A la Belle Epoque, vue par un galant, la promenade du dimanche sur le Bastion et les Maronniers

Publié le 31 Octobre 2018

Ô charmante Lectouroise...

 

 

Le 3 mai 1901, dans les colonnes du journal lectourois Le Démocrate, "Organe d'action républicaine", paraît une chronique (reproduite intégralement ci-dessous) dont l'auteur, qui signe des initiales A.R.C, déclare sans ambages, sa fougue à la femme lectouroise : maman, nounou, ouvrière, jeune fille, fillette même.

Et la grisette.

Très en vogue à l'époque, la grisette est une jeune employée d'un atelier de couture, drapière, boutonnière ou passementière, chargée de porter à domicile le travail commandé par les maisons bourgeoises. D'origine modeste, son surnom lui vient de sa tenue d'un gris discret, et d'une coupe stricte. Malgré cela, sa profession l'expose au regard de l'homme, dans la rue et à domicile et, parfois tentée, coquette comme il est naturel à cet âge, la demoiselle est réputée accueillante sans être vénale. On ne la confond pas avec la lorette, qui elle, fait sans complexe commerce de ses charmes. Elle est proche par contre, du caractère de la midinette, jeune fille sentimentale qui apporte son casse-croute pour pouvoir déjeuner à la pose sur les terrasses des boulevards, où le galant, riche de préférence, passera "par hasard". Eh oui, midi...dinette.

La grisette et ses sœurs, ayant existé ou fantasmées, ont donné naissance à une incroyable galerie de personnages de romans, de théâtre, de chanson, de gravures, de cartes-postales. Les auteurs, médiocres ou de premier ordre comme Musset, Balzac et plus près de nous, Brassens dans sa magnifique Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, ont célébré ces Mimi-Pinson. Montand lui, aime flâner sur les grands boulevards où l'on a des chances d'apercevoir deux yeux angéliques que l'on suit jusqu'à République.

Revenons sur notre Bastion et nos Marronniers. Notre chroniqueur rêve t-il ou bien les grisettes étaient suffisamment nombreuses et coquettes dans une ville certes bourgeoise mais provinciale pour le moins ? Alors, dans son élan d'affection, pour n'en décevoir aucune, il associe à l'ouvrière toutes les jeunes femmes, du peuple et de la classe élevée, qui forment, au pied du clocher, devant le grand héros sur son socle dressé, en face du panorama unique au monde des Pyrénées aux sommets de neige, un tableau idyllique, démocratique, ensoleillé et chantant. Ce doit être un optimiste. C'est aussi le style de l'époque. Pompeux.

Mais il y a les petits détails d'ambiance bien de chez nous. Par exemple, il est fait remarquer très sérieusement que nos bons employés municipaux pourraient bien sans trop de peine s'ingénier à faire reverdir la pelouse du Bastion trop foulée hélas par des pieds irrespectueux. Il faut bien que la chronique fasse passer des messages "d'action républicaine" !

Comparée aux dépêches d'aujourd'hui, comptes-rendus à minima et photos en rang d'oignon (nos amis-es correspondants-tes ne m'en voudront pas qui appliquent la consigne éditoriale), au moins cette chronique-là s'engage, s'implique et se risque. En 1901, apparemment quelques mauvais esprits dénigrent la ville injustement. On dit beaucoup de mal de Lectoure. On y trouve la vie éteinte, le mouvement commercial à peu près nul, peu de plaisirs. Grâce à la grisette et à toutes les jolies filles faisant office d'icônes, de faire-valoir touristiques, bref de décor, le chroniqueur peut affirmer que notre petite ville en vaut bien d'autres, qu'elle a ses charmes et sa gaité, et que ses enfants qui en disent du mal sont des ingrats. Une piste à suivre par notre Office de Tourisme intercommunal s'il était en mal d'outils d'action et de communication promotionnels.

 

Le banc public, observatoire privilégié de l'amateur de grisettes.

En plaisantant ainsi, je prends le risque de me voir épinglé aux fourches patibulaires de la morale de notre temps. Le temps médiatique au moins. Bien sûr, il serait totalement critiquable et inimaginable de publier aujourd'hui pareille chronique, disons "galante" pour rester dans le registre sociologique ou psychologique. Il faut y voir un phénomène historique et garder de la distance par rapport à notre vision contemporaine des relations humaines et amoureuses. Ne pas refaire l'Histoire à coups de #balancetonporc.

Si nous cautionnons totalement la lutte contre les violences faites aux femmes - qui ne doit pas être celle des femmes contre les hommes mais bien celle de la société toute entière, de sa justice et de son système éducatif - nous savons depuis que le monde est monde, que la séduction et le regard sur la beauté font, heureusement et définitivement, partie de la nature humaine. Il faut aussi défendre ce Bastion-là.                                                          ALINEAS

 

PS. Nous devons la découverte de cette perle journalistique locale à notre ami Bernard Comte. Je partage avec lui l'amour de Lectoure, l'intérêt pour les vieux papiers... et un faible pour la grisette. Nos compagnes nous pardonnent.

Commentaire manuscrit bien dans le ton de la coupure de presse !

CREDIT :

- Cartes postales : collection particulière.

- Illustration : Mademoiselle Mimi Pinson d'Alfred de Musset. Gallica BNF.

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #La vie des gens d'ici

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