Publié le 24 Février 2023

ici

 

 

«Les feuilles d'un noisetier tremblent sous le vent : rien n'est plus pur que cette clarté d'un feuillage, éparpillée en mille éclats contraires. Rien n'apaise plus que l'humilité de ces feuilles tendres, soumises sans réserve au déluge des lumières. Elles parlent une langue suave, traversée de silence.»

                                                                      Christian Bobin

 

 

remière fleur du printemps, dans ce petit froid dont on avait perdu l'habitude mais pourtant si naturel et ma foi pas désagréable s'il n'y manquait pas la pluie nourricière, il prend la suite des guirlandes de Noël à peine rangées dans les cartons. Il les remplace avantageusement, sans comparaison possible à mon goût. Ribambelles de chatons dorés alignés sur ses faisceaux de branches mouchetées montant à l'assaut des remparts de Lectoure, dans les jardins et les friches entremêlés, et jusqu'à la rue de la Barbacane. Laissez faire la nature, la ville redeviendrait très vite le domaine de l'écureuil, du pic-épeiche et du campagnol. C'est rassurant.

noisetier -cathédrale lectoure- rue barbacane - biodiversité

 

Sur les chemins que l'on a bien voulu laisser courir en tout sens sur nos coteaux, discrète et précieuse réserve botanique, il alterne avec le cornouiller sanguin, le nerprun, l'épine noire et l'églantine, chacun y allant de sa ramure et de sa floraison à son rythme, comme un concert où les solistes font entendre leurs différences pour briller pendant quelques mesures et parfaitement s'accorder au finale.

Le noisetier est la vedette de nos chemins en ce moment. Bouquets de franges mordorées oscillantes au moindre zéphyr. Ces tresses gracieuses sont les fleurs mâles. Pour observer la fleur femelle, il faudra s'approcher très près et observer attentivement. Ressemblant d'abord à un banal bourgeon à bois, elle développe quelques stigmates rouges. Le vent coquin s'en mêlant heureusement, le pollen dégagé par les chatons parviendra à destination sur ces charmants attraits colorés, éloignant au passage les humains allergiques qui n'ont d'ailleurs rien à faire dans cette histoire, privée bien qu'exposée au grand jour...  Bien sûr, c'est cette fleur femelle pollinisée qui deviendra noisette, ou bouquet de deux ou trois coques qui se développeront jusqu'à l'automne.

noisetier - chaton - fleur femelle - pollinisation
Au dessus d'un groupe de chatons, fleurs mâles, deux fleurs femelles d'un beau rouge carmin.

 

Mais remontons quelque peu dans le temps. Quelque peu à l'échelle géologique, car c'est au Miocène, entre 23 et 5 millions d'années seulement, que les paléobotanistes font remonter l'origine de la famille des Coryloïdées, dont le noisetier est le seul représentant tant ses caractères spécifiques le distinguent des autres membres de l'ordre des Fagus, hêtre, chêne, aulne, bouleau. Nous avons déjà tiré ici le portrait d'un vénérable ancêtre végétal : la prêle, présente dans le paysage du Dévonien, soit il y a 400 à 360 millions d'années ! Non, beaucoup plus près de nous, le pollen du noisetier retrouvé dans les tourbières prouve que notre sujet a "seulement" connu les glaciations du Quaternaire (subdivision du Miocène), lorsque les premiers hommes venus d'Afrique se sont fait surprendre par le refroidissement, mais mon dieu !  trouvant le pays agréable, y sont restés quand même. Il suffisait de s'adapter. Ce qui fait la qualité première de ce cousin du singe que nous sommes... Et précisément, le noisetier va entrer dans la panoplie de notre lointain ancêtre.

sous-bois noisetiers - arbrisseau - bouquet - buisson
Sous-bois de noisetiers sauvages

 

Le noisetier est un arbrisseau, c'est à dire qu'il ne dépasse que très rarement la taille de 7 mètres. Il pousse en buisson, donnant naissance chaque année, à partir de la base de sa touffe, à de nombreux rejets adventifs. Ayant besoin de lumière et d'eau, le noisetier se tient à la lisière de la forêt et en bordure des ruisseaux. Les sous-bois de noisetier ont donc certainement été le site de prédilection des tribus préhistoriques. Accessible et de dimension modeste, son bois va pouvoir être prélevé et travaillé aisément par Homo Sapiens. Sa forme rectiligne, sa souplesse en font un matériau idéal pour les palissade, charpente de hutte, lance, arc et flèche... flèche polynésienne plus près de nous, dans le fabuleux territoire de mon souvenir, entre Quercy et Périgord, fabriquée et projetée par certain garnement-scout, le bonhomme faisant simplement pivoter le béret pour passer d'une tribu à l'autre.

noisetier-chasse-arme-préhistoire-art pariétal
Scène de chasse de cerfs. Vers 6000 av.J.C.

 

Moins guerrier, la baguette de coudrier, précisément une fourche, plonge aux mains du sourcier, par magie, sur l'emplacement ainsi désigné de l'eau souterraine, sachant que le périmètre de recherche préalablement choisi est déjà remarquable pour sa végétation abondante et typique des terrains humides... Serais-je incrédule ? Aujourd'hui le coudrier du sourcier est remplacé par du métal, laiton, acier, ou cuivre, voire par de la matière plastique ou composite ! Finalement je préfère la magie.

D'autres héros ont choisi le noisetier pour instrument de leur office : les dieux Thor et Odin, Mercure ayant perfectionné la chose jusqu'à fournir à la médecine son caducée dressant les serpents, mais selon les récits il y a ici concurrence avec le laurier et l'olivier. Et encore Merlin l'enchanteur, Saint Patrick, une kyrielle de pèlerins de Saint Jacques et leurs bourdons, une autre de garçons-meuniers poussant leurs mules à la trique, Sibylle Trelawney, professeur de divination d'Harry Potter, Petit Gibus et sa bande etc... Avec le sureau dont nous avons parlé ici, le noisetier est bien l'arbrisseau tutélaire de l'Ouest européen.

Bien sûr, la noisette, j'y viens, dont la maturité précède opportunément l'entrée dans la saison froide, présente le très grand avantage de pouvoir être conservée. Riche en lipides, en protéines, en amidon, en sels minéraux et en vitamines, mais ça Homo sapiens ne pouvait pas le savoir, ce fruit est un aliment de grand intérêt. C'est encore aujourd'hui un ingrédient de choix pour une alimentation de l'effort, pour une pâtisserie à la saveur originale et pour la confiserie... mmm !!! Lectoure est bien dotée sur ce terrain-là. Née en 1965, la maison Carayon cultive la noisette sur 6O hectares et propose ses produits : farine, huile, pâte à tartiner. A découvrir ici https://www.maisoncarayon.com/. Au pays gascon, la noisette ne quitte pas le béret.

maison carrayon lectoure - noisettes  - huile - pâte -farine

 

Au bord du ruisseau de Foissin, les noisetiers sauvages dressent leurs tiges bien trop haut, et portent leurs fruits trop dispersés, pour que l'on puisse espérer y faire une vraie récolte. Mais il y a là, et cela nous réjouit, un garde-manger essentiel pour tous les rongeurs et les oiseaux qui doivent passer l'hiver. La cueilleuse y prélève cependant quelques feuilles réputées pour être un bon tonique veineux, l’écorce étant quant à elle, fébrifuge. Pour remplir notre panier de la précieuse amande, nous irons glaner, nous y sommes invités, dans quelque alignement civilisé, l'arbuste savamment taillé et le sol enrichi. Génie paysan.

                                                                     Alinéas

PS. Pour nos lecteurs âgés de plus de... disons 50 ans, la lecture du titre de cet alinéa a dû immédiatement provoquer le chantonnement de la ritournelle de Mireille, la-la-la-la-la... "qui sent la noise-ette" interprétée par Jean Sablon, Brassens et France Gall. Si ce carnet vous a fait fredonner gaiement, ce sera une de ses réussites.

                                                                                    

noisettes - lectoure - maison d'hôtes

 

BIBLIOGRAPHIE : Elle est abondante, tant imprimée que virtuelle sur le web. On pourra se suffire de ce génial petit ouvrage de la collection "Le nom de l'arbre" des éditions Actes Sud : Le noisetier, Michel Roussillat.

ILLUSTRATIONS :

- Sous-bois de noisetiers, photo Y. Martin, Muséum national d'Histoire naturelle, https://inpn.mnhn.fr/habitat/cd_hab/4042

- Scène de chasse de cerfs, peinture murale de la Cave des chevaux du Barranco de Valltorta, province de Castellón, Espagne. H. Obermaier et P Wernert (1919).

- Produits de la Maison Carayon à Lectoure, photo Fleurons de Lomagne.

- Photos Titre, Rue de la Barbacane, Chatons et fleurs femelles, Portrait de la cueilleuse-glaneuse : Michel Salanié

 
   
   

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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Publié le 10 Février 2023

En 1907, le poète François-Paul Alibert passe à Lectoure en voiture, avec ses amis André Gide et Eugène Rouart. Nous avons relaté cet évènement dans une chronique consacrée à Gide ici.

Deux incidents vont amener les trois hommes à découvrir notre ville. Un orage violent les oblige à s'abriter dans une ferme, probablement à l'ouest de la ville, sur la route de Condom. Puis, une panne de mécanique immobilise leur véhicule en ville pendant un certain temps, qu'ils mettent à profit pour déambuler. Ils découvriront en particulier la fontaine Diane, qui les charme.

Alibert écrira deux poèmes qui seront publiés dans le premier numéro de la Nouvelle Revue Française (NRF), le 1er mars 1909. Dans le n° 2 de la même revue, Alibert livrait de profondes pensées à lui venues "Sur la terrasse de Lectoure" :


Je ne connais pas d'endroit au monde d'où l'on puisse prendre plus pleinement conscience de la construction et de la continuité françaises que de la terrasse qui surplombe Lectoure. Au pied de rampes abruptes, les vallons du Gers viennent expirer avec une moutonnante douceur. Mais ce paysage monotone et borné, tout en grasses cultures et en courbes lentes, prend un air singulier de noblesse et de majesté, quand on l'embrasse du roide plateau Lectoure, engorgée dans le tortueux resserrement de ses places et de ses rues, prélève encore sur sa gêne de quoi faire courir à son flanc un large balcon à balustres, planté de vieux ormes, la rêverie peut venir s'accouder et plonger dans l'abîme. La suite ici https://assets.edenlivres.fr/medias/ef/37b5810eefd2af2994702653199f094a18106e.pdf

Faisons remarquer qu'ainsi, Lectoure occupe une place éminente dans l'histoire de la NRF, prestigieuse institution qui a publié les premiers textes d'André Malraux et de Jean-Paul Sartre, et ceux d'auteurs déjà confirmés bénéficiant-là de l'onction de leurs pairs, Apollinaire, Saint-John Perse, Aragon, Proust, Saint-Exupéry... Cependant Alibert n'a pas eu le même succès.

Le premier des deux poèmes que nous reproduisons aujourd'hui est une ode à l'hospitalité gasconne qui, derrière le compliment, décrit parfaitement l'ambiance rustique de l'époque et tire le portrait de l'hôtesse, personnage attachant et étonnament si proche de nous tous qui avons eu une grand-mère paysanne.

Le second poème, plus allégorique, illustre, une fois de plus, après l'étanchement de la soif, l'attractivité de notre belle source sur les esprits.

A l'occasion de la soirée du 10 février qui réunit ce carnet et l’association Lectoure à voix haute, sur le thème "Lectoure dans la littérature", nous sommes heureux, à notre tour, de reproduire intégralement ces deux magnifiques textes.

 

A L’HÔTESSE INCONNUE

 

Tu nous versais le vin de ta vigne, et ta main

Par tranches nous coupait encore de ce pain,

Le plus tendre de ceux dont ta huche était pleine,

Qui te restait depuis la dernière huitaine,

Mais certes présenté d'un ton si confiant

Que l'on n'offrit jamais à ma faim apaisée

Festin plus délicat ni plus fortifiant.

Tu nous entretenais, à nous plaire empressée,

Des hasards de l'année et des fruits à venir,

Du rapport de ton champ, de la ville prochaine

Où tendait notre course, et de cette fontaine

Vers qui nous entrainait un mobile désir.

Et nous goûtions, touchés d'une douceur soudaine,

L'humble et frugal asile au toit hospitalier

Que ton charme aussitôt nous rendait familier,

La cuisine aux murs blancs sur la terre durcie,

Dans le noyer taillée et par les ans noircie,

Ton armoire massive aux panneaux refermés,

Et l'étroite fenêtre aux carreaux enfumés,

Et les vases de cuivre où s'allonge la flamme,

Et surtout, accordés à l’air de ta maison

Avec tant de justesse et d'honnête raison,

Ta parole chantante et cet accent de l'âme

Qui donne un si haut prix aux plus simples pensers.

Et je laissais en moi, le long des jours passés,

A ta voix remonter ma plus lointaine enfance,

Et de mes souvenirs s'éveiller l'indolence.

Je retrouvais, s 'ouvrant sur un plant de lilas,

Une autre salle, obscure et fraiche, au plafond bas,

Où le soleil, parmi les feuilles remuées,

Entre et fait poudroyer de dansantes buées.

Et dans ce mouchoir sombre à ton front recroisé,

Dans ce geste à la fois rapide et reposé

Par où tu t'essuyais les lèvres en silence,

Sur ces traits éclatant d'une pure bonté,

Je ne sais quelle vive et chère ressemblance

Dont j'avais près de toi l'esprit tout habité.

Par instants, soucieux de la nue épaissie,

Nous cherchions le dehors et, guettant l'éclaircie,

Sous les branches, où perce une humide sueur,

Des pruniers aux fruits bleus vernissés de fraîcheur,

Nous regardions, de peur que la foudre n'éclate,

Tes servantes rentrant les gerbes à la hâte,

Sous ton ordre activer le travail de leurs bras,

Et l’ombre pluvieuse à l’horizon s’étendre.

Mais le ciel menaçait toujours, et, sur tes pas,

Nous revenions, émus et ravis de t'entendre,

Sous l’ample cheminée assise et devisant,

Amicale et pressante encor nous proposant,

Nourriture aux couleurs vermeilles et dorées,

Une dernière fois les espèces sacrées.

Hélas ! il faut partir devant qu'il fasse noir.

Savons-nous dans quel lit nous coucherons ce soir ?

Entre l'aube indistincte et la nuit périlleuse,

La route est malaisée et l’auberge douteuse.

·Adieu, ma mère, adieu, adieu chère hôtesse au grand cœur.

J'aurais peine à trouver ton nom et ton village,

Mais j'emporte avec moi, comme une bonne odeur

Dont s'embaume et s’enchante à jamais mon voyage,

Ce jour d'été, grondant d'une obscure chaleur,

Où tu nous convias au foyer qui t'abrite,

La mare somnolant sous les lentilles d'eau,

L'aire de pailles d'or jonchée, et le hameau

Où dans chaque maison la bienveillance habite,

Et dont la tuile fume avec tant de lenteur

Au-dessus de la haie épaisse et reverdie

Où l'azur par lambeaux s'égoutte de bonheur,

Qu'on voudrait y couler insensible sa vie…

 

 

A LA SOURCE FONTÉLIE

 

Sous ta haute muraille où verdissent confus

Le lierre et le figuier sauvage aux bras touffus,

Parmi ta grotte épaisse et froide ensevelie,

Obscure et sans témoins, tu règnes, Fontélie,

Et, vers toi ramenant et croisant leurs détours,

Les femmes de la ville, à toute heure du jour,

Leurs cruches au long col à leur nuque penchantes,

Disposent une rampe élancée et mouvante

A l'escalier glissant, tortueux et secret,

Qui laisse pendre sur ton humide retrait

L'oblique et hasardeux abîme de sa pente.

Ta gloire te précède, insinuée et lente,

Et, d'aussi loin qu'il vienne, attire à sa rumeur

L'inquiet pèlerin que hâte la ferveur

De te voir au jour libre inépuisable éclore.

Mais il croit te surprendre, et te recherche encore,

Soucieux de scruter une claire naissance

A travers les barreaux obstruant ta présence,

Et, pressentant tes eaux équivoques, à peine

Te discerne, à la fois reculée et prochaine.

Couche immobile et glauque affleurant à la pointe

D'une herbe par ton onde invisible rejointe,

Et qui force au regard d'hésiter la fontaine.

Déesse, ils t'ont contrainte et t'ont faite chrétienne,

Et, sur toi dirigeant d'injurieuses mains,

Comme un cloître muré ce temple souterrain

Où seules, désormais, aux fentes de la pierre,

Vous croissez, sombre foule, hélas ! pariétaires

J'ai vu, j'ai vu percer du milieu de tes limbes,

Images qu'on devine au défaut de leur nimbe,

Les Saintes à qui fut ta source consacrée.

Elles vont s'effaçant, âmes décorporées,

Lasses de mesurer aux tiens leurs tristes charmes

Que ta limpide humeur goutte à goutte désarme,

Et, dans l'ombre muette et la roche absorbées,

Célébrant avec toi des noces dérobées,

Te résignent en paix leur longue patience,

Heureuses de se fondre à ta fluide essence.

Ainsi, dans ta caverne aveugle retirée,

Tu l'emportes, en vain captive et conjurée,

Arcadienne, ô toi dont le souhait jaloux

Fut de ne desserrer un seul jour tes genoux.

Comme au siècle où par l'antre en silence pressée,

Et d'un trait fraternel purement caressée,

Tu ne pouvais souffrir qu'un mortel eût guetté,

Se trahissant à l'air, ta chaste nudité,

Ainsi, scellant la nymphe à tes flancs recelée,

Fidèles à ton vœu d'être toujours voilée,

Ils font, contre leur gré, se changer en honneur

L'offense convertie aux lois de ta pudeur

Par nul autre que toi réduite et dominée,

Et de tout soin profane à jamais détournée.

Je veux un soir encore, entendre, ô Fontélie,

Dont j'aime aux yeux humains l 'apparence abolie,

Sous ta voûte, du moins, offusquée et profuse,

S'égoutter sourdement la déesse recluse,

Et ses pleurs, affluant à des bouches d'airain,

Je veux sentir encore une pieuse main,

Avant qu'elle se trace un chemin par les dalles,

A mes doigts amicaux tendre leur eau lustrale.

Une face d'enfant magnifique et rieuse,

Sur le mur inclinant sa crête sourcilleuse

Où des flammes de pourpre éclatent au soleil,

Balancerait son fruit mûrissant et vermeil.

Et revêtant, comme une adamantine écorce,

Ta magnanimité, ta justice et ta force.

0 Mère toujours vierge, ô Courage, ô Beauté,

J'élèverais bien haut, vers ton cœur indompté,

Mon cœur trempé trois fois à ta vertu profonde,

Substance incorruptible et divine du monde !

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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Publié le 29 Janvier 2023

J'aurai, dans quelques jours, un grand plaisir à faire équipe avec les lectrices et lecteurs de l'association Lectoure à voix haute, dont le festival estival est d'une grande qualité. Je suis honoré que le Carnet d'alinéas ait été retenu pour cette soirée spéciale consacrée à la place de notre ville dans la littérature.

Pour celles et ceux qui ont lu ces chroniques, sur les six auteurs retenus, sachez qu'il a fallu, pour ce prochain rendez-vous, retravailler et que, grâce à cela, nous en savons encore un peu plus aujourd'hui sur ce qui justifie la présence de Lectoure dans ces œuvres célèbres. La présentation de chacune des lectures permettra de compléter les chroniques toujours disponibles parmi les 15 qui composent actuellement la rubrique "Littérature". Et d'autres sont en préparation...

J'espère vous voir le 10 février...

Alinéas

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Alinéas

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Publié le 13 Janvier 2023

hopital moyen-âge - docteurs - pistoia - salle d'hôpital - médecine - médecin

 

L'épidémie de Covid que nous avons vécu, que nous vivons encore, a mis en évidence la distance qu'il y a entre les différentes préoccupations, celle d'assistance due à la souffrance, celle de l'organisation de la vie en société avec la maladie et enfin, celle de la recherche scientifique d'un traitement médicamenteux. Distance et incompréhension entre les acteurs, les priorités des uns provoquant les revendications des autres. Les argumentations sont souvent catégoriques. Les oppositions peuvent se révéler violentes.

Le lien avec l'histoire de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure du 14ième au 16ième siècle, me direz-vous ? J'y viens.

 

GAGNER LE PARADIS

Nous l'avons évoqué en mars 2021 dans la première partie de cette histoire consacrée à l'origine de l'hôpital, il est très probable que la commanderie d'Auray du Saint-Esprit ait été invitée à s'installer à Lectoure par le vicomte de Lomagne. Le seigneur des lieux se devait en effet de contribuer à soulager les maux de ses sujets, maux infinis et profonds qu'il pouvait mesurer sur son parvis et dans la citadelle, tous les jours en sortant de son château. Il faut redire que l'espérance d'une vie meilleure, et éternelle, et la peur des feux de l'enfer qui en est le corollaire, est au Moyen Âge, un discours, devenu fantaisiste à nos yeux mais très réaliste à l'époque, en permanence ressassé par le clergé, textes bibliques et interprétations savantes à l'appui, qui permet à l'église de mobiliser les esprits et d'imposer sa loi, y compris aux élites. Le seul moyen d'échapper au supplice infernal, c'est de faire la charité, le premier devoir du bon chrétien. Le vicomte pouvait sans trop débourser, affecter un terrain à l'institution charitable, éventuellement contribuer à la construction du bâtiment et s'appuyer ensuite sur l'Ordre et sur les bourgeois de la ville pour le fonctionnement de ce qui n'est en fait qu'un hospice, un refuge temporaire pour les malades qui pourront repartir une fois guéris ou pour le moins soulagés, un mouroir pour les autres. Accueillir, loger, protéger c'est le seul rôle attribué à l'hôpital à l'origine. Le donateur bienfaiteur, chacun à la mesure de sa bourse, pouvait alors dormir la conscience tranquille et rassuré pour sa vie outre-tombe.

En ce sens, la spécificité de l'Ordre du Saint-Esprit, et son originalité par rapport aux autres ordres religieux, plus sélectifs et pas uniquement consacrés à la fonction hospitalière, se comprend mieux : accueillir toutes les misères, car chaque malade se présentant à la porte de l'hospice représente potentiellement le christ en souffrance.

La charité n'est pas une option, une valeur chrétienne parmi d'autres. Elle est la première obligation du chrétien, l'assurance de son salut.

gagner sa place au paradis - charité - dix commandements - bon chrétien - élus - ordre du saint-esprit
Pratiquer la charité pour espérer faire partie des élus

Cette valeur souvent dénigrée aujourd’hui et réduite à un pis-aller, était fondamentale à l'époque, et de surcroît l'unique recours du peuple dans sa condition misérable. En contribuant à l'action hospitalière, le donateur s'achète, ceci dit vulgairement, une conduite. C'est cette conjonction entre l'omniprésence de la misère, l'injonction dogmatique de l'église et la croyance en un paradis qui conduit au développement considérable du réseau des hôpitaux du Saint-Esprit.

La ville et ses édiles ne pouvaient pas rester à l'écart de ce phénomène omniprésent dans la société médiévale, phénomène moral, social et économique.

 

LA MISÈRE ENTRE DANS LE CHAMP

DE COMPÉTENCE DE LA CITÉ

Les édiles, les consuls des cités dont le pouvoir et la responsabilité s'étendent au Moyen-Âge, n'étaient pas exempts de la crainte de l'enfer, et donc comme tout le monde, étaient soumis au commandement charitable. Mais en outre, évidemment, la bonne administration de la ville conduisait naturellement la collectivité à prendre en charge la gestion de la misère et de toutes ses conséquences : mendicité, vols, agressions et désordres de toutes natures, hygiène, risque d'épidémie... Aussi, en l'absence d'initiative religieuse, les communes se sont très vite investies dans la fonction hospitalière, mission publique au même titre que la sécurité, la voirie, l'approvisionnement... Une fonction d'ordre public dirait-on en droit. Des hôpitaux ont donc, ici et là, été créés par les villes elle-mêmes.

Le phénomène mériterait une étude documentaire approfondie, mais il semble bien que l'Ordre du Saint-Esprit, de son côté, ait choisi dès l'origine, d'impliquer systématiquement les villes dans la gouvernance de ses établissements. Ainsi se délestait-il d'une partie de la charge et espérait-il associer les forces vives du lieu à l'action dont la maison-mère prévoyait de tirer des dividendes par ailleurs, en prélevant sa quote-part des quêtes par exemple, dont nous avons déjà parlé. Une sorte de coentreprise privé-public en quelque sorte.

Plus tard, et c'est probablement ce qui s'est passé à Lectoure, l'Ordre perdant de son influence et de sa capacité d'action, la cité prenait le relais et poursuivait l’œuvre charitable et d'utilité publique sans le concours de l'effectif religieux. Tant bien que mal. L'hôpital aurait pu changer de nom pour marquer cette "publicisation", ce fut probablement le cas ailleurs. A Lectoure, le nom du Saint-Esprit s'est maintenu jusqu'au 18ième siècle. Cela ne pouvait pas nuire.

Nous disposons des comptes de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure de 1457 à 1558 (voir ici le 2ième volet de notre étude en janvier 2022) ou derrière le simple enregistrement des dépenses et des recettes, transparaît la vie de l'institution. Il ne semble plus dès cette époque, y avoir à Lectoure de religieux de l'Ordre, sauf peut-être en 1459 la mention d'un "frère" Vital de Sebas. Deux consuls de la ville sont élus pour l'année, procèdent aux actes de gestion, et doivent rendre compte. L'accueil des indigents, pauvres et malades, est confié à des hospitaliers, laïcs, souvent en couple.

"L'an 1497 et le 16ième jour du mois de juin, les sieurs Gayssion Foassin et Bertrand de Sarcy, gouverneurs dudit hôpital, donnèrent et délivrèrent à Vital Begue et Domenge de Belin sa femme, hospitaliers dudit hôpital, à savoir les biens et les choses contenues dans le précédent inventaire, lesquels hospitaliers reconnurent avoir eu et reçus et promirent et jurèrent de bien régir et gouverner lesdits biens et de les rendre et restituer toutes les fois qu'ils en seront requis, en présence de Johan de la Crotz et Bernard de Labat, habitants de Lectoure".

On perçoit bien derrière ce recrutement du couple d'hospitaliers, que le droit et l'organisation administrative prennent le pas sur la charte de l'Ordre du Saint-Esprit qui évoquait "nos seigneurs, les malades".

béguine - femme de salle - soeur soignante - religieuse dans le monde - béguin hospitalier - hospitalière
Une béguine, mi-infirmière, mi-religieuse.

 

Ceci ne veut pas dire que les moyens matériels de l'hôpital seront développés. La noblesse, à Lectoure comme ailleurs, consacre sa fortune à tenir son rang militaire auprès des rois d'Angleterre ou de France dans leur dispute plus que centenaire et celles qui suivront, la contribution aux œuvres charitables passant au second plan. Quant à eux, les bourgeois de la ville pensent d'abord à leurs affaires. Et la commune ne dispose pas de moyens financiers propres permettant de développer une politique sociale véritable.

En outre, malheureusement, l'hôpital n'est pas à l'abri des maux mêmes qu'il est censé soigner. L'hospitalier Vital Begue meurt brutalement d'une maladie que l'on ne sait pas nommer mais épidémique probablement puisque Domenge de Belin  et ses enfants sont touchés. Il faudra faire appel à des aides extérieures en attendant que l'hospitalière puisse reprendre sa tâche. Outre son salaire, elle obtient la fourniture de vêtements, chaussures et robe en rousset (robe de bure, qui préfigure l'uniforme des sœurs soignantes et des béguines*). Mais, pour sa consommation, elle doit acheter son blé, récolté par les fermiers de l'hôpital qui ne lui fait pas de cadeau. Cette fonction hospitalière, occupée soit par nécessité, un travail comme un autre, soit par vocation, si elle est respectable et probablement respectée, ne permet pas à ses titulaires d'être considérés comme ils le mériteraient. Un débat toujours vif de nos jours.

Il faudrait, pour honorer leur mémoire, recenser tous les hospitaliers évoqués au gré des années. Avec le couple Vital Begue et Domenge de Belin pris en exemple ici et que nous retrouverons dans l'histoire des cagots de Lectoure, citons Pey de la Coustère et sa femme, Vital de Arromat, Jacques de Bologne, Felipot...

La situation matérielle de l'hôpital continuera à se dégrader. Le royaume de France prendra des dispositions qui présenteront le mendiant comme un personnage dangereux pour l'ordre public, transformant ainsi l'hôpital en prison. Jusqu'à ce que l'église reprenne l'initiative. En 1535 est créé à Lectoure un bureau des pauvres présidé par l'évêque et comprenant des dignitaires ecclésiastiques, le lieutenant général de la sénéchaussée, l'avocat du roi audit tribunal, les consuls et plusieurs notables**. On voit bien que la seule administration communale ne suffit plus. L'hôpital du Saint-Esprit est déplacé pour laisser la place au collège des Doctrinaires et subsiste cahin-caha jusqu'au 18ième siècle***. Au Premier Empire, l'hôpital-manufacture imaginé par l'évêque Narbonne-Pelet offrira enfin une alternative économique à ce dénuement chronique de la santé publique.

 

LE VIATIQUE POUR TOUTE MÉDECINE

Il ne faut pas regarder l'histoire de l'hôpital à l'aune de nos références du 21ième siècle en matière de santé. Accueillir les pauvres et les malades est une œuvre admirable. Mais évidemment, la médecine est archaïque. Si les médecins sont appelés, c'est in extremis et pour l'application de soins expérimentaux.

D'ailleurs l'église se méfie de la médecine. En 1219, le pape Honorius interdisait l'enseignement de la médecine aux religieux, sous peine d'excommunication ! Il voulait de cette façon contraindre le personnel d'église à prioriser les études théologiques. D'une part la médecine s'apparente parfois à de la sorcellerie et le fait que le médecin se fasse rémunérer n'est pas admis, le "bon malade" avant d'accepter les soins, devant remettre sa guérison dans les mains de la providence divine.

Les ordres religieux et le Saint-Esprit parmi eux, ne feront pas avancer la médecine. Les Antonins (voir ici) seront considérés comme de bons chirurgiens, mais médecine et chirurgie ne sont pas confondues au Moyen-Âge. Et la seconde restera longtemps très hasardeuse, jusqu'à Louis Pasteur en fait, en raison de la pratique des opérations sans une hygiène suffisante.

Le feu de Saint-Antoine, provoqué par l'ingestion de seigle avarié et parce qu'il provoque les mêmes bubons est confondu avec la peste. Le mal de Naples, la syphilis, qui se caractérise au départ par le développement d'un chancre est pris pour la lèpre. On applique de la graisse sur les éruptions cutanées... Au mieux utilise t-on les simples, plantes médicinales, cultivées dans un jardinet à portée de main où cueillies dans la campagne voisine. La pharmacopée à base de plantes ou de substances animales (on trouve dans les grimoires les recettes de terribles mixtures dont on peut se demander si elles n'étaient pas plutôt faites pour achever le patient) ou minérales pouvait obtenir certains résultats mais l'état des malades admis à l'hôpital du Saint-Esprit était probablement tellement avancé que les effets de cette médecine du pauvre devaient être décevants, ou bien miraculeux.

Dans certains cas, sans que l'on sache ce qui justifie ce traitement, une faiblesse physique trop prononcée sans doute et la crainte du pire, les malades se voient soigner par l'amélioration de leur ordinaire et les comptes, régulièrement, enregistrent une dépense pour de la viande, du sucre, des épices, de l'huile, du fromage et d'autres douceurs... des chandelles... Ce qui ne suffit pas toujours : quatre morts en 1461, malgré ce régime exceptionnel note le comptable.

Et puis il y a le passage, la mort. En effet, les pensionnaires se sont souvent rapprochés de l'hôpital du Saint-Esprit, non pas dans l'espoir de la guérison, inespérée, pour un soulagement bien sûr, mais plus sûrement pour chercher à s'assurer d'une place dans le cimetière autour de l'église du Saint Esprit (située à l'époque sur notre place Boué-de-Lapeyrère, puis sur l'emplacement de l'hôtel des Doctrinaires). Car pour accéder au paradis, mieux vaut être au premier rang, et un chrétien dont la dépouille ne trouve pas de sépulture sur une terre consacrée, risque bien, une autre croyance fortement ancrée dans les esprits, de voir son accession au paradis échouer.

Alors, voyant venir le trépas, l'hospitalière requiert l'extrême-onction administrée par le prêtre affecté au service de l'hôpital. Qui facturera sa prestation, il faut bien vivre.

                                                                      Alinéas

lectoure - hopital du saint-esprit - boulevard du nord - fontaine - croix

Sur le boulevard du Nord, à proximité de l'emplacement d'origine de l'hôpital, la fontaine du Saint-Esprit, où notre hospitalière venait chercher l'eau des pauvres avec sa cruche sur la tête, disparaît aujourd'hui sous la mousse et la croix du Saint-Esprit est soumise à signaler l'avenue du Souvenir Français, ce qui n'est pas une mauvaise compagnie. Toutefois, la mémoire de cinq siècles de dévouement charitable mériterait mieux.

 

* L'Ordre du Saint-Esprit a institué les hospitaliers laïcs. Mais cette fonction s'est également développée en périphérie des couvents et des hôpitaux laïcs en particulier avec les béguines et les béguins  : https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9guine

"Dès leur constitution, les béguines furent les premières « religieuses dans le monde ». La plupart des béguines vivent seules dans une maisonnette où elles prennent leur repas. Les plus pauvres rejoignent la maison communautaire, le couvent. Le travail, moyen d'émancipation économique, fait partie de leur existence. Elles s'occupent du blanchissage des draps, du lavage de la laine, travaillent à la ferme, fabriquent des bougies. Les plus instruites se tournent vers l'enseignement. Enfin, grâce aux infirmeries présentes dans les béguinages, elles acquièrent un savoir-faire médical. Beaucoup d'entre elles vivent aussi leur foi en s'adonnant à l'art. Bien que se réunissant souvent en petites communautés, elles se proclamaient religieuses mendiantes et menaient une vie spirituelle très forte. Leur caractéristique était l’absence de règle : elles pouvaient choisir de faire un vœu, souvent de chasteté (avec l’accord de leur époux si elles étaient mariées), parfois de pauvreté, exceptionnellement d’obéissance".

Le rapprochement entre le nom de "béguin" et notre hospitalier nommé Vital Begue est troublant.

** Maurice Bordes, Histoire de Lectoure.

*** Sur la suite de l'histoire de l'hôpital du Saint-Esprit, à partir de la Renaissance, il faut rappeler les travaux de Jules de Sardac, l'Etude sur l'assistance publique à Lectoure aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, Imp. de Cocharaux, 1908 et Notes sur la médecine à Lectoure au XVIe siècle, Extrait du Bulletin de la Société archéologique du Gers, Auch, Imp. de Cocharaux , 1910.

ILLUSTRATIONS :

- Titre. Détail de la frise en terre cuite polychrome de l'Ospedale del Ceppo, hôpital ancien de Pistoia, en Toscane.

- L'ascension des élus, Dirk Bouts, vers 1470, Palais des Beaux-Arts de Lille, Wikipédia.

- Gravure sur bois représentant une béguine, tirée de l'ouvrage Des dodes dantz, Lübeck, 1489.

- Photos de la fontaine et de la croix du Saint-Esprit à Lectoure, Michel Salanié.

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Publié dans #Histoire

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Publié le 19 Décembre 2022

Recevez nos meilleurs vœux, chers abonnés du Carnet d'alinéas. Nous essaierons, pour la 7ème année - mazette ! -  de partager avec vous, proches, voisins, lectourois, pèlerins et randonneurs au long cours, gascons de souche mais surtout de cœur, amis d'outre-France... nos découvertes botaniques, littéraires, vagabondes ou historiques. A ce jour, vous êtes 130 abonnés et de nombreux visiteurs se joignent librement à vous chaque jour, par la recherche thématique (ce cher Google), ou grâce au partage des liens que nous vous encourageons à faire à chaque fois que vous estimez que le sujet le mérite. Ainsi, chaque mois nous enregistrons plus de 600 connexions. C'est une petite fierté et surtout un encouragement.

Pour les amateurs de photos et les observateurs attentifs, ce cliché de Lectoure, versant sud pour une fois, a été pris sur la rive gauche du Gers, disons depuis la route de Terraube, d'ouest en est. C'est cette orientation qui donne le curieux rapprochement perspectif de nos deux clochers, de la cathédrale Saint-Gervais et Saint-Protais et de l'église du Saint-Esprit.

Joyeuses fêtes.

Portez-vous bien et Adishatz !

Alinéas

 

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Publié dans #La vie des gens d'ici

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Publié le 9 Décembre 2022

carte lomagne - duché aquitaine - royaume de france - comté de toulouse - famille de got - famille de goth - royaume d'aragon - comté d'armagnac

 

Par chauvinisme, facilité ou ignorance, nous disons souvent que Lectoure est la capitale de l'Armagnac. Ce qui est relativement faux, en tout cas géographiquement et chronologiquement.

 

L'ARMAGNAC

Les comtes d'Armagnac, une province historiquement centrée plus au sud-est et dont la capitale, si ce terme a un sens au Moyen-Âge, est Eauze, ont hérité de la Lomagne tardivement et fait de Lectoure leur refuge au 14ième siècle seulement, lorsque leurs possessions, comprenant le Fézensaguet et l'Astarac, s'étendent démesurément au nord jusqu'à Rodez et la Bourgogne et qu'ils avancent de téméraires prétentions. Leur lignée s'y est éteinte dramatiquement en 1473 sous les coups de boutoir du royaume de France

carte gascogne - comtés - vicomtés - armagnac et lomagne - lectoure Auvillar

Lectoure est la capitale de la Lomagne, un petit pays qui occupe la partie nord-est de la Gascogne, entre, au sud, le pays de Gaure, Fleurance, et le pays d'Auch, et au nord, la Garonne, physiquement plus garonnais que pyrénéen ou océanique, comparé par les géographes au Quercy, sur l'autre versant du fleuve, ce qui le distingue des autres pays gascons.

Au onzième siècle, l'Histoire est relativement obscure, le duché de Gascogne est dépecé par les partages successoraux et les affrontements entre parents qui donnent progressivement à l'ancienne puissante province, l'image d'une mosaïque désordonnée et ingouvernable. La Lomagne est alors érigée en vicomté et attribuée à une branche cadette de la maison de Gascogne divisée.

 

LECTOURE et AUVILLAR

En fait, deux vicomtés ont coexisté, sans doute rapidement tenues par le même homme. Mais, Lectoure est vassale de la Gascogne, pro-anglaise, alors qu'Auvillar rend hommage à Agen, qui occupe une position relativement indépendante entre la Guyenne (Aquitaine) et le comté de Toulouse, dans le périmètre des rois de France. L'origine de cette superposition se perd dans les dédales de l'Histoire. Voilà une première et significative cause de dispute pour ces deux seigneuries, sujettes simultanément de deux suzerains ennemis.

Auvillar doit sa noblesse à une position dominante en bord de Garonne, lui permettant de prélever un droit de péage, plus ou moins excessif et souvent perçu brutalement. Ainsi, en 1204, les consuls de Toulouse organisent-ils une expédition militaire pour s'opposer à de nouvelles taxations, preuve de l'importance stratégique du site, tant militaire qu'économique, pour toute la région.

 

LE DUCHÉ D'AQUITAINE, ROYAUME D'ANGLETERRE

Anglais par le mariage d'Aliénor avec Henri Plantagenet devenu roi outre-Manche, par le traité de Paris (1259) le duché d'Aquitaine se voit restituer la quasi totalité de la Gascogne ancienne, jusqu'aux portes de Toulouse. Ainsi, en 1273, Lectoure est soumis à l'autorité de deux co-seigneurs, l'évêque et le roi d'Angleterre. La Lomagne fait office de frontière et les Lomagnols ne savent pas à quelle bannière se rallier. En même temps, les consuls renouvellent leur soumission au vicomte, un gars du coin...

 

LE ROYAUME DE FRANCE

La lignée des vicomtes issus de la maison de Gascogne s’éteint en 1280. La Lomagne passe brièvement, par alliance, au Périgord. A la mort de Philippa de Lomagne, Hélie de Talleyrand cède la vicomté à Philippe le Bel. En même temps, la France occupe Bordeaux, qu'elle devra quitter par traité, en échange de l'hommage rendu par Édouard à Philippe, mais, tout au long de la Garonne, la stratégie de pression sur l'anglais est évidente.

Edouard 1er - edward 1rst - philippe le bel - Arnaud-garcie de got de goth - Bertrand de got - régine de got - matha d'armagnac - clément V - jean 1er d'armagnac

L'hommage d'Edouard 1er à Philippe le Bel

 

LA FAMILLE DE GOT

En 1305, Philippe le Bel donne la vicomté à Arnaud-Garcie de Got et à son fils Bertrand "pour services rendus". En effet, la famille de Got, originaire de Villandraut, près de Bordeaux, a pris fait et cause pour le royaume de France et se voit ainsi récompensée. A quelques jours d'intervalle, le frère d'Arnaud-Garcie, Bertrand son neveu est élu pape, devenu Clément V. Philippe le Bel ayant mis tout son poids dans cette élection. Le roi de France, en conflit avec Rome, en particulier sur le plan financier, se dote ainsi des moyens de manipuler l'église de France. Clément sera reçu par son frère, à Lectoure, sur son trajet triomphal vers Avignon (voir ici) où il installe la papauté. Il résistera mais trop faiblement, à l'agression de Philippe contre l'ordre du Temple, une affaire longuement revue depuis Lectoure sur ce carnet (voir ici).

Le fils d'Arnaud-Garcie, Bertrand, devenu vicomte d'Auvillar et de Lomagne à son tour occupera des fonctions importantes auprès de Clément. A la tête d'une troupe de gascons, il assure la sécurité de la cour papale, itinérante, dans ses longs déplacements. Cour composée de plusieurs centaines de personnes, ecclésiastiques et serviteurs. Le trésor suit aussi. A la mort de son oncle en 1314, Bertrand de Lomagne essaiera de faire pression sur le conclave pour faire élire à nouveau, un de ses parents. N'y parvenant pas, acoquiné à deux autres capitaines gascons, Raymond Guilhem de Budos et Arnaud-Bernard de Preissac, il mettra la ville de Carpentras à sac et quittera la Provence avec le trésor de son oncle, confondant fortune personnelle et finances de l’Église. Bertrand sera rattrapé dans son nid d'aigle d'Auvillar par un long procès que lui imposera le nouveau pape, Jean XXII, et sera contraint de restituer une bonne partie de ce butin.

La fille de Bertrand de Got, Régine, épouse Jean 1er d'Armagnac en 1324. Elle décède dans l'année qui suit. En 1325, la Lomagne rentre donc dans les possessions d'Armagnac, ce qui n'était sans doute pas le projet de Philippe le Bel. L'Armagnac qui étend son domaine se positionne comme un interlocuteur obligé qui alternera imprudemment les alliances et les manœuvres entre l'Angleterre et la France.

 

La Lomagne, du duché de Gascogne au comté d'Armagnac

 

LE ROYAUME D'ARAGON

Matha d'Armagnac, la fille de Jean 1er, vicomte de Lomagne et comte d'Armagnac, et de sa deuxième épouse, est mariée à l'infant Jean d'Aragon en 1373. Le contrat est signé à Lectoure le 6 mars et le mariage a lieu en grande pompe à Barcelone le 24 juin de la même année. Pour le royaume d'Aragon, ce mariage permet de se prémunir d'une alliance de l'Armagnac avec son ennemi héréditaire, la Castille, et de se doter d'une frontière tampon entre, ce que l'on nomme à l'époque "les Espagnes" et une France qui convoite ses marches du sud.

 

Entrée dans le domaine d'Armagnac, la Lomagne, avec Lectoure devenue effectivement capitale, représente donc toujours un enjeu pour les puissants domaines qui l'entourent. Louvoyant pendant la guerre de cent ans et ambitionnant de faire jeu égal avec les puissants, les comtes d'Armagnac s'exposeront à la volonté d'expansion du royaume de France, inarrêtable dans son périmètre naturel. Après le siège de Lectoure en 1473 et la fin de la lignée d'Armagnac, la Lomagne échoit à la maison d'Albret, au royaume de Navarre, et rentrera dans le giron de la France avec Henri III de Navarre devenu Henri IV. Les citadelles seront abandonnées. Seule restera la terre, grasse, amoureuse dira-t-on plus joliment, et généreuse. Le petit pays de Lectoure et d'Auvillar, la Lomagne a fini de servir de pion sur le jeu des ambitions des grandes nations.

 

                                                                  Alinéas

 

 

COPYRIGHT BLASONS : Wikipedia

LECTOURE : Syryatsu

ARMAGNAC : Syryatsu

TOULOUSE : Fhiv

PHILIPPE le BEL : Carlodangio

AQUITAINE : Sodacan

FAMILLE DE GOT : ByacC

ARAGON : Heralder

 

ILLUSTRATIONS :

Hommage d'Edouard 1er à Philippe le Bel : Wikipedia Commons - Gallica Digital Library

Très riches heures du duc de Berry - Juin - Fenaison  : Wikipedia -Frères de Limbourg (Herman, Paul et Jean)  - R.M.N. / R.-G. Ojéda

 

GRAPHIQUE CHRONOLOGIQUE :

M. Salanié

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Publié le 22 Novembre 2022

 

 

il vous arrive de descendre pendant la nuit la rue de la Tour du Bourreau, méfiez-vous : un essaim de terreurs s'échappe incessamment de sa toiture affaissée par l'âge, comme une volée de corbeaux chassés par l'orage. Vous trouverez d'abord la place de la Barbacane nue et déserte inspirant la peur. En face, la vallée des Ruisseaux taillée à pic, profonde plus que la vue, béante comme une fosse affamée. A gauche, les vieux remparts avec leur barbe d'herbes malfaisantes, longs comme la faim de Mai, assis sur le roc verdâtre et isolé; vieillard dédaigné sur son fauteuil antique souvenir d'une période expirée; à droite, le rocher terrible et menaçant comme un fauve, la Croix-Rouge sur les épaules; puis le cimetière qui se développe allongé sur la pente avec sa coiffure d'arbustes funèbres, de croix noires, et de pierres sépulcrales debout sur les pauvres morts. Elles prennent les allures de fantômes en mouvement dès qu'un rayon de lune se traîne au milieu d'elles en s'échappant des nuages pluvieux poussés par les vents.

La tour, assise sur les lèvres du vallon, massive et sinistre, tachée de lierre, avec ses moellons disjoints et mordus de la dent des siècles, grâce à sa lucarne constamment ouverte, ressemble à un aigle déplumé, à jeun, qui épie sa proie.

Le tertre de Vaquier tout pareil, solidement planté de l'autre côté de la vallée, se dresse comme un voleur en vedette faisant le guet pour préserver son complice d'être surpris en faute.

Sur l'emplacement occupé par la tour était située, il y a des siècles, l'antre de la Sorcière : lieu redouté, maudit des Dieux et des hommes : les Chrétiens le fuyaient avec terreur pour éviter les pièges de l'Enfer... Lorsque les Consuls bâtirent les murs de défense de la Cité, ils la firent disparaître sous la tour dont ils abandonnèrent l'habitation au bourreau; car personne, lui excepté, ne l'aurait acceptée.

D'où était sortie la sorcière? Nul n'en savait rien. On racontait bien qu'elle était venue du pays des Landes; que ses aïeules, Sorcières avérées, avaient été brûlées dans ces contrées : mais sur tout cela rien de certain. Avait-elle été mariée? Personne ne connut son mari : on disait qu'un vaurien qui l'appelait sa mère fut engendré du Diable. Enfermée dans sa fente de rocher, elle n'en sortait que la nuit, comme les chauve-souris : encore avait-elle des préférences. En effet elle ne choisissait pas ces belles nuits claires et gaies où tout murmure, bruit, chante ou coasse, sur la terre et dans les eaux, dans les bois et dans les prés, oiseaux, grillons, insectes, grenouilles, crapauds, rainettes, tous également heureux de vivre; mais plutôt ces nuits affreuses où la pluie tombe drue, où la tempête affolée déchaine les éléments, où le flot des ténèbres enveloppe les étoiles , et qu'il fait noir comme dans un four fermé. Un éclair, une lueur rapide la montrait au long d'une haie ou contre une muraille; et le voyageur effrayé s'enfuyait comme s'il avait mis le pied sur une vipère dont il voulait éviter la morsure; jamais on ne vit personne franchir son seuil: peut-être les limaces, les crapauds, et les lézards; l"ouverture de son abri était d'ailleurs masquée par des orties, de hautes herbes, et des buissons que le fer n'avait jamais mordus.

Longue et maigre comme un copeau, ses cheveux blancs, sales, embrouillés, se dérobaient en désordre, sous la pression d'un mouchoir déchiré; un œil de chouette, le nez bourgeonné, la peau du cou pendante comme celle d'un coq-dinde, les lèvres serrées et velues, couverte de haillons crasseux, elle effrayait les bestiaux. Elle boitait par surcroit.

 

Suivant les mauvaises langues, elle prenait les formes de chat, de loup, de serpent; elle volait comme une hirondelle sur un manche à balai, ensorcelait gens et bêtes, et leur jetait la maladie ou la mort à son gré: elle déchainait les orages ou les apaisait, provoquait les vents, les grêles ou la sécheresse, en pliant seulement le bout du doigt. On l'accusait d'avoir pactisé avec Lucifer qui lui avait communiqué sa puissance de nuire. Pour une fois, les mauvaises langues avaient dit la vérité, mais en partie seulement. On ignorait, en effet, que lorsqu'elle s'oignait de certains onguents, huiles et compositions préparées en Enfer, elle pénétrait dans les maisons sans être vue, se changeait en oiseau, loup-garou, brebis, ou en homme ou en enfant; et on se souvint plus tard, qu'elle avait pris, un jour, la forme d'une Diaconesse pour insulter Dieu jusque dans son Eglise. Avec cette puissance elle pouvait préparer ses méfaits bien à l'aise; voler, estropier, empoisonner vivres et boissons, faire mourir gens et bêtes, et perpétrer ses crimes en toute sûreté.

Elle fit si bien que la consternation plana sur Lectoure et ses environs: la ruine y étendit ses ravages; les bêtes étaient frappées, les gens tombaient malades sans cause apparente, et mouraient en grand nombre; les enfants se prenaient à crier tout à coup, et gémissaient jusqu'à leur dernier soupir; les Chirurgiens n'y connaissaient rien; on promena les Reliques dans les rues, on fit pénitence, on appela le Ciel en aide; et rien n'arrêtait le fléau. Dès que venait la nuit, les portes étaient fermées au verrou, on bouchait jusqu'au trou de serrures; et nul n'osait aller même derrière sa maison. La scélérate faisait encore pire si c'est possible.

Elle avait ensorcelé un grand nombre de personnes de tout âge, plus particulièrement des femmes, et elle les menait au Sabbat. Qu'était-ce donc? On le sut par hasard; et la seule pensée vous donne le frisson.

A cette époque reculée, alors que le Ramier n'était pas défriché, et qu'il s'étendait jusqu'au Gers, sur la partie déclive de la forêt, dans la direction de Bouilhas, se trouvait un grand carrefour enfoncé, pas du tout rassurant, dont les chemins se dirigeaient vers Pauilhac, Fleurance et Lectoure... et quels chemins!!! A cette époque, les bois n'étaient pas aménagés comme aujourd'hui, et l'obscurité régnait là comme chez elle en plein midi.

Un malheureux bordier de la contrée qui courait à nuit close, chercher l'accoucheuse pour sa femme en danger, aperçoit des lumières dans ce carrefour. Effrayé, il se dissimule derrière un chêne, et les regarde comme une vache contemple une porte neuve. Il aperçoit un groupe qui augmentait incessamment; les nouveaux venus arrivaient de tous les côtés; par les airs sous forme d'oiseaux sinistres sur des manches à balai, à travers les bois sous la peau de chiens, de renards, de toutes espèces d'animaux; et sitôt qu'ils tombaient sous les rayons des lampes, ils se transformaient en hommes, femmes et enfants; ils allaient baiser l'affreux derrière d'un énorme Bouc quatre fois cornu, noir de mauvaise mine, assis sur une chaire de gazon; c'était Lucifer chef des Sorciers et Sorcières, le Démon de la Luxure; et il maniait les femmes de la tête au ventre, les jeunes et jolies plus volontiers que les vielles laides, qui supportaient de fort méchante humeur la différence des procédés, puis il frottait son vilain museau sur leurs figures, en grognant, et en secouant les lèvres.../...

Qu'est ceci dit le paysan effaré? Il n'osait plus bouger ni pied ni pattes, ni seulement respirer, bien certain d'être étranglé s'il était découvert. Au bout d'un moment, tout ce monde se mit à table, hommes et femmes pêle-mêle, pour prendre part au festin. Jamais on n'avait vu des goinfres affamés dévorer tant de viandes, ni vider si prestement les pots. Les voisins en mangeant, palpaient outrageusement leurs voisines, fort peu farouches d'ailleurs. C'était hideux. Il y en avait du Marcadieu, et du Faubourg, du Mounet du hour, de Pradoulin, un joli groupe de Fleurance et des environs.

Après le repas, les femmes se mirent à danser : les unes avec des crapauds sur la tête, sur les épaules et sur les mains, des serpents autour du cou; les autres avec des chats suspendus aux jupes, à la ceinture, les bras en l'air et les jambes aussi. Elles tournaient comme des toupies: on entendait un charivari de sifflets, de flageolets, de grelots, tambours et guimbardes: puis de temps à autre, les femmes allaient baiser le bouc, et lui les appréhendaient par les seins et partout ailleurs; jamais on ne vit scène plus affreusement Diabolique.

Le malheureux bordier derrière son chêne, pâle comme une citrouille melonnée, ne respirait plus. Tout à coup les lumières s'éteignirent; on ne vit plus que l'obscurité. Mais on n'entendit bientôt pétiller les bruyères, comme si elles étaient foulées, des chuchotements, des rires, de petits cris, des soupirs et des plaintes, les embrassements bruyants retentir sur la peau, sur les lèvres échauffées, sur les seins prostitués, que sais-je encore... le triomphe du Bouc impur... une scène de chenil!!! Et personne n'appela au secours ! au milieu de ces horreurs, le paysan, plus mort que vif, s'enfuit au galop; la peur lui prêta des jambes; il volait plutôt qu'il ne courait. En arrivant chez lui, il tomba inanimé. On lui vint en aide; et il reprit ses sens. Lorsque vint le médecin il lui raconta, terrifié, ce dont il avait été témoin. La révélation fut bientôt ébruitée.../...

Les magistrats du Sénéchal tendaient leurs longues oreilles un peu de tous côtés; il y perdirent leur latin; l'écheveau était trop embrouillé pour ces têtes vides. Embarrassés et soucieux, ils appelèrent à l'aide leurs collègues du Parlement de Bordeaux, et un Capucin de Toulouse, très savant, à l’œil un peu oblique, Inquisiteur renommé, qui déjouait depuis trente ans les combinaisons de Lucifer, sa très vieille connaissance...

On fit comparaitre toute la contrée, hommes, femmes et enfants. Quelques-uns mentirent, d'autres hébétés ne dirent que des sottises. On délia la langue des têtus à l'aide des Fers chauds et des Bottines à écrou. On griffonna trois charretées de papier, on récita des oremus, on chanta des psaumes contre Satan, l'eau bénite fut prodiguée, et un rayon de vérité traversa par hasard ces obscurités qui n'eurent que la clarté d'une aube du mois de décembre. Il est vrai qu'on trouva la sorcière marquée sous les aisselles??? Il y eut une magnifique procession jusqu'au bas de la Côte, avec Carmes, Capucins et tous les Religieux des Couvents de la ville...

La Sorcière fut saintement brûlée, avec quelques complices des deux sexes, sur le plateau de la Marque, et leurs cendres jetées aux vents; on chanta le Te Deum en plein air, et sur la place du bûcher fut édifiée une Croix qui existe encore...


Le Démon échaudé s'enfuit du Ramier, et prit définitivement domicile vers la montagne.
Il n'y a plus de Sorcières aujourd'hui: les Alphabets les ont peu à peu supprimées. Les maladies de la vigne doivent achever l’œuvre; et cependant le Sabbat dure encore; de jolies charmeuses ont pris leur place. Lucifer subtil et main-croche a changé ses batteries, et nous prend à d'autres pièges, bien préférables sur ma foi.

Avez-vous remarqué le Dimanche, aux environs de l'Eglise, une fillette de dix-huit ans, de taille élégante, droite comme un lys épanoui, souple comme un osier; elle avance légère ainsi qu'un souffle de zéphir sur ses pieds grands non plus que des amandes du mois d'août, parée et proprette dans sa jupe couleur lilas; un brin de fleurs dorées brille sur sa poitrine, comme un timide rayon de soleil, entre deux pommes d'api dont la résistance s'affirme sous le voile d'un fichu soyeux. La tête, parée d'une lourde couronne de cheveux noirs savamment agencés, balance gracieusement sur un cou d'ivoire les pointes aux couleurs éclatantes d'un ruban justement fier de les retenir. Elle regarde avec des yeux vifs et caressants, ombragés de longs et gracieux sourcils; le nez délicat assis entre deux grenades rosées avec ses ailettes agitées, ressemble à un nid de petits Amours chatouillé par ses hôtes; et lorsque les baisers de ris entrouvrent une jolie bouchette pétrie de feuilles de roses, on voit scintiller deux rangées de petites perles et diamants dont les étincelles pénètrent jusqu'au cœur troublé. Oh! alors, fuyez au plus vite, appelez au secours !!! le Démon vous épie, et gare au Sabbat!!!

 

                                                               Alcée Durrieux

___________________________________________

 

Récit tiré de "Las Belhados de Leytouro" "Les Veillées de Lectoure", 1889, réédition Editions Lacour 2003. Gascon et Français.

Nous avons respecté l'orthographe et la ponctuation de cet ouvrage.

Alcée Durrieux est né en 1819, au pied de Lectoure, au quartier des Ruisseaux. Monté à pied à Paris, il devient un avocat renommé. Il participe aux réunions de l'association des gascons de Paris, La Garbure, où il intervient régulièrement. Les Veillées de Lectoure sont le recueil de ces chroniques.

Alcée Durrieux est également connu pour avoir réédité heureusement son compatriote Pey de Garros, considéré aujourd'hui par les spécialistes comme l'un des rénovateurs de la langue gasconne, et traduit son frère Joan de Garros.

Concernant le phénomène de la sorcellerie, il faut évidemment mentionner les Contes de Gascogne, collectés par Jean-François Bladé. Et l'ouvrage de Jean-Claude Ulian, illustré par Jean-Claude Pertuzé, Sabbats et sorcières de Gascogne, Editions Loubatières 1997.

 

ILLUSTRATIONS :

De tous temps, le sujet est abondamment illustré. Les traités médiévaux de médecine et de religion comportent des enluminures et des gravures qui fixent les standards du registre : le balai, le bouc, les chimères, l'orgie, le festin, la gestuelle obscène...

Les périodes de la peinture contemporaine depuis la Renaissance jusqu'au proche Symbolisme ont permis que les artistes bénéficient d'une grande liberté d'expression que la vindicte publique cautionnait. La nudité, voire la sexualité débridée, exaltées par le théâtre de la nature sauvage, la perspective aérienne, l'ambiance nocturne, autant de contextes qui ont permis de développer, souvent avec talent il faut en convenir, un certain idéal de la plastique féminine, vue le plus souvent par des artistes masculins, participant évidemment ainsi au sexisme tragique du phantasme de la sorcière, désignée instrument des visées du Maître des ténèbres, et pour cela longtemps persécutée. 

Pour cet alinéa et dans l'ordre, nous avons emprunté aux artistes sui- vants :

  • Luis Ricardo Forlero, Sorcières partant au sabbat
  • Franscisco Goya, La Conjuration
  • Anonyme, Russie pittoresque, Sorcière
  • John Faed, Tam O' Shanter And The Witches
  • Pablo Agüero, Les sorcières d'Akelarre, film, copie d'écran
  • Natale Schiavoni, portrait d'une jeune italienne.

 

...

 

 

 

 

 

 

 

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Rédigé par ALINEAS

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Publié le 8 Novembre 2022

 

Appelé "Piquette" par ses camarades, ce jovial Poilu de 14-18 doit son surnom au métier de maître de chai qu'il exerçait aux établissements Groscassand de Fleurance. Ayant déjà servi sous les drapeaux avant le conflit, il a le grade de sergent à la déclaration de guerre. Ses qualités et son action lui valent d'être nommé adjudant à peine un an plus tard. Entre 1915 et 1919, il sera cité trois fois, à l'ordre de l'armée et du régiment. Voici la dernière citation : "Chef de section qui a fait preuve du plus grand courage au cours des derniers combats. Le 2 octobre 1918, a brillamment conduit sa section à l'assaut sous les feux violents de mitrailleuses, s'accrochant au terrain et progressant malgré les nombreuses pertes subies." On le voit ici en famille, lors d'une permission en 1917. Démobilisé à l'armistice, il meurt en 1920 des suites de la guerre, comme beaucoup d'autres, atteints physiquement, blessés, diminués, et psychologiquement abattus. Il est déclaré Mort pour la France, parmi les 119 Fleurantins inscrits sur le monument de la Commune.

Voilà une histoire, simple, poignante et dramatiquement illustrative de la ponction que la "grande guerre" a opéré sur la population des jeunes hommes partout en France, avec ses conséquences dramatiques sur la population civile, sur l'économie, sur la santé qui seront douloureusement mesurées pendant plusieurs années, jusqu'au drame suivant... Une histoire parmi les nombreuses que racontent les frères Xavier et Elian Da Silva, concepteurs du Musée des Anciens Combattants pour la Liberté installé à proximité de Fleurance, en direction de Mauvezin. Ils sont également rédacteurs de deux recueils, "Visages des combattants - Fleurance 1914-1918" et "Visages de combattants - Fleurance 1939-1945". Les galeries de portraits de ces deux ouvrages qui évoquent aussi bien les Morts pour la France que les blessés, les appelés, les résistants, les soignants, le clergé, les élus enfin, sont un magnifique hommage aux Fleurantins de l'époque, au courage et aux faits d'arme, et une mine d'informations pour alimenter le travail de mémoire qui s'impose. Un travail pour l'Histoire, avec un grand H.

Ce n'est ni Confucius, ni Marx, ni Churchill comme on le lit souvent, qui se sont néanmoins, bien sûr, exprimés sur l'idée, mais le philosophe Georges Santayana (1863-1952) qui nous a alerté : " Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé, sont condamnés à le répéter " (The life of reason). Pendant trente ans, la génération d'après-guerre, la seconde du siècle, a vécu dans l'illusion d'une paix et d'un bien-être qui pouvaient sembler définitifs, en Europe du moins. L'éclatement de la Yougoslavie dans les années 90 et aujourd'hui la guerre en Ukraine montrent que le feu couve très près de nous.

Le musée des frères Da Silva embrasse les trois guerres franco-allemandes de 1870, 14-18 et 39-45. Malgré une surface d'exposition relativement réduite, sont rassemblés ici de nombreux témoignages des combats qui ont opposés les deux pays et entrainé le monde entier dans le conflit : uniformes, armement, coupures de presse, photos de famille, objets personnels... Les pièces exposées proviennent autant d'acquisitions par les propriétaires du musée, que de sauvetages in extremis de la décharge publique (!) et de donations par les particuliers, heureux de voir la mémoire familiale trouver un espace de conservation, de mise en valeur et de pédagogie. Et en effet, les établissements d'enseignement de la région sont nombreux à profiter du lieu et de la richesse de sa collection pour aborder avec la génération montante les causes et les conséquences des trois conflits. Marc Bloch, historien, résistant assassiné en 1944 par les allemands, analysait le phénomène, dans L'étrange défaite : " Or, tout professeur le sait bien, et un historien, peut-être, mieux que personne, il n’est pas, pour une pédagogie, de pire danger que d’enseigner des mots au lieu de choses. Piège d’autant plus mortel, en vérité, que les jeunes cerveaux sont, à l’ordinaire, déjà trop enclins à se griser de mots et à les prendre pour des choses ".

Et Xavier et Elia Da Silva montrent les choses. Et les expliquent de façon particulièrement vivante. La visite du musée se déroule avec leur commentaire qui sait si bien s'adapter aux différents publics, susciter les questions, aller à l'essentiel  qui est la vie du combattant, la peur, le courage, la blessure, l'évènement imprévu, l'épilogue, heureux ou malheureux. Car les cérémonies du souvenir, qui marquent au pied des monuments aux morts dans les communes de France, le temps de mémoire officiel, l'anniversaire du jour de paix, peuvent sembler à la longue pauvrement incantatoires et irréelles. Le nom des morts ne nous dit plus rien, sauf leur nombre impressionnant bien sûr. Mais il faut dire ce qui s'est passé, comment la guerre est-elle provoquée ?, le pays était-il prêt à se défendre ?, les erreurs et la lucidité du commandement, du politique, qui sont ces hommes et ses femmes venus souvent des anciennes colonies, ces alliés, qui ont pu renverser le cours d'un scénario bien mal engagé ? La Résistance également, qui tient à Brugnens une place importante, car, lors de la dernière guerre, la France étant rapidement et lourdement défaite, c'est à l'arrière que s'est préparé le renouveau, qu'ont été organisées les exfiltrations vers l'Espagne, l'Afrique du nord et l'Angleterre. Le maquis gascon, à Meilhan, à Castelnau-sur-l'Auvignon, paiera le prix fort pour que l'on se souvienne que le pays profond ne s'est pas soumis.

Il faut souhaiter que l’œuvre admirable des frères Da Silva trouve une suite. La Lomagne, le Gers et la Gascogne méritent que ces histoires vraies, ces vies et ces morts mises bout à bout, nous montrent le chemin, le chemin de l'effort et de la liberté.

                                                                            ALINEAS

 

L'UNIFORME

Le musée présente une très belle collection d'uniformes, depuis le pantalon rouge garance très beau mais très repérable, jusqu'au moderne treillis kaki en passant par le bleu horizon du poilu. Chaque évolution de la tenue du combattant est à la fois guidée par la conception d'un meilleur camouflage et par la recherche du confort et de la souplesse pour le déplacement et l'assaut.

Les uniformes ennemi et allié sont également exposés.

 

 

 

 

L'ARMEMENT

Fusils, pistolets, grenades... l'armement, léger à Brugnens pour des raisons d'espace disponible, mais impressionnant tout de même, fait apparaître de façon flagrante une évolution technique ultra rapide en moins d'un siècle. Le poilu auquel on demandait de sortir de sa tranchée pour charger à la baïonnette, à la suite d'un jeune officier sabre au clair, comme depuis le Moyen-Âge finalement, a eu à subir les premières rafales de mitrailleuses, si meurtrières.

 

LA MÉDECINE MILITAIRE

L'armée allemande se repliant en 1944, dans sa précipitation a abandonné dans une maison qu'il occupait dans le Gers un équipement infirmier jamais servi et particulièrement complet : médicaments, instruments, attelles, manuel de soins... Une pièce rare.

 

LA PROPAGANDE

La communication officielle associe de façon très synthétique d'une part la réponse au besoin de protection du faible, de la mère et de l'enfant, d'autre part le patriotisme, paix et victoire entremêlées aux nécessités du financement de l'effort de guerre. On ne peut pas reprocher cette acrobatie intellectuelle au pouvoir politique. Le temps presse et il est bien dans son rôle.

 

LA PRESSE

De l'inévitable censure en 14-18, justifiée par l'Union sacrée, jusqu'à la sinistre soumission à l'occupant allemand en 39-45, l'information devient douteuse.

 

LA FAMILLE

Loin de son foyer, le combattant espère toujours recevoir des nouvelles. Et doit en donner lui-même. Les relations d'affection prennent d'autant plus d'importance que le risque est grand. Cet officier qui vient de toucher son nouveau casque, un évènement qui n'est pas anodin dans le contexte, veut plaire et rassurer sa mère. Mais le "boche" reste son principal objectif. Voici les termes de sa lettre : " Le 1er décembre 1915. Ma chère Maman, je t'envoie une nouvelle photo de moi. J'y suis pris avec le nouveau casque, auprès d'une de mes pièces [...]. Hier j'ai tiré un obus sur deux boches qui avaient l'allure d'officiers, l'obus est arrivé en plein dessus, c'est la deuxième fois que je vois le travail que je fais, cela fait plaisir, au moins on se rend compte qu'on sert à quelque chose [...]". Capitaine Robert Ferrière, 62ème régiment d'artillerie.

 

LA VIE A L’ARRIÈRE

La monnaie officielle faisant défaut (thésaurisation de la bonne monnaie, marché noir, panique...), afin de maintenir une activité économique normale, les communes, ici Gimont, Lectoure et Fleurance, sont autorisées à émettre des coupons divisionnaires (petite monnaie). La vie continue. Il le faut.

 

DANS LE CIEL DE GASCOGNE

Ce fier résistant gascon a peut-être été doté de son pistolet automatique par un largage de matériel parachuté de nuit par l'aviation alliée en 39-45. Le container a été retrouvé plusieurs années plus tard, oublié, dans la remise de la caserne de gendarmerie de Lectoure, et offert au musée. L'histoire précise des circonstances de la récupération de ce vestige et de sa conservation n'est pas connue mais les recherches des frères Da Silva montrent que la gendarmerie était souvent de mèche avec la résistance.

 

Comment y aller ?

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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Publié le 15 Octobre 2022

 

DÉBROUSSAILLER LES BERGES

DE L'HISTOIRE

 

L'histoire des moulins est très bien documentée. De nombreux amateurs font joliment revivre les moulins à vent et à eau allant jusqu'à moudre et panifier à l'ancienne. Si la meunerie et l'alimentation d'autrefois sont associées dans notre esprit, meuniers et boulangers ne doivent toutefois pas être confondus. Un patrimoine précieux est mémorisé mais muséifié. Et de fait résumé. C'est le progrès.

Alinéas ne prétend pas réécrire ce qui a été très bien écrit ici et là. Mais autour de Lectoure et parfois plus loin, il y avait quelques moulins disparus qu'il fallait dégager sous la broussaille. De plus, nous nous sommes attachés à dessiner le portrait des hommes et des femmes qui ont actionné cette mécanique. La meunerie est à l'origine de notre industrie moderne. Elle est la parfaite illustration de l'ambition et du génie de l'homme.

Voici rassemblées et accessibles par un simple clic les 18 chroniques publiées depuis 2017 sur ce cybercarnet.

 

                                                                               Alinéas

 

L'HISTOIRE

LE MOULIN DONJON voir ici

MOULINS FORTS de LEO DROUYN voir ici

 

LA TECHNIQUE

CHOIX DE L'EMPLACEMENT du MOULIN HYDRAULIQUE voir ici

LA MECANIQUE voir ici

SOURCES, RUISSEAUX, ETANGS voir ici

MOULINS A VENT et HYDRAULIQUE ASSOCIES voir ici

TOUS LES MOULINS en MODELE REDUIT voir ici

MECANISME à 2 MEULES

 

LES MOULINS DU LECTOUROIS

LE DERNIER MEUNIER de LECTOURE voir ici

MOULINS et COUTUMES de LECTOURE AU XIIIème siècle voir ici

LA RANDONNEE DES MOULINS voir ici

LE RECENSEMENT DES MOULINS DU CANTON voir ici

MOULINS DISPARUS voir ici

MOULINS DU 17ème et 18ème voir ici

 

LES HOMMES et LES FEMMES

LE MEUNIER voir ici                                     

LA MEUNIERE voir ici                                                                                       

LE GARÇON MEUNIER voir ici    

LE MOULIN ESPACE DE JEU voir ici

 

DANS LA LITTERATURE

LES MEUNIERS DES CONTES DE GASCOGNE par Bladé voir ici

 

 

Illustration :  Le trésor des Histoires ou Le trésor de Sapience, Collection Cotton MS Augustus V, British library, Wikipedia.

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Moulins

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Publié le 19 Septembre 2022

ailanthe - ailante - Gers  - Gascogne

On a beau aimer les grands arbres, tous les arbres, il y a des limites.

Ce n'est pas un phantasme, ni une vague menace, l'envahisseur est bien installé chez nous. Alors, disons carrément "l'occupant". Vous le trouverez par bandes compactes, dressé, florissant et semant à tous vents, à la Croix-rouge, chemin de la Boère prolongeant jusque rue Descamps où il porte beau, rue Victor-Hugo, au pied du plateau de Bacqué, sur la N21 en direction de Foissin et sur la Vieille-côte, ou isolé, ici et là, en éclaireur. Il est partout. Et alors ! me direz-vous. C'est un bel arbre, non ? on en supprime tellement à tort. Oui, mais l'Ailanthe présente de très gros défauts.

ailanthe - ailante - faux vernis de chine - ailanthus altissima

Ailanthus altissima, Faux vernis du Japon, Frêne puant ou Vernis de Chine, l'Ailanthe glanduleux a été importé d'Orient par curiosité scientifique comme souvent, mais également pour son intérêt décoratif et plus utilement, parce qu'il héberge un papillon, le Bombyx de l'ailante, pour remplacer le Mûrier en raison de maladies touchant les vers à soie, ce qui n'a pas suffi à sauver cette industrie provençale. Arbre du Paradis dans plusieurs langues, Arbre des dieux en allemand, Arbre du ciel en espagnol, rien que ça ! en raison de sa croissance rapide ou de supposées vertus médicinales, il n'a pas fallu longtemps cependant pour s’apercevoir de son incroyable capacité également à se multiplier. Il n'y a qu'un pas du paradis à l'enfer. Oui, l'enfer botanique.

Transporté par le vent, sa graine légère atterrit sans difficulté sur n'importe quel terrain vierge ou en friche. Le bord de route lui convient très bien. Il affectionne les terrains pauvres. L'arbre poussera là, discrètement, et attendra son heure. Des travaux à proximité, une coupe de bois, une zone pavillonnaire ou industrielle en cours d'aménagement et l'Ailanthe colonisera instantanément et intégralement les lieux. Un individu produit jusqu'à 325 000 graines dont la dispersion est facilitée par la présence d'ailettes sur les fruits (samares). Mais là ne s'arrête pas la grande propension de cet arbre à envahir le paysage. Si vous le coupez, il drageonnera c'est à dire que ses racines produiront en quelques semaines des centaines de rejets à plusieurs mètres du pied d'origine. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il occupe tout l'espace disponible. Comme ses lieux de prédilection sont en général mal entretenus, il n'y aura pas d'opposition à cette progression. Et puis se dit-on, "un peu de verdure sur ces terrains vagues, mon dieu, c'est plutôt bienvenu...".

rendails en danger - déboisement - tempête
Drageons avancés à plus de dix mètres de la lisière d'Ailanthes. Le chemin est menacé.

De même lorsque la tempête couche un de nos grands chênes gascons, un frêne ou toute autre variété indigène. En quelques mois, L'Ailanthe aura pris sa place, car les drageons étaient présents dans l'ombre, attendant leur heure. De cette façon, l'envahisseur qui restait en lisière puisqu'il a besoin de beaucoup de lumière pour se dresser, colonisera la clairière provoquée par la chute de l'arbre indigène et ainsi, progressivement, îlot après îlot, le bois en entier.

 

Il faut reconnaître qu'il a de l'allure. Elancé, poussant de 1 à 2 mètres par an pendant les quatre ou cinq premières années et atteignant plus de 25 mètres, offrant une ombre légère, il apporte une touche japonisante dans notre paysage. Sa floraison jaune sur des rameaux rougeâtres est gracieuse d'autant qu'elle est précoce, d'un parfum puissant, très mellifère. L'odeur désagréable dégagée par son écorce et sa feuille, qui lui a valu le nom de Frêne puant, est comparable à celle du Sureau noir et est exagérément décrite comme nauséabonde. Pour son port altier et son feuillage, on le compare au frêne, ou au sumac, un autre invasif, lorsqu'il est encore jeune et de petite taille. Mais voilà, derrière cette esthétique se cache une traitresse alchimie.

En effet, l'Ailanthe produit une substance chimique, l'ailanthone, qui inhibe la croissance de nombreuses autres plantes. Ainsi, depuis sa position d'attente en lisière, ayant envoyé ses racines alentour, à la première occasion, une coupe, une chute d'arbre ayant libéré un espace et donné de la lumière, ses jeunes plants et ses drageons pourront se développer sans concurrent puisque les autres espèces d'arbres auront été ralenties ou totalement éliminées. L'effet de remplacement est surprenant. Et c'est là le plus grand danger, car en milieu urbain ou périurbain il sera peut-être possible de le combattre, cependant par des opérations d'ensemble, variées et concertées, et sur des espaces dégagés avec des moyens mécaniques traumatisants pour l'environnement, mais lorsqu'il investit la forêt ce sera un long combat à engager pour la défense de la flore locale. Pour autant, malgré quelques indispositions signalées mais peu caractérisées, l'arbre ne serait pas toxique pour l'homme comme on peut le lire parfois. Pas toxique mais dangereux pour la biodiversité. Le mieux étant de lutter contre les jeunes plants : arrachage de la racine, fauchage systématique, annelage du tronc (voir ici les conseils du Centre de Ressources des Espèces Exotiques Envahissantes) Il ne faut pas composter ses feuilles. Le feu est le seul moyen sûr pour se débarrasser des déchets et de fait, l'Ailanthe fournit un bois de chauffage performant. Ce sera toujours ça.

Haie d'Ailanthes en pleine croissance menaçant le rideau de chênes en arrière-plan.

Bien sûr Lectoure n'est pas un cas isolé. L'Ailanthe a été utilisé en ville pendant des décennies comme arbre d’alignement. L'espèce s'est également répandue le long des routes et des voies ferrées. Elle est encore vendue en jardinerie malgré les avertissements de tous les organismes spécialisés ! L'Allemagne est particulièrement touchée. Paris également. De nombreuses collectivités locales ont lancé des opérations de lutte systématique. Ainsi Toulon (voir ici par exemple), les îles de Ré et d'Oléron, le département de Savoie, Nogent-sur-Seine etc...

Revenons chez nous. La vallée du Gers présente un profil répétitif très caractéristique. De petits ruisseaux descendent d'est en ouest ou d'ouest en est, pour rejoindre la rivière. Entre deux ruisseaux parallèles un plateau rocheux, le peyrusquet. Autour du plateau, un décrochement conduit à des zones herbeuses, parfois appelées prairies aux orchidées, au sol pauvre, où paissaient autrefois les troupeaux d'ovins. Aujourd'hui la nature a repris ses droits et des friches bordent un ruban d'arbres, majoritairement de chênes, qui couronne le plateau. Ces zones incultes, buissonneuses et arborées, sont appelées par les géographes, rendails. Elles sont, un refuge pour la faune et la flore et parfois le seul espace naturel de dimension intéressante dans un département très agricole. Or, les rendails sont déjà souvent investis par l'Ailanthe.

 

gascogne - chemin - randonnée - disparition - accès

On ne peut pas se résoudre à voir disparaître notre flore variée et laisser se développer l'emprise d'un biotope pauvre. Les habitants de ces abords de la ville ne veulent pas voir disparaître ce patrimoine précieux, leur cadre de vie immémorial. Les citadins promeneurs, les randonneurs, les sportifs doivent également pouvoir continuer à profiter de sentiers offrant des points de vue remarquables sur la cité, et les scolaires une leçon de "sciences et vie de la terre" grandeur nature. Les bourgs et les petites villes sauront certainement se mobiliser pour lutter contre l'Ailanthe envahissant leurs rues, leurs voies d'accès et leurs espaces verts. Espérons qu'ils sachent inclure dans la lutte qui se dessine, leur terroir, leur poumon, leur proche campagne.

                                                            ALINEAS

 

Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ailanthus_altissima

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Botanique

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