Résultat pour “ergot du seigle”

Publié le 16 Juillet 2021

épidémie - pandémie - peste - feu de saint antoine - mal des ardents - feu sacré

Le corps couvert d'ulcères purulents, le ventre ballonné et les organes secoués de spasmes, le personnage se contorsionne dans d'atroces douleurs. Délirant sous l'effet de migraines hallucinatoires, enfiévré avec l'alternance d'une sensation de froid intense et de brûlures, les extrémités de ses membres gangrénées prendront une couleur noire et se détacheront du reste du corps.

Sous sa forme convulsive la maladie impressionne et fait, inévitablement à l'époque, supposer une cause maléfique. François de Salerne, médecin orléanais du 18ième témoignait : L'ergotisme, débute ordinairement par des troubles du psychisme marqués par des «assoupissements et resveries. Toutes ces personnes sont hébétées et stupides et la stupeur augmente à mesure que la maladie fait du progrès. Certaines furent brulées ou exécutées sur la place publique car considérées “possédées” par le diable».

On trouve également la trace de cette forme de la maladie dans des témoignages venus de Norvège, un pays durement touché par l’ergotisme. Assoiffés, suants, hurlant de douleur, les malades convulsaient pendant des heures. Des contractions d’une violence telle qu’elles produisaient des sons de chou qu'on brise, verrouillaient leurs membres dans des positions grotesques et douloureuses : les poignets et les mains devaient être fracturés pour retrouver leur mobilité, les jambes se recourbaient assez pour tirer les pieds sous le ventre et les colonnes vertébrales pliaient en arrière, ramassant les malades en sinistres cercles.

S'il en réchappe, le malheureux sera horriblement diminué ou mutilé. C'est le feu sacré, le feu de Saint Antoine.

Pendant des siècles cette maladie, sous les formes gangréneuse ou convulsive, parfois épidémique, fera des ravages dans toute l'Europe, 40 000 morts en Aquitaine et Périgord en 994, particulièrement lors d'épisodes climatiques froids et pluvieux et simultanément de disette, savants et docteurs, à la science trop démunie, mettant longtemps à rapprocher les effets de cette cause. Certains symptômes communs, comme les bubons tuméfiés, ont parfois provoqué la confusion du feu de saint Antoine avec la peste, au point que l'on a pu historiquement par erreur, attribuer certaines épidémies à l'une ou l'autre des affections.  Lectoure et la Lomagne ont probablement été touchés par le feu de saint-Antoine mais les archives et les témoignages ne permettent pas de déterminer avec certitude la nature des épidémies ("Population et société aux XVIIè et XVIIIè siècles" par Georges Courtès, in Histoire de Lectoure. Imp. Bouquet Auch 1972).

La maladie est en fait provoquée par la présence d'un champignon parasite du seigle, ayant la forme d'un ergot de rapace ou de coq, Claviceps purpurea, d'où son nom scientifique "ergotisme", la peste elle, étant transmise par la piqûre de la puce porteuse d'une bactérie, Yersinia pestis, endémique chez certains petits mammifères, le rat en particulier. Le seigle est une plante résistante au froid et à l'humidité, adaptée à des terrains pauvres. Logiquement sa culture est donc privilégiée pour pallier aux mauvaises récoltes de blé et les épidémies se déclareront au plus mauvais moment, celui où les organismes sont faibles et la nourriture de qualité rare.

seigle - froment - céréale - farine - claviceps purpurea - disette
Claviceps purpurea sur un épi de seigle

 

Si ce carnet d'alinéas veut évoquer le feu de saint Antoine, ce n'est pas par sensationnalisme malsain ou par un opportunisme relatif à notre actualité sanitaire, quoique l'on puisse y observer certains comportements collectifs similaires. Non, mais notre intérêt pour les ordres hospitaliers présents sur le chemin de saint-Jacques, conjugué avec l'histoire des moulins et de l'activité meunière, nous conduit à Saint-Antoine de Pont d'Arratz, à une étape de Lectoure, porte d'entrée des pèlerins en Gascogne. La digue du moulin des Antonins, abandonnée en même temps que la mécanique du meunier et plus encore malmenée aujourd'hui par les politiques administratives hydrologiques successives, a vu passer des générations de croyants et de pénitents en route pour Santiago.

épidémie chemin de saint jacques - pélerins - pèlerinage - saint antoine pont d'arratz
Le pont d'Arratz

L'ordre des Antonins a été fondé en 1089 dans le Dauphiné, autour des reliques de saint Antoine le Grand, ou Antoine du désert - à ne pas confondre avec Antoine de Padoue - ayant vécu au 3ième siècle, considéré comme le père du monachisme chrétien et dont l'invocation sauve un jeune homme atteint du feu sacré, Guérin de Valloire, qui fait le vœu, en cas de guérison, de soigner les personnes atteintes de la maladie. Ce qui advint.

Ayant adopté, pour soigner leurs malades, une hygiène de vie et une alimentation riche, préférant en particulier le froment au seigle, les hospitaliers Antonins ont trouvé, sans le savoir, le remède au feu sacré. Leurs résultats feront leur succès. Les dons charitables affluent. L'ordre comptera plus de 600 hôpitaux, très souvent sur les lieux et les itinéraires de pèlerinage où se massent les foules indigentes. Installés sur les bords de l'Arratz en 1176, les Antonins recevront en leg de sa veuve, les biens du seigneur du lieu, Gaillard d'Ascort, mort aux croisades.

Antonins - ordre hospitatier de saint antoine - hopital moyen âge

 

Pour se distinguer parmi les ordres hospitaliers, les Antonins adoptent sur leurs documents et leurs vêtements, la lettre T de l'alphabet grec, le tau, qui figure en fait la béquille des amputés. Le cochon est souvent présent sur les illustrations représentant les frères ou le saint lui-même car au froment, est associé sur la table des Antonins, la viande de cet animal prolifère. L'ordre bénéficiera par décision papale, du privilège de laisser aller ses bêtes librement autour de ses commanderies. La graisse de porc est également utilisée dans les onguents servant à panser les plaies des malades.

Pour lutter contre le « feu de glace » (correspondant à la perte de sensibilité), les Antonins utilisaient des herbes dites chaudes (ortie, moutarde) en frictions pour provoquer une vasodilatation. Contre le « feu ardent », ils utilisaient des herbes dites froides (rose, violette...) Ces plantes étaient utilisées en onguent, ou par voie orale sous la forme d'un breuvage : le « saint vinage » fait d'un mélange de vin local, de décoctions de quatorze plantes et prétendant posséder de la poudre issue de reliques de saint Antoine. Ce remède administré aux malades le jour suivant leur entrée à l'hôpital, avait une relative efficacité s'expliquant par cette macération de plantes aux effets anesthésiants et vasodilatateurs (Myrrhe, cardamome, safran, menthe pouliot, gentiane...). Les Antonins disposaient aussi de la thériaque, dont l'un des composants majeurs, l'opium, avait une vertu antalgique. (Wikipédia)

saint vinage - opium - plantes médicinales
Scrofulaire aquatique ou Herbe de saint Antoine

Ajoutons que, confrontés fréquemment à la gangrène, les Antonins avaient la réputation d'être d'adroits chirurgiens, selon les critères de l'époque...

On le voit, une longue pratique et une patiente observation ont permis aux hospitaliers de saint-Antoine d'acquérir une certaine science. Bien sûr, la protection du saint et la foi chrétienne font partie de la médication. Mais l'hygiène, l'alimentation et la médecine ont pallié, jusqu'au 18ième, à l'ignorance de l'origine du mal.

Cependant, chaque épidémie provoquait l'agression et la condamnation des éternels bouc-émissaires : marchands, étrangers, sorcières. Les médecins eux-mêmes sont déclarés coupables puisque prescrivant une médecine qui ne soigne pas ! Enfin les malades épargnés, les "ardents", lorsqu'ils ne bénéficiaient pas de la protection religieuse, faisant alors partie des pestiférés, des cagots en Gascogne, rejetés à bonne distance du bourg, écartant ainsi, croyait-on, la punition divine.

                                                                           Alinéas

saint antoine - antoine du désert - antoine le grand - passion de saint antoine

 

ILLUSTRATIONS :

"La tentation de saint Antoine" est le titre de nombreuses œuvres religieuses et profanes depuis le Moyen-Âge et jusqu'à nos jours (Salvatore Dali). Ce thème fait référence à un épisode de la vie du saint qui aurait été tourmenté par le diable sous la forme de visions des voluptés terrestres. S'affranchissant de la chronologie, les artistes représentent la légende avec des détails relatifs à l'ergotisme et à l'ordre des hospitaliers alors que le saint ermite vivait plusieurs siècles auparavant.

- En titre, monstre présentant les symptômes de l'ergotisme, détail de La tentation de saint Antoine, Retable d'Issenheim, par Matthias Grünewald, 1512-1516, Musée Unterlinden de Colmar.

- Ci-dessus, La tentation de saint Antoine de Pieter Huys, 1547, Musée du Louvre. Le saint tient le livre de la règle et porte le signe du tau de l'ordre qu'il n'a pas créé. A l'arrière-plan, dans une niche ogivale, le flacon de saint vinage.

- Ergot du seigle, Dominique Jacquin, Wiktionary.org.

- Le pont d'Arratz du moulin des Antonins à Saint-Antoine (Gers), Michel Salanié.

- L'abbaye de saint-Antoine en Sologne, Ernest Board, 1877-1934, Wikicommons.

 

SOURCES :

Quelques références parmi beaucoup :

- https://www.vice.com/fr/article/epgebm/histoire-de-ergot-milliers-de-morts-epidemie

- https://www.academie-medecine.fr/le-feu-saint-antoine-ou-ergotisme-gangreneux-et-son-iconographie-medievale/

- https://books.openedition.org/iremam/3132?lang=fr

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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Publié le 30 Avril 2019

Portant son trait d'esprit au-delà de nos remparts comme d'autres livrent sur les marchés de France la rondeur parfumée de notre fruit fétiche ou le bleu de notre ciel, il ne met jamais sa ville natale dans sa poche, pas plus que son béret par dessus. Il est le Lactorate* illustrateur : Pertuzé de Lectoure.

Bon, je vais faire attention à ne pas tomber dans la flagornerie. Ayant quelques indices sur la composition du personnage, je crois qu'il n'apprécierait pas. Mais tout de même. Depuis 40 ans il est connu des fanas de BD, de beaux livres, des amateurs de coquineries et galipettes, des collectionneurs d'affiches, des lecteurs de la presse, (presque...) toutes opinions confondues, de directeurs de la communication et de publicitaires à la recherche de médias suscitant à la fois attention et sympathie, de formateurs fignolant leur boite à outils pédagogique... "Illustrateur en tous sens", c'est sa devise.

- Illustrateur, c'est un métier ça ?

Ce cher Wikipédia, que nous avons avec Pertuzé en parent commun, nous explique : "Une illustration est une représentation visuelle de nature graphique ou picturale  dont la fonction essentielle sert à amplifier, compléter, décrire ou prolonger un texte".

- Eh bé !!! On connaît des textes qui auraient mieux fait d'être des dessins tout de suite.

Enluminures, lettrines, gravures puis, de nos jours, profusion de photographie et de quadrichromie, de tout temps l'écriture a recherché le soutien de l'illustration. Qui parfois se révèle être plus puissante et emporte l'adhésion mieux que la phraséologie. Jusqu'à ce que certaines BD en perdent la bulle. Alors l'image se veut suffire et laisse toute latitude à l'imagination, y compris celle de se tromper sur l'intention de l'illustrateur.

Mais Pertuzé, lui, ne nous laisse pas trop gamberger sur le sens de ses dessins. Non seulement il sert efficacement le texte, mais de surcroît, lui-même écrit avec verve. Il faut lire sur son site, ses portraits de Lactorates(re*). Un régal de trouvailles, d'érudition et d'humour. Ce n'est pas une sanction, mais l'auteur-dessinateur y laisse suspendus à leurs cimaises les Illustres trop officiels de l'Hôtel de Ville, pour nous raconter la petite et la grande Histoire de ceux qui ont vraiment vécu à Lectoure.

jean françois Bladé ; pertuzé, contes de gascogne, gargantua

Auparavant, et c'est une de ses grandes œuvres, Pertuzé a illustré les Contes de Gascogne collectés par un autre lectourois célèbre, Jean-François Bladé, au 19ème siècle, in extremis avant qu'ils ne se perdent définitivement dans la nuit des temps rustiques.

Que seraient-ils devenus pour le grand public, sans la vista de notre illustrateur, ces récits de veillées et de "despouilladés", décorticages de maïs rassemblant tout le voisinage ? Seuls quelques gasconisants, les spécialistes de la culture populaire et les étudiants en sociologie et linguistique y trouveraient matière à recherche savante. Pertuzé a réalisé là, comme Bladé avant lui, non seulement un sauvetage de patrimoine culturel en danger, mais une belle œuvre graphique d'aventure fantastique. Si, comme le dit James Salter, "seul ce qui est écrit a réellement existé", seul ce qui est dessiné est vraiment toujours vivant.

Respectant le principe fondateur de ce cyber-carnet, nous avons sélectionné exclusivement des illustrations où Lectoure apparaît dans le décor, voire même dispute la vedette au scénario.

jean-claude pertuzé; béret

Pour le reste, il faudra arpenter les rayonnages des libraires et surtout ceux des bouquinistes, des Pyrénées à Garonne, sur les marchés aux livres toulousains de saint Pierre, saint Aubin, ou ceux de saint internet, car il se fait rare l'artiste. Sous son béret, il observe la planète s'exciter à tort et même à travers. Qu'en dessinera t-il ? Tous ses aficionados scrutent l'horizon pertuzéen. On vous préviendra.

Alinéas                                                

* " Les Lactorates étaient le peuple aquitain (proto-basque) dont la capitale était Lactora, l'actuelle ville de Lectoure". Encore Wiki.

PS. La flèche de la cathédrale qui pointe derrière Gargantua est parfaitement conforme à l'Histoire. Pertuzé a corrigé mon photomontage mal renseigné, sur cet alinéa-là:  On a retrouvé la flèche de la cathédrale !

 

 

 

pertuzé lectoure gide orage gascogne

Plein Ouest, vu depuis la route de Condom. Château, clocher du Saint Esprit, Cathédrale. Jolie perspective aux pieds de la ville, encadrée de peupliers. Pour l'ambiance: orage gascon en formation.

 

 

pertuzé, dastros, saint Clar, lucifer, cathedrale lectoure, lectourois

Lectourois qui vous montez le cou, trop fiers de votre ville : « Votre ville, dites-vous, est antique et jolie, cela ne nous surprend pas, Lucifer l’a bâtie » dit Dastros, curé de Saint-Clar.

 

 

 

pertuzé, lectoure, andré gide, fontaine diane

1907. André Gide et ses deux amis, sous le charme de Diane. Comme quoi...

 

 

lectoure, pertuzé, duc de Montmorency, évasion, chateau des comtes d'armagnac

Aux pieds des remparts, l'évasion rocambolesque d'Henri de Montmorency, gouverneur du Languedoc en disgrâce. Au 17ème siècle, le château, s'il n'est plus comtal, est une place encore suffisamment forte pour faire office de geôle royale. Mais c'était compter sans la volonté d'une mystérieuse et dévouée marquise dont Pertuzé traque l'identité sur son site Lactorate.

 

 

 

pertuzé, alcée durrieux, lectoure, les veillées de lectoure, amoureux

Pertuzé, Maître graveur es-coquineries. Mais, me direz-vous: "Nous ne voyons pas Lectoure ici !". Si, si, la grange est bien de chez nous. Et nous connaissons toujours d'aussi belles girondes.

Illustration de La chouette, une nouvelle d'Alcée Durrieux, avocat, érudit, auteur en langue gasconne et autre figure locale, tout ce qu'il y a de plus respectable si vous en doutiez.

 

 

pertuzé, bladé, contes de gascogne, sabbat, lectoure

Beau panorama. Vu du Nord-Est. Vous pouvez vérifier, Pertuzé respecte la réalité historique. Sur votre carte IGN, tracez une ligne droite entre le clocher cathédral et la ferme du Bustet où se tient habituellement le sabbat. Ces deux innocentes, touchées par un malin sort, ont bien survolé la vallée du Saint Jourdain à cet endroit précis, entre les rochers de Cardés et la Mouline de Belin.

 

 

pertuzé, bladé, contes de gascogne, sorcière, curé, soutane, sabbat

Bladé l'avait rêvé, Pertuzé l'a dessiné.  Nous on l'a vu passer, l'abbé. Mais en Deuche. Et pas plus de 80 km/h !

 

pertuzé, bladé, contes de gascogne, lectoure, clarisses, carmel

Une très belle composition. Avec la rue Montebello perpendiculairement, je dirais: rue Soulès. Plus près du Carmel que des Clarisses. Mais on ne va pas ergoter, à un ponceau près.

 

 

pertuzé, bladé, lectoure, tour du bourreau

Et pour finir, la tour du Bourreau. Pertuzé a retrouvé le sinistre lactorate. Qui, à sa décharge, n'est qu'un exécuteur de sentence. Un second couteau, si j'ose dire...

___________________________________

 

ILLUSTRATIONS : © Jean-Claude PERTUZE

Je remercie Jean-Claude Pertuzé pour son aimable autorisation.

Quatre illustrations reproduites sur cet alinéa sont extraites des "Contes de Gascogne", Pertuzé/Bladé aux Éditions Les Humanoïdes Associés.

Les autres se trouvent sur les sites pertuzéens dont nous vous recommandons la visite en tous sens:

http://www.pertuze.com/

http://www.pertuze.com/Lactorate.html

http://pertuze.tumblr.com/

Et pour le béret, il faut absolument parcourir cette incroyable mine de documents, d'humour, d'anecdotes à propos de notre couvre-chef gascon. In english please, as the author is from New-Zealand. Si nous faisions autant de bonne pub à ce joli et sympathique pays que ce blog en fait à la Gascogne, les all-black n'oseraient plus nous mettre la pâtée. En outre le béret du Lactorate illustrateur y figure. Alors...

http://beretandboina.blogspot.com/

 

 

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Beaux arts

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Publié le 30 Avril 2020

 

Il y a un an, jour pour jour, le Carnet d’Alinéas rendait hommage à Pertuzé, décédé cette semaine. Nous reproduisons aujourd'hui avec tristesse, ce texte et ces illustrations autour de Lectoure, un choix qu'il avait validé. A la suite de cette publication, nous avions programmé ensemble une rencontre qui lui faisait espérer revoir son pays. Son projet de livre sur ses "illustres" lectourois lui tenait également à cœur. Mais la Camarde s'en est mêlée. Le Lactorate Illustrateur les a rejoints. Désormais, nous le saluerons en passant devant la Croix-Rouge. Dans l'une de ses chroniques, il parlait de la mort, avec humour et poésie.

« Que je vous explique, si vous ne savez déjà. Le cimetière Saint-Gervais (comme son voisin disparu, donc, le dépotoir d’ordures ménagères) se trouve au nord de la cité, en haut du vallon du Saint-Jourdain. Le ruisseau de Saint-Jourdain, aujourd’hui paisible et bucolique, n’en est toujours pas moins géologique. Ses eaux discrètes et folâtres, bribe après bribe, emportent la terre, les brindilles, les poussières. Tout ce qui est en haut finit en bas, à une lenteur géologique. Il en va ainsi avec les locataires du cimetière, leur chair, leurs os, leurs cercueils, leurs monuments de marbre ou leurs croix de bois, et une bonne partie de ce qu’insouciants ils jetèrent au bourrier. Rien n'est plus bref qu'une concession à perpétuité. Lentement et inexorablement réduits à l’état de particules élémentaires. On a beau bâtir des murs de soutènement, bétonner, on ne remporte sur la Géologie que des victoires éphémères : on ne gagne qu’un peu de notre temps.

Le grand voyage est commencé. Attendez-vous (oui, il faut savoir attendre, c’est le prix de l’oubli) à être maintenant dans le temps géologique. On va descendre jusqu’au Saint-Jourdain, se laisser emporter par lui, et on aboutit au Gers, paisible rivière qui se jette dans la Garonne. Qui « se jette » ! Avec quelle impulsion soudaine, quel élan ? Restez calme et géologique. Ça prendra le temps qu’il faudra. Du grand fleuve majestueux, on naviguera ainsi en direction du soleil couchant, qui vous apparaîtra soudain dans toute sa gloire, nimbant le phare de Cordouan et vous ouvrant les portes de l’océan. Et le voyage ne sera pas fini pour autant ».

Grâce à ses deux talents, d’illustrateur et d’auteur, et par un minutieux travail de recherche et de documentation, il avait constitué un fonds précieux. Un réel patrimoine culturel. Peut-on espérer un aboutissement ? Ce serait le plus bel hommage à lui rendre.

Bon vent, l’ami. Adishatz.

Alinéas

 

PS. Pertuzé avait inauguré il y a quelques mois un nouveau blog http://lactorate.over-blog.com/2019/12/marquis.html où l’on retrouve un certain nombre de ses savoureux portraits.

Illustration : Autoportrait de Pertuzé sur Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Pertuz%C3%A9

Portant son trait d'esprit au-delà de nos remparts comme d'autres livrent sur les marchés de France la rondeur parfumée de notre fruit fétiche ou le bleu de notre ciel, il ne met jamais sa ville natale dans sa poche, pas plus que son béret par dessus. Il est le Lactorate* illustrateur : Pertuzé de Lectoure.

Bon, je vais faire attention à ne pas tomber dans la flagornerie. Ayant quelques indices sur la composition du personnage, je crois qu'il n'apprécierait pas. Mais tout de même. Depuis 40 ans il est connu des fanas de BD, de beaux livres, des amateurs de coquineries et galipettes, des collectionneurs d'affiches, des lecteurs de la presse, (presque...) toutes opinions confondues, de directeurs de la communication et de publicitaires à la recherche de médias suscitant à la fois attention et sympathie, de formateurs fignolant leur boite à outils pédagogique... "Illustrateur en tous sens", c'est sa devise.

- Illustrateur, c'est un métier ça ?

Ce cher Wikipédia, que nous avons avec Pertuzé en parent commun, nous explique : "Une illustration est une représentation visuelle de nature graphique ou picturale  dont la fonction essentielle sert à amplifier, compléter, décrire ou prolonger un texte".

- Eh bé !!! On connaît des textes qui auraient mieux fait d'être des dessins tout de suite.

Enluminures, lettrines, gravures puis, de nos jours, profusion de photographie et de quadrichromie, de tout temps l'écriture a recherché le soutien de l'illustration. Qui parfois se révèle être plus puissante et emporte l'adhésion mieux que la phraséologie. Jusqu'à ce que certaines BD en perdent la bulle. Alors l'image se veut suffire et laisse toute latitude à l'imagination, y compris celle de se tromper sur l'intention de l'illustrateur.

Mais Pertuzé, lui, ne nous laisse pas trop gamberger sur le sens de ses dessins. Non seulement il sert efficacement le texte, mais de surcroît, lui-même écrit avec verve. Il faut lire sur son site, ses portraits de Lactorates(re*). Un régal de trouvailles, d'érudition et d'humour. Ce n'est pas une sanction, mais l'auteur-dessinateur y laisse suspendus à leurs cimaises les Illustres trop officiels de l'Hôtel de Ville, pour nous raconter la petite et la grande Histoire de ceux qui ont vraiment vécu à Lectoure.

jean françois Bladé ; pertuzé, contes de gascogne, gargantua

Auparavant, et c'est une de ses grandes œuvres, Pertuzé a illustré les Contes de Gascogne collectés par un autre lectourois célèbre, Jean-François Bladé, au 19ème siècle, in extremis avant qu'ils ne se perdent définitivement dans la nuit des temps rustiques.

Que seraient-ils devenus pour le grand public, sans la vista de notre illustrateur, ces récits de veillées et de "despouilladés", décorticages de maïs rassemblant tout le voisinage ? Seuls quelques gasconisants, les spécialistes de la culture populaire et les étudiants en sociologie et linguistique y trouveraient matière à recherche savante. Pertuzé a réalisé là, comme Bladé avant lui, non seulement un sauvetage de patrimoine culturel en danger, mais une belle œuvre graphique d'aventure fantastique. Si, comme le dit James Salter, "seul ce qui est écrit a réellement existé", seul ce qui est dessiné est vraiment toujours vivant.

Respectant le principe fondateur de ce cyber-carnet, nous avons sélectionné exclusivement des illustrations où Lectoure apparaît dans le décor, voire même dispute la vedette au scénario.

jean-claude pertuzé; béret

Pour le reste, il faudra arpenter les rayonnages des libraires et surtout ceux des bouquinistes, des Pyrénées à Garonne, sur les marchés aux livres toulousains de saint Pierre, saint Aubin, ou ceux de saint internet, car il se fait rare l'artiste. Sous son béret, il observe la planète s'exciter à tort et même à travers. Qu'en dessinera t-il ? Tous ses aficionados scrutent l'horizon pertuzéen. On vous préviendra.

Alinéas                                                

* " Les Lactorates étaient le peuple aquitain (proto-basque) dont la capitale était Lactora, l'actuelle ville de Lectoure". Encore Wiki.

PS. La flèche de la cathédrale qui pointe derrière Gargantua est parfaitement conforme à l'Histoire. Pertuzé a corrigé mon photomontage mal renseigné, sur cet alinéa-là:  On a retrouvé la flèche de la cathédrale !

 

 

 

pertuzé lectoure gide orage gascogne

Plein Ouest, vu depuis la route de Condom. Château, clocher du Saint Esprit, Cathédrale. Jolie perspective aux pieds de la ville, encadrée de peupliers. Pour l'ambiance: orage gascon en formation.

 

 

pertuzé, dastros, saint Clar, lucifer, cathedrale lectoure, lectourois

Lectourois qui vous montez le cou, trop fiers de votre ville : « Votre ville, dites-vous, est antique et jolie, cela ne nous surprend pas, Lucifer l’a bâtie » dit Dastros, curé de Saint-Clar.

 

 

 

pertuzé, lectoure, andré gide, fontaine diane

1907. André Gide et ses deux amis, sous le charme de Diane. Comme quoi...

 

 

lectoure, pertuzé, duc de Montmorency, évasion, chateau des comtes d'armagnac

Aux pieds des remparts, l'évasion rocambolesque d'Henri de Montmorency, gouverneur du Languedoc en disgrâce. Au 17ème siècle, le château, s'il n'est plus comtal, est une place encore suffisamment forte pour faire office de geôle royale. Mais c'était compter sans la volonté d'une mystérieuse et dévouée marquise dont Pertuzé traque l'identité sur son site Lactorate.

 

 

 

pertuzé, alcée durrieux, lectoure, les veillées de lectoure, amoureux

Pertuzé, Maître graveur es-coquineries. Mais, me direz-vous: "Nous ne voyons pas Lectoure ici !". Si, si, la grange est bien de chez nous. Et nous connaissons toujours d'aussi belles girondes.

Illustration de La chouette, une nouvelle d'Alcée Durrieux, avocat, érudit, auteur en langue gasconne et autre figure locale, tout ce qu'il y a de plus respectable si vous en doutiez.

 

 

pertuzé, bladé, contes de gascogne, sabbat, lectoure

Beau panorama. Vu du Nord-Est. Vous pouvez vérifier, Pertuzé respecte la réalité historique. Sur votre carte IGN, tracez une ligne droite entre le clocher cathédral et la ferme du Bustet où se tient habituellement le sabbat. Ces deux innocentes, touchées par un malin sort, ont bien survolé la vallée du Saint Jourdain à cet endroit précis, entre les rochers de Cardés et la Mouline de Belin.

 

 

pertuzé, bladé, contes de gascogne, sorcière, curé, soutane, sabbat

Bladé l'avait rêvé, Pertuzé l'a dessiné.  Nous on l'a vu passer, l'abbé. Mais en Deuche. Et pas plus de 80 km/h !

 

pertuzé, bladé, contes de gascogne, lectoure, clarisses, carmel

Une très belle composition. Avec la rue Montebello perpendiculairement, je dirais: rue Soulès. Plus près du Carmel que des Clarisses. Mais on ne va pas ergoter, à un ponceau près.

 

 

pertuzé, bladé, lectoure, tour du bourreau

Et pour finir, la tour du Bourreau. Pertuzé a retrouvé le sinistre lactorate. Qui, à sa décharge, n'est qu'un exécuteur de sentence. Un second couteau, si j'ose dire...

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ILLUSTRATIONS : © Jean-Claude PERTUZE

Je remercie Jean-Claude Pertuzé pour son aimable autorisation.

Quatre illustrations reproduites sur cet alinéa sont extraites des "Contes de Gascogne", Pertuzé/Bladé aux Éditions Les Humanoïdes Associés.

Les autres se trouvent sur les sites pertuzéens dont nous vous recommandons la visite en tous sens:

http://www.pertuze.com/

http://www.pertuze.com/Lactorate.html

http://pertuze.tumblr.com/

Et pour le béret, il faut absolument parcourir cette incroyable mine de documents, d'humour, d'anecdotes à propos de notre couvre-chef gascon. In english please, as the author is from New-Zealand. Si nous faisions autant de bonne pub à ce joli et sympathique pays que ce blog en fait à la Gascogne, les all-black n'oseraient plus nous mettre la pâtée. En outre le béret du Lactorate illustrateur y figure. Alors...

http://beretandboina.blogspot.com/

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #La vie des gens d'ici, #La Pertuzé de la semaine

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Publié le 13 Janvier 2023

hopital moyen-âge - docteurs - pistoia - salle d'hôpital - médecine - médecin

 

L'épidémie de Covid que nous avons vécu, que nous vivons encore, a mis en évidence la distance qu'il y a entre les différentes préoccupations, celle d'assistance due à la souffrance, celle de l'organisation de la vie en société avec la maladie et enfin, celle de la recherche scientifique d'un traitement médicamenteux. Distance et incompréhension entre les acteurs, les priorités des uns provoquant les revendications des autres. Les argumentations sont souvent catégoriques. Les oppositions peuvent se révéler violentes.

Le lien avec l'histoire de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure du 14ième au 16ième siècle, me direz-vous ? J'y viens.

 

GAGNER LE PARADIS

Nous l'avons évoqué en mars 2021 dans la première partie de cette histoire consacrée à l'origine de l'hôpital, il est très probable que la commanderie d'Auray du Saint-Esprit ait été invitée à s'installer à Lectoure par le vicomte de Lomagne. Le seigneur des lieux se devait en effet de contribuer à soulager les maux de ses sujets, maux infinis et profonds qu'il pouvait mesurer sur son parvis et dans la citadelle, tous les jours en sortant de son château. Il faut redire que l'espérance d'une vie meilleure, et éternelle, et la peur des feux de l'enfer qui en est le corollaire, est au Moyen Âge, un discours, devenu fantaisiste à nos yeux mais très réaliste à l'époque, en permanence ressassé par le clergé, textes bibliques et interprétations savantes à l'appui, qui permet à l'église de mobiliser les esprits et d'imposer sa loi, y compris aux élites. Le seul moyen d'échapper au supplice infernal, c'est de faire la charité, le premier devoir du bon chrétien. Le vicomte pouvait sans trop débourser, affecter un terrain à l'institution charitable, éventuellement contribuer à la construction du bâtiment et s'appuyer ensuite sur l'Ordre et sur les bourgeois de la ville pour le fonctionnement de ce qui n'est en fait qu'un hospice, un refuge temporaire pour les malades qui pourront repartir une fois guéris ou pour le moins soulagés, un mouroir pour les autres. Accueillir, loger, protéger c'est le seul rôle attribué à l'hôpital à l'origine. Le donateur bienfaiteur, chacun à la mesure de sa bourse, pouvait alors dormir la conscience tranquille et rassuré pour sa vie outre-tombe.

En ce sens, la spécificité de l'Ordre du Saint-Esprit, et son originalité par rapport aux autres ordres religieux, plus sélectifs et pas uniquement consacrés à la fonction hospitalière, se comprend mieux : accueillir toutes les misères, car chaque malade se présentant à la porte de l'hospice représente potentiellement le christ en souffrance.

La charité n'est pas une option, une valeur chrétienne parmi d'autres. Elle est la première obligation du chrétien, l'assurance de son salut.

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Pratiquer la charité pour espérer faire partie des élus

Cette valeur souvent dénigrée aujourd’hui et réduite à un pis-aller, était fondamentale à l'époque, et de surcroît l'unique recours du peuple dans sa condition misérable. En contribuant à l'action hospitalière, le donateur s'achète, ceci dit vulgairement, une conduite. C'est cette conjonction entre l'omniprésence de la misère, l'injonction dogmatique de l'église et la croyance en un paradis qui conduit au développement considérable du réseau des hôpitaux du Saint-Esprit.

La ville et ses édiles ne pouvaient pas rester à l'écart de ce phénomène omniprésent dans la société médiévale, phénomène moral, social et économique.

 

LA MISÈRE ENTRE DANS LE CHAMP

DE COMPÉTENCE DE LA CITÉ

Les édiles, les consuls des cités dont le pouvoir et la responsabilité s'étendent au Moyen-Âge, n'étaient pas exempts de la crainte de l'enfer, et donc comme tout le monde, étaient soumis au commandement charitable. Mais en outre, évidemment, la bonne administration de la ville conduisait naturellement la collectivité à prendre en charge la gestion de la misère et de toutes ses conséquences : mendicité, vols, agressions et désordres de toutes natures, hygiène, risque d'épidémie... Aussi, en l'absence d'initiative religieuse, les communes se sont très vite investies dans la fonction hospitalière, mission publique au même titre que la sécurité, la voirie, l'approvisionnement... Une fonction d'ordre public dirait-on en droit. Des hôpitaux ont donc, ici et là, été créés par les villes elle-mêmes.

Le phénomène mériterait une étude documentaire approfondie, mais il semble bien que l'Ordre du Saint-Esprit, de son côté, ait choisi dès l'origine, d'impliquer systématiquement les villes dans la gouvernance de ses établissements. Ainsi se délestait-il d'une partie de la charge et espérait-il associer les forces vives du lieu à l'action dont la maison-mère prévoyait de tirer des dividendes par ailleurs, en prélevant sa quote-part des quêtes par exemple, dont nous avons déjà parlé. Une sorte de coentreprise privé-public en quelque sorte.

Plus tard, et c'est probablement ce qui s'est passé à Lectoure, l'Ordre perdant de son influence et de sa capacité d'action, la cité prenait le relais et poursuivait l’œuvre charitable et d'utilité publique sans le concours de l'effectif religieux. Tant bien que mal. L'hôpital aurait pu changer de nom pour marquer cette "publicisation", ce fut probablement le cas ailleurs. A Lectoure, le nom du Saint-Esprit s'est maintenu jusqu'au 18ième siècle. Cela ne pouvait pas nuire.

Nous disposons des comptes de l'hôpital du Saint-Esprit de Lectoure de 1457 à 1558 (voir ici le 2ième volet de notre étude en janvier 2022) ou derrière le simple enregistrement des dépenses et des recettes, transparaît la vie de l'institution. Il ne semble plus dès cette époque, y avoir à Lectoure de religieux de l'Ordre, sauf peut-être en 1459 la mention d'un "frère" Vital de Sebas. Deux consuls de la ville sont élus pour l'année, procèdent aux actes de gestion, et doivent rendre compte. L'accueil des indigents, pauvres et malades, est confié à des hospitaliers, laïcs, souvent en couple.

"L'an 1497 et le 16ième jour du mois de juin, les sieurs Gayssion Foassin et Bertrand de Sarcy, gouverneurs dudit hôpital, donnèrent et délivrèrent à Vital Begue et Domenge de Belin sa femme, hospitaliers dudit hôpital, à savoir les biens et les choses contenues dans le précédent inventaire, lesquels hospitaliers reconnurent avoir eu et reçus et promirent et jurèrent de bien régir et gouverner lesdits biens et de les rendre et restituer toutes les fois qu'ils en seront requis, en présence de Johan de la Crotz et Bernard de Labat, habitants de Lectoure".

On perçoit bien derrière ce recrutement du couple d'hospitaliers, que le droit et l'organisation administrative prennent le pas sur la charte de l'Ordre du Saint-Esprit qui évoquait "nos seigneurs, les malades".

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Une béguine, mi-infirmière, mi-religieuse.

 

Ceci ne veut pas dire que les moyens matériels de l'hôpital seront développés. La noblesse, à Lectoure comme ailleurs, consacre sa fortune à tenir son rang militaire auprès des rois d'Angleterre ou de France dans leur dispute plus que centenaire et celles qui suivront, la contribution aux œuvres charitables passant au second plan. Quant à eux, les bourgeois de la ville pensent d'abord à leurs affaires. Et la commune ne dispose pas de moyens financiers propres permettant de développer une politique sociale véritable.

En outre, malheureusement, l'hôpital n'est pas à l'abri des maux mêmes qu'il est censé soigner. L'hospitalier Vital Begue meurt brutalement d'une maladie que l'on ne sait pas nommer mais épidémique probablement puisque Domenge de Belin  et ses enfants sont touchés. Il faudra faire appel à des aides extérieures en attendant que l'hospitalière puisse reprendre sa tâche. Outre son salaire, elle obtient la fourniture de vêtements, chaussures et robe en rousset (robe de bure, qui préfigure l'uniforme des sœurs soignantes et des béguines*). Mais, pour sa consommation, elle doit acheter son blé, récolté par les fermiers de l'hôpital qui ne lui fait pas de cadeau. Cette fonction hospitalière, occupée soit par nécessité, un travail comme un autre, soit par vocation, si elle est respectable et probablement respectée, ne permet pas à ses titulaires d'être considérés comme ils le mériteraient. Un débat toujours vif de nos jours.

Il faudrait, pour honorer leur mémoire, recenser tous les hospitaliers évoqués au gré des années. Avec le couple Vital Begue et Domenge de Belin pris en exemple ici et que nous retrouverons dans l'histoire des cagots de Lectoure, citons Pey de la Coustère et sa femme, Vital de Arromat, Jacques de Bologne, Felipot...

La situation matérielle de l'hôpital continuera à se dégrader. Le royaume de France prendra des dispositions qui présenteront le mendiant comme un personnage dangereux pour l'ordre public, transformant ainsi l'hôpital en prison. Jusqu'à ce que l'église reprenne l'initiative. En 1535 est créé à Lectoure un bureau des pauvres présidé par l'évêque et comprenant des dignitaires ecclésiastiques, le lieutenant général de la sénéchaussée, l'avocat du roi audit tribunal, les consuls et plusieurs notables**. On voit bien que la seule administration communale ne suffit plus. L'hôpital du Saint-Esprit est déplacé pour laisser la place au collège des Doctrinaires et subsiste cahin-caha jusqu'au 18ième siècle***. Au Premier Empire, l'hôpital-manufacture imaginé par l'évêque Narbonne-Pelet offrira enfin une alternative économique à ce dénuement chronique de la santé publique.

 

LE VIATIQUE POUR TOUTE MÉDECINE

Il ne faut pas regarder l'histoire de l'hôpital à l'aune de nos références du 21ième siècle en matière de santé. Accueillir les pauvres et les malades est une œuvre admirable. Mais évidemment, la médecine est archaïque. Si les médecins sont appelés, c'est in extremis et pour l'application de soins expérimentaux.

D'ailleurs l'église se méfie de la médecine. En 1219, le pape Honorius interdisait l'enseignement de la médecine aux religieux, sous peine d'excommunication ! Il voulait de cette façon contraindre le personnel d'église à prioriser les études théologiques. D'une part la médecine s'apparente parfois à de la sorcellerie et le fait que le médecin se fasse rémunérer n'est pas admis, le "bon malade" avant d'accepter les soins, devant remettre sa guérison dans les mains de la providence divine.

Les ordres religieux et le Saint-Esprit parmi eux, ne feront pas avancer la médecine. Les Antonins (voir ici) seront considérés comme de bons chirurgiens, mais médecine et chirurgie ne sont pas confondues au Moyen-Âge. Et la seconde restera longtemps très hasardeuse, jusqu'à Louis Pasteur en fait, en raison de la pratique des opérations sans une hygiène suffisante.

Le feu de Saint-Antoine, provoqué par l'ingestion de seigle avarié et parce qu'il provoque les mêmes bubons est confondu avec la peste. Le mal de Naples, la syphilis, qui se caractérise au départ par le développement d'un chancre est pris pour la lèpre. On applique de la graisse sur les éruptions cutanées... Au mieux utilise t-on les simples, plantes médicinales, cultivées dans un jardinet à portée de main où cueillies dans la campagne voisine. La pharmacopée à base de plantes ou de substances animales (on trouve dans les grimoires les recettes de terribles mixtures dont on peut se demander si elles n'étaient pas plutôt faites pour achever le patient) ou minérales pouvait obtenir certains résultats mais l'état des malades admis à l'hôpital du Saint-Esprit était probablement tellement avancé que les effets de cette médecine du pauvre devaient être décevants, ou bien miraculeux.

Dans certains cas, sans que l'on sache ce qui justifie ce traitement, une faiblesse physique trop prononcée sans doute et la crainte du pire, les malades se voient soigner par l'amélioration de leur ordinaire et les comptes, régulièrement, enregistrent une dépense pour de la viande, du sucre, des épices, de l'huile, du fromage et d'autres douceurs... des chandelles... Ce qui ne suffit pas toujours : quatre morts en 1461, malgré ce régime exceptionnel note le comptable.

Et puis il y a le passage, la mort. En effet, les pensionnaires se sont souvent rapprochés de l'hôpital du Saint-Esprit, non pas dans l'espoir de la guérison, inespérée, pour un soulagement bien sûr, mais plus sûrement pour chercher à s'assurer d'une place dans le cimetière autour de l'église du Saint Esprit (située à l'époque sur notre place Boué-de-Lapeyrère, puis sur l'emplacement de l'hôtel des Doctrinaires). Car pour accéder au paradis, mieux vaut être au premier rang, et un chrétien dont la dépouille ne trouve pas de sépulture sur une terre consacrée, risque bien, une autre croyance fortement ancrée dans les esprits, de voir son accession au paradis échouer.

Alors, voyant venir le trépas, l'hospitalière requiert l'extrême-onction administrée par le prêtre affecté au service de l'hôpital. Qui facturera sa prestation, il faut bien vivre.

                                                                      Alinéas

lectoure - hopital du saint-esprit - boulevard du nord - fontaine - croix

Sur le boulevard du Nord, à proximité de l'emplacement d'origine de l'hôpital, la fontaine du Saint-Esprit, où notre hospitalière venait chercher l'eau des pauvres avec sa cruche sur la tête, disparaît aujourd'hui sous la mousse et la croix du Saint-Esprit est soumise à signaler l'avenue du Souvenir Français, ce qui n'est pas une mauvaise compagnie. Toutefois, la mémoire de cinq siècles de dévouement charitable mériterait mieux.

 

* L'Ordre du Saint-Esprit a institué les hospitaliers laïcs. Mais cette fonction s'est également développée en périphérie des couvents et des hôpitaux laïcs en particulier avec les béguines et les béguins  : https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9guine

"Dès leur constitution, les béguines furent les premières « religieuses dans le monde ». La plupart des béguines vivent seules dans une maisonnette où elles prennent leur repas. Les plus pauvres rejoignent la maison communautaire, le couvent. Le travail, moyen d'émancipation économique, fait partie de leur existence. Elles s'occupent du blanchissage des draps, du lavage de la laine, travaillent à la ferme, fabriquent des bougies. Les plus instruites se tournent vers l'enseignement. Enfin, grâce aux infirmeries présentes dans les béguinages, elles acquièrent un savoir-faire médical. Beaucoup d'entre elles vivent aussi leur foi en s'adonnant à l'art. Bien que se réunissant souvent en petites communautés, elles se proclamaient religieuses mendiantes et menaient une vie spirituelle très forte. Leur caractéristique était l’absence de règle : elles pouvaient choisir de faire un vœu, souvent de chasteté (avec l’accord de leur époux si elles étaient mariées), parfois de pauvreté, exceptionnellement d’obéissance".

Le rapprochement entre le nom de "béguin" et notre hospitalier nommé Vital Begue est troublant.

** Maurice Bordes, Histoire de Lectoure.

*** Sur la suite de l'histoire de l'hôpital du Saint-Esprit, à partir de la Renaissance, il faut rappeler les travaux de Jules de Sardac, l'Etude sur l'assistance publique à Lectoure aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, Imp. de Cocharaux, 1908 et Notes sur la médecine à Lectoure au XVIe siècle, Extrait du Bulletin de la Société archéologique du Gers, Auch, Imp. de Cocharaux , 1910.

ILLUSTRATIONS :

- Titre. Détail de la frise en terre cuite polychrome de l'Ospedale del Ceppo, hôpital ancien de Pistoia, en Toscane.

- L'ascension des élus, Dirk Bouts, vers 1470, Palais des Beaux-Arts de Lille, Wikipédia.

- Gravure sur bois représentant une béguine, tirée de l'ouvrage Des dodes dantz, Lübeck, 1489.

- Photos de la fontaine et de la croix du Saint-Esprit à Lectoure, Michel Salanié.

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Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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