Sur le ruisseau, le moulin, espace de jeu et d'aventure.
Publié le 9 Août 2021
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L’Arcadie est une région de la Grèce. Dans la mythologie, elle était présentée comme la patrie du dieu Pan. Dans les arts au moment de la Renaissance, elle fut célébrée comme un pays dont la nature sauvage demeurait préservée et harmonieuse. Nous avons souvent fait remarquer la contradiction qu'il y a entre l'image bucolique attachée au moulin dans l'opinion générale et sa fonction d'usine, la dangerosité du lieu et la technicité de la mécanique hydraulique et meunière. Mais nous sommes aussi quelques-uns à avoir été au pied de la grande bâtisse, sinon en tenue d'Adam, insouciants et heureux.
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bandonné, ruiné, ou bien travaillant encore, mais les enfants du 21ième siècle ne le verront pas, enfin rénové pour la beauté de la pierre et du paysage, le moulin posé sur le ruisseau offre de magnifiques terrains de jeu et d'aventure. En amont, la digue retient l'eau sombre et profonde dans laquelle le plongeur pénètre avec appréhension ou plaisir, et parfois les deux. Auprès de la bâtisse, les murs, les voutes et les biefs où l'inventivité de l'enfant reproduit celle de l’ancêtre qui a canalisé l'énergie du courant. Plus loin, sous la chute d'eau, la plage où patauger, modeler l'argile et s'ébattre vers la tendre prairie.
Je connais un garnement, à peine plus âgé que moi c'est-à-dire assagi à présent, qui, voulant montrer à son compagnon de jeu le fonctionnement de la vanne d'évacuation de l'étang du Moulin du roc, actionna le cric et perdit le contrôle de la manivelle amovible qui tomba dans le bassin, cassant la glace, car cet hiver-là était rigoureux et la surface de l'eau gelée ! Catastrophe. Il fallait bien récupérer l'instrument sous peine d'une sévère sanction. Courageusement, l'enfant se déshabilla, plongea dans l'eau glacée et après quelques instants à fouiller fébrilement la vase, retira le précieux outil. Les deux enfants coururent jusqu'au logis, le premier grelotant de froid, le second tremblant par contagion. Après s'être essuyé et frictionné vigoureusement dans une serviette qu'il mit soigneusement à suspendre pour la faire sécher, notre plongeur se trouvait soulagé d'avoir pu réparer sans doute un grave forfait, sans que ses parents, alors à la foire, ne s'en soient aperçus. Mais de retour, la mère ne mit pas longtemps à reconstituer les faits. Quant au père, à la réputation de sévérité, après une hésitation, il esquissa en secret un sourire et ne dit rien. Le dépit du maladroit, l'expérience acquise de fait et la baignade forcée lui parurent sans doute suffire à la punition.
Quelques moulins et quelques années en aval, il m'arriva une mésaventure comparable. Mais, à la différence, ce jour-là il faisait beau. Le Comité des fêtes avait organisé sur l'étang de Moulin-bas une course aux canards. L'exercice, qui serait aujourd'hui hautement condamné par les sociétés de protection des animaux et l'opinion publique gagnée par une sensibilité végane qui, alors, nous eût parue incompréhensible, consistait à lâcher sur l'étang quelques canards dont les grandes plumes des ailes avaient été préalablement étêtées, une opération bénigne mais qui permettait d'empêcher que le volatile ne puisse s'envoler. Au top-départ, le peloton des nageurs se précipitait dans une grande bousculade de gerbes d'écume et d'exclamations à la poursuite des canards, celui qui arrivait à attraper un volatile l'emportant fièrement à destination de la cuisine familiale. Si je nage plutôt aisément, je ne suis pas vraiment endurant et le gibier que je m'étais réservé l'était lui, qui me fit m'épuiser au risque de boire la tasse avant de le rattraper. Je décidais donc de sortir de l'eau et de suivre le canard de loin et à sec, jusqu'à ce qu'il se réfugie au pied d'une petite falaise dominant le plan d'eau, à l'ombre des branches basses d'un grand chêne. Fier de ma ruse, je fis de grands signes à mes amis pour les prévenir de la victoire que je considérais acquise, en quelque sorte plumant le volatile avant de l'avoir attrapé, et je plongeais. Mais le canard plongea aussi. Plus loin. Ma cible avait disparue et je pénétrai alors dans une eau à peine profonde de quelques centimètres puis, avec le poids et la vitesse, me plantais lamentablement la tête la première dans la vase compacte occupant la plus grande profondeur. Pendant quelques secondes, le temps de réaliser ce qui m'arrivait et de m'extirper du bourbier, mes pieds et mes jambes s'agitèrent au-dessus du niveau de l'eau, marquant pour les spectateurs rassemblés plus loin, l'endroit précis de mon piteux exploit.
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Heureusement parfois les étangs sont curés et le plaisir de la nage dans l'eau douce est un privilège dont le temps n'efface pas le souvenir. L'odeur végétale suave et le fin dépôt argileux de l'eau de rivière, avant qu'on ne l'accuse de tous les maux et qu'il faille aller la chercher plus loin, dans quelque vallée des origines où il n'y a pas de moulins, donnant à la peau une souplesse agréable font de cet exercice un moment sauvage et vivifiant. Un instant d'Arcadie.
La rivière et le ruisseau sont le lit de cette alchimie des éléments et des sens. Le moulin n'y est pour rien sauf à installer les conditions de la baignade, l'eau profonde, la cascade ou la plage.
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On l'a dit ici à l'occasion du portrait de la meunière, le moulin est, de tout temps, un lieu de rencontre. L'accès en est facilité par le chemin meunier. Les abords y sont dégagés, relativement. Le pêcheur à la ligne et la lavandière s'y côtoient pour le bonheur du peintre et du curieux désœuvré. Les enfants y sont ravis même si le danger rôde. Moun Diou pitchou, té bas néga fas attentiou ! chante Pierre Perret, se remémorant sa grand-mère inquiète de le voir partir à Garonne.
La baignade féminine quant à elle, abondamment représentée pourtant, est évidemment largement romanesque, poétique et, vous me pardonnerez d'oser, malheureusement trop souvent virtuelle. François Boucher est à la fois, le maître des moulins et de la plastique généreuse. Mais ce rococo connaît son affaire et reste réaliste. Il éloigne ici les baigneuses de la bâtisse et de son agitation, derrière un paravent de végétation comme il sied à la pudeur et au calme de la toilette de dame. Seul le peintre autorisé, probablement initiateur de la scène et, dissimulé dans la ruine d'un lavoir un garnement, un autre garnement, ayant suivi en secret l'escapade des belles, surprendront ce bain de paradis.
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Les plus jeunes ne sont pas absents de ce tableau d'autrefois, mais ils s'installent sous surveillance, en aval, à distance des dangers du moulin. Pourra-t-on intéresser un enfant d'aujourd'hui à la fabrication d'un simple petit moulin en bois de noisetier ? Pour ceux qui auraient oublié cette expérience, ludique et intelligente à la fois, il y faut à présent un "tuto" sur le world wide web !
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Julien Taix. Vidéo construction d'un moulin à eau
Enfin, la pêche à la ligne, les ablettes destinées à la friture, les écrevisses légendaires et les anguilles jalousement protégées par le meunier mériteront bien un alinéa complet si ce carnet poursuit son cours. Ce ne sont pas des jeux, mais du sport, que dis-je, de la science ! Je connais des pêcheurs qui ne comprendraient pas qu'on les rangeât dans la même nasse. D'ailleurs, avec leurs cris et leurs plongeons, les baigneurs font fuir les hôtes de l'étang et du ruisseau et il est préférable d'installer son poste de pêche au calme et à distance, aval ou amont, de ce moulin décidément trop fréquenté. Seule la grenouille a l'impertinence de s'obstiner à partager ce terrain de jeux, ne plongeant qu'en dernier recours. Plouf. Plouf. Au risque de se faire repérer par quelques jeunes pêcheuses, lorsque le soleil et les énergies déclinent, à la fraîche.
Alinéas
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PS. Pour ceux qui connaissent notre Mouline de Belin, on ne voit pas très bien comment on pourrait se baigner dans ce filet d'eau du ruisseau de Saint Jourdain à son étiage habituel. Pourtant, il y a plusieurs années, un homme âgé d'environ 70 ans, ne vivant plus à Lectoure et en promenade sur les lieux de sa jeunesse, m'a dit s'être baigné, adolescent, autrement dit il y a cinquante ou soixante ans, dans un étang situé approximativement au dessus du petit pont qui enjambe le ruisseau. Je le crois et ceci était sans doute le vestige de la retenue nécessaire pour faire tourner une meule de plusieurs centaines de kilos. L'endroit a dû être comblé progressivement par les travaux publics ou agricoles. Ceci dit pour mémoire.
CREDIT :
- En titre : Thomas Eakins, The swimming hole.
- L. Benett, gravure tirée de Histoire d'un ruisseau, Elisée Reclus