A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
Pertuzé nous avouait ne pas être trop "botanique". Il se souvenait toutefois d'une sortie scolaire sur le ruisseau de Foissin, sous la houlette de Mr Féral, professeur au Maréchal Lannes (l'ancien, oui l'ancien lycée pas l'ancien Maréchal), pendant laquelle on étudiait en détail le Carex pendula, la Laîche pendante en langue vernaculaire. A plus de 50 ans d'intervalle, pas botanique peut-être mais bonne mémoire c'est sûr.
Cependant et quoi qu'il en dise, les illustrations de l'ouvrage "Activités nature pour les 5-8 ans" de Frédéric Lisak aux éditions Casterman, sont une vraie merveille. Celle-ci par exemple, illustre un jeu très excitant, qu'en pensez-vous ? : s'approcher d'un arbre les yeux bandés, toucher, sentir, la forme, l'odeur, la texture... et puis s'en éloigner, libéré du bandeau, et essayer de reconnaître le sujet, à distance cette fois, parmi tous les autres arbres. Une façon très sensitive d'apprendre la nature. Ça vaut mieux qu'une console de jeu.
Dans la catégorie Nature, il y a aussi "l'Herbier érotique" de Bernard Bertrand aux éditions Plume de carotte, si finement illustré. Mais là, ce n'est pas un jeu d'enfant...
A la semaine prochaine ?
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A l'occasion de l'hommage qui sera rendu à Pertuzé en mai prochain dans sa ville de Lectoure, nous sommes heureux de vous souhaiter une bonne année avec cette superbe illustration des aguilhonèrs en train de pousser leur aubade devant la porte que l'on a bien voulu leur entrouvrir dans la nuit glaciale. Oui, c'est vrai, les superlatifs reviennent souvent dans cette série de chroniques consacrées à notre illustre illustrateur. Superbe, magnifique... Mais vous ne trouvez pas qu'il le mérite ? Sur le thème de la musique cette fois-ci.
Les aguilhonèrs sont ces groupes de jeunes gens qui allaient autrefois, pendant la période de l'Avent, de maison en maison, pour demander, en chanson, des victuailles, noix, œufs, farine, voire de l'anis et des citrons, qui leur permettaient de confectionner le pain qui serait béni pendant la messe de Noël. On pense que leur nom vient du grand bâton qu'ils tiennent, sorte de pique-bœuf, et qui sert éventuellement à se battre car les bandes rivales se croisent en chemin et peuvent alors être tentées de se dégourdir... Si on ne leur ouvre pas la porte d'ailleurs, le chant traditionnel peut aussi tourner au charivari, qui est une autre façon d'orchestration, quelque peu désordonnée et cocasse celle-là. Dont je ne vous dis pas les paroles... Restons classique.
e Gascon aime chanter. Et danser. Pertuzé je ne sais pas, mais il dessine joliment bien la musique gasconne. Cependant, on apprend dans un portrait qui lui a été consacré* qu'il aimait travailler dans son atelier, au calme, au fond du jardin, sur des accents "Jazzy" nous dit-on. Tiens, voilà qui nous fait faire un petit détour sur les chemins des musiques du monde. Car notre illustrateur n'est pas limité par le périmètre musical Pyrénées-golfe de Gascogne-Garonne. Pertuzé est passé à Jazz in Marciac, bien sûr. Pris sur le vif, ce croquis-caricature réjouissant du clarinettiste de réputation internationale Jacques Gauthé, encore un Gersois té, en 1991, en est le témoin.
Autre registre, mais ne me demandez pas comment ni pourquoi Pertuzé illustre l'article de Wikipédia consacré au film Un violon sur le toit. Un violoniste, perché sur un toit, tente de jouer un air de virtuose tout en maintenant son équilibre. L’image est inspirée des tableaux de Marc Chagall. C'est le Juif moyen d’Europe de l'Est, confiné au 19ième par l'empire russe entre la Lituanie et l'Ukraine (tiens, tiens...), vivant bon an, mal an dans son petit village, parfois depuis des générations, en se raccrochant à ses traditions.
Revenons en Gascogne. Pertuzé a plusieurs fois illustré et réemployé l'histoire de son ancêtre Berdolles, joueur de vielle à ses heures. Histoire vraie qu'il situe autour de la Révolution. Alors qu'il était employé à faire danser une noce du côté de Fleurance, le bal terminé, Berdolles dut rentrer chez lui, à Lectoure, tard et de nuit. En traversant la grande forêt du Ramier, sentant une présence derrière lui, il se retourna et vit qu'il était suivi par le loup. Tremblant de peur, il eut la présence d'esprit de marcher en jouant de son instrument, ce qui intrigua la bête et la tint à distance. Arrivé chez lui, le pauvre musicien pris de fièvre, mit trois jours à s'en remettre et à pouvoir conter son étonnante aventure. De l'intérêt de savoir jouer d'un instrument. Mais peut être l'effet de magie est-il lié à la seule vielle ? Il eut fallu renouveler l'expérience avec le pipeau ou l'harmonica...
Enfin, pris dans le mouvement de renouveau occitan dans les années 70, dont il est lui-même une icône avec sa BD Les Contes de Gascogne, renouveau en particulier de la musique et de la chanson traditionnelle, l'artiste lectourois illustra magnifiquement la pochette du disque Tresòrs Gascons rassemblant les interprètes et les groupes vedettes de l'époque, Los de Nadau (devenu Nadau tout court, il remplit encore 50 ans plus tard, les salles géantes, Olympia, Zénith, les églises, les placettes de villages, surtout de Navarre mais de France aussi), Perlinpinpin fòlc, Ferrine flòc et Henri Laffont. Pertuzé imagine ce couple de jeunots, déterminés face à l'apathie ambiante, en blue-jeans et Clarks, décontractés, lui cheveux longs mais béret tout de même, elle cheveux défaits, faisant la leçon à l'ancien :
- Non Papi, ce n'est pas vieux, c'est la musique de notre terre. Écoute. Tu entends ça ?
Il est impossible de vous proposer les premières vignettes de cette BD. Ce n'est pas le Noël familial, tendre et rassemblé que l'on aime, mais l'instant jaloux de la méchanceté et de la profanation qui n'en démordent jamais. Passeur de légendes et de traditions, notre illustre illustrateur a dessiné "La nuit de Noël", ce conte gascon de Bladé terriblement noir, né à l'époque où le diable osait s'approcher à peine à un vol de corbeau de la ville pour y dire sa male messe. Mais ce temps est-il vraiment révolu ?
Aussi, pour ne pas troubler l'ambiance de la douce et sainte nuit, nous avons choisi pour cette dernière Pertuzé de la semaine en 2023, la dernière vignette de la BD, où tout est redevenu serein sur le Bastion. Sonnent les cloches de Saint-Gervais Saint-Protais, enfants martyrs des temps barbares. Té, mai petits mainatges !* Les flambeaux se rassemblent sur le parvis. Éteignons l'éclairage public et vous verrez que rien ne change ici. Envers et contre le malin.
Bon nadau !
* Tiens, encore des petits enfants !
A la semaine prochaine ?
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" C'est le plus beau, le plus noir, le plus désespéré des contes que je connaisse. Rien n'y est raconté, et tout y est dit. Pour quelle morale, pour quelle leçon ? Garçons, défiez-vous des filles, filles, ne demandez point la lune, au risque de ne rien avoir du tout ? Allons donc ! La question n'est pas là. Tout le monde sait déjà cela, et personne n'empêchera jamais les filles de demander, ni les garçons de courir. On sent bien que quelque chose cloche : un conte sans happy end, ça n'existe pas. Et les spécialistes vous le confirmeront, ce conte n'existe pas.
Le coupable s'appelle Zéphyrin. Comme son prénom l'indique, Zéphyrin est trop longtemps resté exposé au grand vent qui tourne la tête et les idées".
Coupable ou victime ! C'est ainsi que Pertuzé analyse l'échec, l'assassinat s'il y faut un drame, de Jean-François Bladé, prénommé Zéphyrin à l'état civil, qui avait tout pour être un grand écrivain et ne fut qu'un collecteur de légendes, "fidèle sténographe, scribe intègre et pieux" ce sont ses propres termes. Nous empruntons l'image d'un crime à Saint-Exupéry : "C’est un peu, dans chacun des hommes, Mozart assassiné".
Jean-Claude Pertuzé baigne dans l'univers bladéien depuis son enfance. Notre illustre illustrateur est décrit par ses camarades de jeunesse comme très bon élève particulièrement en français et en histoire. Pourtant c'est décidé, il choisira les beaux arts. Ainsi, y a-t-il un parallèle évident, une filiation entre ces deux lectourois à la différence près que Pertuzé lui, choisira librement son chemin, ce que Bladé se verra refuser ou bien refusera de son propre chef, pourquoi serait-ce toujours la faute des parents ? Et cette filiation, par conséquent imparfaite comme toutes les filiations, conduira Pertuzé à exposer sa théorie, son exégèse, sur la carrière contrariée de Bladé. Dans le recueil "Jean-François Bladé - Les nouvelles", dans une introduction fouillée et argumentée, Pertuzé décrit la trajectoire chaotique de Bladé, parti sur les chemins de la bohème parisienne et rappelé par son notaire de père, qui tient la bourse, pour prendre la suite de l'étude lectouroise, raisonnablement, bourgeoisement, obscurément pourra-t-on regretter, au regard de l'imagination lumineuse du fils prodigue.
Martin Guerre, Abd-el-Kader, un éléphant ivre rue Nationale et le bourreau malgré lui...
Les nouvelles recueillies et illustrées par Pertuzé ont été publiées entre 1856 et 1860, essentiellement dans la Revue d'Aquitaine. Ce sont les seuls textes de Bladé vraiment personnels, même si la trame, le prétexte ou la source peuvent être recherchés chez d'autres auteurs, anciens et souvent oubliés. Une réécriture qui n'est pas un plagiat car la trame est adaptée, le style très riche, enlevé, moderne comparativement, et laissait augurer, regrette Pertuzé, un grand talent.
Gérard Depardieu en faux Martin Guerre a donné un visage, dont Pertuzé n'a pas voulu s'inspirer ci-dessus, à cette histoire d'imposture dans les Pyrénées du 16ième siècle. D'autres auteurs célèbres l'ont évoqué, Montaigne vingt ans après les faits, Alexandre Dumas en 1846, mais Bladé l'a exhumée directement du compte-rendu de Jean de Coras, le juge toulousain ridiculisé pour avoir donné droit à l'imposteur juste avant le coup de théâtre du retour du vrai Martin Guerre.
Dans une autre nouvelle trouvant un certain écho dans l'actualité du temps, le chef algérien Abd el-Kader donne du fil à retordre au maréchal Bugeaud, Bladé invente une sorte de Tartarin, culturiste sinon cultivé, rêvant de soumettre l'émir pour gagner la croix d'honneur et rentrer "dans mon village habillé en spahi, en attendant que le conseil municipal fasse tirer mon portrait pour une salle des illustres qui enfoncera celle de Lectoure, malgré le tableau du maréchal Lannes et celui du baron Dupin en culotte de fer-blanc".
Si les noms sont changés, les lieux, les références historiques de ces nouvelles sont souvent celles du Lectourois, de Bladé enfant ou de Bladé devenu personnalité officielle par diktat paternel, avocat puis juge suppléant, mais qui, nouvelliste à ses heures et de plus en plus souvent, secrètement on l'imagine, prenant à peine la précaution de brouiller les pistes, ne peut résister au plaisir de brocarder les institutions, les voisins, la bonne société, qui ne lui pardonneront pas cette liberté de ton. Un éléphant enivré de vin nouveau qui s'échappe et sème la panique entre la Place d'armes et la halle, ridiculisant le cordonnier, l'aubergiste, le capitaine de la Garde nationale... Un charivari pour bafouer l'épicier du quartier battu par sa femme... Bref Bladé distribue les banderilles. Une iconoclastie qui amuse Pertuzé.
Cependant, l'auteur peut parfois devenir grave. On sait qu'il raconta, ailleurs, avoir dialogué, encore enfant, avec l'inquiétant Rascat, le bourreau retraité hébergé un temps dans la tour d'angle des remparts de Lectoure. A t-il gardé de cette étonnante conversation une indulgence peu commune à l'époque, pour l'homme fragile qui se cache derrière l'exécuteur des hautes œuvres ? Ce récit d'un autre bourreau qui lie amitié avec un jeune étudiant toulousain est émouvant. L'auteur parodique sait se faire romantique.
Au total, Pertuzé rassemble et illustre onze nouvelles, baroques, cocasses ou bien poétiques.
En 1869 Bladé quitte Lectoure pour Agen. Commence alors la collecte des contes de Gascogne.
Can the "Peasant" Speak?
Est-ce qu'un paysan, ça parle ? La réponse à cette question, provocatrice et arrogante, est "non" ! Question et réponse par l'auteur d'une thèse en ethnologie, William Pooley, soutenue en 2010 devant l'Université de l'état d'Utah (USA), ce qui prouve pour le moins que le sujet est actuel et d'importance planétaire, mazette ! Sans rentrer dans le détail, la thèse pèse 160 pages in english please !, l'argumentaire du thésard d'outre-Atlantique est le suivant : Bladé n'a pas suivi une méthode scientifique. Ses informateurs appartiennent à son périmètre familial et voisin. Le vocabulaire est trop choisi pour être populaire, et donc pour être honnête académiquement parlant.
Cette critique du travail de Bladé folkloriste n'est pas nouvelle. A vouloir trop souvent se prétendre "scribe intègre et pieux", notre Zéphyrin a depuis longtemps suscité le doute. Et Pertuzé ne conteste pas la thèse : "Des contes beaux et purs, si beaux et si purs que c'est trop beau pour être vrai. Décortiquer, analyser, comparer : tout cela a été fait, refait, vérifié et recoupé, et même pour ses plus fidèles admirateurs (dont je suis, contre vents et marées, on l'aura compris), tous les indices concourent à cette vérité, Maître Jean-François a certes recueilli des contes populaires, mais il a beaucoup pêché par collage, coupage, rabotage, et surtout par invention pure et simple. Ce qui pourrait être véniel en matière de conte, l'imagination ayant tous les droits, mais qui est condamnable lorsque l'"auteur" se défend d'avoir commis ce genre de délit, et qui plus est, accumule de fausses preuves de son absolue innocence".
Mais alors ? Finalement, ce n'est pas une simple collecte, un recensement de récits traditionnels mais bien une véritable création littéraire ? Génial ! Inavouée ? Et tout de même à moitié pardonnée !
Oui Bladé est pardonné. Car, sait-il cet ethnologue américain que nous avions tous encore il n'y a pas si longtemps une grand-mère, un vieil oncle ou un voisin intarissable en matière de fées, de messes noires et de loups dotés de la parole ? C'est très commun ici. Pourquoi faudrait-il établir un panel représentatif de la population et des questionnaires normés pour collecter ce que l'on trouve au coin de la cheminée et dans les greniers dans chacune de nos maisons de famille ?
Le fait est qu'on se demande encore pourquoi Bladé a voulu donner le change. Le qu'en-dira- t-on ? Son père ? Sa femme ? Un vieux fond de pruderie protestante... Il est assez timide également en matière d'érotisme. Le Quercynois Antonin Perbosc ne se gênera pas lui. Et Pertuzé non plus.
Avec un peu plus d'ambition, nous aurions eu ici notre Georges Sand d'Occitanie, notre Alphonse Daudet de Lomagne, notre Henri Pourrat lectourois, collègues folkloristes qui tous ont pioché sans vergogne dans les légendes et les traditions régionales pour faire revivre in extremis, et avec un talent les inscrivant au panthéon de la culture française, un monde en train de disparaître et n'était-ce pas là l'essentiel ?
Mais, mis à part les thésards discutailleurs, le travail de Bladé est aujourd'hui cependant reconnu et apprécié à sa juste valeur. Ce n'était pas évident il y a à peine quelques décennies. Pertuzé raconte qu'en 1952 un professeur de français allemand, traducteur des Contes de Gascogne dans la langue de Goethe, Konrad Sandküler, en pèlerinage à Lectoure, fut atterré de ne trouver aucune trace de la reconnaissance officielle de la ville envers son enfant. Nul n'est prophète en son pays. Ce n'est qu'un peu plus tard que l'on donnera son nom à la petite place qui jouxte sa maison natale. Voir ici notre alinéa sur le joli jardin Bladé. Et dans les années 90, une école primaire prit son nom. Un déménagement récent de cet établissement scolaire vers la ville nouvelle fait craindre un recul de Bladé dans la hiérarchie de nos illustres. Il avait raison notre ennemi d'Abd el-Kader d'ambitionner de se couvrir de gloire afin de se faire portraiturer et accrocher de son vivant aux cimaises municipales.
Reste que Bladé a, non pas gravé dans le marbre, mais mieux, imprimé dans notre mémoire livresque les bacchantes du sabbat, le roi des hommes cornus, la chasse infernale et céleste du roi Artus et tant d'autres magnifiques caractères. Pour plus de sécurité, Pertuzé les a dessinés. Tout est bien.
Alinéas
Depuis sa création, pour respecter la tradition, ce cyber-carnet a publié chaque année à la même période, un conte. Nous ne faillirons pas. Voici ici l'intégrale du cœur mangé de Bladé. Jean-François Bladé. Le coeur mangé.
NB. Pertuzé a feint de ne pas le savoir, le conte du cœur mangé est bien connu dans de nombreuses versions occidentales, orientales et nordiques. Mais, contrairement à la version de Bladé, sa structure de base met en scène un triangle amoureux. L'amant se fait toujours tuer à la fin et, par ruse, le mari fait manger le cœur du défunt amant à sa femme. Encore une fois par pudeur ou pour éviter un sujet scandaleux peu goûté dans la Gascogne du 19ième, Bladé et ses sources auront édulcoré ce scénario immoral.
ILLUSTRATIONS PERTUZÉ
- 1ière et 4ième : Les contes de Gascogne. Bladé, mis en bande dessinée par Pertuzé
- 2ième et 3ième : Jean-François Bladé - Les nouvelles. Présentées et illustrées par Pertuzé.
SOURCES
- Jean-François Bladé - Les Nouvelles. Présentées et illustrées par Jean-Claude Pertuzé. Ed. Loubatières 2000.
- Can the "Peasant" Speak? Forging Dialogues in a nineteenth-century legend.
William Pooley - Utah State University
Très actif sur internet et sur les réseaux sociaux, Pertuzé en adopte le langage. Mieux, il l'enrichit. L'illustration se prête bien à ce mode de communication. Si certains craignent que les émojis ou émoticons, que notre illustrateur nomme "pertucons" d'un jeu de mot... gas-con incompréhensible pour les internautes d'outre-Garonne, ces petits dessins un peu simplistes, ces pictogrammes, finissent par appauvrir la langue, d'autres pensent au contraire qu'ils conviennent aux messages électroniques, trop rapides pour que l'on puisse exprimer des sentiments et les illustrent à la place de longs discours que l'on n'ose pas rédiger, par pudeur ou par manque de temps. L'émoji met du sentiment sur la toile.
Bon, je ne vais pas vous faire un cours ! Si Pertuzé a mis en ligne |ici] des émojis à sa façon c'est bien qu'il y croyait un peu, Morburre ! Il s'est même "autoémojiportraituré" sur Wikipédia ! Autodérision, pied de nez, pirouette... va savoir. Et sur fond de Pyrénées, là le message est clair.
A la semaine prochaine ?
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Pertuzé se glisse parfois lui-même dans ses propres illustrations, plus ou moins ostensiblement, physiquement ou au travers d'anecdotes personnelles.
La fille du Capitoul est sans doute la BD où il s'est le plus impliqué. L'action nous conduit de Toulouse où il vivait et qui lui a donné tellement de matière à dessiner, en Gascogne, "de retour au pays", pour un sabbat des sorcières inspiré des Lectourois Jean-François Bladé et Alcée Durrieux, pour une enfarinade autour du moulin d'Aurenque entre Lectoure et Fleurance, sur la Garonne enfin, jusqu'à Bordeaux et l'Atlantique. Cabale déjantée jusqu'au phare de Cordouan qui lui offrira son horizon ultime dans un autre texte, autobiographique affirmé cette fois, publié sur le blog Lactorates et évoquant sa propre mort... Prémonition ?
Le vieux mendiant qui accompagne Silve du Bazacle, le héros de cette BD, sorte de Jiminy Cricket en guenilles, s'appelle Pertuseri ! De l'italien "charpentier de navire". Pertuzé s'est fabriqué un ancêtre, un mentor, une conscience.
Le scénario, érudit autant que baroque, emprunte très clairement au roman "Le Dieu manchot', du Portugais José Saramago, prix Nobel de littérature, ce qui donne une idée de la qualité des sources d'inspiration de notre homme.
La vie et les aventures de Silve du Bazacle laissait augurer d'une suite, qui ne viendra pas. Morburre !
"Dans l'immense champ de bataille idéologique que constitue la Révolution française, on ne se bat pas argument contre argument mais carrément catéchisme contre catéchisme".
Histoires de la Révolution en Gascogne. Hourquebie/ Sourbadère. Illustrations Pertuzé. Ed. Loubatières.
HISTOIRE DE FRANCE
Ce sans-culotte impérieux et sentencieux, tel un pasteur monté sur sa chaire du temple de la Raison, qui assène le nouveau catéchisme révolutionnaire à un gamin amorphe, illustre le fossé entre les nouveaux maîtres et le petit peuple, avec humour certes, mais très en concordance avec le texte des deux auteurs de ces étonnantes Histoires de la Révolution en Gascogne. Cependant, Pertuzé n'a pas toujours manié l'humour ou la caricature pour illustrer cette époque. Il sera souvent mis à contribution pour les nombreuses publications, les livres historiques, les bandes dessinées, numéros spéciaux de la presse qui paraissent pour le bicentenaire de la Révolution, et son dessin y est souvent tout à fait réaliste, les costumes et les lieux étant parfaitement rendus pour que l'Histoire soit restituée à la fois le plus possible conformément aux faits et attrayante.
Le 14 juillet 1989, la Dépêche du Midi publie un cahier spécial anniversaire sur tous les départements qu'elle couvre, cahiers illustrés par Pertuzé qui situe l'action devant un monument caractéristique de chaque chef-lieu de département (institution toutefois post-révolutionnaire !), Agen, Albi, Auch, Cahors, Carcassonne, Foix, Montauban, Tarbes, Rodez et Toulouse ici, où la révolte vient du quartier populaire Saint-Cyprien et traverse le Pont-Neuf par la porte Saint-Jacques, détruite en 1860 pour laisser passer le flux automobile de l'époque moderne, encore hippomobile à cette date... une autre histoire.
Pertuzé s'exprime sur ce sujet dans une interview à la Dépêche du Midi en 1999. A la question "Quelle est la différence entre le dessin et l'écriture ?" voici sa réponse, très modeste en l’occurrence : "Aucune. Tout ce qui est lettre, typographie, calligraphie appartient à l'écrit. La bande dessinée est un excellent compromis. J'essaye moi même d'écrire, même si je suis loin de me considérer comme un écrivain, car je rédige pour faire des illustrations. Qu'apporte le dessin au texte ? Pas grand-chose. Si le texte est bon, il n'a pas besoin de dessin. Mais il apporte tout de même un contrepoint, une autre vision... personnelle. Il y a des textes très visuels qui appellent une illustration très réaliste. Ce n'est pas une nécessité, un plus que l'on apporte au lecteur". Et c'est évidemment le cas avec l'Histoire. Si le texte est bon, dit-il. Or, certains historiens ne sont pas de bons auteurs. Ce n'est d'ailleurs pas absolument indispensable dans leur fonction et de ce fait la matière est souvent indigeste.
Comment intéresser le lecteur lambda à l'Histoire ?
Que serait l'Histoire de l'Egypte antique sans les peintures murales des tombeaux des pharaons ? Que serait l'Histoire de la conquête normande de l'Angleterre sans la tapisserie de Bayeux ? Que serait l'Histoire de l'architecture médiévale sans le Dictionnaire raisonné de Viollet-le-Duc ? Toutes proportions gardées bien sûr, ceci pour démontrer l'importance de l'illustration par rapport à l'écrit, sa complémentarité, son efficacité dans le mécanisme de compréhension, de démonstration et de transmission.
SOCIOLOGIE HISTORIQUE
On l'admet aisément aujourd'hui, l'Histoire ne se limite pas aux révolutions, aux grandes batailles et à la chronologie du règne de tel ou tel roi, empereur ou président de la république. L'Histoire est également celle des peuples, de leur mode de vie et de pensée. Pertuzé concourt à dessiner cette sociologie historique qui n'a pas été immortalisée par les grands peintres, monopolisés par les élites. Les Contes de Gascogne de Bladé, comme Les chants de Pyrène, sont illustrés avec un grand soin du costume et des intérieurs paysans, bourgeois et nobles. Le poids du folklore dans la société de l'époque, qui rapporte voire perpétue les croyances et les superstitions, est lui-même en tant que tel sujet d'étude. On discute encore de l’orthodoxie de sa méthode, mais Jean-François Bladé est aussi considéré comme ayant collecté une matière à étude historique. Le folkloriste n'est pas un conteur, mais un passeur, un mémorialiste.
Contributeur de Wikipédia, l'encyclopédie en ligne, sous le pseudo Morburre, Pertuzé a dessiné, pour répondre à quelle sollicitation ? nous ne le savons pas, ce superbe ramoneur savoyard et, en légende, a rappelé sa fonction de coursier dans le Paris du 18ième. La tenue et les outils du gamin sont particulièrement restitués.
Avant la généralisation des postes, on confiait souvent, à Paris, aux petits ramoneurs le soin de transmettre des courriers.
HISTOIRE DE LECTOURE
Evidemment, l'Histoire de sa ville intéresse au plus haut point notre illustrateur. On pourra regretter qu'il n'ait pas eu l'occasion de participer à l'une ou l'autre des publications historiques sur Lectoure, et nous croyons deviner qu'il l'aurait souhaité. C'est sans doute ce qui l'a décidé à travailler, de façon autonome et originale, à ses Lactorates. Initialement, ses portraits, écrits et dessinés, se concentraient sur des personnages célèbres, Jean V d'Armagnac, le duc de Montmorency, le bourreau Rascat... Le titre du projet était alors "Etroite patrie", selon une formule d'un des historiens locaux croit-on savoir. Puis sont venus les écrivains, Gide, Jean Balde, la nièce de Bladé, Aurélie Soubiran, princesse Ghika. Enfin, d'autres portraits ont intégré la galerie, à l'intérêt historique parfois plus anecdotique mais sociologiquement, on y revient, très intéressants, le sculpteur de notre monument aux morts, Sarrabezzolles, le peintre Naillod, Ducos du Hauron, l'inventeur de la photographie en couleur tout de même... Enfin certains plus lectourois, Duchesne, le médecin d'Henri IV, les saints Gény, Clair et Maurin etc...
Il semble que Jean Lannes n'ait pas eu les faveurs de notre illustre illustrateur. Le maréchal d'Empire n'avait d'ailleurs pas besoin de lui étant donné la riche iconographie dont il a bénéficié, façon de parler, après sa mort. Il aurait toutefois certainement fait partie des Lactorates. La première épouse du grand soldat, répudiée pour infidélité, Catherine Jeanne Josèphe Barbe Méric, dite "Polette", a été portraiturée par Pertuzé, dessin et texte, celui-ci plutôt indulgemment. Ceci dit pour la petite Histoire. Y faut-il toujours une majuscule dans ce cas ?
Quant à Monluc, un autre maréchal de France passé par là deux siècles plus tôt, Pertuzé a publié sur internet un magnifique panoramique du siège de Lectoure par lui légendé ainsi : "Vieille histoire : le siège et la prise de Lectoure (protestante) par Blaise de Monluc (catholique), en septembre 1562. Cherchez l'erreur (il doit y en avoir plein). Pour situer, le clocher est bien là, entier avec sa flèche, mais la cathédrale a été détruite. Le Bastion, à droite, n'est qu'une levée de terre sans murs. Avec ses trois canons, Monluc a fait une brèche dans le rempart, à peu près là où se trouve la piscine mais à l'époque il n'y a pas la piscine, ni même les terrasses des Marronniers et les jardins en-dessous, il y a des maisons et des rues. En plus on n'y voit pas grand-chose parce que l'assaut s'est passé la nuit (et vous trouvez que je fais un boulot facile ?)".
Siège de Lectoure par la troupe catholique de Monluc. 1562.
Complétons le descriptif car c'est remarquable : la position des troupes de Monluc, sur le plateau de Lamarque (côté lycées aujourd'hui) est exacte, la porte Boucouère est suggérée par deux tours jumelles de flanquement (à la place de l'actuelle entrée de la rue Nationale), on semble distinguer au fond le clocher de l'église Saint-Esprit et la tour d'Albinhac. A gauche, la tour d'angle de notre chemin de Saint-Clair est imposante. L'illustrateur s'est documenté sur l'armement de l'époque. La crémaillère de réglage de la hausse des canons de Monluc et le flacon de poudre noire attaché à la ceinture de l'arquebusier ne s'inventent pas... Le feu de camp qui divise le dessin en deux devait être prévu pour marquer la pliure de l'ouvrage projeté. Que nous ne verrons pas puisque Pertuzé n'a pu mener son projet Lactorates à terme. Fin de l'histoire.
Alinéas
PS. Je vous suggère de cliquer (clic droit en principe) sur cette dernière illustration et de sélectionner la fonction [ouvrir l'image dans un nouvel onglet] et vous pourrez ainsi observer cette très belle illustration de plus près.
Il n'y a pas que les contes dans la vie. Il y a aussi la nature, les relations sociales, les découvertes impromptues...
Pertuzé enfant enregistre tous ces détails de la vie lectouroise qui viendront donner à sa production ce caractère vécu. Et impertinent. Ce qui fait que pour nous, qui avons connu cette époque, l'illustrateur ne raconte pas d'histoires... ou pas que.
Pour les ceusses qui ne savent pas ce qu'est "tuter les grillons" : les faire sortir de leur trou pour les capturer. Deux méthodes au choix : la paille, la tute, ou l'inondation de la galerie de la bestiole.
Être gamin à Lectoure dans les années 50, ça a du sens : galoper dans les rochers au pied des remparts, dominer la vallée et le monde au delà, se raconter des contes à dormir debout...
Pertuzé connaît son Bladé par cœur depuis l'enfance. Un grand-père boulanger au faubourg le lui a lu entre deux fournées. En écoutant l'ancien, il gribouillait déjà dans la marge de la Dépêche du Midi. " Il y a toujours eu, il y aura toujours, à Lectoure, un homme vert, qui garde les oiseaux, et qui est le maitre de toutes les bêtes volantes ".
Mais qui devait rentrer dans la galerie de portraits des illustres Lactorates que Pertuzé avait en tête ? Zéphirin Bladé lui-même, ou le vieux Cazaux, son fameux conteur ? Le boulanger Boutan ou l'homme vert ? On ne le sait pas, parce que l'illustrateur s'en est allé rejoindre les oiseaux du ciel gascon, laissant-là son ouvrage inachevé. A propos, je crois avoir vu l'homme vert en couleur, vert-de-gris sur fond d'orage comme on sait les faire ici, bleu cobalt ? Mais je ne sais pas où je l'ai mis... ou bien l'ai-je rêvé moi aussi. Mais il est très bien ainsi. Le noir et blanc sied à la légende.
A la semaine prochaine !
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Chronique hebdo publiée également sur notre page Facebook : Hommage à Pertuzé.
Pertuzé ne quittait jamais son béret. Ou presque. Fétiche, fantaisie, marque de fière appartenance à son pays de Gascogne, ou simple plaisir personnel comme vous portez peut-être la moustache ou des boucles d'oreilles, et on ne vous demande pas pourquoi. Il était en relation sur internet avec un vendeur de bérets... néo-zélandais ! Notre Lectourois a offert à son ami Daan Kolthoff, ce fou de bérets des antipodes, plusieurs illustrations très drôles* sur le thème du couvre-chef gascon et celle-ci, très symbolique, qui inaugure notre série.
"Le magicien du béret", c'est le titre de cette première "Pertuzé" hebdo. Tout son art y est : la perspective, le mouvement, la fine expression de plaisir et de tranquille assurance du visage. Et l'ambiance fantastique, la magie, que l'on retrouvera souvent chez notre illustre illustrateur.