Publié le 24 Février 2023
«Les feuilles d'un noisetier tremblent sous le vent : rien n'est plus pur que cette clarté d'un feuillage, éparpillée en mille éclats contraires. Rien n'apaise plus que l'humilité de ces feuilles tendres, soumises sans réserve au déluge des lumières. Elles parlent une langue suave, traversée de silence.»
Christian Bobin
remière fleur du printemps, dans ce petit froid dont on avait perdu l'habitude mais pourtant si naturel et ma foi pas désagréable s'il n'y manquait pas la pluie nourricière, il prend la suite des guirlandes de Noël à peine rangées dans les cartons. Il les remplace avantageusement, sans comparaison possible à mon goût. Ribambelles de chatons dorés alignés sur ses faisceaux de branches mouchetées montant à l'assaut des remparts de Lectoure, dans les jardins et les friches entremêlés, et jusqu'à la rue de la Barbacane. Laissez faire la nature, la ville redeviendrait très vite le domaine de l'écureuil, du pic-épeiche et du campagnol. C'est rassurant.
Sur les chemins que l'on a bien voulu laisser courir en tout sens sur nos coteaux, discrète et précieuse réserve botanique, il alterne avec le cornouiller sanguin, le nerprun, l'épine noire et l'églantine, chacun y allant de sa ramure et de sa floraison à son rythme, comme un concert où les solistes font entendre leurs différences pour briller pendant quelques mesures et parfaitement s'accorder au finale.
Le noisetier est la vedette de nos chemins en ce moment. Bouquets de franges mordorées oscillantes au moindre zéphyr. Ces tresses gracieuses sont les fleurs mâles. Pour observer la fleur femelle, il faudra s'approcher très près et observer attentivement. Ressemblant d'abord à un banal bourgeon à bois, elle développe quelques stigmates rouges. Le vent coquin s'en mêlant heureusement, le pollen dégagé par les chatons parviendra à destination sur ces charmants attraits colorés, éloignant au passage les humains allergiques qui n'ont d'ailleurs rien à faire dans cette histoire, privée bien qu'exposée au grand jour... Bien sûr, c'est cette fleur femelle pollinisée qui deviendra noisette, ou bouquet de deux ou trois coques qui se développeront jusqu'à l'automne.
Mais remontons quelque peu dans le temps. Quelque peu à l'échelle géologique, car c'est au Miocène, entre 23 et 5 millions d'années seulement, que les paléobotanistes font remonter l'origine de la famille des Coryloïdées, dont le noisetier est le seul représentant tant ses caractères spécifiques le distinguent des autres membres de l'ordre des Fagus, hêtre, chêne, aulne, bouleau. Nous avons déjà tiré ici le portrait d'un vénérable ancêtre végétal : la prêle, présente dans le paysage du Dévonien, soit il y a 400 à 360 millions d'années ! Non, beaucoup plus près de nous, le pollen du noisetier retrouvé dans les tourbières prouve que notre sujet a "seulement" connu les glaciations du Quaternaire (subdivision du Miocène), lorsque les premiers hommes venus d'Afrique se sont fait surprendre par le refroidissement, mais mon dieu ! trouvant le pays agréable, y sont restés quand même. Il suffisait de s'adapter. Ce qui fait la qualité première de ce cousin du singe que nous sommes... Et précisément, le noisetier va entrer dans la panoplie de notre lointain ancêtre.
Le noisetier est un arbrisseau, c'est à dire qu'il ne dépasse que très rarement la taille de 7 mètres. Il pousse en buisson, donnant naissance chaque année, à partir de la base de sa touffe, à de nombreux rejets adventifs. Ayant besoin de lumière et d'eau, le noisetier se tient à la lisière de la forêt et en bordure des ruisseaux. Les sous-bois de noisetier ont donc certainement été le site de prédilection des tribus préhistoriques. Accessible et de dimension modeste, son bois va pouvoir être prélevé et travaillé aisément par Homo Sapiens. Sa forme rectiligne, sa souplesse en font un matériau idéal pour les palissade, charpente de hutte, lance, arc et flèche... flèche polynésienne plus près de nous, dans le fabuleux territoire de mon souvenir, entre Quercy et Périgord, fabriquée et projetée par certain garnement-scout, le bonhomme faisant simplement pivoter le béret pour passer d'une tribu à l'autre.
Moins guerrier, la baguette de coudrier, précisément une fourche, plonge aux mains du sourcier, par magie, sur l'emplacement ainsi désigné de l'eau souterraine, sachant que le périmètre de recherche préalablement choisi est déjà remarquable pour sa végétation abondante et typique des terrains humides... Serais-je incrédule ? Aujourd'hui le coudrier du sourcier est remplacé par du métal, laiton, acier, ou cuivre, voire par de la matière plastique ou composite ! Finalement je préfère la magie.
D'autres héros ont choisi le noisetier pour instrument de leur office : les dieux Thor et Odin, Mercure ayant perfectionné la chose jusqu'à fournir à la médecine son caducée dressant les serpents, mais selon les récits il y a ici concurrence avec le laurier et l'olivier. Et encore Merlin l'enchanteur, Saint Patrick, une kyrielle de pèlerins de Saint Jacques et leurs bourdons, une autre de garçons-meuniers poussant leurs mules à la trique, Sibylle Trelawney, professeur de divination d'Harry Potter, Petit Gibus et sa bande etc... Avec le sureau dont nous avons parlé ici, le noisetier est bien l'arbrisseau tutélaire de l'Ouest européen.
Bien sûr, la noisette, j'y viens, dont la maturité précède opportunément l'entrée dans la saison froide, présente le très grand avantage de pouvoir être conservée. Riche en lipides, en protéines, en amidon, en sels minéraux et en vitamines, mais ça Homo sapiens ne pouvait pas le savoir, ce fruit est un aliment de grand intérêt. C'est encore aujourd'hui un ingrédient de choix pour une alimentation de l'effort, pour une pâtisserie à la saveur originale et pour la confiserie... mmm !!! Lectoure est bien dotée sur ce terrain-là. Née en 1965, la maison Carayon cultive la noisette sur 6O hectares et propose ses produits : farine, huile, pâte à tartiner. A découvrir ici https://www.maisoncarayon.com/. Au pays gascon, la noisette ne quitte pas le béret.
Au bord du ruisseau de Foissin, les noisetiers sauvages dressent leurs tiges bien trop haut, et portent leurs fruits trop dispersés, pour que l'on puisse espérer y faire une vraie récolte. Mais il y a là, et cela nous réjouit, un garde-manger essentiel pour tous les rongeurs et les oiseaux qui doivent passer l'hiver. La cueilleuse y prélève cependant quelques feuilles réputées pour être un bon tonique veineux, l’écorce étant quant à elle, fébrifuge. Pour remplir notre panier de la précieuse amande, nous irons glaner, nous y sommes invités, dans quelque alignement civilisé, l'arbuste savamment taillé et le sol enrichi. Génie paysan.
Alinéas
PS. Pour nos lecteurs âgés de plus de... disons 50 ans, la lecture du titre de cet alinéa a dû immédiatement provoquer le chantonnement de la ritournelle de Mireille, la-la-la-la-la... "qui sent la noise-ette" interprétée par Jean Sablon, Brassens et France Gall. Si ce carnet vous a fait fredonner gaiement, ce sera une de ses réussites.
BIBLIOGRAPHIE : Elle est abondante, tant imprimée que virtuelle sur le web. On pourra se suffire de ce génial petit ouvrage de la collection "Le nom de l'arbre" des éditions Actes Sud : Le noisetier, Michel Roussillat.
ILLUSTRATIONS :
- Sous-bois de noisetiers, photo Y. Martin, Muséum national d'Histoire naturelle, https://inpn.mnhn.fr/habitat/cd_hab/4042
- Scène de chasse de cerfs, peinture murale de la Cave des chevaux du Barranco de Valltorta, province de Castellón, Espagne. H. Obermaier et P Wernert (1919).
- Produits de la Maison Carayon à Lectoure, photo Fleurons de Lomagne.
- Photos Titre, Rue de la Barbacane, Chatons et fleurs femelles, Portrait de la cueilleuse-glaneuse : Michel Salanié