trente lits.
Il faut à l'origine, voir dans cette institution essentiellement un lieu d'accueil, un refuge pour les indigents, plus qu'un établissement de soins. Le terme ospital en vieux français ou espitau en gascon étant d'ailleurs traduit indifféremment par hôpital ou hospice.
L'hôpital, appelons-le ainsi, a des revenus agricoles que les deux gouverneurs enregistrent sur le livre de compte et réclament en temps et heure aux débiteurs. Parmi les terres de rapport nous relevons Navère, Lesquère, les Pierres-blanches (autour de notre actuel quartier des Justices), Boulan, Mourenayre, des vignes à Cardès, Manirac et Corn, à Ricarde sur la rive gauche du Gers, une plantation de saule pour la vannerie, aubareda que es dela Gers etc... Les loyers sont payables en nature bien sûr. Le vin et les céréales sont revendus pour être consommés sans délai. La céréale conservée pour la consommation de l'hôpital est stockée dans la même pièce que les draps, non pas par manque de place mais parce que ce sont tous deux des biens précieux qu'il convient de surveiller et que la pièce est choisie pour son hygrométrie. A une époque où les bâtiments sont humides et froids, le problème de la conservation alimentaire est difficile.
L'hôpital est également doté de matériels et de locaux dont ne disposent pas les petits exploitants et auxquels il facture son utilisation : pressoir, chai, greniers pour le séchage des noix ou d'autres récoltes... Mais le local du pressoir est souillé à plusieurs reprises, par les moutons du Sénéchal puis les chevaux des pauvres (pauvres mais cavaliers !).
Le Saint-Esprit est copropriétaire du moulin de Repassac, en partage avec l'évêque et le comte, avec le seigneur de Galard, officier de Louis XI, après le siège de la ville et la fin de la maison d'Armagnac. Il reçoit à ce titre du meunier son quota de farine tout au long de l'année. Mais il faut régulièrement remplacer les meules. Une meule coûte 1 écu, 13 gros 1/2 (le gros vaut 16 deniers tournois). Ceci est une preuve s'il en fallait, de la dotation originelle noble de l'hôpital Saint-Esprit qui est également copropriétaire pour un cinquième d'une ferme, lo bordiú, que nous ne localisons pas.
Les donations se poursuivent, plus ou moins importantes. Nous reçûmes d'Arnaud Guilhem Depossi trois couettes et trois traversins neufs, sans plume.... Il fut donné par certaines autres personnes de la ville, deux serpillères et deux draps assez bons. Si l'établissement d'accueil paraît sommaire, mais il faut resituer ces données à l'époque, les revenus sont donc conséquents. Ainsi, les gouverneurs peuvent-ils faire entretenir le matériel et les bâtiments. Les cuves sont recerclées à neuf... On achète de la graisse pour colmater le bois du pressoir, des clous pour latter le toit... L'équipement destiné à l'accueil et aux soins des pauvres et des malades lui-même est complété. Nous dépensâmes et payâmes au tisserand qui fit le drap... nous achetâmes une cruche et un cruchon pour tenir l'eau pour les pauvres... et 22 livres de plume. Nous achetâmes de Gayssion Foassin deux canes de rousset pour faire une robe (robe de bure) à l'hospitalière à 11 gros la cane.
L'hôpital n'est pas dispensé de l'impôt : 1 écu, 2 gros au titre de la taille versée aux consuls de la ville en 1458.
Ceux qui viennent mourir à l'hôpital espèrent bénéficier d'une sépulture, au plus près de l'église, qui leur assure, ils l'espèrent, d'être présentés au jugement dernier. C'est une des missions essentielles du Saint-Esprit. Or, pour la remplir tout à fait, l'hôpital devra régler le prix de la messe funéraire de l'indigent au chanoine titulaire de la chaire du Saint-Esprit ! Tout se monnaie et le clergé séculier ne fait pas de cadeau.
Nous fîmes faire des draps de lit que nous donnâmes à l'hospitalier pour les mettre aux lits des pauvres en plusieurs fois, 6 draps et un linceul pour un jeune homme qui était mort à l'hôpital ; coût 30 livres de lin et d'étoupe données pour l'amour de Dieu, que nous fîmes filer à 3 liards par livre, total 15 gros.
Les morts laissent en général leurs biens à l'hôpital qui les a soignés. Un bâtard, fils adultérin de quelque noble qui ne s'est pas fait connaître, laisse son cheval. L'hôpital l'adopte pour son service et pour cela lui fait fabriquer un bât. On suppose que s'il eût été destrier et de valeur, on aurait plutôt choisi de le vendre. Ailleurs, une morte lègue son champ, un autre une maison.
Le Saint-Esprit gère plusieurs petits hospices répartis sur son domaine eux-mêmes qualifiés "espitau". Ainsi voit-on apparaître dans les comptes, des dépenses pour l'hôpital Nostra Dona de Correge c'est-à-dire Notre Dame des corroyeurs, que nous situons approximativement dans l'actuelle vallée de Foissin, ruisseau un temps nommé "riú correge" avant que "Saint-Jourdain" puis "Ruisseaux" ne s'imposent. Les dépenses concernant cette annexe reviennent souvent et sont conséquentes (37 journées de deux âniers et leurs bêtes pour y porter de la pierre !). On y accroche une lanterne (coût : deux gros). Les dames y font la quête, ce qui laisse supposer un potentiel important, dira-t-on aujourd'hui en langage de marketing, à rapprocher du calme de l'actuel quartier des Ruisseaux.
Le Saint-Esprit gère également l'hôpital Saint-Jean de Somonville, parfois dit "Saint-Jean d'Abrin", rive gauche du Gers. La maison dite "À espitau" est proche de la ferme de Saint-Jean de Somonville, qui existe toujours aujourd'hui et qui appartiendra dans les dernières années du 15ième siècle à Manuel et Jean Despitau. Un nom de famille qui laisse supposer que l'on est en présence de descendants d'un pensionnaire de l'hôpital ayant progressivement pris possession de ce domaine. Les comptes précisent effectivement que la terre y est louée à la commanderie d'Abrin située au sud de La Romieu, travaillée par un cagot, descendant de lépreux et attaché au Saint-Esprit, et que les deux hôpitaux sont "unis". Nous sommes-là sur le domaine de l'ordre de Malte, peu actif à Lectoure sauf pour prélever la dîme, qui a délégué au Saint-Esprit la gestion de cette annexe et sa mission hospitalière.
Le Saint-Esprit installera également un hospice dans les environs du ruisseau de Bournaca, dit Espitau de Santa-Ribeta, dont nous savons peu de choses. Pour le construire, on vend les terres de Boulan. Rapport : 13 écus pour un premier versement.
Ce processus de création d'annexes est caractéristique de l'époque. L'hôpital va vers la population qui ne peut pas se déplacer que ce soit pour bénéficier de son secours ou pour contribuer à son financement. Le Saint-Esprit ne peut pas espérer remplir sa mission en restant intramuros. De même que l'église installe des oratoires et des chapelles pour rassembler une population disséminée sur un grand territoire, et drainer des prébendes il faut bien l'avouer, l'hôpital investit les campagnes en s'appuyant sur son domaine et sur les donations dont il bénéficie. Cependant, cette dispersion des moyens ne favorisera pas son efficacité.
Les charrois de toute sorte coûtent très cher à l'hôpital. Le pays est étendu et le relief escarpé. Pour un transport de pierres et de charpenterie, il faut louer jusqu'à trois paires de bœufs. La charrette et les conducteurs en sus. L'hôpital ne peut pas se contenter, comme le fait certaine noblesse, d'entretenir son périmètre. Les pauvres (entre 20 et 40% de la population) et les malades sont nombreux et l'entreprise est colossale.
L'hôpital du Saint-Esprit est en relation avec les autres hôpitaux de la ville et l'on se rend des services. " Il fut pris de l'hôpital Sainte-Catherine du Pont-de-pile un cent de tuiles que nous devrons leur rendre". En effet, les comptes du Saint-Esprit démontrent l'intense activité charitable de Lectoure. Parce que la misère règne et, il faut le redire, parce que le message des évangiles interprété par le clergé est comminatoire. La ville dénombre une demi-douzaine d'hospices, à La Peyronelle sur le chemin de Saint-Jacques, au Castanh, au faubourg Saint-Jacques et un autre Saint-Jean... et là encore, on peut s'interroger sur les conséquences de la dispersion des efforts.
Les pèlerins, nombreux, souvent malades, handicapés ou épuisés, ont recours à la charité de l'hôpital. Mais la lèpre et toutes sortes de maladies que l'on craint contagieuses amènent les consuls à interdire l'entrée des étrangers en ville. Le Saint-Esprit fait alors construire à ses frais une cabane au-dessus de l'hôpital Saint-Jacques, au faubourg, avant la barbacane de la porte d'entrée est.
Mais les religieux, les hospitaliers et les gouverneurs de l'hôpital ne sont pas isolés. La charité est l'affaire de tous. Chaque année "las damas", évidemment bourgeoises, parmi lesquelles certainement les épouses des gouverneurs et des consuls qui doivent apporter leur écot à l'engagement généreux de leurs maris et ainsi tenir leur rang, procèdent à la "quête du fil". La quête en monnaie sonnante et trébuchante ne rapportant que peu, les dames charitables quêtent également du fil qui permettra la confection de linge. On file dans toutes les maisons, qui pourrait refuser ? "Nous dépensâmes et payâmes au tisserand qui fit le drap du fil qu'on avait donné aux dames pour l'amour de Dieu : 9 gros". On quête à pâques, le vendredi saint, à la saint Martin, les dimanches, les dames mais également les hospitaliers, rémunérés pour ce faire. Et certains bénévoles à tour de rôle, mais les gouverneurs sont amenés à leur payer à boire ! sans doute un jour de grande chaleur. On quête à Pentecôte bien sûr, la fête de l'Esprit saint et ce jour-là, par décision papale, jusque sur le territoire de monseigneur l’Évêque. Concurrence...
Si l'hôpital génère une certaine activité économique, il semble que ce soit pour une part en circuit fermé. Le livre de comptes fait apparaître que les débiteurs sont souvent également créanciers. Cependant, quelques achats de produits introuvables sur place conduisent des commissionnaires à se déplacer, engageant une dépense exceptionnelle, à Toulouse pour un couvre vitre (?), le livre de compte lui-même, il n'y a pas de papetier à Lectoure, et encore, à la foire de la saint André, quatre couvertures, ou à Layrac pour une meule dite de Buzet...
Malheureusement les détournements de fonds charitables ne sont pas un dévoiement réservé à notre époque moderne. L'histoire est racontée par le docteur de Sardac, ancien maire de Lectoure dans son Étude sur l'assistance publique à Lectoure aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, déjà citée. La clôture des comptes annuels de l'hôpital donne lieu à des agapes rassemblant gouverneurs et consuls. Certaines assemblées sont très raisonnables, d'autres dépensent allègrement et de façon disproportionnée en regard du budget général. En 1497 on mangea un repas digne de Pantagruel, des oies, des œufs, des épices, du mouton, une salade de viande, des tartes, du lait caillé, de la fressure de chèvre, tout ceci arrosé de vin blanc et rouge. Le tout pour 1 écu et 2 gros, soit un mois de dépenses générales de l'hôpital et la moitié de ce qui est donné aux malades sur une année !
Sont-ce ces errements, le désintérêt croissant de la bourgeoisie pour la religion ou bien le besoin de fédérer les bonnes volontés ? le 16ième siècle verra la reprise en mains de l'ensemble des activités charitables par l'église. Dès 1535, un Bureau des pauvres présidé par l'évêque contrôle les comptes des gouverneurs de l'hôpital et l'ensemble des activités charitables des consuls. En 1566, délabré, l'hôpital au nord-est de la ville est abandonné. Les pauvres et les malades sont regroupés au quartier Guilhem Bertrand (au sud de la ville). En 1656, sous le règne de Louis XIV, les hôpitaux généraux sont institués pour régler de façon autoritaire le problème de la mendicité. L' hôpital refuge devient asile d'internement. Un recul sur le plan de l'évolution de la santé publique qui s'exprime dans le dicton "C'est l'hôpital qui se moque de la charité" tant les deux systèmes étaient dans le même état d'indigence sur le plan des connaissances et de la pratique de la médecine. A Lectoure, il faudra attendre encore un siècle (1758) pour que la construction d'un hôpital digne de ce nom débute à l'emplacement du vieux château des comtes d'Armagnac et un siècle de plus pour qu'il soit totalement achevé. Avant l'avènement de la médecine moderne, la mission que s'était donnée Gui de Montpellier en 1180 et la présence bicentenaire de l'ordre du Saint-Esprit à Lectoure ont toutefois, pendant deux siècles, permis de soulager les maux de générations de malades, estropiés, indigents, femmes seules, orphelins et pèlerins. Il faudra évoquer les hospitaliers qui ont consacré leur vie à cette œuvre admirable.
A suivre.
Alinéas
* Comptes de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure, 1457-1558, transcription et traduction d'Elie Ducassé, Société Archéologique du Gers.
** Une autre analyse existe pour expliquer cette gestion municipale : " Nous voyons à cette époque (1320) les édiles des communes (nouvellement crées) et les Sénéchaux (lieutenants du Roi) obtenir droit de regard sur les hospices et hôpitaux, institutions d'Eglise et amorcer un glissement continu qui aboutira au statu civil actuel." Osmin Ricau, Histoire des cagots.
ILLUSTRATIONS :
- L'hospice, Jacques Caillot, 1617.
- Cadastre napoléonien, Lectoure section de Navère, www.archives32.fr
- Un comptable au travail. Lettrine du compte de Mathieu Regnault, receveur général du Duc de Bourgogne pour l’année 1426-1427. Archives départementales de Côte d'Or.
- Calendrier du Rustican, 1306. Pietro de Crescenzi. Juillet et octobre.
- Sépulture, Ordre charitable protestant de Saint Jean , ville de Weibensee, détail.
- Dimaire de l'ordre de Malte, 1782, Archives de Lectoure.
- Le banquet du paon, Le Livre des conquêtes et faits d’Alexandre, vers 1446. Musée du Petit-Palais, Paris.
olitaire souvent, quelque peu hautain, toujours remarquable, que ce soit au soleil, dans la brume ou par grand vent, il cultive son allure. Rassemblé avec quelques congénères, devisant dans les airs sans se soucier du menu peuple, il dresse une cathédrale de verdure, aristocratique et puissante. Puis, cheminant à la queue-leu-leu, il tend de souples drapés, ondulant gracieusement tout au long du ruisseau, divisant le vallon en deux, sol y sombra, comme un théâtre de plein air dont il est le génial premier rôle.
Cependant, planté au cordeau pour être dressé à servir l'industrie, il paraîtra plutôt soumis et raide comme un enfant de troupe. A l'âge adulte, cette armée deviendra compacte et impressionnante, abritant dans ses rangs obscurs des escouades de rapaces et de sangliers.
Enfin, gracieux, semblant fragile, la littérature lui prête souvent des attitudes féminines.
Peuplier d'Italie ou peuplier noir le plus souvent, bien que le premier n'existât pas dans le paysage du temps des chevauchées de notre bon roi Henri de Navarre*, il est l'un des arbres totémiques de Gascogne. Les myriades de petites vallées perpendiculaires aux rivières qui descendent du plateau de Lannemezan, parmi elles le Gers, lui offrent une terre riche et humide et, contre les vents parfois colériques d'autan et de Bayonne, la protection de coteaux versants profonds. De tradition séculaire, son bois léger a fourni aux paysans-bâtisseurs la volige qui dort sous la tuile canal et la longue poutre faîtière des bordes et des granges postées sur les collines depuis les Pyrénées jusqu'à Garonne. Patiné de cire par des générations de ménagères, au cœur de la bâtisse, le plancher de peuplier offre au pied nu chaleur et souplesse. Malheureusement, hors exploitation forestière, aujourd'hui on le néglige, le laissant trop vieillir et parfois basculer misérablement dans le ruisseau, ce qui n'est pas bon pour les berges. Il est aussi accusé de soulever le macadam et d'envahir les canalisations. On prévient sa chute à proximité des maisons. Les charpentiers préfèrent désormais s’approvisionner auprès de la grande distribution, en différentes espèces souvent importées d'Europe du Nord et d'Amérique. Pour n'avoir pas prélevé les sujets matures au fil du temps, il faudra abattre sans ménagement des compagnies de géants qui fourniront à vil prix l'industrie de la pâte à bois ou entreront dans la fabrication de vulgaires panneaux de particules. Alors, le promeneur découvrira le désastre et un paysage lunaire que le prochain orage ravinera, transformant les sentes dénudées en de vagues traînées boueuses. Triste fin. Salut l'artiste.
Heureusement notre arbre ne se laisse pas définitivement abattre... Il recèpe et drageonne abondamment. Il croît rapidement et l'on peut espérer, en quelques années, retrouver l'ombre frémissante de son feuillage, la neige mousseuse de ses graines au vent printanier, l'or de sa livrée d'automne et, pour les connaisseurs, le goût subtil d'une fricassée de pholiotes, bouquet gourmand cueilli à l'étal de sa souche.
Au pied de Lectoure, entre Tulle et Boulouch, avant qu'on ne l'y cultive intensivement, il régnait là naturellement de toute antiquité, au débouché du Pont-de-pile, au lieu-dit ayant hérité de son nom gascon, Au Bioule. Des milliers de pèlerins ont quitté la ville en direction de Santiago sous la bénédiction de ses rameaux agités d'un souffle de vent. Dans le sens inverse, sans message, Pertuzé y figure l'arrivée d'André Gide dans un magnifique dessin déjà reproduit dans ce carnet, le lactorate illustrateur prouvant encore une fois sa très fine perception de l'environnement de sa ville. Je trouve personnellement que si l'on soigne beaucoup, et à raison, nos remparts, nos monuments, nos kilomètres de routes et de chemins communaux, il y a là une facette de Lectoure qui mériterait d'être aménagée. Une promenade dans la peupleraie au bord du Gers participerait au charme de notre ville, qui doit beaucoup à la rivière et à la vallée soit dit en passant, historiquement et économiquement, au moins autant qu'à ses sommets qui ont aujourd'hui le privilège d'être au sec.
Pour les amateurs de pharmacopée, le peuplier se voit attribuer un certain nombre de propriétés tisanières, modestes en général au point qu'un grimoire du 18ième siècle précise qu'il "apaise l’inflammation des hémorroïdes surtout si on y ajoute de l'opium". C'est sûr. Cependant, indirectement, le peuplier est l'un des fournisseurs les plus généreux d'une médication naturelle précieuse : la propolis. Cette cire fabriquée par les abeilles pour bâtir et protéger leur habitat contre les envahisseurs et les maladies est le produit d'une macération par l'insecte d'une résine qui protège au printemps les bourgeons de certains arbres et tout particulièrement ceux du peuplier. Antibiotique, riche en oligo-éléments, récoltée par les apiculteurs sur les cadres de la ruche, la propolis est commercialisée à l'état brut, à mâcher, ou bien transformée et conditionnée en spray, gélule, infusion... pour lutter contre les petites affections de l'hiver et prévenir certains l'espèrent ... le Covid ! Voilà notre artiste évaporé, cassant, encombrant, mauvais combustible, se révélant finalement utile là où on ne l'attendait pas. Il suffisait de monter mettre le nez là-haut, sur son fragile bourgeon.
Enfin, le peuplier a inspiré la mythologie, on y revient toujours, pour la morale de l'histoire, et la poésie. A la mort de leur frère Phaéton, imprudent fils du soleil, tombé dans la rivière après un prétentieux rodéo céleste -déjà à l'époque !- les Héliades ses sœurs, sont inconsolables. Leurs larmes se transforment en ambre et elles-mêmes se changent en peupliers.
Des arbres qui chantent et dansent dans les nuages ne pouvaient pas ne pas inspirer nos anciens. Et nous également.
Alinéas
* Monluc et sa piétaille gasconne ne l'ont même pas ramené de leurs campagnes d'Italie successives sous Charles VII, Louis XII et François 1er. Certains attribuent l'importation du peuplier d'Italie à Napoléon ! Et donc possiblement dans la sacoche de notre maréchal lectourois. Ce qui confirmerait le sens esthétique de Napoléon. Mais ne lui attribue-t-on pas trop ?
ILLUSTRATIONS :
Les photos de peuplier sont nombreuses et souvent spectaculaires, poétiques et très graphiques en même temps. Pour sélectionner les peupliers de Gascogne, il suffit de faire l'expérience de lancer une recherche sur Google Images. Saisir sur le champ de recherche [ Pierre-Paul Feyte / peuplier ] du nom du fameux photographe de Saint-Puy aujourd'hui exilé dans le Lot. Le résultat est surprenant. Notre premier alinéa de la rubrique Beaux-arts avait sélectionné, avec son aval, celle-ci, digne d'un Pizzarro.
Vivaient là quelques moines laborieux, nés dans les familles du pays, exerçant les mêmes métiers que leurs pères, modestes agriculteurs, éleveurs, charpentiers et artisans. Le domaine qui avait été cédé à leur Ordre par un puissant seigneur comprenait également des terres à l'entour, des fermes, des bois et un moulin. Chaque année les fermiers apportaient une part de leur récolte au monastère. Ils n'étaient ni plus ni moins bien traités que ceux qui vivaient sur les terres des co-seigneurs de Lectoure, le vicomte de Lomagne et le seigneur-évêque. Mais celui-ci et son clergé n'appréciaient guère la présence des moines car l'Ordre bénéficiait de privilèges accordés par le Pape de Rome. Ils avaient bâti leur propre chapelle où leurs gens venaient écouter la messe et autour de laquelle on les enterrait, ce qui privait l'évêque d'un peu de son prestige mais surtout d'un précieux revenu.
Cependant, les moines vivaient chichement, reversant strictement les bénéfices du domaineà leur maison-mère. Cet argent collecté auprès de tous les domaines de l'Ordre sur le territoire du royaume de France et partout en Europe où il avait été généreusement doté par la noblesse, constituait un trésor colossal qui permettait de mener la guerre en Orient pour protéger des razzias des mahométans les pèlerins partis se recueillir sur le tombeau du Christ.
Or, un jour, un moine-chevalier revenu des royaumes chrétiens d'Orient arriva à Lectoure. Vieux, meurtri et las de faire la guerre, il était chargé par l'Ordre de développer le domaine et ses revenus, du moins l'espérait-on. Mais lui vivait dans ses souvenirs faits de batailles, victoires et défaites confondues. Il donna au ruisseau traversant le domaine le nom de Saint Jourdain, au vallon courant jusqu'au Gers celui de Vallée de la bataille et au monastère lui-même celui de Naplouse. Peu lui importait l'opinion des habitants, des consuls et des seigneurs de la ville. Sans grand savoir ni grand intérêt en matière d'agriculture, son action pour développer le domaine fut surtout de bousculer chaque matin les moines avant l'aurore. Il avait perdu le sommeil et menait son monde comme à la bataille. Puis, alors que chacun s'activait prudemment à sa tâche, lui passait de longues heures à méditer, le regard lointain, mystérieux et sombre.
Il avait amené avec lui de Palestine une servante, fine et brune comme une sébile de brou de noix jetée avec bonheur sur un parchemin. Le chevalier parcourait le domaine du monastère, au pas de son cheval, dans sa grande cape blanche frappée d'une croix rouge, la fille le suivant au loin tirant d'une flûte qu'elle tenait de façon tout à fait inhabituelle, des mélodies étranges et lancinantes. Parfois, impatient, il la renvoyait brutalement. Sans s'émouvoir, elle retournait dans le parc où elle soignait des fleurs étonnantes qu'elle avait rapportées avec elle, rose de Damas, tulipe et cyclamen.
Les enfants de la ville étaient attirés irrésistiblement par l'étrangeté du lieu et de ses occupants. Se faisant la courte échelle pour passer au-dessus du mur d'enceinte, ils observaient la servante au milieu de ses fleurs, attendaient que le chevalier s'éloigne et se glissaient dans le verger pour chaparder quelque fruit mûr, filant à la première alerte. Le moine-chevalier poussait alors un rugissement terrible, faisant tournoyer à deux mains un grand bâton comme son glaive autrefois et les enfants une dangereuse bande d'ennemis. Mais, observant de loin la débandade et s'assurant du retour à l'isolement du monastère, il souriait dans sa barbe et, de son côté, la servante penchée sur son ouvrage s'amusait devant la scène répétée inlassablement comme une ritournelle.
Cette retraite bucolique, un peu triste mais sereine, ne devait pas durer.
Quelques mois avant l'évènement que nous allons rapporter, le moine-chevalier reçu plusieurs dépêches, portées par de mystérieux coursiers. Il devint encore plus secret et irascible. Alors, une troupe de cavaliers à l'insigne de la fleur de lys se fit ouvrir à grand bruit la porte du monastère. Le moine-chevalier dût les suivre et l'on n’entendit plus jamais parler de lui.
Alertés par le chahut de l'altercation et par les cris de la servante, violentée par les soldats pour avoir voulu retenir le chevalier, les moines avaient déguerpi. Les uns au plus près, cachés dans les rochers de Cardès, ceux qui avaient de la famille à proximité dans quelque grenier et enfin, les plus religieux dans les monastères voisins appartenant à d'autres ordres où ils avaient pu troquer leur bure pour une autre.
Pendant trois jours et trois nuits, par dessus le grand mur d'enceinte, les habitants du faubourg entendirent la servante se lamenter et jouer des airs sinistres répétés à l'infini. Le troisième jour, le silence le plus profond régnant sur le monastère, les enfants revinrent prudemment à pas comptés et escaladèrent en silence le grand mur. Là, au milieu de ses roses de Damas, de ses tulipes et de ses cyclamens, ils virent la servante qui gisait sans connaissance. Alors, les enfants la tirèrent à l'abri et pendant plusieurs jours se relayèrent pour lui tenir compagnie, lui apporter à manger ce qu'ils chapardaient ou économisaient chez eux sur leur propre pitance pourtant maigre. Enfin, l'un d'eux, d'une branche de sureau évidée, confectionna un flutiau à la façon des bergers et se mit à jouer des airs du pays de Gascogne. Alors, la servante, de sa flûte se remit à jouer, hésitante au début puis de plus en plus en cadence avec son petit professeur de fortune, comme une renaissance, comme une joyeuse médecine.
Chaque jour, les enfants de Lectoure venaient de plus en plus nombreux écouter la musique frénétique, les uns tambourinant sur quelque tronc d'arbre, les autres faisant la ronde autour des deux musiciens. Au point que les autorités de Lectoure, consuls, capitaine du vicomte et l'évêque en personne décidèrent d'intervenir. On ne pouvait pas prendre le risque que cette femme, sans maître et peut-être même sans religion firent remarquer certains, attire les enfants loin de leur famille, qui sait pour aller où ! Cette flûte était un instrument infernal et envoutant. Elle fut jetée au feu. Emprisonnée dans les caves du château, la servante du moine-soldat fut oubliée. D'elle non plus, on n'entendit plus jamais parler.
Le parc existe toujours. Je connais certains garnements qui y pénètrent par une brèche ouverte dans le grand mur. Et là, depuis tout ce temps, fleurissent chaque année les roses de Damas, les tulipes et les cyclamens de la servante du moine-soldat.
Un conte quelque peu inspiré à la fois par Oscar Wilde, "Le géant égoïste" et de la légende rapportée par les frères Grimm, "Le joueur de flute de Hamelin".
Un conte mais... Si elle est méconnue, la présence des Templiers à Lectoure est attestée.
Le 13 octobre 1307, par une incroyable rafle policière, dans toute la France, Philippe le Bel faisait arrêter les chevaliers du Temple. Pour leurs mœurs fit-on savoir. Pour leur trésor plus sûrement. Certains le cherchent encore. Mais la richesse du Temple tenait surtout à son organisation centralisée, efficace et entièrement dévouée à sa mission. Plusieurs centaines de chevaliers furent enfermés et torturés de longues années avant de connaître un procès uniquement à charge. Beaucoup périrent en prison, d'épuisement ou exécutés en secret. D'autres dont le dernier maître Jacques de Molay, montèrent sur le bûcher. L'immense domaine de l'Ordre fut dépecé avidement par le roi de France et l'Eglise de Clément V, premier pape en Avignon et frère du vicomte de Lomagne.
Reste la légende du moine-soldat. Restent la grande croix rouge et le ruisseau de Saint-Jourdain qui court au pied du parc du Couloumé.
Ce carnet l'a maintes fois démontré, les moulins occupent dans la société médiévale une position essentielle. La meunerie est un privilège de la noblesse, d'épée ou d'église. Les paysans attachés au domaine seigneurial doivent impérativement moudre leur blé au moulin banal. Sur le plan des moyens de communication et partant de la sécurité des campagnes et des villes, offrant un gué, une digue ou un pont, le moulin est un point de passage stratégique. Naturellement, la culture céréalière et la meunerie assurent une grande part de l'approvisionnement alimentaire de toutes les classes sociales. Enfin en temps de guerre, la destruction ou l'occupation du site par l'ennemi peuvent mener rapidement à la défaite. Pas de farine et c'est la famine à courte échéance. Il faut relire (ici), le surprenant récit de l'opération commando du gascon Montluc contre le moulin d'Auriol qui alimentait l'armée de Charles Quint en Provence. Lors du siège de Lectoure par l'armée de Louis XI en 1473, et alors que la ville n'a jamais manqué d'eau potable, il est tout à fait probable que la neutralisation des moulins au pied de la citadelle ait joué un rôle dans sa reddition, bien qu'aucun témoin de l'évènement ne nous le rapporte sous cet angle.
Deux cents ans plus tôt, les Coutumes de la ville attestent que l'activité meunière occupait déjà une place importante, ici en matière d'ordre public et de finances locales, ceci allant souvent de pair. A cette époque, la meunerie est donc affaire noble et l'on se soumet par la force du système féodal au paiement du droit de mouture, qui assure au seigneur l’approvisionnement de sa maison, et l’excédent une part importante de son revenu numéraire. Mais le travail et la gestion du moulin au quotidien sont délégués au meunier, homme lige qui prendra de plus en plus de poids dans le système au point de devenir indispensable et par là-même, sans doute parfois avide. Le meunier n'est pas aimé (voir son portrait ici), les litiges se multiplient où le seigneur ne peut être juge puisqu'il est également partie. Ici va intervenir le pouvoir municipal qui tient son autorité des Coutumes.
Les Coutumes de Lectoure ont été accordées à la ville de longue date et progressivement par ses trois co-seigneurs, le vicomte de Lomagne, l'évêque et le roi, alternativement de France et d'Angleterre. Certains historiens n'hésitent pas à en faire remonter l'origine à l'époque gallo-romaine, invoquant, à titre de preuve écrite, la mention Res Publica Lactoratensium relevée sur les autels tauroboliques du II ième siècle, mais ceci est une autre histoire. Partout en France et en Europe au Moyen-Âge, on voit dans ce développement de l'influence de la bourgeoisie citadine impatiente d'intervenir sur l'organisation et la gestion de la ville, les racines des évolutions politiques de la Renaissance et du 18ième siècle.
Les Coutumes régissent un grand nombre de situations juridiques telles l'élection des consuls et des juges prudhommaux, l'exercice de la police et de la justice, la contribution des citoyens à la guerre, les péages, la présence des étrangers, le droit civil, l'héritage, la prévention de l'incendie, les ordures et les autres nuisances, les coups et blessures, le commerce, la viande, le vin, les produits précieux, sel, cire et suif... On le voit, il y a là un véritable arsenal juridique, impactant toutes les situations de la vie courante, évitant ainsi de s'en remettre à l'arbitraire de la justice seigneuriale.
Tout à la fois privilège noble, source de revenu essentielle et cause de litiges, l'activité meunière fait évidemment partie des domaines où les consuls de Lectoure ont voulu intervenir. L'article 91 des Etablissements et usages qui complètent les Coutumes dispose que les habitants de la ville sont tenus de faire peser leur blé "a las mazos assignadas on son los pes", aux instruments de mesure règlementaires dira-t-on aujourd'hui,probablement dans la maison commune, notre halle municipale.
Ainsi pense-t-on éviter la contestation toujours possible sur la quantité de céréale apportée au moulin et sur la farine restituée par le meunier.
Bien sûr, l'opération de pesage est assortie d'une taxe, et son non-respect d'une sanction, les consuls se dotant à cette occasion d'un important moyen financier supplémentaire. A Lectoure comme ailleurs, les coutumes sont à l'origine de la fiscalité des collectivités locales qui, si les moulins ont arrêté de tourner, n'a pas fini de se développer, au gré de l'inventivité et de la détermination du législateur, ceci dit pour ne désigner personne en particulier.
Mais qui sont les habitants sur lesquels pèse cette règlementation ? Les limites communales attendront le cadastre napoléonien et la circonscription de l'obligation de pesée de la céréale instituée par les Coutumes doit donc être précisée. L'article 91 trace un périmètre que l'on peut considérer comme la première définition de la juridiction municipale de Lectoure: " E totz habitans e habitayrit[z] de Laitora stans dintz los termes dejus scrius, so esassaber: del Pont de Pielas entro Peyras albas, e de Peyras albas entro l'ariu d'Antin ayssint cum s'en debara entro lo goan de sober lo molin de Sent Ginni, e dequi assinc cum s'en deuara lo Giers entro on lo riu dé Santz Jordan entro el Giers, e dequi entro la molia de R. S. de Galin aissint cum lo prédit riu maua, e de la dita molia d'en R. S. d'Engalin entro a Peyras albas".
Ce que l'on peut traduire ainsi en reportant les repères sur une carte contemporaine.
Mais pourquoi ne pas avoir été au-delà de cette limite hydrologique ? Parce que ce serait empiéter dangereusement sur les domaines seigneuriaux ruraux, outre Gers, vers le Castéra, Plieux et Fleurance et provoquer un casus belli. La préoccupation des consuls est d'asseoir raisonnablement leur autorité sur la ville, intra-muros et à peine un peu plus, au pied du promontoire, en fonction de leur capacité physique de police et de justice. Les ruisseaux des Balines (d'Antin à l'époque) et de Foissin (Saint-Jourdain) et le Gers sont, au 13ième siècle, une sorte de zone industrielle qui dépend économiquement de la ville et réciproquement. Etendant son autorité au-delà de ses remparts, Lectoure intègre ainsi les habitants des écarts de Saint Gény, du Pont de piles et du quartier des Ruisseaux, ceux du faubourg aussi bien entendu mais il n'y a pas encore de moulins à vent aux Justices. La ville fait surtout porter sa juridiction sur les moulins à eau eux-mêmes, qui, bien que restant sans doute pour l'essentiel la propriété éminente des seigneurs, se voient soumis, et les meuniers exploitants avec, à l'autorité civile, au moins sur ce point de la lutte contre la fraude et de la sécurisation des transactions.
Ce périmètre de juridiction de l'article 91 nous pose toutefois un problème de toponymie. Nous ne savons pas si la mouline dite par le texte "de R.S. de Galin" correspond à l'une des moulines du quartier des Ruisseaux, peut-être la mouline de Roques par rapprochement phonique avec la commune voisine de Larroque-Engalin, ou bien en amont, à la mouline de Belin qui devait exister à l'époque mais sous un autre nom, le patronyme Belin apparaissant au 16ième. Ceci ne change pas le tracé du périmètre d'autant que l'article 91 précise que le ruisseau est concerné intégralement pour autant qu'il puisse moudre (aissint cum lo prédit riu maua), s'assurant ainsi de couvrir l'établissement d'un éventuel nouveau moulin, magnifique formule de précaution et d'anticipation de l'emprise coutumière. Raymundus Sans d'En Galini* que l'on pense être le propriétaire de ce moulin, qui n'est pas qualifié de noble, exemple précoce peut-être de la montée en puissance de la bourgeoisie meunière, est consul de Lectoure en 1273. Son nom sert à donner une date à la rédaction des Etablissements annexés aux Coutumes, ou tout au moins à celle de l'art. 91.
Depuis les moulines du ruisseau de Saint-Jourdain et le moulin de Repassac, comme une bretelle entre le périmètre et le cœur de ville, l'actuel chemin de la Mouline perpendiculaire à la côte de Pébéret et aboutissant au bastion du château, était appelé à cette époque la peyrahariera, le chemin farinier. Ceci peut nous paraître aujourd'hui romantique mais il faut imaginer le va-et-vient incessant et laborieux de mulets et de garçons meuniers pour alimenter la citadelle. Pas encore de permis de conduire, de police d'assurance, de code du travail ou de contribution économique territoriale, mais avec l'article 91, le processus administratif est bien en marche.
Alinéas
* Les trois orthographes sont rapportées : de Galin, d'Engalin et d'En Galini.
ILLUSTRATIONS :
- Titre : Illustration tirée de l'armorial de Guillaume Revel, vers 1440. Bourg de Bellegarde.
- Seigneur jurant devant les consuls d’Agen de respecter les libertés et franchises. Bibliothèque d’Agen, Livre des statuts et des coutumes de la ville d’Agen, XIIIe siècle.
- Carte Géoportail - plan M. Salanié
COUTUMES, ETABLISSEMENTS et USAGES de LECTOURE rapportés par Paul DRUILHET :
aut-il pour peindre ses semblables aussi justement être leur sœur ? Faut-il être homme pour découvrir à chaque belle rencontre que le mystère et la grâce se nourrissent l'un l'autre ?
Je connais ces femmes. Une jolie grand-mère partie trop jeune. L'amie perdue de vue dans les méandres de la vie. Et cette inconnue qui ne m'a pas regardé mais dont le visage me poursuit.
Swan Scalabre est née en Provence et vit aujourd'hui en Lomagne. C'est sans doute, parmi de nombreuses sources d'inspiration, ce qui donne à ses ciels cette puissance et à ses personnages cette authenticité. Bergères, promeneuses du soir, amies partageant quelque secret, âme solitaire ou patiente... Il y a du réalisme dans cet impressionnisme. Une paix intérieure dans ces horizons tempétueux.
- Vous souvenez-vous de ce jardin clos ?
- Reviendrons-nous un jour sur ce chemin finissant si loin du monde ?
Mais il est vain de vouloir partager une émotion. Seul le poète s'y essaie. Encore doit-il invoquer Dieu et de ce fait avouer sa propre ignorance. Invoquer le parfum des roses, le vent et l'abîme.
Alinéas
Merci à Swan Scalabre pour son aimable accord sur ce choix d’œuvres.
" Les commémorations du centenaire de 1918 ont célébré beaucoup de choses, mais pas le fait qu'il s'agissait d'une victoire militaire de la France. Les programmes scolaires n'abordent pas non plus cette vérité, insistant sur le ressenti du Poilu, son «expérience combattante», ses sentiments. Victorieux, il n'est pourtant considéré et célébré que comme victime, un «malgré-lui» avant l'heure. De la guerre, de l'état-major, etc... C'est qu'il ne fait pas bon être vainqueur. Désormais, le seul statut reconnu et valorisé est celui de victime."
Fatiha Boudjahlat
Enseignante, essayiste, co-fondatrice du mouvement Viv(r)e la République.
e jovial guerrier emportant la chèvre qui fera le prochain méchoui de sa section, porte un casque du modèle "assiette à soupe" fourni par l'armée britannique et arbore la fameuse djellaba rayée des goumiers marocains de l'armée française d'Afrique, intégrés aux troupes alliées débarquées en Sicile et à Naples en 1943.
A peine vingt-cinq ans, une génération, après l'héroïque charge de la Force noire dans les tranchées des Ardennes, son armée d'Afrique permettait à nouveau, à la France sèchement défaite en 1940, de tenir sa place au combat, en Italie, en Provence, en Alsace, passant le Rhin et repoussant l'ennemi nazi dans ses retranchements jusqu'au Danube. Menés par des officiers parlant l'arabe et le berbère et intégrés au Maghreb profond depuis la pacification de la période Lyautey, respectant leur religion, condition absolue pour asseoir leur autorité, jusqu'à partager leur mode de vie et porter la même djellaba qu'eux, les goumiers marocains et les tirailleurs de l'Afrique française du Nord sont le fer de lance du Corps Expéditionnaire Français en Italie (CEFI).
A la suite de leur incroyable percée sur les monts Aurunci, contournant le monte Cassino, dans le cadre de la bataille du Garigliano, les goumiers du général Juin, ouvraient la route de Rome aux alliés, bluffant le commandement américain. Le général allemand Kesselring lui-même écrivit « Les Français et surtout les [goums] Marocains ont combattu avec furie et exploité chaque succès en concentrant immédiatement toutes les forces disponibles sur les points qui faiblissaient». Les cimetières français de Rome et Venafro abritent les stèles musulmanes, juives, animistes et les croix chrétiennes de 6 255 hommes, soldats, sous-officiers et officiers, réunis dans la mort, l'honneur et la victoire.
Dix ans plus tard, à nouveau mis à contribution, les goumiers seront en Indochine, pour résister au communisme international. Mais l'armée française a du mal à se déplacer dans un pays où la cartographie est incomplète et où l'état du terrain et des voies de communication est sans cesse perturbé par le climat tropical. Elle intègre donc à nouveau des partisans indigènes, en particulier ceux des ethnies thaï, muong et nung, hostiles au communisme et à l'influence chinoise. Non seulement ils répondent à l'attente du commandement français, mais ils se révèlent d'extraordinaires combattants. Le commando des "Tigres noirs" de l'adjudant-chef Vandenberghe était parmi les troupes craintes du Viêt Minh. Mais cela ne suffira pas et après le départ de l'armée américaine qui aura succédé aux français, ces combattants se retrouveront souvent parmi les boat people, fuyant la dictature communiste.
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Lectoure a la responsabilité d'entretenir un cimetière où sont enterrés 73 soldats du 141ième bataillon de tirailleurs sénégalais, morts à l'arrière en 1919, de la grippe espagnole pour une part, mais également d'autres pathologies et de leur affaiblissement dans les mauvaises conditions de leur hébergement. Ils sont honorés de la mention "Mort pour la France".
Chaque année, à l'initiative du comité de Lomagne du Souvenir Français, en relation avec les associations de descendants de ces combattants venus non seulement du Sénégal mais aussi de différents pays d'Afrique noire de l'empire colonial français, Mali, Soudan, Bénin, Guinée, Côte-d'Ivoire... une cérémonie leur rend justement hommage. Dans les nécropoles militaires des deux guerres mondiales, les sépultures des milliers de soldats venus d'Afrique et d'Asie, côtoient celles des combattants originaires des régions de France hexagonale, toutes races et toutes religions confondues.
Pour Pierre Vermeren, Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, "les Africains avaient quelque chose de chevaleresque, ils se battaient sans discuter, obéissant aveuglément à leurs chefs. Il n’y a eu aucune reculade. Ils faisaient l’admiration du commandement français, c’est pour cette raison qu’ils ont été couverts de médailles. C’étaient les meilleurs soldats qui soient".
Le souvenir collectif ne peut occulter les questions du peu de reconnaissance accordé aux hommes venus se battre aux côtés des français de France, de leur difficile intégration dans la nation et de l'injuste restriction de leurs droits par l'administration, jusqu'à leur terrible sacrifice enfin pour les harkis d'Algérie honteusement abandonnés par décision gouvernementale à la vengeance de leurs frères de race. Mais s'il y a un temps pour le débat et la réhabilitation, il faut d'abord et indéfectiblement entretenir celui de l'hommage aux combattants, rescapés et morts au feu réunis.
Les tirailleurs, les goumiers, les partisans n'ont pas été enrôlés de force. Bien sûr, la guerre déclarée, la nation mobilise, sans discussion possible, dans les colonies comme en métropole. Mais qu'on ne s'y trompe pas, au fur et à mesure de ses avancées coloniales, la France a toujours reçu le renfort des tribus soumises, fournissant des hommes par tradition voués au combat, fiers de porter l'uniforme français et déployant dans l'action de grandes capacités guerrières. On ne fait pas monter une troupe à l'assaut des lignes ennemies par la contrainte. Ces africains et ces asiatiques ont choisi la France et se sont donnés à la patrie avec toute la vaillance qu'on leur connaît.
Victoires et défaites confondues, les cérémonies du souvenir les honorent.
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" En visite au front, je rencontre à Epernay les tirailleurs sénégalais.
Une jeune fille me remet un bouquet de fleurs".
Georges Clémenceau.
* L'expression « malgré-nous » désigne les Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht, armée régulière allemande, durant la Seconde Guerre mondiale. Substantivée, elle est utilisée plus généralement pour qualifier des recrues que l'on estime enrôlées contre leur gré.
Axel Kahn, décédé récemment, n'était pas un littérateur. Très engagé dans son époque, médecin, généticien, il fut parmi de nombreuses autres fonctions et successivement, directeur de Recherche à l'Inserm, président de l'université Paris-Descartes, président de la Ligue nationale contre le cancer... un personnage ! Connu du grand public pour ses qualités de vulgarisateur, son humanisme, son engagement politique à gauche, il est cependant aussi essayiste à succès dans son domaine de compétence scientifique qui le conduit naturellement à aborder des sujets philosophiques et de société. Enfin, randonneur au long cours. C'est ainsi qu'il passe à Lectoure en 2013, à l'occasion d'un voyage en solitaire imaginé pour inaugurer sa retraite. Axel Kahn, 69 ans, parcourt en trois mois la France en diagonale, sur 2000 kilomètres ! Il relatera cette aventure dans un ouvrage "Pensées en chemin, ma France des Ardennes au pays basque". Il fallait évidemment dans notre galerie de portraits d'auteurs ayant connu ou évoqué Lectoure un marcheur de grands chemins. Il en passe tant. Celui-ci à beaucoup à raconter, de déserts en renaissances économiques, de merveilles de la nature en cicatrices dans le paysage, de pensées profondes en anecdotes drolatiques. Il nous permet de mieux connaître ce passant furtif avant qu'il nous arrive, du côté de la Croix-rouge et ce qui l'attend, lorsqu'il nous quitte au petit matin.
Kahn fait partie de ces chemineaux qui pensent en marchant, ou qui marchent pour penser ce qui revient au même mais relève toutefois d'une double et profonde intention, repassant le film de leur vie, réussites et échecs, joies et douleurs, questionnement toujours, espoirs encore. Et de nouvelles belles découvertes sont au bout du chemin, ou au coin de la rue, ici avant de traverser le Pont-de-Pile en l'occurrence. "Je ne connaissais pas Lectoure mais en avais entendu parler comme d'une petite ville attachante méritant une visite et avais donc décidé d'y faire une halte d'une journée, la dernière avant la fin de mon périple. Ce fut là une décision dont je me réjouis aujourd'hui". Voilà qui commence bien. On ne sait pas qui a conseillé au célèbre randonneur de faire étape chez nous, mais il y a fort à penser que le Bleu de Lectoure dont la notoriété était faite et rejaillit toujours aujourd'hui sur la ville, y a été pour quelque chose. En tout cas, après avoir découvert évidemment la rue Nationale, les remparts, les comtes d'Armagnac et notre maréchal, Axel Kahn descend la côte du Marquisat pour rejoindre l'ancienne tannerie, sur le bord du Gers, qui a été de 1994 à 2016, le creuset de la renaissance du bleu de pastel.
On ne fera pas dans cette rubrique Littérature, l'histoire du Bleu de Lectoure qui occupe dans le livre d'Axel Kahn pas moins de trois pages (!) et auquel chacun pourra se reporter. Bel hommage que l'on doit bien sûr au caractère exceptionnel de l'aventure artisanale d'Henri et Denise Lambert, à la place du pastel dans l'histoire de France, histoire que commente à sa façon Axel Kahn tout au long de son périple, et hommage que l'on doit peut-être enfin au talent de conteuse d'une certaine conférencière que les milliers de visiteurs de la tannerie du Pont-de-Pile, touristes, clubs du troisième âge, scolaires, pèlerins... ou le célèbre chemineau donc, ont écouté sous le charme. Conteuse dont il nous semble reconnaître la trame sous la plume d'Axel Kahn.
Généticien, homme public, administrateur, Axel Kahn présente un style de rédaction disons cartésien. Bien que la nature, les éléments, les sentiments y aient leur part, la plume est directe, sujette aux élans, à la poésie ou au subjectif, mais plutôt toujours guidée par l'analyse et tendant à la pédagogie. Pour répondre aux nombreuses questions sur le sens de son échappée solitaire, celles des journalistes, des participants à ces conférences programmées sur le parcours, de ses hôtes, ses amis et même sa famille, Axel Kahn invoque la quête du beau. "Il apparaît probable que la capacité à ressentir le beau, inductrice de celle à le créer, ait joué un rôle essentiel tout à la fois dans la socialisation des humains et dans l'accroissement de leurs capacités cognitives, deux processus liés. C'est là d'abord une qualité qui est à l'origine de l'artiste-artisan, au centre des processus civilisationnels. L'émotion partagée fait lien et est un important facteur de cohésion sociale. Par ailleurs, la perception du beau est à l'origine d'une diversification des motifs de l'action. Celle-ci est déterminée bien sûr, par l'intérêt et les besoins chez tous les animaux, y compris les humains. Cependant ces derniers peuvent aussi faire des choix car un projet, une idée a cette qualité de ce qui provoque l'émotion esthétique. Il existe de ce point de vue une relation évidente entre le sens moral et la reconnaissance du beau".
Partir de l'économie pour parvenir à la morale en passant par le beau, voilà un compliment, un cheminement qui vaut de l'or pour tous les savoir-faire artisanaux, parmi lesquels celui du pastellier. Bleu émotion.
Kahn n'est pas croyant. Élevé dans la religion chrétienne, scout, tenté même par la prêtrise, il dit avoir perdu la foi à l'adolescence, "radicalement [] sans m'en réjouir ni m'en désoler". Mais il conserve cependant toute sa vie le regard et la pratique des valeurs chrétiennes. Et sur son chemin, le plaisir de jouir des paysages où l'espérance naît et renaît indéfiniment. L'émotion pour guide. Après avoir traversé le nord du pays, touché par la récession économique, la Champagne de son enfance et la Bourgogne, opulentes, et avant de choisir le chemin du Puy-en-Velay, parce qu'il est balisé et accueillant pour le randonneur, pèlerin ou non, Kahn admire Vézelay, la "colline inspirée" selon le mot de Maurice Barrès, lieu où souffle l'esprit. "Il existe bien sûr une dimension purement esthétique à cette émotion : Vézelay est sans conteste l'un des plus beaux endroits du monde, par son village, le site et la basilique. [] On sait que la disposition du bâtiment et de ses ouvertures a été pensée pour qu'opère la féérie du solstice d'été lorsque des flaques éclatantes de lumière se projettent avec une parfaite régularité sur le sol de la nef, témoignant de la perfection de l'univers divin et de la richesse de l'homme, la créature à son image. Il y a plus, cependant, qui fait que l'incroyant dont je suis un exemple est saisi par ces lieux aussi bien que le fidèle. [] ... l'émotion évoquée ne procède pas seulement [] de la beauté incroyable des œuvres mais aussi de l'atmosphère globale qui se dégage d'elles et des lieux où elles se trouvent".
Nous aurions aimé faire quelques pas aux côtés d'Axel Kahn, et surtout l'entendre, lorsque, parti au petit matin fringuant d'Auvillar, déjeunant à Castet-Arrouy, sous les marronniers, dans un restaurant bien connu des lectourois, sur une jouissive "nappe de soleil", et parcourant entre le Petit-Vaucluse et la Chapelle les derniers mètres de l’étape du jour, il pouvait admirer une autre colline, Lectoure posée sur le camino borné de son clocher-tour, dominant le Gers et la vieille tannerie du Pont-de-pile.
ALINEAS
Axel Kahn, Pensées en chemin. Ma France, des Ardennes au pays basque. Ed.Stock 2014.