Depuis le Grand Tour au 18ème siècle, les chemins du tourisme font étape à Lectoure
Publié le 23 Février 2018
COMMENT PEUT-ON
ÊTRE LECTOUROİS ?!
A l’automne 1842, sur la promenade du Bastion, pendant le changement des chevaux de la diligence qui la conduit d’Agen vers Pau, Louisa Stuart Costello, femme de lettre anglo-irlandaise, observe avec amusement les gamins lectourois (« street urchins », oursins des rues dit-on en anglais) jouer avec un énorme chien des Pyrénées.
De tout temps, le voyageur regarde avec complaisance les enfants du pays qu’il traverse. Parce que l’enfant est plus disponible sans doute, plus naturel et communicatif que son parent qui est souvent méfiant devant le curieux, voire hostile devant l’inconnu.
Comme Victor Hugo dont nous avons déjà raconté le passage dans notre petite ville deux ans plus tôt, cette aristocrate qui parcourt le Sud-Ouest de la France avec un groupe d’amis ne dormira pas à Lectoure,
probablement faute d’hôtellerie décente et également parce qu’à égale distance d’Auch et Agen et dotée de moins d’intérêt, cette étape technique ne retient pas les voyageurs de qualité. Poétesse, peintre, historienne, nouvelliste, Costello publiera le récit de son voyage deux ans plus tard sous le titre « Béarn and the Pyrenees – A legendary tour to the country of Henri Quatre ». L’accentuation et le nom officiel du prince béarnais en VO pour son lectorat anglais, de même que toutes les expressions en français dans le texte donnent une idée de sa maîtrise de la langue, de sa volonté de rendre l’ambiance et de son intérêt pour la culture et les traditions du pays. A l’époque et dans toute l’Europe, parler en français est un signe de distinction et bien sûr une facilité pour le voyage.
Après la scène de rue offerte par les gamins, Louisa Costello, fera une brève mais élogieuse description physique de Lectoure (voir extrait ci-dessous) et en particulier de sa position élevée offrant de belles vues sur le paysage environnant que son regard d’artiste apprécie. Ce jour là et malgré le beau temps, les Pyrénées ne sont pas visibles. Elle qualifie le style du clocher de la cathédrale de mi-gothique, mi-anglais !? Passons. Enfin, elle évoquera, avec respect et sensibilité, la mémoire du maréchal Lannes, l’enfant du pays. A peine trente ans après sa mort sur le champ de bataille et la fin dramatique du premier Empire, voilà une prudence qui ménage la susceptibilité de la nation vaincue sévèrement à Gibraltar et Waterloo, et l'expression du tact d’une grande dame que l’on retrouve tout au long de ce récit.
Le 17 mars 2017, le New York Times, grand quotidien américain, publie un article signé de David Mc Aninch sous le titre « Is Gascony the most delicious corner of France ? », question à laquelle nous répondons de façon unanime : allez, tous avec moi, « Oui ! ». Il y fait, entre autres, une publicité incroyable à "notre" Café des sports, my favourite bar in France rien de moins, où il s’étonne qu’un inconnu lui confie sans hésiter pendant un instant son enfant pour aller prendre un verre au comptoir. Encore un cliché de gamin attendrissant le visiteur. Plus loin Lectoure est qualifiée de prim and prettyfied, c’est-à-dire quelque chose comme chic* et joliment apprêté, ce qui ne serait pas le cas ailleurs dans le Gers est-il précisé, les communes voisines auront apprécié….
Le journaliste n’est pas passé en Gascogne comme Louisa Costello, en simple touriste. Installé à Plaisance du Gers avec femme et enfant pendant deux ans, il s’est imprégné de notre mode de vie ce qui lui a permis de publier en connaissance de cause et sérieusement documenté un livre intitulé « Duck season » que l’on peut traduire par « Une saison de canard ». Titre un peu réducteur certes, mais ne boudons pas notre plaisir car le média new-yorkais qui publie cet article affiche des scores à la dimension du pays de Donald (…) : 1,2 millions d’abonnés quotidiens, 1,6 le dimanche et 2,2 sur internet ! Dans ces conditions la publication devait donner quelques retombées. Elles n’ont pas été précisément comptabilisées par l’Office de Tourisme ni par le tenancier du fier bistrot mais la Mouline de Belin en a accueilli plusieurs, coupure du journal (intégralement reproduite ci-dessous) exhibée à l’arrivée pour solliciter notre intervention en vue de la réservation (!) à la table de l’établissement lectourois désormais estampillé d'une étoile sur les tablettes des routards américains.
On n’imagine pas le poids des mots qui déclenchent immédiatement chez les étrangers un intérêt pavlovien et qui renvoient à l’image idéalisée qu’ils se font de notre pays : terrasse de bistrot, Bordeaux, Bourgogne ou Armagnac, confit de canard, bal du 14 juillet, mademoiselle…. Ce qui fait qu’une fois visités deux ou trois châteaux de la Loire, le Louvre et Saint Trop’, il leur reste encore à découvrir…. la France "d’en-bas".
Il faut remonter au milieu du 18e siècle pour voir les hautes classes sociales d’Angleterre, d’Allemagne, de Hollande, de Russie et de France institutionnaliser pour leurs grands enfants, en guise de complément de formation, un long voyage intitulé « Grand Tour », qui s’écrit de la même façon en anglais. L’idée aujourd’hui banale, selon laquelle les voyages forment la jeunesse, trouve son origine au siècle précédent, celui des Lumières, « ...pour en rapporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons, et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d’aultrui » écrivait Montaigne. Outre les notes manuscrites, les croquis et les dessins permettent à ces tourists, ces étudiants au long cours, qui seront plus tard parmi les premiers photographes amateurs, de mémoriser les paysages entrevus, de reproduire certaines œuvres artistiques, les spécificités architecturales, de saisir quelque portrait d’après nature.
Puis les "vieilles anglaises", les souffreteux, les golfeurs, les plaisanciers et les amateurs de grand air feront, à leur tour, la fortune
des villégiatures françaises depuis la Côte d’Azur jusqu'au Pays basque, Nice, Pau, Biarritz… Lectoure doit certainement le passage de ces premiers visiteurs, ayant laissé trace de leur étape à travers l’édition de ces sortes de guides touristiques ou sur simple carte postale, à sa position sur la route pour rejoindre les Pyrénées et plus exotique encore, l’Espagne. Le chemin de fer qui devait relier initialement Limoges à Saragosse, concédé à la Compagnie du Midi et du Canal latéral à la Garonne, sera mis en service jusqu'à Auch, et donc desservira Lectoure, en 1865. La voie atteindra son terminus à Vic-de-Bigorre en 1869. Pourtant, l'attraction des métropoles de Toulouse et Bordeaux et des littoraux, méditerranéen et atlantique, fera que le gros des contingents de touristes transitera à l'est et à l'ouest, préservant, un mal pour un bien, son caractère rural et spontané au département du Gers. Aujourd’hui encore, nous voyons défiler les skis fixés sur la galerie des voitures empruntant la RN 21 et qui saluent notre maréchal statufié sans s’arrêter.
Enfin, une autre célébrité a raconté sa découverte de la Gascogne. On lui attribue la francisation de l’anglais tourist et il est chez nous souvent invoqué comme porte slogan publicitaire : Henri Beyle, alias Stendhal aurait qualifié notre petit coin de Gascogne, le pays de Lomagne, de « petite Toscane ». Est-ce dans Voyage dans le midi de la France ? Nous n’avons pas retrouvé dans cet ouvrage l'éloge maintes fois exploité. Par contre, il apparaît que cet air de famille avec l’Italie, que Stendhal connaît bien et qui vaudrait attestation de qualité, est revendiqué par un certain nombre d’autres places : le Gaillacois en Tarn-et-Garonne, un établissement huppé du bas-Armagnac limitrophe des Landes, Clisson près de Nantes et même le Beaujolais... Bien que le ciel d’Italie ne soit pas marque déposée, il faudrait s’entendre !
Faisant suite à Mémoires d'un touriste publié en 1868, ce récit de voyage paru en 1930 , posthume donc, est évidemment bien rédigé, certaines anecdotes sont cocasses, l’ensemble est érudit et historiquement enrichissant. Mais Stendhal ne peut pas dissimuler qu’il voit les régions qu’il traverse et leurs habitants essentiellement au travers du prisme déformant de sa personne, égocentrée et précieuse. Lors d’un trajet qui le conduit de Bordeaux à Toulouse, en bateau jusqu’à Agen puis en
diligence, il n’est pas tendre avec notre région, c’est une litote. Lisez plutôt. « Figurez-vous le plaisir de disputer un coin de coussin à des gascons sentant l’ail ». A Toulouse, « Grossièreté et saleté incroyable de la classe peuple de Toulouse » ! A Auch, « …vitraux à couleurs vives. C’est la beauté suprême pour le paysan qui achète dans les foires les estampes coloriées et pour les savants chez lesquels la vanité anéantit le sentiment du beau ». Pauvre maître verrier, Arnaud de Moles. Pauvres de nos aïeux.
Le récit étouffe de ces incessants jugements superficiels et inutilement agressifs. Vraiment désagréable.
Revenons à la Toscane. Comme la Lomagne, elle est introuvable dans ce texte. Stendhal se plaint en permanence du style gothique, de « la laideur gauloise » ! C’est dans la diligence entre Agen et Toulouse qu’il fait référence à l’Italie : « …la vue de Moissac… m’a fait un vif plaisir. Je me serais cru dans ma chère Lombardie. Beauté du ciel, douceur de l’air et surtout maisons bâties en briques avec des corniches élégantes ». Nous y voici semble t-il mais le rapprochement tient « surtout » à l’architecture, au bâti. Je propose donc à ceux qui recherchent une caution pour promouvoir leur coin de bocage de réserver la référence stendhalienne d'une ressemblance avec la Lombardie -et non la Toscane ce qui n’est peut être pas très différent- à la seule région de Moissac et, rive gauche, à la Lomagne garonnaise qui a son charme c’est vrai, avec laquelle
le pays de Lectoure partage le ciel sinon tout à fait l'architecture.
Pour ma part, je relirai peut-être un jour par acquit de conscience Le rouge et le noir ou La chartreuse de Parme, mais il faudra auparavant que je m’efforce d’oublier ce vilain touriste là. En visitant le château de la Brède, Stendhal dit avoir un culte pour Montesquieu. Il aura lu à l’envers « Comment peut-on être persan ? » où le grand philosophe gascon fustige le parisianisme : pour cet observateur pontifiant et dédaigneux, cela aurait pu donner:
- Comment peut-on être gascon ?
- Et Lectourois alors !?
Remarquez, lorsque j’étais gamin, pas très loin d'ici mais il y a longtemps, dans un mélange de méfiance et d’admiration, nous traitions tous les touristes de « parisiens ». Avec éventuellement, à l'appui, quelque qualificatif désobligeant en patois. Oursins et sauvageons.
En réalité, pour la satisfaction de notre goût de la relation humaine, nous accueillons aujourd'hui à Lectoure une très grande majorité de visiteurs sympathiques, ouverts et qui savent trouver en faisant ce beau détour ce qu’ils viennent y chercher. Par bonheur, notre petit coin est encore loin de la saturation que subissent les zones touristiques, côtières par exemple, loin des paquebots gigantesques et hautains, traversant par le canal de la Giudecca, Venise si fragile, loin des quotas de visiteurs qui commencent à apparaître, aux Cinque Terre sur la Riviera et à Barcelone par exemple. Rue Nationale on ne se bouscule pas tous les jours. Et si l'on croise un touriste à la belle saison dans nos prés où certains savent maintenant que se cueille le bonheur, on en parlera encore en hiver devant la cheminée.
ALINEAS
* Comme premier résultat, pour prim le dictionnaire nous donne « collet monté », mais je ne pense pas qu’il y ait eu chez le rédacteur la volonté d'exprimer le sens péjoratif que l’on donne en français à cette expression. Alors nous avons plutôt choisi le terme chic que les anglophones utilisent d'ailleurs souvent tel quel, en français dans le texte.
LOUISA STUART COSTELLO
Texte intégral Vol.2
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102170f/f5.image
VICTOR HUGO
- Notre alinéa sur le passage de Hugo à Lectoure :
- Il faut également noter la très intéressante Présentation de Francis Claudon, Le Voyage romantique, dans Victor Hugo - Voyage dans les Pyrénées. Editions du Félin 2001.
MONTAIGNE
http://les-proverbes.fr/site/proverbes/les-voyages-forment-la-jeunesse/
STENDHAL
Texte intégral de Voyage dans le midi de la France.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6950r
ILLUSTRATIONS
- Manet - L'enfant et le chien
- Jean-Baptiste Louis Guy - La diligence à Lanslebourg
- Photos
Lectoure: M. Salanié
Auvillar: avec l'aimable autorisation de http://mes-petites-boites.over-blog.com
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