Publié le 4 Janvier 2021
Publié le 16 Décembre 2020
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n'y a pas si longtemps à Lectoure, sur le chemin qui conduisait au vallon de Manirac, depuis la citadelle, en passant par le Diné puis à Jouancoue, il y avait un hameau aujourd'hui totalement disparu, La Coustère. En bordure du chemin, au pied du plateau de Baqué coulait, et coule toujours, une source qui servait toutes les maisons rassemblées ici et dévalant en désordre en direction du ruisseau de Bournaca.
Vivait là un vieil homme, veuf, et sa fille. Pour seule richesse, ils possédaient quelques brebis dont ils vendaient le lait et la laine en ville. Elle, chaque jour que Dieu faisait, conduisait le troupeau sur le talus inculte et escarpé que leur abandonnait, contre un peu de fromage, le maître de la maison du Mourenayré, sur le versant opposé du vallon.
Au pied de La Coustère, sur le ruisseau, était installée la mouline de Bazin, que vous connaissez peut-être car elle est toujours là, ne moulinant plus mais pimpante à nouveau par le travail de quelque amoureux des vieilles pierres et de l'endroit. Moulin appartenant autrefois au seigneur du Castéra. Ayant hérité jeune de ses parents, le meunier vivait seul, n'ayant pas trouvé, ni cherché, femme à prendre comme de coutume parmi les filles en âge aux moulins d'alentour.
Les deux jeunes gens, meunier et bergère, ne se connaissaient pas. Elle voyait bien le moulin devant elle, dans son horizon quotidien, mais sans y porter intérêt. Le lieu et l'homme lui inspiraient même incompréhension et quelque crainte. En effet, le meunier n'apparaissait que rarement, soit pour filer à bonne allure sur son mulet livrer son sac de farine, soit tête baissée, affairé à quelque réparation de sa mécanique et de son étang. Le reste du temps, il disparaissait dans sa bâtisse, semblant même faire partie d'une bête fantastique dressée là, dont le râle et les grincements sinistres parvenaient alors au troupeau, amplifiés par l'écho. Jamais il ne portait le regard sur les environs, ni vers la bergère, immobile sur sa pâture. Pour lui, elle était une ombre sans visage et sans nom, dont les bêtes, emportées de temps en temps par un mouvement d'ensemble désordonné, formaient dans le décor une tache informe.
Les mois et les années passaient. De rudes hivers et de longs étés secs et ponctués d'orages violents où le travail sans cesse contrarié rapportait à peine de quoi survivre. Chacun allait son destin et sa misère. Il était dit que ce coin du pays lectourois finirait oublié.
Mais un jour, il fallut que le meunier montât à La Coustère.
Car il prévoyait que le rouet de sa mécanique, trempant dans l'eau sous la paire de meules, devrait bientôt être remplacé. La roue à cuillères avait été fabriquée pour son père par quelque amoulageur, un charpentier de moulin. Magnifique assemblage menuisier de pièces chevillées, le rouet de la mouline de Bazin était le cœur de l'usine, là où l'eau, forcée et libérée dans le conduit installé à la base de l'étang, transmet sa puissance à la machine. Sa partie centrale, le moyeu, devait être taillé dans un bois très dur, du cormier ou bien du buis, des essences rares dans notre Lomagne. Or, notre meunier savait qu'un très gros buis poussait près de la source de La Coustère.
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Il arriva chez le vieux qu'il connaissait pour l'avoir croisé au marché de Lectoure. Assis sur une pierre plate en guise de banc, sur le pas de porte du vieil homme, il prit quelques nouvelles. Le hameau se dépeuplait inexorablement, trop loin de la ville, exposé au vent du nord, à la terre lourde et au relief accentué, trop pénible au laboureur. Puis, il raconta son affaire de mécanique et en vint au fait.
- Me vendras-tu ton arbre de buis, le vieux ?
Il n'eut pas besoin d'insister. Le prix fut convenu que le meunier considéra bien avantageux sachant la pauvreté de l'autre, mais les affaires sont les affaires et il s’apprêtait à repartir, après une poignée de mains en guise de contrat, lorsque la bergère arriva en courant, toute essoufflée, rayonnante, les joues roses, les cheveux en désordre, un énorme bouquet de lilas dans les bras. Elle se figea un instant, surprise par une présence étrangère si rare dans leur quotidien. Puis, pour masquer son trouble, elle tendit le bouquet sous le nez du meunier et dit :
- Sentez comme il sent bon.
Et elle disparut dans la maison.
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Pendant plusieurs jours, le meunier n'eut plus sa tête à lui. Il oubliait d'alimenter en grain les deux meules qui s'échauffaient et freinaient au risque de briser l'arbre de transmission. Ou bien il partait sur son mulet avec son sac de farine mal ficelé qui perdait sa marchandise dans une trainée poudreuse ondulant sur le chemin et qui lui valait une livraison houleuse. Et puis, sur le pas de porte du moulin, il ne quittait plus la bergère du regard sur sa pâture et parfois, lorsqu'elle n'arrivait pas, impatient, il guettait les bêlements qui indiqueraient, derrière un muret ou une haie vive, la direction prise par le troupeau et cheminant derrière lui, l'objet de ses pensées.
Enfin n'y tenant plus, il reprit le chemin de La Coustère.
- Le vieux, je veux marier votre fille.
- Meunier, tu es trop riche pour de pauvres gens comme nous. Tu possèdes ton industrie. Je n'ai pas de dot à te consentir.
- Ton buis me convient. Il n'y a pas de meilleur matériau pour fabriquer un rouet qui travaillera dix ou quinze ans et contribuera à notre ménage.
Au mois de juin qui suivit, on célébra le mariage du meunier et de la bergère à la Mouline de Bazin. La porte fut habillée de rameaux de buis et de grands bouquets de lilas décoraient la table dressée dans la prairie, devant l'étang. Tout le voisinage fut invité. On vint de la Peyroulère, de Navère et Génébra. Ceux de Barterote, de Cézar et d'Espagne aussi. Tous heureux de cette promesse de renaissance.
.............................................
- Vous trouvez mon histoire banale ? Une bluette ? Et si je vous dis que tout est vrai ? Ou presque ?
Le hameau de La Coustère a bien existé. Le chemin s'est un peu déplacé, mais si vous y passez, vous pourrez apercevoir une ruine dans le fourré au pied de la falaise de Baqué. Un buis pousse là, magnifique, sans une trace de chenille de Pyrale alors que nos jardins en sont infestés.
Toutes les autres maisons de la Coustère ont disparu sous les assauts des engins ayant modelé une parcelle agricole de plusieurs hectares, mais le cadastre napoléonien en garde le témoignage. Les maisons de Cézar et Espagne sont là également, sous la ronce.
Le 2 juin 1669, les notaires lectourois Lapèze et Labat ont enregistré le pacte de mariage, à la Mouline de Bazin, de Jean Dabrin, fils de Horton "musnier", et Anthonia Laforgue. Je vous le demande, pourquoi n'aurait-elle pas été bergère ?
Enfin, au printemps dernier, je fouillais les broussailles pour dégager la source que l'on devine par l’exubérance de la végétation, lorsque je vis arriver une promeneuse. Elle portait un énorme bouquet de lilas qu'elle tendit sous mon nez et dit :
- Sentez comme il sent bon.
Alinéas
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ILLUSTRATIONS
- Jeune bergère, 1885, William BOUGUEREAU, Musée de San Diego (Californie).
- La Mouline de Bazin sous la neige, © Michel Salanié
- Photo du rouet Castanet - Nougayrol https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d2/Le_Rodet.JPG
- Cadastre napoléonien http://www.archives32.fr/FondsNumerises/index.php
PRECISIONS SUR LES LIEUX :
Dans Histoire de Lectoure, ouvrage collectif, au chapitre consacré à l'agriculture au XVIième et XVIIième siècles, Pierre Féral évoquant les conséquences agraires des guerres de religion dit ceci : "La dynastie protestante des Foissin, dynastie consulaire détenait entre autres biens, la grosse métairie de Bazin. En 1594, celle-ci est vendue à un protestant de Montauban-en-Quercy, Jacques Thomas, secrétaire ordinaire du roi. En 1638, elle échoit à la famille de Polastron. François de Mona, sieur de Polastron, était un gentilhomme calviniste qui, sur le terrier en 1612, tient la Costère de Vacquier, la salle de Bazin, la borde de Mourenayre, avec bois à Gère et au Ginouard. On voit que la Costère, des possessions du malheureux Vacquier (protestant, homme de confiance de la cour de Nérac, cour d'Henri III, futur Henri IV, exécuté pour sa religion) avait été reprise par un co-religionnaire. Bientôt le terme Vacquier désignera la métairie."
Autrement dit Baqué (synonyme de Vacquier), d'avant la construction de la chartreuse (1784) bien sûr, faisait partie du même domaine que la Coustère de notre conte, on s'en doutait mais ceci est maintenant confirmé, et que la maison de Mourenayre, évoquée ici dans le décor, ou fut signé le contrat de construction de la Mouline de Bazin en 1662.
MAJ 04.03.2023
Publié le 4 Décembre 2020
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Je ne vous ferai pas une leçon de permaculture. Nous n'en sommes qu'au b.a.-ba de la méthode et d'autres vous en parleront mieux que moi : voir notre choix de documentation ci-dessous.
Après dix ans de jardinage classique, beaucoup d'effort, quelques belles récoltes mais trop d'échecs ou de déceptions, au potager, je cède la place à ma maîtresse d'hôtes, qui troque son tablier de ménagère pour les bottes et a décidé, au passage, de changer de technique. Serait-ce un désaveu ? Je lui transmets toutefois un jardin mis en place, la connaissance d'une terre riche mais lourde, l'expérience du climat gascon c'est à dire imprévisible, et en cours de réchauffement mais ça c'est général. Et comme je suis bon garçon, je veux bien continuer à pousser la brouette.
Je vois d'ici les sourires de mes amis et voisins : ça y est, Alinéas s'est fait bobo-iser !
Non, je ne vous donnerai pas de leçon. Je vais plutôt vous raconter la légende de Vertumne et Pomone. Dont le portrait coiffe cet alinéa. Chez les Etrusques, à Pompéï, puis à Rome, Vertumne est le dieu des saisons. Il veille à la fécondité de la terre, à la germination des plantes, à leur floraison et à la maturation des fruits. Il a pris ici, les traits d'une vieille femme pour approcher la nymphe Pomone, créature à la beauté remarquable nous dit-on. Ce qui explique le regard en biais et insistant que le dieu pose, malgré son déguisement, sur le décolleté généreux de la demoiselle. La mythologie n’empêche pas le sentiment. Outre son physique, Pomone est une jardinière hors pair mais elle n'aime pas la nature sauvage. Son jardin est clos de hauts murs et elle chasse sans répit de sa petite serpe, les mauvaises herbes, les intrus et la végétation non autorisés. " Quelque chose comme un jardin à la française quoi ! " Cette préférence pour l'ordre explique également que Pomone refuse les avances de tous ses soupirants venus de la campagne environnante, trop rustiques à son goût, les satyres, les faunes, Silène, Pan et Sylvanus, dieu de la forêt lui-même. Mais Vertumne lui, ne renonce pas. Il se déguisera en laboureur au printemps, en moissonneur en été, en vendangeur à l'automne, puis, tirant la leçon de ces refus, en vieille femme en hiver. Une assiduité des quatre saisons... Et Pomone finira par prendre la vieille en affection. Eh oui ! une grand-mère c'est plein de prévenances, et puis il y a les recettes de confiture, les confidences, les remèdes... Après cette approche astucieuse, Vertumne, avouant sa ruse, en profitera pour faire l'article à son propre bénéfice et proposera de prendre les traits d'un bel homme. Bien sûr Pomone tentera l'expérience et succombera enfin. Il paraît que Vertumne et Pomone vivent ensemble éternellement ce qui est assez rare chez les dieux. Ils vivent heureux dans un jardin généreux et authentique, ouvert sur la campagne environnante, féconde et bienfaisante.
Le rapport avec la permaculture me direz-vous ? Outre l'histoire d'amour, éternel recommencement, comme la nature, la morale de l'histoire apparaît dans le conseil que le dieu des saisons dispense à la jardinière : "Regarde cet orme Pomone, vois la vigne plantée à son pied qui grimpe à l'arbre et donne ces grappes magnifiques*. L'arbre sans la vigne ne porte que des feuilles. La vigne sans l'arbre serait couchée et improductive. Dans la nature les plantes s'entraident". La devise énoncée par le philosophe Erasme à propos du compagnonnage, "non solus, pas seul pour progresser, pas seul pour fructifier", s'appliquant aussi aux végétaux.
L'histoire est donc vieille comme le monde. La complémentarité entre nature sauvage et plantes domestiquées pourrait parfaitement illustrer l'agroforesterie qui est la cousine de la permaculture. Celle-ci va au-delà des techniques de culture arboricole ou viticole mais le raisonnement est bien le même : favoriser les phénomènes naturels qui concourent à la production vivrière, en autonomie et sans appauvrir la terre nourricière, en la protégeant, mieux en l'enrichissant durablement.
Les principes de la permaculture ont été pratiqués et énoncés par le japonais Masanobu Fukuoka puis théorisés par différents auteurs et praticiens pendant les années 1970, dans la mouvance de l'écologie, de l'agriculture biologique et des modes de vie alternatifs, pour essaimer ensuite partout, dans les pays développés puis dans toutes les régions du monde. Permanent agriculture in english devenu le mot-valise permaculture, en anglais et en français itou. Autrement dit : agriculture durable, opposé à une agriculture jetable, à courte vue. Oui bien sûr, il y a là une contestation du système et de l'agriculture productiviste, voire une position politique très catégorique. Je vous rassure, je ne suis pas encarté et je me méfie des ayatollahs, toutes religions confondues. Cependant, vous comme moi je pense, nous sommes progressivement convaincus que l'agriculture intensive posait de sérieux problèmes. Vaste sujet. Pour rester à notre modeste niveau de jardiniers amateurs, nous n'avons jamais utilisé les pesticides, proximité du Rucher de Lectoure oblige. Nous avons installé des haies vives tout au long du chemin de Saint-Jacques, replanté des arbres au bord du ruisseau qui était tondu à raz les violettes tous les ans, demandé et obtenu une culture de luzerne biologique à l'exploitant des parcelles mitoyennes. Nous avons testé l'extrait de sureau pour lutter contre les campagnols, sans grand succès cependant mais peut être faut-il chercher le bon dosage, le bon moment, bref de l'obstination, la qualité première du jardinier. Nous conservons nos déchets afin de produire du compost...
- Eh pardí Mossu, tout ça, nos grands-mères le faisaient déjà !!!
Oui, c'est vrai, nos grands-mères, les jardins de curé, les enclos médiévaux, les simples... Mais dans l'intervalle, nous avons eu tendance à oublier ces bons principes d'autonomie et de pratiques naturelles. Acheter des graviers en sachet, des piquets et des films en plastique fluo, toutes sortes d'accessoires et de produits du marketing, sprays, claustras, station météo connectée... les jardineries en amont, les déchetteries en aval, notre jardin est devenu petit à petit un pion sur l'échiquier du commerce, une cible pour la publicité, et à son tour un consommateur très courtisé ! C'est le monde à l'envers. Alors Vertumne, que faire ?
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Le principe de permaculture qui m'est apparu le plus intéressant est la couverture de la terre, le paillage. Et je m'aperçois en vous écrivant, que je rejoins en cela la maître Fukuoka : " ...répandre de la paille... est le fondement de ma méthode pour faire pousser le riz et les céréales d'hiver. C'est en relation avec tout, avec la fertilité, la germination, les mauvaises herbes, la protection contre les moineaux , l'irrigation. Concrètement et théoriquement, l'utilisation de la paille en agriculture est un point crucial". Pas de riz en Lomagne, ma perma-jardinière me fit donc avec nos légumes bien de chez nous, la démonstration de l'intérêt du paillage dès la première année en obtenant d'assez bons résultats, modestes mais encourageants, là où avant elle, j’échouais, au cœur de l'été en particulier : oignons, salades, courges, blettes, betteraves... Avec un arrosage beaucoup plus espacé que le mien.
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Il faut dire que notre terre est difficile. Argilo-calcaire, elle est lourde et capricieuse. Amoureuse en hiver, un kilo de boue collé à l'outil et autant à chaque botte, on dirait un sketch télé d'Intervilles. Et en été, l'amoureuse est plutôt revêche. Insensible à nos avances, c'est du béton. Si par malheur l'averse orageuse est violente, vous imaginez la suite de l'épisode, en contre-bas dans la vallée... Le paillage m'a donc convaincu. La terre est souple sous le couvert. Il retient les arrosages pendant plusieurs jours. En se décomposant progressivement, il modifie la texture du sol. Je sais, la paille ne pousse pas toute seule mais on peut aussi composer son propre paillage avec les déchets végétaux. Le permaculteur garde tout. Cela demande une organisation et de la patience. Armons-nous.
Ce que je n'ai pas aimé dans les ouvrages de vulgarisation qui foisonnent et que nous avons consultés, c'est l'image d'un jardinage qui serait facile, "paresseux" s'enorgueillit l'un d'eux, parce que sans labour et désherbage. Il faut tout de suite couper court à cette légende. La permaculture demande un investissement de tous les jours. Une fois notre terre enrichie, assouplie, protégée, les plantations et semis pourront trouver leur place, en entrebâillant le couvert. Dès lors la comparaison de la technique du paillage avec l'écosystème forestier apparaît très juste : drainé et protégé du froid l'hiver, humide et frais l'été. Vertumne avait raison.
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Une fois la terre enrichie et protégée, le reste de la méthode peut se résumer à un accompagnement attentif et à des interventions en douceur : apports de compléments, traitements au moyen d'extraits de prêle et d'ortie, aération du sol à la grelinette, cet outil si simple et magique à la fois qui évite de retourner la terre, ce qui, faisant passer en surface et détruisant de ce fait les micro-organismes vivant normalement en profondeur, appauvrit et alourdit progressivement le substrat. En outre la grelinette est un outil ergonomique, qui ne demande pas d'effort à nos lombaires et réduit considérablement le champ d'intervention de la bêche et du motoculteur, s'il ne les fait pas disparaître totalement de la panoplie. La permaculture n'aurait-elle pas une petite connotation féministe ? De ce point de vue, ça m'arrange.
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Je ne vous dirai rien sur les aspects plus intellectuels, mais non moins intéressants, de la permaculture : philosophie, choix de vie, éthique... Ce serait prétentieux, peut être ennuyeux et quelque peu impudique. Il nous faudra un longue pratique pour prétendre à cette hauteur de vue. Si les dieux de la nature nous prêtent vie.
Alinéas
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POST-SCRIPTUM
Nous redisons à nos parents, amis, et voisins que nous n'avons aucun conseil à leur donner. Leurs jardins sont magnifiques. Ils appliquent certains des principes que nous évoquons, permacultivant ainsi depuis longtemps comme le faisait monsieur Jourdain, sans le savoir. Vous nous avez appris beaucoup. Vous nous avez approvisionnés en fruits et légumes lorsque notre table d'hôtes était gourmande. Certains allant même jusqu'à équeuter les haricots verts avant de nous les déposer discrètement ! C'est ça aussi la permaculture : le partage. Nous vous devons l'envie de nous y consacrer à notre tour. Adishatz.
* A PROPOS DE L'ORME ET LA VIGNE :
L'orme, ce bel arbre disparu à la fin du 20ième siècle, a effectivement servi de tuteur à la vigne.
"La chose est fréquente en Gascogne. Au 16ième siècle, [le lectourois] Pey de Garros en fait état dans sa deuxième Eglogue:
Je ne taillerai plus les sarments de la vigne
Mariée à nos ormeaux...
Sous l'ancien régime, dans la région de Simorre (Gers), les vignes étaient dites "en respaliers" ou "en espallières". Ce procédé de culture consistait à planter en sillon des érables, des ormes ou des cerisiers à trois mètres environ dans tous les sens. On les taillait après les avoir étêtés à 2,50 m du sol. Au pied de chacun d'eux, l'on plantait un cep de vigne dont les sarments étaient plus tard attachés aux branches de l'arbre son voisin".
Henri POLGE, L'ormeau au village, 1976.
La technique est toujours utilisée, en Italie en particulier et joliment nommée : Vite maritata, vigne mariée.
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SOURCES et DOCUMENTATION :
- La permaculture mois par mois, Catherine DELVAUX, ed. Ulmer.
https://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/la-permaculture-mois-par-mois-739-cl.htm
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- Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Permaculture
ILLUSTRATIONS :
- Vertumne et Pomone, Paulus Moreelse 1625-1630, Musée Boijmans Van Beuningen Rotterdam.
- Non solus, cartouche d'un imprimeur hollandais du 18ième siècle éditeur d'Erasme, Spuistraat à Amsterdam, © Alf van Beem, Wikipedia Commons
- Photos © Michel Salanié
- Vigne dressée, © Domaine viticole Drengot.
Publié le 16 Novembre 2020
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es visiteurs sont surpris par le calme qui règne à Berrac. "Quel silence !" entend-on dire avec une certaine inquiétude toutefois. C'est tellement inhabituel aujourd'hui. Est-ce bien normal ?
Détrompez-vous ! Ce petit pays n'en finit pas de s'épancher alentour. Allons, prêtez l'oreille. L'eau qui sourd de nos sources murmure le long des fossés et court jusqu'à la rivière dire les joies et les peines des gens d'ici et de toujours. Descendu des Pyrénées, le vent, lui, souffle dans les greniers et les cheminées les légendes de Gascogne, l'Histoire, la grande et la petite, le souvenir de la vie simple de nos anciens.
Et puis, il y a les cloches de Saint Marcel.
Exposées à tous les temps, à la pluie, à la grêle qui les fait tintiner en chœur avec les rangées de tuiles qui offrent leur dos rond à l'averse. Mais alors, personne n'est là pour profiter du conciliabule fantastique, sauf parfois quelque égaré heureux, à l'abri sous le porche, de ceux qui savent profiter de ces moments uniques où la nature parle aux hommes.
Cependant, dédaignant le désordre des éléments, ces cloches ont eu leurs riches heures, bien sûr. Et leurs jours. Si vous les avez entendues, claires et généreuses, vous savez que Berrac donne de la voix aux moments essentiels de la vie et de la mort. Ce village est l'un des derniers de France à avoir "son" sonneur, autrefois personnage porteur de nouvelles officielles au même titre que le garde-champêtre, le facteur, ou, pour les on-dit, le colporteur. Aujourd'hui, toujours auxiliaire des temps forts religieux, le sonneur de Berrac reste l'un des acteurs de la vie sociale du village. Le maire, Philippe Augustin, n'hésite pas à mettre cloches et sonneur à contribution lors des manifestations de mémoire. Les 11 novembre 2018 et 2019 à 11 heures, les cloches ont été mises "en volée" par les enfants du village pendant 11 minutes pour marquer l'anniversaire de la fin de la Grande Guerre et honorer les morts du village. Lors de la commémoration en costume d'époque, le 14 octobre 2018, on a sonné le tocsin. Tout récemment, lors de la dernière cérémonie au carré militaire du petit cimetière, le glas a résonné trois minutes.
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Mot français d'origine celte, en gascon la cloche se dit campana, d'où, pour l'officiant, lo campané. Ici une précision : le sonneur de Berrac ne peut pas être appelé "carillonneur", car un carillon comporte nécessairement 4 cloches, offrant différentes notes qui permettent d'exécuter certaines mélodies quelque peu élaborées. Qu'importe, ne sonnons pas plus haut que notre clocher. A Berrac, c'est un clocher-mur, parfois dit clocher gascon, ça tombe bien. Il est charmant, ne domine pas le paysage mais l'agrémente, y participe délicatement, laissant apparaître, en ombres chinoises, les deux sœurs d'airain qui, selon la circonstance et le geste du campanaire, joueuses ou pleureuses, balancent leurs jupes dans les nuages.
Il y a une riche imagerie populaire autour du sonneur, successivement moine jovial soulevé dans les airs au bout de sa corde, bedeau austère et solitaire dans la pénombre, jusqu'à notre Quasimodo national grimpant aux tours de Notre-Dame, dans un opéra flamboyant et dramatique. Rien de tout cela à Berrac. Jean-Louis Castaing, c'est le nom de notre campanaire, a les pieds bien sur terre. D'ailleurs, ici on est sonneur "de famille". Jean-Louis a succédé à son frère, Jacques, en 1999, lequel avait pris la suite de sa mère Marcelle. Irène Palazo, l'arrière-grand-mère étant, pense-t-on, à l'origine de cette belle lignée au service de l'église.
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Forgeron de formation, Jean-Louis Castaing est également cantonnier (oups ! employé municipal), chasseur pendant le temps qui lui reste... autrement dit, une figure locale. Lorsque la cérémonie qu'il sert est heureuse, Jean-Louis aime à faire aux enfants la joie de sonner eux-mêmes à la volée, provoquant rires et bons mots. Mais attention, les sonneries sont tout à fait codifiées et notre homme a reçu en héritage les partitions des différents moments liturgiques qu'il respecte à la lettre, ou plutôt à la percussion. Vous restituer ici ces différentes sonneries serait peu littéraire et je suggère plutôt à quelque berracais de les enregistrer à l'occasion, car Jean-Louis les exécute par cœur, comme une tradition acquise et mémorisée, à l'oreille. En quelque sorte, un patrimoine sonore. Prenons seulement l'exemple de l'Angélus : Jean-Louis sonne 15 fois la petite cloche, 9 fois la grosse, puis 15 fois à nouveau la petite. Mais chaque sonneur a sa recette. Ou bien est-ce l'évêque qui met ainsi sa patte sur son territoire canonique ? Il me semble qu'ailleurs, l'angélus est beaucoup plus sobre. Sans doute l'aveu carillonné de notre faconde gasconne.
A Pâques, le clocher cathédral a la priorité. Du vendredi saint au dimanche, pour marquer le deuil de la chrétienté en attente de la résurrection, les cloches sont muettes. Et les églises paroissiales doivent attendre que la cathédrale ait marqué le Gloria à la fin de la grand-messe pascale pour sonner à leur tour. Mais, depuis Berrac, entend-on les cloches de Saint-Gervais donner le la ? Je ne le crois pas, aussi notre campanaire peut-il s'affranchir sans risque de remontrance de cette préséance bien pointilleuse.
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Il paraît que les sonneurs sont souvent sourds, et Jean-Louis l'est un peu moins que moi. Aurais-je manqué ma vocation ? S'ils ne le sont pas de naissance, ils peuvent le devenir. Certes, mais le sonneur n'a pas besoin d'une oreille musicale. Chaque cloche donnant sa note toutefois. A ce propos, quelque mélomane, lomagnol ou de passage, saura-t-il nous dire quelles sont nos deux notes berracaises ? Le sonneur a surtout besoin de ses deux épaules en bon état, d'un coup de poignet adroit et du temps de présence adéquat, ce qui n'est pas rien. Bien qu'aujourd'hui ce soit service réduit. Car les messes se font rares, le pauvre curé de Lectoure devant desservir 21 communes. Alors il reste les mariages... parfois, les sépultures... parfois également, et les fêtes dites carillonnées. Et c'est alors une grande émotion d'entendre vibrer le bourg et la campagne à l'unisson. Un peu comme si le sonneur tenait le rôle de rassembleur, de catalyseur pour dire savamment. Oui, les cloches du village sont l'expression d'une certaine forme d'unité. Et de village en village, d'unité du pays de France.
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En effet, ce pays est couvert de milliers d'églises, surmontées d'élans de foi et de pierre dressés vers le ciel, voulant à l'origine marquer, par leur élévation, la primauté du spirituel sur le temporel. De surcroît portant haut les instruments permettant d'appeler les fidèles à la prière. La France naissant, la cloche a remplacé la trompette du héraut antique dont le souffle ne pouvait suffire à la tâche. Suivant l'exemple des monastères, en 801, Charlemagne ordonnait que les églises de l'Empire sonnent les heures. Puis très vite, le concile d'Aix-la-Chapelle de 817 ajouta qu'elles devaient se doter de deux cloches, pour pouvoir varier les sonneries. Ce que Berrac fit mais bien plus tard, lorsque l'église paroissiale fut construite sur les ruines de la chapelle seigneuriale, à l'angle du rempart du château primitif. Car entre-temps vinrent les hordes vikings. Pendant deux siècles, la Gascogne vécut dans le silence, qui sied à la soumission. Les puissants guerriers à la rousse chevelure furent les premiers à piller les églises et à emporter les cloches pour les fondre et forger de nouveaux instruments, rutilants et sonores également, mais dans la bataille. Les armées qui leur succédèrent, jusqu'au vingtième siècle de sinistre mémoire, suivront souvent leur exemple impie.
Puis, après les temps barbares, au cœur du Moyen-Âge, la foi profonde des peuples donnait à l'église, déclarant tant bien que mal la Paix de Dieu, un essor considérable. Elle allait occuper pendant plusieurs siècles le rôle de métronome de la vie sociale. Et les cloches, la fonction de porte-parole. Ponctuant les heures de prière mais également de travail, les sacrements, les évènements marquants du royaume et de la papauté, les guerres, les incendies... Tintement, volée, glas, tocsin. Le campanaire ne quittait plus son poste.
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On croyait aussi autrefois que le son des cloches pouvait dévier l'impact de l'orage, de la grêle et de la foudre. Et si le campanaire échouait dans cette mission de sûreté publique, il subissait évidemment l’opprobre de la population, abattue par le désastre et cherchant un bouc-émissaire. Les mécréants lui reprochent de faire du bruit à tout bout de champ, les croyants de bégayer parfois sa partition. Exposée, la fonction comporte donc des risques, que Jean-Louis Castaing évoque dans un sourire philosophe.
Petite contribution à la dernière affaire du débat public sur le genre : sachez que le glas est différent s'il s'agit du décès d'un homme ou d'une femme. Y aura t-il une sonnerie inclusive ?
L'association Berrac Village Gersois fait procéder actuellement à des prises de vues par drone et par les membres d'un club d'escalade (!) car il n'y a pas d'escalier pour aller y voir de près, afin de déchiffrer les mentions inscrites sur la jupe des deux demoiselles. Les premiers clichés ont révélé qu'elles ont été fondues par l'entreprise Vinel à Toulouse et baptisées le 13 décembre 1926 en présence des abbés Bourgeat et Gelas. Bientôt centenaires. Finalement, il est tout à fait probable que l'arrière-grand-mère de Jean-Louis Castaing les ait inaugurées.
Enfin, on ne connait pas à Berrac d'histoire de messe noire, de celles qui font sonner les cloches la nuit, lugubres, sans campanaire et sans officiant dûment ordonné, laissant flotter sur place, au petit matin, quelque fumet diabolique. Notre conteur gascon, Jean-François Bladé, a préféré chanter les amoureux. Que le sonneur dérange, évidemment. Evitant toutefois ainsi in extremis, que les novios ne fassent sonner le baptême avant le mariage...
Alinéas
AVERTISSEMENT AUX ÂMES CHASTES : le juron osé qui apparaît dans ce poème (!) est un peu surprenant dans la bouche d'une jeune fille, mais il était populaire à l'époque, et en général, outrepassait l'intention.
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PS
SOURCES :
- Sur les différentes sonneries : http://tchorski.morkitu.org/1/sonneries.htm
- Le règlement des cloches : https://www.abbaye-saint-hilaire-vaucluse.com/Sonneurs_sonneries_et_reglements.html
- Le musée européen d'art campanaire de l'Isle-Jourdain (32) à visiter absolument ! https://fr.wikipedia.org/wiki/Mus%C3%A9e_europ%C3%A9en_d%27art_campanaire
ILLUSTRATIONS :
- Photos Michel Salanié
- L'angélus, Jean-François Millet
- Sortie de l'église : photo Mairie de Berrac
- Carte postale ancienne, collection particulière.
Publié le 5 Novembre 2020
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otre époque est au déboulonnage des statues. Pour ce qui concerne les dictateurs, c'est une fin inscrite dans leur destinée et qui, en général, intervient heureusement assez rapidement après leur disparition, de vieillesse ou conséquemment à une révolte populaire, celle-ci étant également listée dans les aléas de la définition de fonction. Pour les grands hommes, nous le savons : ils resteront debout devant l'Histoire, la grandeur étant peu sensible à la vacuité et la versatilité des foules. Je propose que nous profitions de cette ambiance agitée pour nous tourner vers plus discret, plus tendre, mais non moins profond. Et plus prometteur. L'enfance.
Enfance dont l'artiste que le Carnet d'Alinéas vous présente aujourd'hui, s'est fait une thématique.
Anne-Laure Pérès est Lectouroise. Etablie à Toulouse, elle expose depuis 2011 dans différentes galeries du Sud-Ouest, mais également à Paris et en Provence. En 2018, elle obtient le 1er prix du public au salon Terre et Flamme de Chantepie (Ille-et-Vilaine). Disons également qu'Anne-Laure dispense des formations, cours particuliers et collectifs, et qu'elle propose des animations auprès d'associations et d'entreprises, activités perturbées en ce moment évidemment mais on garde le moral. Vous admirerez certainement son geste, précis et élégant, sur les tutoriaux disponibles sur sa page Facebook.
Anne-Laure travaille également sur commande. Ses coordonnées sont communiquées sous notre galerie de photos.
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Anne-Laure Pérès se souvient avoir été marquée par la visite de l'exposition Camille Claudel qui s'est tenue au château de Lavardens en 2008. L'aurore, dernière variation de l'œuvre majeure de la célèbre sculptrice, La petite châtelaine façon Art nouveau, est évidemment éblouissante, mais pour que notre jeune lectouroise soit inspirée à ce point et décide de se lancer, encore fallait-il qu'elle ait la fibre pour y parvenir si vite et si bien. Quant à adopter l'enfance comme sujet de prédilection, les motivations abondent, esthétiques, spirituelles, psychologiques que l'artiste lui-même n'est pas toujours en mesure de distinguer, et pourquoi lui demanderait-on de les exprimer d'ailleurs ? L'art n'a pas besoin de se justifier. L'histoire de la sculpture offre des merveilles de représentation de l'enfance. Il faut chasser de notre esprit les défilés de putti, angelots et autres cupidons de Rome et de la Renaissance, replets et inexpressifs, qui sont à la sculpture antique ce que Mikey est à l'art contemporain. Le site de Brauron, sur la côte de l'Attique, aux environs d'Athènes, recèle un incroyable groupe de statues d'enfants (VIIe siècle av. J.-C) , voués à la déesse de la nature sauvage, Artémis, sculptés non pas dans une position officielle et hiératique, mais d'un naturel étonnant, comme cette jeune fille au lapin. A l'opposé de notre mare nostrum culturel, le norvégien Gustav Vigeland a offert à sa ville d'Oslo, dans le parc Froger qui lui est entièrement dédié, le jovial foisonnement d'une tribu naturiste où, malgré des formes pleines jusqu'à l'épure, annonçant le cubisme, les visages d'enfants, parmi lesquels cet enlacement de jeunes filles espiègles, expriment avec subtilité tous les sentiments de l'innocence et de la joie de vivre.
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Il a fallu choisir les photos du travail d'Anne-Laure que nous reproduisons ci-dessous, une sélection forcément réductrice. Nous aurions également aimé pouvoir tourner autour de ces personnages en vidéo. Ils mériteraient un regard "intégral".
On dit en général que l'art du sculpteur est de savoir "saisir" l'instant, c'est à dire l'expression, le mouvement de son sujet. Par un effet de miroir sujet/spectateur dont Anne-Laure Pérès joue, c'est nous qui sommes saisis par le réalisme de ces scènes. Si les membres sont quelque peu stylisés, les postures elles, sont très étudiées et réalistes, la sculptrice maîtrisant parfaitement les fondamentaux de l'anatomie. Ne dit-on pas en langage courant que "le corps parle" ? Nous sommes ensuite, chacun selon sa sensibilité, captivés par une mimique, par la position des mains ou des pieds, trahissant l'hésitation ou la contrariété, par le regard qui se détourne, pour rêver ou s'échapper, par un ensemble de petits détails infimes donnant au personnage, si fragile pourtant, une présence intense. Sur nos places et nos avenues à la glorieuse perspective, les statues officielles de nos grands hommes n'ont pas toujours cette vitalité. Quand elles ne sont pas totalement creuses.
Le second caractère qui nous paraît s'imposer dans le travail d'Anne-Laure est sa contemporanéité. Ce n'est pas si évident, car bien souvent nous enfermons les enfants dans notre propre histoire et pêchons par nostalgie. Ceux-là ne jouent pas un jeu de rôle. Ils ne prennent pas la pose pour nous faire plaisir. Bien trop décontractés, indépendants, balthusiens. De telle façon que de l'humour, de l'anecdotique qui pourrait nous égarer, nous sommes bien obligés d'en venir à la perception, au second degré, d'une certaine philosophie de vie d'aujourd'hui. Non, ce n'est pas "l'enfance de l'art", mais bien l'inverse. Pour en arriver là, il faut que l'artiste maîtrise non seulement sa technique mais fondamentalement, de surcroît, la psychologie de son sujet, son rôle, son importance dans le groupe humain, la famille, l'école, sa génération, qu'il perçoive enfin son essence d'être, un être en développement certes, mais déjà totalement présent et indispensable à la société. Homme-enfant ou femme-enfant, personnalité à part entière, dès l'instant même où la silhouette émerge de l'argile, sous la main créatrice.
Alinéas
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Le site web https://www.annelaure-peres.com/
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Publié le 26 Octobre 2020
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Je me suis souvent demandé d'où vient cette émotion qui me trouble, vous aussi peut-être, à l'écoute de la sonnerie aux morts. Ce roulement de tambour, cette trompette au tempo lentement cadencé, et puis le silence auquel se mêlent les bruits de la ville, un cri d'enfant, le vent. Cela n'a rien à voir avec le caractère martial de notre hymne national ou l'appel mobilisateur du chant des partisans. Non, quelque chose de plus profond, de plus philosophique oserais-je. L'absence de paroles permet toutes les lectures. Seule résonne l'annonce : "Aux morts !". Bien sûr, ce sont eux que la sonnerie honore. Certains que l'on connaissait, ou ceux discrètement inscrits sur cette impressionnante litanie des monuments commémoratifs, pour résister à l'oubli. Et parmi eux le soldat inconnu, représentant glorieux de tous les morts pour la France. Mais voilà que je ressens naître en moi, à ce moment-là, une forte communauté d'esprit avec tous les vivants, participants à la cérémonie, proches et étrangers, vieux et jeunes. Avec les absents même, ceux qui n'ont pas pu ou pas pensé à venir, avec les indifférents et les esprits forts. Enfin, je m'aperçois que de la compagnie des morts et des vivants, je me tourne vers l'avenir, inquiétant ou espéré, celui de nos enfants, celui de notre pays, celui de l'humanité. La force évocatrice de la musique est bien connue et a donné lieu à de très savantes considérations psychologiques qu'il n'est pas mon propos de développer. Mais oui, je crois à présent que la sonnerie aux morts relie le souvenir que nous avons des luttes de nos anciens, avec notre futur. Avec l'avenir. Celui que je ne connaîtrai pas et qui se construit aujourd'hui.
Alinéas
"Qu'ils le sachent, nos enfants, Combien d'entre nous sont tombés, Pour la liberté !"
Texte originel du chant des partisans en russe
LE SOUVENIR FRANÇAIS
Le Souvenir français est une association nationale qui a pour vocation de conserver la mémoire de ceux et celles qui sont morts pour la France (MPLF) au cours de son Histoire, en entretenant leurs tombes ainsi que les monuments élevés à leur gloire. Reconnue d’utilité publique, patronnée par le Président de la République, l’association porte la flamme du souvenir en transmettant aux générations successives, l’amour de la patrie et le sens du devoir. Ouverte à tous, elle observe une stricte neutralité politique, confessionnelle et philosophique.
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Sur les cantons de Fleurance et de Lectoure, sous l'impulsion constante et bienveillante de son président, le Comité de Lomagne du Souvenir français mène ses actions en partenariat avec les collectivités locales et leurs élus, avec les établissements scolaires à l’initiative des enseignants, enfin avec toutes les associations, en particulier celles regroupant les anciens combattants et résistants, mémoires vivantes des derniers conflits.
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SON ACTION SUR LE TERRAIN
En matière de préservation du patrimoine mémoriel, l’équipe du Comité visite les cimetières en fonction des signalement de tombes de MPLF en déshérence qui lui sont adressés, propose des rénovations et participe à la surveillance des travaux pour les plus importants (carré des Tirailleurs Sénégalais, tombe de regroupement et mur du Souvenir à Lectoure) et lors de la restauration de monuments ou de tombes individuelles. Des projets de regroupement à Saint-Clar et à Fleurance sont en cours, que le Comité promeut.
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Chaque année, en octobre-novembre, le Comité pavoise, dans les cimetières communaux de Lomagne gersoise, plus de 30 tombes au profit desquelles il est intervenu.
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Enfin, la quête annuelle de la Toussaint est destinée à permettre le financement des opérations de rénovation et d’entretien du patrimoine mémoriel. Sur la voie publique et aux portes des cimetières, les quêteurs, grands et petits, ont alors l’occasion de dialoguer pour expliquer l’œuvre du Souvenir Français.
Donnez !
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Comité de Lomagne du Souvenir Français - eric.boss.sf@gmail.com
Photos © Souvenir Français - Comité de Lomagne
Publié le 16 Octobre 2020
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Le noyer a traversé l'histoire de la science botanique dans une tempête de reproches. La faute à son ombre supposée néfaste, il fut accusé pendant des siècles de tous les maux et des plus fantaisistes. Mais heureusement, la richesse de son fruit, à l'abri dans cette fameuse coquille, naviguant contre les vents et marées de l'ignorance des temps, l'a conduit à bon port, disons-le, à bon goût.
Juglans regia selon la nomenclature de Linné. Contraction de Juvis glans, le nom botanique du noyer commun européen veut dire : royal gland de Jupiter ! Non, il ne nous a pas été livré par les romains, même si ceux-ci ont évidemment développé sa culture dans le sillage de leurs conquêtes. Charlemagne en ayant remis une couche. Apparu aux temps antédiluviens en Asie, le noyer est présent en Europe depuis plusieurs dizaines de milliers d'années. Figurez-vous que l'on traque son chemin migratoire, depuis la Tartarie jusqu'en Suisse, par l'étude de l'ADN de pollen fossilisé! En Europe du sud, le noyer aurait résisté à la dernière glaciation, il y a plus de 10 000 ans. Un vieux de la vieille. Alors, d'où nous vient ce fringant Jupiter-là ?
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Le dictionnaire en ligne Wikipédia me paraît bien prude en supposant que la référence au dieu des dieux s'explique par la comparaison de la richesse nutritive du fruit, digne des tables les plus huppées, avec celle du pauvre gland de chêne, juste bon à donner aux paysans et aux cochons. Mais en réalité et plus imagé, chacun aura remarqué la proximité du fruit dans son écale verte (épicarpe ou brou) avec un bel appareil masculin. Deux autres noms communs du noyer dans différentes régions militent pour le même parti, si j'ose dire : calottier et gojeutier. Je vous passe les hypothèses de relation avec nux gallia, noix gauloise en latin, dont "gaillardise" découlerait. Pour faire le tour du sujet, sensible, dans sa très documentée thèse de Doctorat (voir nos références ci-dessous), sous la direction du célèbre Michel Pastoureau, Pauline Leplongeon précise que l'allusion ne s'arrêtera pas à la nomenclature de la science botanique : " Au Moyen Âge et à la Renaissance, cette idée de fertilité perdure dans le domaine de la parémiologie, où la noix se détache du monde divin pour entrer dans celui de la grivoiserie. Ainsi, Rose M. Bilder, dans son Dictionnaire érotique : ancien français, moyen français, Renaissance, recense un certain nombre d’expressions utilisant la noix pour faire référence à l’acte sexuel. On compte ainsi «batre noix», «abatre noix», «casser noix» qui signifient faire l’amour, de même que «croistre les noix», «croquer la noix» ou, plus éloquent encore «secouer les noix». Dans le même ordre d’idée, «batre noix ailleurs» veut dire être infidèle, «le goût de la noix» exprime le plaisir que donne une chose agréable, chose plus précisément définie par l’expression «perdre le goust de la noix» qui insinue qu’on n’est plus intéressé par une femme. Enfin, «avoir escaillé noix» signifie avoir de l’expérience, dans le domaine du jeu amoureux il va sans dire". Et Jupiter avait une sacrée expérience, paraît-il.
Il était de coutume autrefois, dit-on, de lancer des noix lors des noces, en guise de bon augure. Un auteur du IVème siècle prétend qu'il s'agit plutôt de couvrir les cris de la jeune épousée, les noix en tombant faisant suffisamment de bruit pour convenir à cette tache... Il y a des MeToo qui se perdent.
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Pour repasser au-dessus de la ceinture, selon la théorie des signatures qui veut que les qualités d'une plante se devinent à son apparence, ses partisans considéraient que la graine comestible, le cerneau, ressemblant à un cerveau, sa consommation était bonne pour les méninges. Nos anciens ont peut-être eu ici, plus de chance dans l'approche, car les qualités nutritives et médicinales de la noix se révèlent effectivement scientifiquement aujourd'hui, précieuses pour tous les Junon et Jupiter que nous sommes, vous et moi. Particulièrement riche en acides gras polyinsaturés dont les très recommandés oméga-3, la consommation de noix permet de diminuer le cholestérol, favorise l'élasticité des vaisseaux sanguins prévenant ainsi des maladies coronariennes. La noix contient également des antioxydants (pour vieillir mieux, si ce n'est pas antinomique), des fibres pour le transit, du manganèse, de phosphore, du magnésium, du fer, du zinc, du cuivre, de la vitamine B1, B5 etc... Ne me demandez pas de justifier; comme vous, je fais confiance. Si je ne vous ai pas convaincus, c'est fichu.
Bien sûr, pour autant il ne faudra pas en consommer des tonnes. La noix doit venir en remplacement d'autres aliments. Mais dans tous les cas, elle ne serait pas coupable de provoquer une prise de poids car elle a aussi la qualité d'augmenter le degré de satiété et donc, pour dire simple, de couper l'appétit. Jupiter veille au grain.
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Va pour le fruit. Mais que reprochait-on autrefois au noyer, ce bel arbre, au port majestueux donnant un bois précieux pour la fabrication des meubles qui transmettent leur encaustique de génération en génération ? Que rien ne pousse à son ombre. Y aurait-il là alchimie ? Empoisonnement ? Peut-être même sorcellerie.
En 1536, Jean Ruel, Médecin de François 1er prétend ceci : " Les noyers sont appelés ainsi d’après un mot latin, nocere, qui, en castillan, veut dire nuire, ou abîmer. Parce que ce sont des arbres qui, avec leur ombre, pour être pesante, font beaucoup de mal aux autres arbres, et plantes qui se trouvent sous eux, et aussi aux personnes, parce que si quelqu’un dort sous un noyer, il se réveille lourd, avec des douleurs de dos et de tête, et également, les légumes qui atteignent l’ombre des noyers sont toujours chétifs et de couleur fade, comme malades. Il est bon, qu’après que les noyers se soient dépouillés de leur feuillage, d’enlever toutes les feuilles qui se trouvent là si vous devez semer la semence de nouveaux légumes, parce que le feuillage ainsi mêlé nuit beaucoup, et il est bon d’en faire du fumier, ainsi il ne nuit pas, ou pas autant ". Le responsable de ce phénomène, tout à fait réel, bien qu'il soit mal appréhendé : nous le savons aujourd'hui : le juglon, une substance toxique qui, rincée par la pluie sur le feuillage et tombée au sol, inhibe la croissance de tous les autres végétaux. Les noyeraies comme celle de notre photo ci-dessus ont été installées, avec de nouvelles variétés à croissance rapide et de taille réduite, dans les dernières décennies, en remplacement de toutes autres cultures dans des régions au sol relativement pauvre ou difficile à travailler. Auparavant, lorsque l'agriculture vivrière était dominante, le noyer était dressé haut, planté sous forme d'allées le long des routes et des chemins, où son défaut devenait une qualité, limitant l'enherbement et le développement des fourrés en bordure des voies. Désherbant naturel. Une technique à réexplorer ?
Le fruit lui-même sera touché par l'anathème. Jacques et Paul Contant, apothicaires en 1628 avertissent : " La noix que nous avons descrit cy dessus se nomme aussi Nux, pour ce qu’elle cause douleur & pesanteur de teste, qui est aussi la vraye signification de son nom grec, Carion ". Ici, les "savants" s'égarent. Toutefois on accorde à la noix, prudemment, quelques valeurs médicinales. Mon dictionnaire pharmaceutique de 1759, après avoir prévenu que " les noix sèches (pas les fraîches donc) sont de difficile digestion, peu nourrissantes, contraires à l'estomac, bilieuses, qu'elles font mal à la tête, irritent les maladies des poumons, principalement la toux " (excusez du peu) affirme que le jus du brou " tiré par expression étant épaissi selon l'art, est recommandé avec justice dans les maux de gorge, spécialement dans l’inflammation de la luette, des amygdales et dans l'esquinancie (traduisez l'angine) ". Donc si je m'y fie, le brou, pas l'amande. Revenons à notre bois.
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Pour les plus anciens dont je suis, le noyer est donc un grand arbre, où il était difficile de grimper. Car on n'attend pas que le vent fasse le travail. Et la pluie par-dessus la récolte, ce n'est pas bon non plus. Il fallait donc gauler et ramasser la récolte entière rapidement à maturité et lorsque le fruit se détachait du brou. Voici ce qu'en rapporte, dans ses souvenirs d'enfant élevé entre Quercy et Périgord, mon grand-père Gilbert : " Mon père était le plus habile du pays. Aussi les voisins et les parents lui demandaient-ils aide. Après avoir, du sol, fait le tour pour épuiser les branches basses, il grimpait dans l'arbre avec sa longue gaule. C'était pour moi un étonnement de le voir se tenir debout sur les grosses branches charpentières en choisissant l'endroit favorable pour atteindre le faîtage. Dans une sorte d'escrime, il glissait la gaule entre les branches et donnait à l'extrémité un mouvement rapide qui frappait le bois sans le meurtrir ou briser les terminaisons. C'était là le fin du fin. "Il y a gauleur et gauleur", disait-il en parodiant le bûcheron du médecin malgré lui. Du sol, levant la tête dans une admiration inquiète, ma mère recommandait la prudence. Je ne sais pourquoi le gauleur élevait la voix pour se faire entendre des gens à terre. C'était comme si la voix venait de très haut. De là l'expression dont l'usage se perd : "crier comme un gauleur de noix". Depuis, les gauleurs ont été remplacés par un engin qui nous aurait terrifiés, sorte de tenaille-vibrateur-aspirateur sur chenilles. Ainsi va le monde.
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Toujours dans cette région paternelle où, du fait d'un sol argilo-siliceux favorable, la culture du noyer tenait une place importante, les soirées de février étaient occupées par le dénoisillage qui rassemblait tout le voisinage et la parentèle. L'opération donnait l'occasion aux conteurs, chanteurs et autres ragoteurs d'exercer leur art. La consommation locale et familiale n'épuisait pas la récolte qui était vendue à des commerçants venus de Bordeaux, de Brive et de Cahors à la foire locale, pour s'approvisionner en matière première destinée à la production d'huile. A l'époque, la noix est un fruit de pauvre. "Ça ne vaut même pas une noix !" disait-on pour désigner une chose de peu de prix. Le revenu que cette culture permettait toutefois de dégager pesait dans la balance de la fragile exploitation autant que les céréales ou l'élevage. Pour sa consommation personnelle le paysan réservait les belles noix à la production d'huile alimentaire et les cerneaux de mauvaise qualité à celle d'huile lampante, pressées dans l'atelier du village. Peut-on en effet imaginer, dans le confort où nous sommes malgré toutes les misères dont nous nous plaignons, que la lumière du logis paysan fut assurée la nuit, il y a cent ans à peine, par la seule cheminée et le calel, simple, antique et pourtant précieux objet accroché au mur ? " Notre calel était en feuille de laiton, épaisse sans excès, d'un jaune honnête, nullement bosselé, tant on en avait pris soin. On ne l'astiquait jamais. Deux fois par an, au moment de la lessive, ma mère le plongeait dans la première eau. Il ressortait de ce bain flambant neuf, beau comme un soleil et chacun s'extasiait sur cette merveille qui pendant quelques jours, faisait étoile sur les tonalités enfumées de la cuisine ".
Je ne veux pas être trop long, toutefois, étant donné les centres d'intérêt habituels de ce cyber-carnet, on ne comprendrait pas que je ne dise rien du moulin à huile. Il était souvent associé au moulin céréalier, mais doté d'un couple de meules bien à lui. La meule tournante étant dressée sur la meule gisante, cuve métallique aujourd'hui, laquelle est évidée pour conserver le premier jus. La matière ainsi écrasée, chauffée, passant ensuite à la presse à main. Une petite vidéo très intéressante sur le plan de la mécanique meunière et gourmande à la fois vous est proposée ci-dessous.
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Le brou de noix avait également ses usages, en particulier en teinturerie. Éventé il donnait un noir de qualité médiocre. Conservé soigneusement il permettait d'obtenir une belle couleur jaune bistre. Enfin, le brou avant maturation produirait un rouge dont on dit qu'il a probablement servi à la femme gauloise pour se teindre les cheveux. Flamboyante. Pour preuve, voir Astérix et la fille de Vercingétorix.
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Pour finir, comme il se doit dans ce pays béni des dieux, revenons à table. Avant de servir l'huile nouvellement pressée, la ménagère de mes ancêtres, économe, devait épuiser la cruche de l'année précédente. Au point que l'on était habitué à ne consommer qu'un produit rance, et que dans le souvenir de nos parents, le goût de l'huile de noix est celui-là, le bon goût peut-être, tant le temps passé donne aux choses familières, bien que modestes, une saveur supérieure.
Aujourd'hui, l'huile de noix, que l'on sait devoir être conservée soigneusement à l'abri de la lumière et de l'air, est devenue un produit de luxe. Sa réputation en matière alimentaire et diététique a chassé les vieux démons. L'une de mes gourmandises récurrentes remonte à la mémoire du déjeuner de mes ancêtres enfants, qui ne rentraient pas à midi, de l'école communale à la maison, distante de trois kilomètres : un peu de pain sec, frotté à l'ail et assaisonné de trois grains de fleur de sel et d'un mince filet d'huile de noix. Une tartine de confiture de figue avec quelques cerneaux de noix, c'est bien aussi, mais là, je n'oserai pas honnêtement invoquer l'héritage du régime frugal du petit paysan de la fin du 19ième siècle.
ALINEAS
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Moulin de la Veyssière : un patrimoine vivant
Moulin à eau du XVIème siècle, le Moulin de la Veyssière est situé à Neuvic, au coeur du Périgord blanc. Dernier moulin à huile de noix en activité de la val...
DOCUMENTATION :
Pauline Leplongeon , Histoire culturelle de la noix et du noyer en Occident de l'Antiquité romaine au 18ème siècle. Thèse Paris 2017.
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02106739/document
PHOTOS :
Cerneau de noix, Wikiwand.
Les gauleurs de noix vers 1925, Journal municipal de la Commune de L'Albenc (Isère).
Jeune mère, Désiré Laugée 1888.
Moulin à huile de Castagné, Martel (Lot), Creative Commons.
Autres photos, © Michel Salanié.
Publié le 24 Septembre 2020
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Le 2 octobre prochain, l'équipe lectouroise de la Société Archéologique du Gers, animée par Georges Courtès, présentera les résultats du recensement des moulins sur les 26 communes du canton de Lectoure. Un minutieux travail, riche en enseignements, quelques trouvailles et... et malheureusement le constat que le temps fait son œuvre, en la matière aussi bien sûr. Si certains moulins font l'objet d'un sauvetage in extremis, si d'autres sont joliment rénovés ou bien n'ont jamais été abandonnés, on compte quelques disparus corps et biens.
La faute au vent et à l'eau qui prennent leur revanche.
Les moulins à vent de Lectoure sont très souvent décoiffés. Devenus inutiles et un peu gênants, ils sont parfois finalement abattus pour fournir quelque matériau de construction ou de remblai d’accès facile et surtout de belles pierres de taille dont un œil exercé remarquera, dans le réemploi, le profil arrondi caractéristique des appareillages des bâtiments circulaires. Masqués à la vue, celui-ci au cœur d'un bosquet, celui-là à peine trahi par une proéminence du terrain au milieu d'un champ, les vestiges des moulins à vent sont parfois révélés heureusement par la photo aérienne. C'est le cas par exemple du moulin de Peyret ou Bouhilhac, près du domaine de Combarrau, au nord de la commune, à peine visible en contrebas depuis la route dite romaine, à travers les frondaisons et seulement en hiver, mais bien vivant dans ce merveilleux paysage planétaire que nous offre notre Institut Géographique National.
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D'autres moulins à vent ne sont pas à rechercher dans la ronce ou les labours, mais en pleine excroissance urbaine.
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En effet, trois moulins à vent résistent au milieu du faubourg en plein développement à l'est de la ville, quartier des Justices. Au Moyen Âge, il y avait là les fourches patibulaires qui permettaient d'exposer au vent mauvais et aux nouveaux arrivants, à titre d'avertissement, les condamnés pendus ou au moins torturés et ficelés, à priori pour faute grave. Ce monument de justice a complètement disparu, l'exemplarité aussi, reste le toponyme. Et nos trois moulins. Mais les recenseurs de la Société archéologique en dénombreraient un quatrième et 10 au total depuis l'extrémité du plateau de Lamarque ! Dont certains effectivement totalement disparus, rasés, macadamisés, avalés par l'inexorable appétit de la modernité.
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Le travail des recenseurs de la Société Archéologique est plus difficile encore pour les moulins à eau car, non seulement la ruine a renversé la superstructure mais le cours d'eau a dispersé les matériaux, remodelé et parfois nettement modifié son propre lit, enfin la végétation exubérante et indisciplinée à cet endroit interdisant toute visite pedibus et le repérage aérien itou (ça n'est pas du franglais). C'est le cas, au pied de la citadelle, du Moulin neuf, qui semble t-il, a été très important à une époque au point de faire de l'ombre à son voisin de l'abbaye de Saint Gény. Eh bien, ne le cherchez pas. Le recenseur a mis ses bottes et ne l'a pas trouvé. Oui, je sais : "On a perdu le Moulin neuf"... Preuve qu'un jour le neuf fini vieux, ici bas. Le canal d'amenée de ce moulin disparu qui apparait sur cet extrait du cadastre napoléonien est même réduit aujourd'hui à l'état de vague fossé et cette entrée de la ville est devenue peu reluisante. Mais ceci est sans doute une constante de l'histoire urbaine et un autre sujet. Pour vous parler de Moulin neuf, il vaudra mieux arpenter les archives. Ce que Georges fit.
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Plus au nord, le site de La Mothe est mieux connu. Rive droite, l'un des moulins dont nous avons parlé ici, qui nous a laissé une belle carte postale avant de partir en fumée, appartient à la commune du Castéra-Lectourois. Mais coté Lectoure, rive gauche, la tour de La Mothe (notre photo titre) reste mystérieuse car peu documentée. Etait-ce un moulin-donjon, à l'image du moulin de Lesquère dont nous parlerons bientôt ? En effet, une "simple" tour de contrôle du pont barrage n'aurait pas été installée dans ce bas-fond mais sur un promontoire à proximité, doté de la vue dégagée qu'exige une fonction de guette. Malheureusement, le bâtiment a été dépecé et en outre, il menace ruine aujourd'hui. Une approche exploratoire se révèle très risquée. Recenseur mais pas fou. Cependant, le plan du Dimaire (1782) de l'Ordre de Malte que nous avons déjà évoqué dans notre rubrique Histoire, intitule bien la tour "ancien moulin de La Mothe". Il ne peut pas y avoir doute. Voir sur ce sujet des moulins-donjons de l'époque de la présence anglaise en Guyenne, notre récent alinéa ici.
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Ce site exceptionnel, tour et pont barrage, est dans un état de dégradation avancé. Bien sûr, de par sa taille, une rénovation, ou pour le moins une conservation, exigera des fonds importants. On peut espérer.
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Enfin, et cet alinéa n'est pas exhaustif, une autre redécouverte intéressante des recenseurs de la Société Archéologique : la mouline de La Tapie, entre le Mouliot au nord et Lesquère au sud, sur le ruisseau éponyme dont il ne subsiste pas de trace sur le terrain.
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Repéré sur la carte d’état-major (1820-1866), également en ligne sur le site de l'IGN (décidément une mine), nous n'avons à ce jour aucune information sur ce moulin, et il faut toujours rester prudent avant de pouvoir croiser les preuves et confirmer ce recensement, prudence y compris à l'égard d'un topographe, fut-il d'état-major*. A ce stade, seul le toponyme qui subsiste peut parler. En effet, en gascon, la tapie est la terre crue, l'adobe. Alors deux hypothèses. Il est tout à fait possible que cette mouline ait été un foulon permettant de malaxer la terre argileuse afin de produire des briques de terre crue, autrefois très utilisées dans la construction des bâtiments agricoles secondaires. Car tous les moulins ne sont pas fariniers. Ou bien, et c'est la seconde hypothèse, le moulin était-il bâti lui-même, tout ou partie, en terre crue. Ce qui expliquerait d'ailleurs sa totale disparition, le matériau étant peu durable. Et soluble dans le ruisseau. Peut-être un jour, dans quelque acte notarié, trouvera t-on une information pour éclairer l'histoire de La Tapie, le moulin perdu.
Car le recensement des moulins du Gers par la Société Archéologique n'est pas un simple comptage à retardement. Il veut être un outil documentaire pour les historiens. On a écrit l'Histoire des châteaux-forts et celle des cathédrales, des dynasties et des batailles. Il faut à présent écrire celle des moulins, des hommes et des femmes qui ont fait l'industrie de notre pays. Leur mémoire et leur place dans l'Histoire ne doit pas être effacée par l'eau, le vent et le temps qui passe.
Pour en savoir plus sur les 151 (!) moulins de Lectoure et des 26 communes du canton, nous vous invitons à venir assister à la présentation du vendredi 2 octobre 18 heures, salle de la Comédie (cinéma Le Sénéchal).
Alinéas
* Rectificatif 26/09 : Un lecteur attentif et voisin de La Tapie nous précise que les vestiges du moulin sont bien là, sous la végétation, repoussés en bordure du labour. Le topographe d'état-major ne nous a pas trompé.
PS. Je me doute que les lecteurs de ce cyber-carnet qui habitent un peu loin, Paris, Bruxelles, Sousse, Oslo, Ancône ou Sacramento (!), ne se sentiront pas concernés par cette invitation. Pour une fois nous jouons là le rôle de réseau d'information purement local. Nos lointains abonnés connaissent notre goût pour les moulins et ne nous en voudront pas. Merci de nous suivre. Adishatz.
© Photo aérienne IGN, Pont barrage de La Mothe Gaëlle Prost - Mairie de Lectoure, autres photos M. Salanié
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Publié le 4 Septembre 2020

Ce soir-là, on se serait cru à Saint-Germain-des-Prés. Ou Montmartre, pour le relief. Oubliant le masque, comme un prélude audacieux, les rires et les couverts gourmands s'interpellaient joyeusement. Le claret perlait lentement sur son verre à pied. Les caves et les venelles où le soleil n'a que la part congrue rendaient leur fraîcheur. Et puis, le brouhaha se fit murmure, monta une voix, sur quelques accords, à peine enchaînés, sans hésitation reconnus. La gouaille de Léo, le cœur du grand Jacques, le tempo de la guitare de Georges reprenant dans nos mémoires une belle dispute entre vers et prose, entre amour et liberté, révolte et solitude. Dispute interrompue il y a trop longtemps, faute de débatteurs. Ce soir, la voix était femme, vivante, émouvante, là sur cette scène de rue, simple et singulière pourtant.
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Julie Aimée Debes a donné à cet été gersois un air des années soixante et de distinction mêlés. Hôtel Continental à Condom, villa gallo-Romaine de Séviac, hôtel Collège des Doctrinaires et terrasse de Cigale é Fourmi à Lectoure où elle a troqué la petite robe noire cabaret pour le jean de la chanteuse de rue. Répertoire de rêve. Aznavour, Reggiani, Moustaki qui lui offre le titre de notre alinéa, comme une fleur que l'on lance sur la scène. Et puis je voudrais partager avec vous un moment dont je n'avouerai pas l'émotion, Julie Aimée Debes chante Barbara, malgré sa jeunesse, en quelque sorte de grande Dame à jeune Dame.
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Dis Quand Reviendras-tu ? Julie Aimée DEBES (Barbara)
https://www.julieaimeedebes.com https://www.facebook.com/julie.a.debes/ Concert Espace Fontélie Janvier 2019 Images : http://www.occxi.tv Montage : Julie Aim...
La voix est profonde. La diction est claire, qualité si rare aujourd'hui. Couché sous son pin parasol, plage de Sète, le poète apprécie. Ici, je devine ceux qui me connaissent sourire.
- Mais t'es sourd Alinéas !
- Oui, mais j'ai des éclaircies pendant lesquelles je me précipite comme un affamé pour écouter ce qui me manque tant. Sinon, je lis sur les lèvres, et vous reconnaîtrez que ce n'est pas désagréable en l'occurrence.
Julie Aimée Debes est née dans une famille où l'on écoutait Hallyday et Bruel le jour et où l'on jouait de l'accordéon le soir, sur Brassens et Joe Dassin. Moi c'était Véronique Sanson et Dylan. Flirter avec l'anglais et la guitare électrique oui, mais à condition de texte, de sens et de mélodie.
Julie Aimée Debes est venue en pays lectourois par amitié. C'est fou ce que nous comptons d'habitants installés ici pour se rapprocher d'un ami ayant vanté les lieux. Un mode de peuplement enrichissant pour les deux cœurs réunis et pour le pays aussi.
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Julie Aimée (un prénom que je verrais bien faire un nom de scène) ne copie pas. Elle apporte à chaque reprise sa pâte. Nous aimons cette jeunesse qui n'hésite pas à fouiller le terreau de la langue française pour y retrouver des pépites et les faire briller à nouveau au soleil. Rina Ketty : un siècle d'écart Mama ! Aujourd'hui, je ne vais pas faire mon vieux grincheux, mais tout de même : la langue française est violentée et colonisée. Le retour aux sources est un combat. Eclectique, ce n'est pas une faiblesse mais une source d'inspiration, notre artiste voudra écrire également. Enfin, l’interprète a rencontré Gérard Guidi, un auteur qui lui a offert ceci (extrait):
Ce soir allez savoir pourquoi j’ai envie de me rapprocher de moi
D’aller vers celle que je ne connais pas
Celle qui partage mon quotidien un même corps pour un même destin
Celle différente à la fois
Tant pis si je bascule ma vie sur le versant interdit que personne ne voit
Tant pis si prise de folie je deviens celle qui sommeille au fond de moi...
C'est sûr. Il y faut un peu de folie. De celle qui donne le courage d'exprimer ses sentiments, d'autres aussi, étranges mais beaux, des questions sans réponse et des espoirs sans lendemain. Ne lâche pas Julie Aimée, ne lâche pas le rayon de lune qui nous relie, qui te relie à Prévert, Ronsard et jusqu'à François Villon.
Alinéas
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On pourra se procurer le dernier CD de Julie Aimée ici
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Pour cet alinéa, les belles photos de la soirée de Cigale é Fourmi signées Jérôme Narbonne ont joué le rôle de déclencheur. https://jeromenarbonne.com/
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Autres photos :
- Julie Aimée Debes
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Publié le 25 Août 2020

Voilà un sujet bien ambitieux. Il y faudrait une encyclopédie. Une vie. Et je m'y prends bien tard. Ou alors il faut faire des choix. Nous avons déjà évoqué l'aulne ici, la prêle là...
Vous aurez remarqué que les peintres, comme Henri Martin, l'une de mes références pour cause de racines quercynoises, nous offrent en général des ruisseaux bien propres et bien rangés, afin, c'est la noble tâche de l'artiste, de magnifier l'endroit, d'y installer l'humain et peut être de construire ainsi un paysage accessible, plutôt discipliné, rassurant. Mais la nature n'est pas ainsi faite.

En réalité, sans l'intervention de l'homme et surtout des moutons, le ruisseau est envahi dans un apparent désordre, de ronces, de raisin du diable (respounchou en gascon !) et d'orties. C'est la course à l'eau. Il faudra attendre que les arbres s'en mêlent, grandissent et, imposant la tutelle de leur frondaison, limitent la croissance anarchique de cette végétation rampante et assoiffée. Alors, ici et là, mi-ombre, mi-soleil, les jonquilles pourront percer, les violettes embaumer et les baigneuses se baigner. Encore une invention de peintre d'ailleurs, les baigneuses...
Pour rester au plus près du ruisseau des origines, nous avons donc choisi de distinguer trois plantes rustiques, capables de s'installer en milieu hostile, de dresser leur floraison au-dessus du fatras végétal, d'offrir au promeneur qui ose s'aventurer dans cette mini forêt primaire à la porte de la citadelle lectouroise, chacune sa nature et ses qualités : carex, salicaire et ache des marais.
- On y va ? Allez, attention à ne pas glisser.
LE CAREX, OU LAÎCHE PENDANTE
Il y a quelques décennies, Pierre Féral, professeur émérite de sciences naturelles du lycée Maréchal Lannes ancienne version, conduisait ses élèves au bord du ruisseau de Foissin pour y étudier faune et flore in situ. Un illustre de ces anciens élèves, Pertuzé, nous a raconté que le carex faisait partie des espèces observées. Comme quoi il en reste quelque chose. Je me dis cependant que le maître devait probablement éviter de révéler le nom commun de cette plante pour ne pas risquer quelque blague d'un garnement. Quoiqu'à cette époque encore, les garnements attendaient la sonnerie... Carex pendula du grec keiro, couper. Et le nom commun : la Laîche pendante... du vieux français lesche, la lame. Vous êtes avertis : ça coupe. Pourtant il paraît que les bovins le broutent !
A part être supposé traiter les maladies vénériennes, en infusion sans doute, le carex est à mon sens particulièrement utile pour fixer et stabiliser le talus du ruisseau, mission hautement précieuse. Une vraie tignasse impossible à déraciner. Si on le laisse s'installer trop loin au-delà de la berge, il deviendra même envahissant. Aujourd'hui les professionnels des milieux humides exploitent même les qualités biologiques de son système racinaire et foliaire pour digérer les eaux usées et traiter les terrains pollués. Trop fort pour moi, je vous renvoie vers l'explication très claire que vous trouverez sur Wikipédia (lien ci-dessous).
Des lois de la chimie à celles de la physique, à La Mouline de Belin les libellules jouent des oscillations des inflorescences de la laîche au soleil.
LA SALICAIRE, OU HERBE AUX COLIQUES
Les chandeliers fuchsia de la Salicaire contrastent avec bonheur sur le nuancier de verts qui règne en maître sur le fatras de notre ruisseau. Lythrum salicaria. L'adjectif de son nom scientifique et son nom commun lui viennent de la forme de sa feuille lancéolée comparable à celle du saule, Salix. On trouvera également l’appellation Herbe aux coliques. Pas très poétique et comme on n'a pas nécessairement des problèmes de ce côté-là, les jeunes feuilles sont récoltées pour entrer dans la composition de potages, de salades ou pour être cuites comme des épinards. La plante présente de nombreuses et sérieuses vertus médicinales reconnues : cicatrisante, utilisée également pour traiter les infections oculaires. Thé rouge, thé des pauvres... Un grand classique de l'herbier de nos grands-mères.
En Amérique du nord où elle a été importée, elle est considérée comme hautement invasive. Un prêté pour un rendu : nous, nous avons hérité de l'écrevisse américaine et n'en sommes toujours pas remis. Des scientifiques patients se sont amusés à compter les graines de salicaire. Plus de deux millions par pied ! Une semence généreuse qui se répand au fil de l'eau... Comme quoi on peut être à la fois beau, utile, prolifique et aimer les voyages.
La Salicaire est très mellifère et attire également les papillons, ce qui donne alors à admirer, aux beaux jours, un ballet multicolore, magique et gracieux.

L'ACHE DES MARAIS, OU CÉLERI SAUVAGE
Voilà une plante qui n'y paraît pas mais tout à fait remarquable. Apium graveolens appartient à la grande famille des Apiacées, cousine du persil, de la carotte, du panais, du fenouil, du cumin, de la coriandre, de l'anis, du maceron... un lien de parenté qui explique l'adjectif graveolens, "à la forte odeur". Par contre pour Apium , nous avons là un bel exemple de dispute étymologique. Pour les uns l'origine est latine : apia , l'abeille. Peut-être un peu facile. Pour les autres, elle est celtique : apon, l'eau qui a également donné ache en vieux français. Au Moyen Âge, la plante s'appelle d'ailleurs Aquatique, revenant ainsi au latin. Bon, on tourne en rond. Je ne me permettrai pas de trancher.
Sa belle feuille trilobée permet de la distinguer sans risque d'erreur de la dangereuse grande cigüe. Ouf. Elle composait parfois les couronnes de champions olympiques de la Grèce antique et celles, héraldiques, de la chevalerie. S'il vous plait.
Evidemment l'Ache est très intéressante en cuisine. Le petit Musée des plantes sauvages comestibles de Berrac nous propose d'ailleurs une recette que je vous recommande ici. La jeune feuille peut entrer dans les salades de mesclun. Toutes les parties de la plante parfumeront joliment un bouillon ou un ragoût. Enfin le jus, abondant dans la tige, tonifiant réputé, est souvent associé aux extraits de tomate, de carotte et de citron.
En phytothérapie, pour faire simple, les études ont montré que l'Ache présente de puissantes caractéristiques antioxydantes, précieuses pour éliminer les radicaux libres, vous savez ces machins responsables de cette maladie grave mais que nous avons heureusement en commun : la vieillesse.
Je fais un choix dans l'abondante documentation consacrée à cette plante où revient invariablement le sirop apéritif des cinq racines que tous les phytothérapeutes réputés s'accordent à recommander : fenouil, asperge, petit houx, persil et ache.
De quoi vous inciter à laisser tomber la chasse aux escargots et la cueillette des cèpes et des fraises des bois. Mais vous ne savez pas tout ! Le céleri serait hautement aphrodisiaque. Et donc, l'Ache des marais sauvage et aphrodisiaque à la fois... Oui, on trouve de tout dans le ruisseau de Foissin. "Si la femme savait ce que le Céleri vaut à l'homme, elle irait en chercher jusqu'à Rome". C'est une justification, valide si non avouable, pour un pèlerinage dans la ville éternelle, ou plus court, pour une balade au pied de Lectoure.
On ne saura pas ce que cette coccinelle vient chercher sur cette ombelle d'Ache, nourriture ou euphorisant... Peu importe, dans tous les cas, on le chante, la bête est un bon auxiliaire que ce soit à la pharmacie du bon dieu ou au potager.
SOURCES :
Carex. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carex
Salicaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Salicaire_commune
Ache : https://booksofdante.wordpress.com/tag/ache-des-marais/
PHOTOS :
- Le printemps, Henri Martin, Capitole de Toulouse.
- Ache (en fait ici, plus précisément, un Maceron, même famille, globalement mêmes qualités et mêmes usages) et fleur de salicaire : https://www.zoom-nature.fr/
- Fleur d'Ache, des montagnes celle-ci : http://lejardinduchatvert.eklablog.com/
Nos remerciements à ces deux très intéressants sites.
Autres photos : © Michel Salanié