Pendant la Grande Guerre, l'humour au service du moral des troupes et de l'arrière

Publié le 9 Novembre 2018

LE RIRE DU POILU

Les cérémonies de commémoration de l'armistice de 1918 marquent une victoire militaire et devraient en avoir l'esprit sinon la forme mais elles apparaissent plutôt aujourd'hui comme une triste litanie. Sans doute la proximité de la Fête des morts. Et puis évidemment, il y a là, au cœur de nos villes et de nos villages, gravé sur la pierre de nos monuments aux morts, inévitable, le décompte dramatique de l'hécatombe. Comme un sinistre et obsédant héritage.

Mais le 11 novembre 1918, à Lectoure comme ailleurs, les français ont bien fêté une belle victoire. Les cloches ont sonné joyeusement. Il faut se figurer le bonheur, les rires, les chants, les drapeaux, rue Nationale, sur le parvis de la cathédrale, dans la cour de l'Hôtel de Ville.
Il y a eu, dans les heures qui ont suivi le cessez-le-feu, un exemple unique dans l'Histoire de France, de liesse générale, rassemblant toutes les classes sociales. Le soulagement bien sûr sur le sort des hommes qui en reviendront*, mais aussi une grande fierté, la récompense de quatre ans de sacrifices, le dessus pris sur la barbarie**.

Avant cette heureuse délivrance, dans la grisaille du temps de guerre, l'humour, la caricature, la légèreté de l'âme française - qui nous est parfois reprochée -, sont omniprésents. Les chansonniers, la carte postale (les réseaux sociaux de l'époque), la presse, utilisent abondamment l'humour, souvent grinçant même s'il peut nous paraître aujourd'hui primaire ou suranné. Le rire a permis aux troupes et à la population civile d'y croire, de tenir, de continuer à vivre en quelque sorte, malgré tout.

Et si la capacité des français de rire de tout et surtout d'eux-mêmes avait fait partie de l'arsenal du futur vainqueur ?

 

Cette glorieuse équipe rugbystique du Midi de la France a fière allure. Nous sommes dans les premiers mois de la guerre. Il y a là bien sûr, beaucoup de forfanterie, c'est également bien français. Les évènements corrigent souvent ces visions simplistes et dont le sens devient vite obsolète, comme tous les commentaires "à chaud" sur l'actualité. Joffre, avec son physique de 3ième ligne, se verra retirer le commandement en chef et n'aura pas eu la capacité de renvoyer aussi rapidement la baudruche teutonne derrière la ligne de ses vingt-deux mètres. Foch lui, se place et attend son heure, qui sera la bonne. De Castelnau, trop aristocrate au goût d'une Troisième République très rad-soc, sera un certain temps laissé sur le banc. Quant aux deux anciens, ils ne seront pas de la fête. Gallieni, mourra, malade, en 1916.

Enfin notre amiral, Auguste Boué de Lapeyrère.

Dépassé par le jeu rapide des cuirassés de la Royal Navy, mis à la retraite, le vieux marin apprendra la nouvelle de l'armistice sur le plancher des vaches. Était-il ce jour-là à Lectoure ? On peut l'imaginer, son téléphone Marty ultra moderne en mains, en liaison avec ses anciens collaborateurs, ému sans doute, dans son domaine de Tulle, havre de paix au bord du Gers, face à la vieille citadelle gasconne, préservée du conflit.

Une très intéressante illustration encore aujourd'hui, malgré les rectificatifs de l'Histoire.

Après les chefs de guerre, passons directement au poilu. Il est sympathique et jovial. Entre les gradés, les civils, les planqués qui sont croqués sévèrement, il a toute l'affection du public et donc des illustrateurs. S'il est moqué, ce n'est jamais méchant. Il fait l'objet d'un véritable culte. Il est l'image de la France qui veut en rire, envers et contre tout.

Les illustrateurs sont d'ailleurs souvent mobilisés et sous l'uniforme, en même temps qu'ils collaborent avec la presse. Ce qui donne à beaucoup de ces illustrations un réalisme tangible. "Ça ne s'invente pas" !

Indépendamment des grades et de l'origine sociale, il y a une réelle fraternisation d'arme. La hiérarchie, à tout niveau, sait ce qu'elle doit à l'humour pour le maintien du moral des troupes. Les souvenirs de nos grands-pères, dans leurs lettres, leurs carnets, la presse, fourmillent d'anecdotes drôles et loufoques. Tout y est sujet à caricature : les petits travers, le règlement, la cuisine surtout. Et la française ! Si la femme, mère, épouse, belle inconnue peut être sujette à plaisanterie voire à gaudriole - l'époque n'est pas toujours fine -, elle est surtout le symbole de paix, du retour à la maison, l'expression du rêve de repos et de réconfort du poilu.

Bien sûr, la censure veille. C'est une loi de la guerre. Mais beaucoup moins qu'on pourrait le croire. Et pour une raison en particulier, c'est que l'opinion de l'époque est très sensible aux principes de liberté. Celle de la presse en particulier, qui a fait l'objet de violents débats sous le second Empire. Elle a été consacrée en 1881 et la presse connaît depuis, son âge d'or. On n'écrit plus, ni ne dessine comme cela aujourd'hui. Georges Clémenceau qui devient Président du Conseil (l'équivalent de notre Premier ministre) en 1917 a, pendant des années, été le journaliste virulent de L'Aurore, de L'homme libre, devenu, à cause de la censure précisément, L'homme enchaîné. Arrivé au pouvoir pour serrer les rangs, il ne peut toutefois pas se dédire et la presse restera relativement libre de ses propos, mais dans le cadre de l'Union sacrée. Il y a un consensus très large pour soutenir l'armée dans son ultime effort, et l'humour est admis pourvu qu'il concoure au moral des troupes et du pays dans son ensemble.

Évidemment, la caricature qui se risque à apparaître défaitiste sera censurée.

 

Ce Carnet d'Alinéas se doit également, de faire une place à l'humour régionaliste.

Au début de la guerre, les régiments sont constitués par régions. Les officiers ne parlant pas toujours la langue maternelle de la troupe, ceci provoquera des difficultés de commandement qu'il faudra résoudre. Certains de ces "pays" sauront y trouver matière à rire. Par exemple Pierre Dantoine, de Carcassonne, dont l'idiome n'est pas le gascon mais le languedocien. Il n'y a que la Garonne entre lui et nos poilus lectourois. Ça nous parle non ?

 

 

Le vendéen Clémenceau, on y revient inévitablement, jacobin, chef de guerre impitoyable et finalement "Père la Victoire", l'homme politique le plus admiré à la date de l'Armistice, en France et à un degré que nous ne pouvons pas imaginer de nos jours, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie, en Asie... fut sans doute, pour les illustrateurs de ses partisans et de ses détracteurs, le personnage le plus sujet à caricature.

Il passa beaucoup de temps à inspecter les premières lignes, au contact du poilu qu'il affectionnait.

Je veux raconter ici une anecdote rapportée par mon grand-père, qui connut l'époque et les lieux. Alors que le ministre coiffé de son célèbre galurin, visitait, comme à son habitude, une tranchée, il s'adressa à un poilu, resté assis sur une caisse de munitions, pour lui demander s'il avait quelque chose à lui dire, une requête à faire...

- ... Je vous écoute mon brave.

Pas de réponse. Clémenceau reformule sa question. Le troufion, mutique, reste accroché à sa bouffarde, sombre, le regard au lointain. L'officier assistant à l'inspection, gêné, se fâche et exige du soldat qu'il réponde. Alors, l'homme se tourne calmement vers Clémenceau et dit:

- D'abord, je ne réponds pas aux civils !

Clémenceau, sa moustache qu'il avait fort broussailleuse laissant deviner un sourire complice, fit signe à l'officier de ne surtout pas sanctionner l'homme. Au delà de la drôlerie de la réplique qui venait de lui être adressée, il pouvait être satisfait. Ses instructions de méfiance dans les communications, pour cause d'espionnage, étaient appliquées par le poilu lui-même... et à la lettre. En outre, l'humour, parfois ravageur, était parmi les principales armes du chef d'une France qui gagnerait la bataille bientôt. 

                                                     ALINEAS

The old Tiger, aux USA en 1920 pour réclamer l'application du traité de Versailles

* Je ne suis pas assez documenté à ce jour sur les Lectourois qui ont été mobilisés. Ceux qui sont montés au front et ceux qui y sont Morts pour la France. Je voudrai y revenir.

Il faudra aussi consacrer un alinéa spécifique aux tirailleurs sénégalais du 141ième BTS, cantonnés à Lectoure et qui furent, quelques semaines avant l'Armistice, touchés par une épidémie de grippe espagnole. 73 d'entre eux sont enterrés au carré militaire de notre ville et honorés dignement chaque année.

** On ne peut oublier la cause essentielle de la guerre. Au delà des faiblesses et des fautes des dirigeants politiques français et de l'impréparation militaire, cette guerre est à mettre intégralement au passif de l'invraisemblable esprit de domination germanique pendant 70 ans. La France saura, heureusement, se réconcilier avec ses voisins d'outre-Rhin. Mais il faudra pour cela, laisser passer, dans l'intervalle, une nouvelle agression, à peine deux décennies plus tard, tout aussi sauvage, et qui n'a été moins sanglante - relativement ! - pour la France, qu'en proportion de son effondrement militaire. Effondrement dû au désarmement, dont la responsabilité incombe aux gouvernements de l'entre-deux guerres qui n'ont pas compris que la Der des Der ne le serait pas. Mais ceci est une autre histoire et ne fera rire personne.

CREDITS / SOURCES

- Pierre Falké, sapeur au 10ième Génie, Le blessé.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Falk%C3%A9

Sur la revue Le Rire, devenue Le Rire Rouge pendant la guerre et présentant une jolie brochette de collaborateurs comme Toulouse-Lautrec, Sem, et Duchamp, excusez du peu, voir: https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Rire

28 années du Rire consultables ici: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34432899t/date

- X (?), Collection humoristique de l'âne, photo Provost, La grande équipe du midi.

- Ch-Léo 1916, GMT, Anatomie du poilu, carte postale de la série Le langage des tranchées.

http://geopolis.francetvinfo.fr/la-carte-postale-media-de-masse-de-la-grande-guerre-43245

http://www.caricaturesetcaricature.com/article-la-grande-guerre-des-cartes-postales-exposition-120103486.html

- Pierre Dantoine, Le sergent et le colombin

https://www.crid1418.org/espace_pedagogique/documents/icono/dantoine.html

http://www.tintamarre.eu/produit/la-grande-guerre-vue-par-dantoine/

- Georges Clémenceau, dit Le tigre.  Wikimedia Commons.

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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A
Je veux conserver cet échange paru sur le groupe Facebook TU ES LECTOUROIS SI. <br /> <br /> Ce « dessin de Pierre Falké, exécuté sur le front » m’a fait un peu frémir. Mais c’est le dessin qui a été exécuté, pas Pierre Falké.<br /> <br /> Aline Salanié Le relecteur de la une du canard est passé à côté de ce dangereux jeu de mots. Et moi aussi. Je l'aurais peut être gommé. Je savais que mon sujet tangentait des zones sensibles pour ne pas dire minées que je ne m'aventurerai pas à parcourir avec ma petite chronique. Merci pour ce regard qui ne m'étonne pas.<br /> <br /> Digun Digun<br /> Digun Digun C’est un de mes gros défauts, d’accrocher sur des détails langagiers de rien du tout comme ça ! Et de m’intéresser au sort des dessinateurs (espèce à protéger).
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A
Trouvé cette citation de Fatiha Boudjahlat cofondatrice avec Céline Pina du mouvement Viv(r)e la République. Elle est aussi l'auteur de l'essai Féminisme, tolérance, culture: Le grand détournement (éd. du Cerf, novembre 2017).<br /> <br /> Les commémorations du centenaire de 1918 ont célébré beaucoup de choses, mais pas le fait qu'il s'agissait d'une victoire militaire de la France. Les programmes scolaires n'abordent pas non plus cette vérité, insistant sur le ressenti du Poilu, son «expérience combattante», ses sentiments. Victorieux, il n'est pourtant considéré et célébré que comme victime, un «malgré-lui» avant l'heure. De la guerre, de l'état-major, etc... C'est qu'il ne fait pas bon être vainqueur. Désormais, le seul statut reconnu et valorisé est celui de victime.
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