A Lectoure en Gascogne, mon carnet à tout propos. Moulins, châteaux et ruines,
à propos des chemins et des bois aussi, des plantes sauvages et comestibles, romans et légendes, à propos de la vie des gens d’ici, hier ou aujourd’hui. Carnet-éclectique.
A l'occasion de l'hommage qui sera rendu à Pertuzé en mai prochain dans sa ville de Lectoure, nous sommes heureux de vous souhaiter une bonne année avec cette superbe illustration des aguilhonèrs en train de pousser leur aubade devant la porte que l'on a bien voulu leur entrouvrir dans la nuit glaciale. Oui, c'est vrai, les superlatifs reviennent souvent dans cette série de chroniques consacrées à notre illustre illustrateur. Superbe, magnifique... Mais vous ne trouvez pas qu'il le mérite ? Sur le thème de la musique cette fois-ci.
Les aguilhonèrs sont ces groupes de jeunes gens qui allaient autrefois, pendant la période de l'Avent, de maison en maison, pour demander, en chanson, des victuailles, noix, œufs, farine, voire de l'anis et des citrons, qui leur permettaient de confectionner le pain qui serait béni pendant la messe de Noël. On pense que leur nom vient du grand bâton qu'ils tiennent, sorte de pique-bœuf, et qui sert éventuellement à se battre car les bandes rivales se croisent en chemin et peuvent alors être tentées de se dégourdir... Si on ne leur ouvre pas la porte d'ailleurs, le chant traditionnel peut aussi tourner au charivari, qui est une autre façon d'orchestration, quelque peu désordonnée et cocasse celle-là. Dont je ne vous dis pas les paroles... Restons classique.
e Gascon aime chanter. Et danser. Pertuzé je ne sais pas, mais il dessine joliment bien la musique gasconne. Cependant, on apprend dans un portrait qui lui a été consacré* qu'il aimait travailler dans son atelier, au calme, au fond du jardin, sur des accents "Jazzy" nous dit-on. Tiens, voilà qui nous fait faire un petit détour sur les chemins des musiques du monde. Car notre illustrateur n'est pas limité par le périmètre musical Pyrénées-golfe de Gascogne-Garonne. Pertuzé est passé à Jazz in Marciac, bien sûr. Pris sur le vif, ce croquis-caricature réjouissant du clarinettiste de réputation internationale Jacques Gauthé, encore un Gersois té, en 1991, en est le témoin.
Autre registre, mais ne me demandez pas comment ni pourquoi Pertuzé illustre l'article de Wikipédia consacré au film Un violon sur le toit. Un violoniste, perché sur un toit, tente de jouer un air de virtuose tout en maintenant son équilibre. L’image est inspirée des tableaux de Marc Chagall. C'est le Juif moyen d’Europe de l'Est, confiné au 19ième par l'empire russe entre la Lituanie et l'Ukraine (tiens, tiens...), vivant bon an, mal an dans son petit village, parfois depuis des générations, en se raccrochant à ses traditions.
Revenons en Gascogne. Pertuzé a plusieurs fois illustré et réemployé l'histoire de son ancêtre Berdolles, joueur de vielle à ses heures. Histoire vraie qu'il situe autour de la Révolution. Alors qu'il était employé à faire danser une noce du côté de Fleurance, le bal terminé, Berdolles dut rentrer chez lui, à Lectoure, tard et de nuit. En traversant la grande forêt du Ramier, sentant une présence derrière lui, il se retourna et vit qu'il était suivi par le loup. Tremblant de peur, il eut la présence d'esprit de marcher en jouant de son instrument, ce qui intrigua la bête et la tint à distance. Arrivé chez lui, le pauvre musicien pris de fièvre, mit trois jours à s'en remettre et à pouvoir conter son étonnante aventure. De l'intérêt de savoir jouer d'un instrument. Mais peut être l'effet de magie est-il lié à la seule vielle ? Il eut fallu renouveler l'expérience avec le pipeau ou l'harmonica...
Enfin, pris dans le mouvement de renouveau occitan dans les années 70, dont il est lui-même une icône avec sa BD Les Contes de Gascogne, renouveau en particulier de la musique et de la chanson traditionnelle, l'artiste lectourois illustra magnifiquement la pochette du disque Tresòrs Gascons rassemblant les interprètes et les groupes vedettes de l'époque, Los de Nadau (devenu Nadau tout court, il remplit encore 50 ans plus tard, les salles géantes, Olympia, Zénith, les églises, les placettes de villages, surtout de Navarre mais de France aussi), Perlinpinpin fòlc, Ferrine flòc et Henri Laffont. Pertuzé imagine ce couple de jeunots, déterminés face à l'apathie ambiante, en blue-jeans et Clarks, décontractés, lui cheveux longs mais béret tout de même, elle cheveux défaits, faisant la leçon à l'ancien :
- Non Papi, ce n'est pas vieux, c'est la musique de notre terre. Écoute. Tu entends ça ?
Il est impossible de vous proposer les premières vignettes de cette BD. Ce n'est pas le Noël familial, tendre et rassemblé que l'on aime, mais l'instant jaloux de la méchanceté et de la profanation qui n'en démordent jamais. Passeur de légendes et de traditions, notre illustre illustrateur a dessiné "La nuit de Noël", ce conte gascon de Bladé terriblement noir, né à l'époque où le diable osait s'approcher à peine à un vol de corbeau de la ville pour y dire sa male messe. Mais ce temps est-il vraiment révolu ?
Aussi, pour ne pas troubler l'ambiance de la douce et sainte nuit, nous avons choisi pour cette dernière Pertuzé de la semaine en 2023, la dernière vignette de la BD, où tout est redevenu serein sur le Bastion. Sonnent les cloches de Saint-Gervais Saint-Protais, enfants martyrs des temps barbares. Té, mai petits mainatges !* Les flambeaux se rassemblent sur le parvis. Éteignons l'éclairage public et vous verrez que rien ne change ici. Envers et contre le malin.
Bon nadau !
* Tiens, encore des petits enfants !
A la semaine prochaine ?
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Il n'y a pas que les contes dans la vie. Il y a aussi la nature, les relations sociales, les découvertes impromptues...
Pertuzé enfant enregistre tous ces détails de la vie lectouroise qui viendront donner à sa production ce caractère vécu. Et impertinent. Ce qui fait que pour nous, qui avons connu cette époque, l'illustrateur ne raconte pas d'histoires... ou pas que.
Pour les ceusses qui ne savent pas ce qu'est "tuter les grillons" : les faire sortir de leur trou pour les capturer. Deux méthodes au choix : la paille, la tute, ou l'inondation de la galerie de la bestiole.
Être gamin à Lectoure dans les années 50, ça a du sens : galoper dans les rochers au pied des remparts, dominer la vallée et le monde au delà, se raconter des contes à dormir debout...
Pertuzé connaît son Bladé par cœur depuis l'enfance. Un grand-père boulanger au faubourg le lui a lu entre deux fournées. En écoutant l'ancien, il gribouillait déjà dans la marge de la Dépêche du Midi. " Il y a toujours eu, il y aura toujours, à Lectoure, un homme vert, qui garde les oiseaux, et qui est le maitre de toutes les bêtes volantes ".
Mais qui devait rentrer dans la galerie de portraits des illustres Lactorates que Pertuzé avait en tête ? Zéphirin Bladé lui-même, ou le vieux Cazaux, son fameux conteur ? Le boulanger Boutan ou l'homme vert ? On ne le sait pas, parce que l'illustrateur s'en est allé rejoindre les oiseaux du ciel gascon, laissant-là son ouvrage inachevé. A propos, je crois avoir vu l'homme vert en couleur, vert-de-gris sur fond d'orage comme on sait les faire ici, bleu cobalt ? Mais je ne sais pas où je l'ai mis... ou bien l'ai-je rêvé moi aussi. Mais il est très bien ainsi. Le noir et blanc sied à la légende.
A la semaine prochaine !
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Chronique hebdo publiée également sur notre page Facebook : Hommage à Pertuzé.
Jean-Claude Pertuzé (1949 - 2020) est célèbre pour avoir mis en bande dessinée un choix de contes de Gascogne, collectés près de cent ans auparavant par un autre Lectourois, Jean-François Bladé. Mais Pertuzé a eu une carrière beaucoup plus complète et riche. Illustrateur de presse, affichiste, pyrénéiste, portraitiste, contributeur de l'encyclopédie en ligne Wikipédia, il aborde de nombreux thèmes, littérature jeunesse, humour, érotisme, lexicologie, ésotérisme, histoire, celle de notre ville en particulier qu’il n’a jamais oubliée et dont il voulait écrire et illustrer une chronique originale, mais le temps lui a manqué. C'est cette diversité de registres qui nous a fait choisir le sous-titre de la manifestation programmée en 2024, reprenant et adaptant une de ses devises :
" L'illustration en tout sens ".
Le carnet d'alinéas lui avait déjà rendu hommage peu de temps avant son décès [ voir ici ], mais en ne reproduisant alors que des illustrations autour de Lectoure. Or, précisément, on s'aperçoit que les Lectourois eux-mêmes, qui sont les plus nombreux lecteurs de ce blog ne connaissent pas l'étendue de la carrière de cet artiste. L'hommage que nous nous sommes chargés d'organiser au printemps prochain pourra corriger ce manque et explorer ses différents talents.
Puisqu'il s'agissait de présenter et de commenter une collection de publications illustrées par l'artiste lectourois, dont certaines sont déjà consultables à la Médiathèque-Info jeunes de notre ville, le projet a été soumis à l'origine à ce service culturel communal, qui a sans hésiter, marqué son intérêt. Complété et précisé avec l'équipe de la Médiathèque, le programme de la manifestation a été présenté à la Municipalité qui l'a agréé.
Un comité d'organisation bénévole est constitué regroupant, outre votre serviteur et rédacteur de ce carnet d'alinéas, Jean-Claude Ulian, Saint-Clarais, le viel ami et auteur d'un certain nombre d'ouvrages illustrés par Pertuzé, Hugues de Lestapis, journaliste, qui a édité pendant plusieurs années le magazine gratuit Le Canard gascon et Aline Salanié de la maison d'hôtes La Mouline de Belin, qui se charge du secrétariat, des relations publiques et qui organisera l'accueil pendant la manifestation.
D'ores et déjà deux associations lectouroises nous ont rejoints. Les Gasconnades proposera un conte de Bladé en gascon, accompagné d'une projection de la bande dessinée du même texte en français par Pertuzé. L'association Lectoure à voix haute de son côté, lira des textes rédigés par le natif de Lectoure, anecdotes, souvenirs et pensées inspirées de son pays toujours aimé. Le détail des manifestations sera publié au tout début de l'année prochaine.
Une page Facebook consacrée à cet Hommage à Pertuzé diffusera des informations au fur et à mesure du développement de ce projet et en particulier, une série hebdomadaire intitulée "La Pertuzé de la semaine" qui permettra de commenter, dans la bonne humeur qu'il suscitait, les différentes facettes de l'art de notre illustre illustrateur.
Michel Salanié
Les personnes ayant connu Jean-Claude Pertuzé sont vivement invitées à nous apporter leurs témoignages et à prendre contact.
Pour toute information :
Courriel : pertuze.lectoure2024@gmail.com
Aline Salanié Tel. 06 26 18 52 00
ou bien la Médiathèque
Courriel : bibliothèque@mairie-lectoure.fr
Tel. 05 62 68 48 32
Suivez-nous sur la page Facebook "Hommage à Pertuzé".
Trois noms de soldats morts en Indochine sont gravés en lettres d'or dans le granit gris de notre monument du souvenir. Le 8 juin dernier, Lectoure honorait plus particulièrement l'un d'eux, Maurice Lalague, "Mort pour la France" en Indochine en 1954. Soit il y a 70 ans "à peine". Ce n'est donc pas une éternité, ni le Moyen-Âge, pas plus d'un siècle en arrière comme les poilus de la longue litanie de la "grande guerre" qui est lue chaque année, cérémonieusement, le 11 novembre. L'image de nos grands-pères s'estompe, y compris ceux ayant survécu à la boucherie. Les anciens combattants de 39/45 ou d'Algérie, et les plus "jeunes", ceux des opérations extérieures (OPEX) pour employer la terminologie administrative (177 opérations recensées depuis 1959, parmi les plus connues Zaïre, Tchad, Centrafrique, Liban, Ex-Yougoslavie...), ceux qui sont heureusement revenus, sont là pour nous rappeler à notre devoir de mémoire.
Alors, pourquoi a-t-il fallu attendre 70 ans pour inscrire le nom de Maurice Lalague sur cette stèle ? Ce sont les mystères des arcanes de l'Administration, militaire de surcroît, mais il faut préciser que son corps n'a jamais été retrouvé et que, engagé dans la Légion étrangère, il avait dû, c'est la tradition pour les hommes de rang, déclarer au moment de son incorporation un autre patronyme, Delbeck, et une autre nationalité, Belge, ceci pouvant expliquer cela. Un de ses parents ayant remarqué son absence sur notre monument aux morts, communiqua avec le général Eric Boss, président du comité de Lomagne du Souvenir Français, qui engagea les procédures et obtint enfin la rectification.
Lalague rejoignait ainsi deux autres Lectourois, "Morts pour la France" en Indochine : Louis Dugros et Maurice Toquebens. Mais les familles lectouroises de ces morts, et de ceux revenus vivants aussi, se demandaient bien mordiù !, pourquoi aller se battre, et surtout finir, de l'autre côté de la planète ?
Pour l'opinion publique, influencée par la propagande communiste, la guerre d'Indochine était une "sale guerre". Surtout méconnue, incomprise, elle est aujourd'hui oubliée. Pourtant la présence française dans cet extrême Orient a été importante et pas toujours noire. Ni blanche.
Notre chronique ne prétendra pas écrire l'Histoire de l'Indochine. Cependant. Derrière l'imagerie exotique qui a pu motiver un européen à s'aventurer, explorateur, évangélisateur ou artiste, la colonisation du sud-est asiatique est évidemment politique et économique.
Les premiers européens à s'installer durablement dans le Sud-Est asiatique, ici comme en Afrique, sont les religieux. Le pouvoir politique, déjà sous Louis XV, sera conduit à accompagner les missionnaires français, pour leur protection et celle des populations autochtones qui adoptent en nombre la religion catholique, sans toujours renoncer à leurs pratiques animistes. Prétexte ou vision civilisatrice, chacun jugera, sans doute est-ce un tout et la physionomie d'une époque. Très vite, la concurrence avec les autres nations, l'Angleterre en particulier (installée au Siam, actuelle Thaïlande, en Birmanie, Indonésie, Hong-Kong), conduit la France à s'imposer, à établir des positions militaires et commerciales, à signer des traités de collaboration avec les pouvoirs traditionnels. En 1862, l'Empereur d'Annam, Tú Dúc, cède à la France les territoires du sud qui deviennent la Cochinchine, colonie administrée directement par la métropole. Les deux autres régions vietnamiennes, l'Annam, plaine côtière le long de la mer de Chine et le Tonkin au nord resteront des protectorats, comme le Cambodge et le Laos. Dans cette région du monde règne une très grande diversité ethnique qui alimente des luttes fratricides permanentes, dont la France pourra s'instituer l'arbitre. Contre les impérialismes de l'empire Annam, prochinois, et des Thaï (dominés par le Royaume Uni), elle représentera un certain équilibre et une présence pacificatrice. Le Cambodge et le Laos se verront reconnaître une autonomie au sein de l'Union française. Les échanges commerciaux de la métropole avec la Cochinchine et le Tonkin seront très florissants. La culture de l'hévéa est introduite et la forte demande de caoutchouc due au développement de l'automobile dans l'entre-deux-guerres provoquera un boom économique. Le thé, le riz, la soie sont également prisés de la métropole. Une bourgeoisie indochinoise nait, laborieuse et cultivée. Cette création de richesse permet en parallèle le développement d'infrastructures modernes, réseau routier et éducation en particulier. Hanoï au nord et Saïgon au sud prennent des allures de villes de province de France. Le lien fort entre nos pays et leurs populations, encore sensible aujourd'hui, date de cette période faste.
Mais la deuxième guerre mondiale va marquer un tournant et la fin de cet âge d'or. Déjà avant-guerre, sous la troisième république finissante, trop distante, instable et ignorant les subtilités asiatiques, l'administration française en Indochine commet un certain nombre d'erreurs, fiscalité injuste, passe-droits et décisions arbitraires, vexations religieuses ou ethniques, qui dresseront une partie de la population indigène contre la puissance coloniale et sèmeront le grain du sentiment nationaliste là où n'existait qu'une multitude de minorités concurrentes qui recherchaient auparavant auprès de la France protection et reconnaissance.
En 1940, le Japon envahit la région tout en ménageant la souveraineté française. L'administration militaire sous l'autorité du gouvernement de Vichy est conduite à composer, ce qui lui sera reproché. En 1944, les États-Unis bombardent les positions japonaises en Indochine. Les Japonais investissent alors et désarment les unités françaises par surprise. Les officiers et les dirigeants de l'administration coloniale sont arrêtés, certains sont exécutés, décapités à coup de sabre. Puis, en passe d'être anéanti par les bombardement atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, le Japon encourage le Vietnam, le Laos et le Cambodge à réclamer leur indépendance. La France est chargée par les Alliés de reprendre le contrôle de la région mais elle se heurte très vite au Viêt-Minh, parti communiste créé en 1930 à Hong Kong sous l'impulsion du Komintern (issu de l'ex-Internationale communiste) et du Parti Communiste chinois, qui, à dominance ethnique tonkinoise se révèlera être hégémonique. La guerre d'Indochine débute en 1946. Nommé commandant en chef et haut-commissaire en décembre 1950, le général de Lattre de Tassigny déclare : "La guerre d'Indochine n'est pas une guerre coloniale, c'est la guerre contre la colonisation rouge. Nous nous battons pour la paix et la liberté du peuple vietnamien." C'est dans ce contexte que nos trois Lectourois seront engagés en Indochine.
LOUIS DUGROS
Né dans une famille d'agriculteurs installée sur la route conduisant à Castelnau-d'Arbieu, très tôt remarqué par ses professeurs pour ses qualités intellectuelles, Louis Dugros est reçu au concours d'entrée à Saint-Cyr dont il est diplômé en 1935. Il est commandant de compagnie lorsqu'il arrive en Indochine au sein d'une demi-brigade de la Légion étrangère. Il participe aux opérations destinées à débusquer l'ennemi infiltré dans le delta du Mékong, enchevêtrement pestilentiel de rizières, de forêt dense et de canaux (rach) qui favorise les embuscades meurtrières.
C'est au cours d'une de ces opérations embarquées sur LCM (barge de guerre dotée d'une porte avant basculante) et d'un accrochage à terre, que Louis Dugros, alors capitaine, est tué par un tir d'obus "ami", mal dirigé par la Marine qui assure la couverture d'artillerie. Son corps sera rapatrié en métropole. L'officier lectourois aura les honneurs de la Nation. Depuis une chapelle ardente installée à l'hôpital, le convoi funèbre remontera lentement la rue Nationale, depuis le boulevard d'Armagnac jusqu'au monument aux morts, alors dressé devant la cathédrale, escorté par un détachement militaire en grande tenue et sous les ordres d'un officier général. La citation qui énumère ses faits d'arme conclue ainsi : "S'impose à tous par son calme et son courage souriant".
MAURICE LALAGUE
Le sous-officier, issu d'une famille d'artisans installée avant 1920 rue du Campardiné, qui a rejoint ses camarades sur notre monument aux morts cette année seulement, appartient à la même arme que Louis Dugros, la Légion étrangère. Après avoir effectué son service militaire, Maurice Lalague s'engage dans la Légion en Algérie en 1937. Progressant dans la hiérarchie, attaché aux troupes qui poursuivent en 1944 la Wehrmacht, du Rhône au Danube, il participe à l'occupation de l'Allemagne nazie défaite.
Maurice Lalague effectuera trois séjours en Indochine à partir de 1947. En 1951, sergent-chef, il y est volontaire. Son unité est affectée à la zone entre l'Annam et le Tonkin où l'armée française tente de contenir le Viêt-Minh alimenté par la Chine voisine, devenue communiste en 1949, sanctuaire où il se replie après chaque coup de boutoir. C'est lors d'un accrochage et en tentant de secourir un compagnon blessé que Maurice Lalague disparaîtra. Son corps ne sera pas retrouvé. Le Souvenir Français de Lomagne a fait inscrire son nom sur la tombe de regroupement du carré militaire, adjacent au cimetière dit "des Sénégalais".
MAURICE TOQUEBENS
La famille Toquebens, originaire du département des Pyrénées-Orientales, s'installe à Lectoure, après la 1ière guerre mondiale. Le père de Maurice est employé des Postes. Certains se souviennent encore de sa mère, dite "Bébin", un personnage attachant, dans sa maison du boulevard du Midi, évoquant avec émotion la fin dramatique de son fils.
Maurice Toquebens quitte l'école après le certificat d'études. Il effectue son service militaire au 1ier régiment de Hussards à Auch puis, suivant l'exemple de son frère ainé, intègre l'école de la Gendarmerie Nationale de Chaumont (Haute-Marne). Il est affecté en Algérie en 51-52 et arrive en Indochine en 53, débarquant à Saïgon dans le cadre des Légions de Marche de la Garde Républicaine en Extrême Orient (LMGREO). Il se fait rapidement remarquer pour son audace en opération. Son autorité naturelle conduit ses supérieurs à le désigner pour prendre le commandement d'une compagnie de supplétifs indochinois.
C'est en conduisant ses hommes dans une zone difficile du Tonkin, qu'il est capturé en décembre 53 par le Viêt-Minh. Il passera plusieurs mois d'internement sans que son unité ou sa famille n'aient aucune nouvelle de lui, jusqu'à ce qu'un de ses compagnons libéré témoigne et date son décès approximativement en juin 1954. Le nom de Maurice Toquebens a été donné à la caserne de Gendarmerie Nationale de Lectoure.
On sait le sort terrible des prisonniers soumis pendant des mois dans les conditions extrêmes de la jungle tropicale, au joug des pratiques cruelles des gardiens des camps d'internement Viêt-Minh.
De 1945 à 1954, il y a eu environ 37 000 prisonniers militaires du Viêt-Minh, dont 71% sont morts en captivité, soit environ 26 200 personnes, 90% chez les troupes indochinoises ayant choisi la France et qui sont doublement martyrisés par leurs frères de race. Le Viêt-Minh ne reconnaît pas la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre et pendant toute la durée du conflit, la Croix Rouge ne reçoit jamais l’autorisation de visiter les camps dont les installations ouvertes à tous les vents et sans hygiène, livrent les prisonniers à moitié nus aux moustiques et autres bêtes ainsi qu’aux maladies, puis les malades à la mort, quelquefois après un passage à " l’infirmerie ", sorte de morgue immonde d’où l’on ne sort jamais vivant. Parmi les punitions, l’une des plus terribles est le séjour prolongé dans la sinistre "cage à buffles" sous une maison sur pilotis où le prisonnier, attaché à un poteau dans une eau putride sans pouvoir se protéger des piqûres d’insectes, est parfois supplicié jusqu‘à la folie et la mort. Les camps Viêt-Minh présentent tous les mêmes caractéristiques : installations délabrées, insalubrité, conditions inhumaines, endoctrinement systématique, régime alimentaire affamant, saleté et promiscuité, absence de soins pour les malades, sévices à la moindre incartade ou rébellion et donc mortalité très forte sur de courtes périodes. Les morts sont inhumés sommairement, sans linceul ni cercueil, par les prisonniers qui le peuvent*.
L'intervention américaine pour soutenir le régime de la République du Sud-Vietnam, créée au départ de l'armée française après la défaite de Diên Biên Phu, se terminera elle aussi par un désastre. Plus d'un million d'Indochinois, les boat-people, fuira l'instauration du régime communiste au Vietnam et Khmer rouge au Cambodge de sinistre mémoire. Le nombre de victimes du système de goulag institué par le Viêt-Cong après la chute de Saïgon, devenue Hô Chi Minh-Ville, n'est pas établi.
Alinéas
* Extrait. "Le calvaire des prisonniers des camps Vietminh-INDOCHINE 1946-1954". www.clan-r.org
ILLUSTRATIONS :
Photo titre Michel Salanié
Carte Chemins de mémoire. Ministère des Armées.
Affiche de promotion touristique Cambodge. Collection particulière.
Hanoï Indochine. Carte postale. Collection particulière.
Louis Dugros : Légion étrangère. Remerciement famille Dugros.
Maurice Lalague : Souvenir français. Remerciement famille Lalague-Dardard.
Maurice Toquebens : Gendarmerie Nationale. Remerciement famille Toquebens.
Jeune fille tonkinoise. Carte postale d'époque. Collection particulière.
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Pour les amateurs de photos et les observateurs attentifs, ce cliché de Lectoure, versant sud pour une fois, a été pris sur la rive gauche du Gers, disons depuis la route de Terraube, d'ouest en est. C'est cette orientation qui donne le curieux rapprochement perspectif de nos deux clochers, de la cathédrale Saint-Gervais et Saint-Protais et de l'église du Saint-Esprit.
Il y a des jardins de roi et des folies de reine, ou de surintendant audacieux, Amboise, le hameau de Marie-Antoinette ou Vaux-le-Vicomte, des jardins d'artiste, Giverny, Arnaga, le charme, la rigueur, des jardins de pauvre, de curé, de bonne-femme, les jardins ouvriers, celui qui sentait bon le métropolitain, la Chaussée-d'Antin... Et puis il y a le Castéra-Lectourois qui n'est pas un village gersois mais bien un jardin. Qui sert de village. Pour respecter le règlement cependant, on y trouve une mairie, une église, un monument aux morts, tous trois s'élevant du mieux possible au-dessus des parterres, des pergolas et des frondaisons pour faire valoir a minima leurs fonctions officielles.
Il y a longtemps, comme son nom l'indique, le Castéra-Lectourois fut une citadelle campée sur son éperon de calcaire, bordée de remparts austères, revêche et obtuse. Citadelle éphémère à l'échelle de l'histoire botanique, de l'origine des fleurs, des arbres et des oiseaux. Car tout passe et depuis, la nature reprend ses droits. Aidée par l'habitant qui a remisé sa science de la bataille et qui habille la ruine de volutes gracieuses, qui installe lianes et potées sous ses fenêtres, qui brode des roses, des chèvrefeuilles et des acanthes aux archères devenues moucharabiés ou cimaises.
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Comme dans tout jardin, la signalisation est minimaliste mais amplement suffisante au promeneur qui va selon son goût, la couleur, le parfum, le hasard. Minimaliste en particulier l'interdiction de stationner, probablement pour le principe, qui oserait ? Le chemin de ronde n'est pas surveillé et l’allumeur de réverbères sait bien que les roses ne font pas exprès de piquer. Elles sont d'ailleurs chez elles ici. L'or de la pierre leur va si bien, leur ombre aussi y fait des bouquets. La grand-rue s'étire et certaines portes ne s'ouvrent pas, sans doute afin que dure le plaisir de l'attente après avoir frappé au carreau.
Comme une plante rare héritée du jardin d'un aïeul et à laquelle on tient tel un bijou fragile ou comme un viel almanach écorné, l'église dédiée à sainte Madeleine a fait l'objet de soins attentionnés. Le socle de calcaire du Castéra ayant tendance à se déliter, donnant le meilleur terreau. Citadelle et chaire éphémères. D'impressionnants tirants boulonnés sur le clocher sont festonnés d'églantines et surveillés de près par des compagnies de pigeons qui font du jardin-village une volière à ciel ouvert. A l'opposé du balcon rocheux, dans un parc offrant l'un des plus jolis cadres sur la vallée du Gers, Marie à l'enfant et Madeleine, dressant au monde une croix de dentelle bronze, sont joliment revêtues d'un négligé de lichen. L'ange du monument aux morts aussi qui accroche sa mémoire de fleurs de pierre aux rayons du soleil.
Chaque versant du jardin a son thème. Au sud, le Castéra-Lectourois prend des couleurs de Méditerranée. Cactus, lavande et agave s'exposent avec exubérance en terrasses rocailleuses, contrastant avec la réserve de la grand-rue. Derrière son mur d'enceinte que l'on dépasse aisément sur la pointe des pieds, maison-jardin dans le jardin-village, une mi-bourgeoise, mi-gasconne hésite entre ombre et lumière, entre bonne compagnie et secret, entre citadelle et faubourg, faubourg qui s'étire inévitablement au-delà vers le monde. Puis le paysage rejoint le jardin, la vallée le balcon, une fleur de pierre orne le mur d'un cimetière et l'on reposera heureusement au panorama de Gascogne. Enfin, au nord, aujourd'hui, le jardinier du village monte à l'assaut des remparts où la nature, sauvage et obstinée, ne renonce pas. Au jardin-village, chaque jour de travail minutieux compte.
Ce n'est pas une formule littéraire. Mais bien une évidence, une réalité dont la ville, ses habitants et ses gestionnaires, sont tout à fait conscients, il suffit de se le redire. Lectoure ne serait pas Lectoure sans ses ruisseaux, sans le Gers et sans notre vallée de Foissin, autrefois nommée le Saint-Jourdain ou encore les Ruisseaux, le riu correge, le ruisseau des corroyeurs. Le magnifique panorama à 180° qu'offre Lectoure, depuis les remparts ou de loin, naît de son histoire géologique et hydrologique.
Depuis le sud vers le nord, l'abbaye de Saint Gény, la ville gallo-romaine de Pradoulin, la zone industrielle, le chemin de fer, l'usine de traitement d'eau potable, l'agriculture, les moulins, l'artisanat médiéval... l"Histoire de la ville ne se résume pas en un tête-à-tête entre l'évêque et le vicomte de Lomagne, rue Nationale ou à l'abri des remparts.
On vit dans la vallée, on y travaille. Lectoure doit réapprendre ses vallées, les protéger pour se protéger elle-même.
Voici une sélection des photos projetées pendant la première des "Rencontres aux Ruisseaux" organisée par l'association des Amis de la vallée des Ruisseaux du 11 mars dernier.