Lectourois morts pour la France en Indochine

Publié le 19 Octobre 2023

monument aux morts lectoure

Trois noms de soldats morts en Indochine sont gravés en lettres d'or dans le granit gris de notre monument du souvenir. Le 8 juin dernier, Lectoure honorait plus particulièrement l'un d'eux, Maurice Lalague, "Mort pour la France" en Indochine en 1954. Soit il y a 70 ans "à peine". Ce n'est donc pas une éternité, ni le Moyen-Âge, pas plus d'un siècle en arrière comme les poilus de la longue litanie de la "grande guerre" qui est lue chaque année, cérémonieusement, le 11 novembre. L'image de nos grands-pères s'estompe, y compris ceux ayant survécu à la boucherie. Les anciens combattants de 39/45 ou d'Algérie, et les plus "jeunes", ceux des opérations extérieures (OPEX) pour employer la terminologie administrative (177 opérations recensées depuis 1959, parmi les plus connues Zaïre, Tchad, Centrafrique, Liban, Ex-Yougoslavie...), ceux qui sont heureusement revenus, sont là pour nous rappeler à notre devoir de mémoire.

Alors, pourquoi a-t-il fallu attendre 70 ans pour inscrire le nom de Maurice Lalague sur cette stèle ? Ce sont les mystères des arcanes de l'Administration, militaire de surcroît, mais il faut préciser que son corps n'a jamais été retrouvé et que, engagé dans la Légion étrangère, il avait dû, c'est la tradition pour les hommes de rang, déclarer au moment de son incorporation un autre patronyme, Delbeck, et une autre nationalité, Belge, ceci pouvant expliquer cela. Un de ses parents ayant remarqué son absence sur notre monument aux morts, communiqua avec le général Eric Boss, président du comité de Lomagne du Souvenir Français, qui engagea les procédures et obtint enfin la rectification.

Lalague rejoignait ainsi deux autres Lectourois, "Morts pour la France" en Indochine : Louis Dugros et Maurice Toquebens. Mais les familles lectouroises de ces morts, et de ceux revenus vivants aussi, se demandaient bien mordiù !, pourquoi aller se battre, et surtout finir, de l'autre côté de la planète ?

 

trois morts pour la france MPLF en indochine

Pour l'opinion publique, influencée par la propagande communiste, la guerre d'Indochine était une "sale guerre". Surtout méconnue, incomprise, elle est aujourd'hui oubliée. Pourtant la présence française dans cet extrême Orient a été importante et pas toujours noire. Ni blanche.

Notre chronique ne prétendra pas écrire l'Histoire de l'Indochine. Cependant. Derrière l'imagerie exotique qui a pu motiver un européen à s'aventurer, explorateur, évangélisateur ou artiste, la colonisation du sud-est asiatique est évidemment politique et économique.

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Affiche de promotion du tourisme en Indochine

 

Les premiers européens à s'installer durablement dans le Sud-Est asiatique, ici comme en Afrique, sont les religieux. Le pouvoir politique, déjà sous Louis XV, sera conduit à accompagner les missionnaires français, pour leur protection et celle des populations autochtones qui adoptent en nombre la religion catholique, sans toujours renoncer à leurs pratiques animistes. Prétexte ou vision civilisatrice, chacun jugera, sans doute est-ce un tout et la physionomie d'une époque. Très vite, la concurrence avec les autres nations, l'Angleterre en particulier (installée au Siam, actuelle Thaïlande, en Birmanie, Indonésie, Hong-Kong), conduit la France à s'imposer, à établir des positions militaires et commerciales, à signer des traités de collaboration avec les pouvoirs traditionnels. En 1862, l'Empereur d'Annam, Tú Dúc, cède à la France les territoires du sud qui deviennent la Cochinchine, colonie administrée directement par la métropole. Les deux autres régions vietnamiennes, l'Annam, plaine côtière le long de la mer de Chine et le Tonkin au nord resteront des protectorats, comme le Cambodge et le Laos. Dans cette région du monde règne une très grande diversité ethnique qui alimente des luttes fratricides permanentes, dont la France pourra s'instituer l'arbitre. Contre les impérialismes de l'empire Annam, prochinois, et des Thaï (dominés par le Royaume Uni), elle représentera un certain équilibre et une présence pacificatrice. Le Cambodge et le Laos se verront reconnaître une autonomie au sein de l'Union française. Les échanges commerciaux de la métropole avec la Cochinchine et le Tonkin seront très florissants. La culture de l'hévéa est introduite et la forte demande de caoutchouc due au développement de l'automobile dans l'entre-deux-guerres provoquera un boom économique. Le thé, le riz, la soie sont également prisés de la métropole. Une bourgeoisie indochinoise nait, laborieuse et cultivée. Cette création de richesse permet en parallèle le développement d'infrastructures modernes, réseau routier et éducation en particulier. Hanoï au nord et Saïgon au sud prennent des allures de villes de province de France. Le lien fort entre nos pays et leurs populations, encore sensible aujourd'hui, date de cette période faste.

hanoï - hué - Saîgon -ho chi minh ville
Hanoï, capitale du nord

 

Mais la deuxième guerre mondiale va marquer un tournant et la fin de cet âge d'or. Déjà avant-guerre, sous la troisième république finissante, trop distante, instable et ignorant les subtilités asiatiques, l'administration française en Indochine commet un certain nombre d'erreurs, fiscalité injuste, passe-droits et décisions arbitraires, vexations religieuses ou ethniques, qui dresseront une partie de la population indigène contre la puissance coloniale et sèmeront le grain du sentiment nationaliste là où n'existait qu'une multitude de minorités concurrentes qui recherchaient auparavant auprès de la France protection et reconnaissance.

En 1940, le Japon envahit la région tout en ménageant la souveraineté française. L'administration militaire sous l'autorité du gouvernement de Vichy est conduite à composer, ce qui lui sera reproché. En 1944, les États-Unis bombardent les positions japonaises en Indochine. Les Japonais investissent alors et désarment les unités françaises par surprise. Les officiers et les dirigeants de l'administration coloniale sont arrêtés, certains sont exécutés, décapités à coup de sabre. Puis, en passe d'être anéanti par les bombardement atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, le Japon encourage le Vietnam, le Laos et le Cambodge à réclamer leur indépendance. La France est chargée par les Alliés de reprendre le contrôle de la région mais elle se heurte très vite au Viêt-Minh, parti communiste créé en 1930 à Hong Kong sous l'impulsion du Komintern (issu de l'ex-Internationale communiste) et du Parti Communiste chinois, qui, à dominance ethnique tonkinoise se révèlera être hégémonique. La guerre d'Indochine débute en 1946. Nommé commandant en chef et haut-commissaire en décembre 1950, le général de Lattre de Tassigny déclare : "La guerre d'Indochine n'est pas une guerre coloniale, c'est la guerre contre la colonisation rouge. Nous nous battons pour la paix et la liberté du peuple vietnamien." C'est dans ce contexte que nos trois Lectourois seront engagés en Indochine.

 

LOUIS DUGROS

Né dans une famille d'agriculteurs installée sur la route conduisant à Castelnau-d'Arbieu, très tôt remarqué par ses professeurs pour ses qualités intellectuelles, Louis Dugros est reçu au concours d'entrée à Saint-Cyr dont il est diplômé en 1935. Il est commandant de compagnie lorsqu'il arrive en Indochine au sein d'une demi-brigade de la Légion étrangère. Il participe aux opérations destinées à débusquer l'ennemi infiltré dans le delta du Mékong, enchevêtrement pestilentiel de rizières, de forêt dense et de canaux (rach) qui favorise les embuscades meurtrières.

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Louis Dugros à droite, dans la moiteur du delta du Mékong

C'est au cours d'une de ces opérations embarquées sur LCM (barge de guerre dotée d'une porte avant basculante) et d'un accrochage à terre, que Louis Dugros, alors capitaine, est tué par un tir d'obus "ami", mal dirigé par la Marine qui assure la couverture d'artillerie. Son corps sera rapatrié en métropole. L'officier lectourois aura les honneurs de la Nation. Depuis une chapelle ardente installée à l'hôpital, le convoi funèbre remontera lentement la rue Nationale, depuis le boulevard d'Armagnac jusqu'au monument aux morts, alors dressé devant la cathédrale, escorté par un détachement militaire en grande tenue et sous les ordres d'un officier général. La citation qui énumère ses faits d'arme conclue ainsi : "S'impose à tous par son calme et son courage souriant".

 

MAURICE LALAGUE

Le sous-officier, issu d'une famille d'artisans installée avant 1920 rue du Campardiné, qui a rejoint ses camarades sur notre monument aux morts cette année seulement, appartient à la même arme que Louis Dugros, la Légion étrangère. Après avoir effectué son service militaire, Maurice Lalague s'engage dans la Légion en Algérie en 1937. Progressant dans la hiérarchie, attaché aux troupes qui poursuivent en 1944 la Wehrmacht, du Rhône au Danube, il participe à l'occupation de l'Allemagne nazie défaite.

lalague - delbecq - légion étrangère lectoure
Un légendaire képi blanc

Maurice Lalague effectuera trois séjours en Indochine à partir de 1947. En 1951, sergent-chef, il y est volontaire. Son unité est affectée à la zone entre l'Annam et le Tonkin où l'armée française tente de contenir le Viêt-Minh alimenté par la Chine voisine, devenue communiste en 1949, sanctuaire où il se replie après chaque coup de boutoir. C'est lors d'un accrochage et en tentant de secourir un compagnon blessé que Maurice Lalague disparaîtra. Son corps ne sera pas retrouvé. Le Souvenir Français de Lomagne a fait inscrire son nom sur la tombe de regroupement du carré militaire, adjacent au cimetière dit "des Sénégalais".

 

MAURICE TOQUEBENS

La famille Toquebens, originaire du département des Pyrénées-Orientales, s'installe à Lectoure, après la 1ière guerre mondiale. Le père de Maurice est employé des Postes. Certains se souviennent encore de sa mère, dite "Bébin", un personnage attachant, dans sa maison du boulevard du Midi, évoquant avec émotion la fin dramatique de son fils.

Maurice Toquebens quitte l'école après le certificat d'études. Il effectue son service militaire au 1ier régiment de Hussards à Auch puis, suivant l'exemple de son frère ainé, intègre l'école de la Gendarmerie Nationale de Chaumont (Haute-Marne). Il est affecté en Algérie en 51-52 et arrive en Indochine en 53, débarquant à Saïgon dans le cadre des Légions de Marche de la Garde Républicaine en Extrême Orient (LMGREO). Il se fait rapidement remarquer pour son audace en opération. Son autorité naturelle conduit ses supérieurs à le désigner pour prendre le commandement d'une compagnie de supplétifs indochinois.

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Maurice Toquebens, coiffé du fameux chapeau de brousse de l'armée française en Indochine

C'est en conduisant ses hommes dans une zone difficile du Tonkin, qu'il est capturé en décembre 53 par le Viêt-Minh. Il passera plusieurs mois d'internement sans que son unité ou sa famille n'aient aucune nouvelle de lui, jusqu'à ce qu'un de ses compagnons libéré témoigne et date son décès approximativement en juin 1954. Le nom de Maurice Toquebens a été donné à la caserne de Gendarmerie Nationale de Lectoure.

On sait le sort terrible des prisonniers soumis pendant des mois dans les conditions extrêmes de la jungle tropicale, au joug des pratiques cruelles des gardiens des camps d'internement Viêt-Minh.

De 1945 à 1954, il y a eu environ 37 000 prisonniers militaires du Viêt-Minh, dont 71% sont morts en captivité, soit environ 26 200 personnes, 90% chez les troupes indochinoises ayant choisi la France et qui sont doublement martyrisés par leurs frères de race. Le Viêt-Minh ne reconnaît pas la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre et pendant toute la durée du conflit, la Croix Rouge ne reçoit jamais l’autorisation de visiter les camps dont les installations ouvertes à tous les vents et sans hygiène, livrent les prisonniers à moitié nus aux moustiques et autres bêtes ainsi qu’aux maladies, puis les malades à la mort, quelquefois après un passage à " l’infirmerie ", sorte de morgue immonde d’où l’on ne sort jamais vivant. Parmi les punitions, l’une des plus terribles est le séjour prolongé dans la sinistre "cage à buffles" sous une maison sur pilotis où le prisonnier, attaché à un poteau dans une eau putride sans pouvoir se protéger des piqûres d’insectes, est parfois supplicié jusqu‘à la folie et la mort. Les camps Viêt-Minh présentent tous les mêmes caractéristiques : installations délabrées, insalubrité, conditions inhumaines, endoctrinement systématique, régime alimentaire affamant, saleté et promiscuité, absence de soins pour les malades, sévices à la moindre incartade ou rébellion et donc mortalité très forte sur de courtes périodes. Les morts sont inhumés sommairement, sans linceul ni cercueil, par les prisonniers qui le peuvent*.

L'intervention américaine pour soutenir le régime de la République du Sud-Vietnam, créée au départ de l'armée française après la défaite de Diên Biên Phu, se terminera elle aussi par un désastre. Plus d'un million d'Indochinois, les boat-people, fuira l'instauration du régime communiste au Vietnam et Khmer rouge au Cambodge de sinistre mémoire. Le nombre de victimes du système de goulag institué par le Viêt-Cong après la chute de Saïgon, devenue Hô Chi Minh-Ville, n'est pas établi.

                                                                                      Alinéas

 

Type de jeune femme tonkinoise

* Extrait. "Le calvaire des prisonniers des camps Vietminh-INDOCHINE 1946-1954". www.clan-r.org

ILLUSTRATIONS :

  • Photo titre Michel Salanié
  • Carte Chemins de mémoire. Ministère des Armées.
  • Affiche de promotion touristique Cambodge. Collection particulière.
  • Hanoï Indochine. Carte postale. Collection particulière.
  • Louis Dugros : Légion étrangère. Remerciement famille Dugros.
  • Maurice Lalague : Souvenir français. Remerciement famille Lalague-Dardard.
  • Maurice Toquebens : Gendarmerie Nationale. Remerciement famille Toquebens.
  • Jeune fille tonkinoise. Carte postale d'époque. Collection particulière.

 

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #La vie des gens d'ici

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Y
Excellent dossier de mémoire. <br /> Il y a plusieurs émissions récemment ayant eu comme cadre Lectoure dont une je crois sur LCP et une autre montrant un ancien hôpital transformé en immense brocante.<br /> amitiés
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