Ma balade au pied des remparts de Lectoure
Publié le 15 Août 2024
es historiens n'en font pas cas, et pourtant l'Histoire du rempart de notre ville n'est pas finie. En effet, le promeneur observera que la nature reprend ses droits après la reddition de la ville et le bourreau ayant remisé sa hache dans la tour d'angle désaffectée.
Et c'est un triomphe ! Car certaines fleurs apprécient particulièrement le profil stratégique de cet ouvrage pourtant sévère, l'aplomb les protégeant des coups du cantonnier méticuleux, l'espace dégagé leur offrant une cimaise gargantuesque à la vue des galeries voisines de Baqué, Sainte-Croix et de la vallée du Gers. Fleurs abondant malgré, ou plutôt grâce à un sol maigre, interstitiel, car c'est leur régime, leur discipline. En quelque sorte un champ de conquête botanique là où le bâtisseur pensait installer un glacis minéral. Peut-être ces sauvageonnes, Coquelicot au nord, Giroflée au sud, ailleurs Valériane ou Cymbalaire des murailles, encore appelée "Ruine de Rome" justement, trouvent-elles leur vitalité dans le terreau de l'Histoire ? Mais Rome n'y est pour rien à Lectoure, au contraire. La Pax Romana avait établi la colonie industrieuse dans la plaine, grasse et paisible, sur la voie rectiligne menant de Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges) à Agen. L'empire protecteur ayant chuté sous les coups de boutoir des Wisigoths, et les Vikings cabotant entre Agen et Auch, les Lactorates orphelins jugèrent préférable de se réfugier sur la colline, de fait réinvestir l'oppidum de leurs prédécesseurs Celtibères. Et le dresser plus encore. Les temples antiques démantelés donnèrent de la bonne pierre de taille. Les autels sacrificiels de la bonne fondation. Le menu peuple se blottit au mur des églises. Les jardiniers investirent la place, pacifiquement. Les poulaillers fleurirent. Le rosier Pierre de Ronsard et la cerise Napoléon aussi.
Alors, le seigneur des lieux, vicomte de Lomagne et d'Auvilar, avant d'offrir dans une corbeille nuptiale ce nid d'aigle à l'ambition de la maison d'Armagnac, s’installât à l'extrémité de l'éperon rocheux qui fut barré au fur et à mesure du développement du bourg par autant de remparts et de fossés que nous avons aujourd'hui de ruelles perpendiculaires à l'artère commerçante.
Mais l'Histoire rattrape toujours l'ambition. Un château trop prétentieux ne fait que focaliser les efforts des adversaires qui alors se liguent et mettent le siège. Au pied du système défensif, bien installés sur la prairie bordant les ruisseaux poissonneux et au chaud des salles meunières déguerpies, dix mille cavaliers à l'écusson de Louis le onzième, autant de gens d'arme et les ribaudes qui vont avec, patientèrent jusqu'à ce que la ville tombe comme un fruit mûr, si ce n'est le rempart lui-même. Aujourd'hui, puni, arasé, occulté, n’impressionnant plus personne, le vestige du château d'Armagnac émerge à peine entre l'hôpital-usine et les cimetières où fraternisent paroissiens et tirailleurs sénégalais. Au pied de la citadelle, le paysan retourne l'humus des vieilles batailles.
Le vieux Cazeaux racontait à Jean-François Bladé que les Bohèmes vivaient là, dans quelque semblant de grotte, sous les fenêtres de l'hospice du Saint-Esprit. Le macadam périphérique a recouvert leurs danses, leurs chants, guitare mauresque et tambourin. Personne ne reverra plus l'Homme Vert qui parle aux oiseaux, qui est le maître de toutes les bêtes volantes.
- Par les moustaches du pape ! reprenait un narquois grisonnant qui avait servi, voilà des gouttières d'églises qui vous crachent du plomb fondu mieux que les mâchicoulis de Lectoure.
Lorsqu'il lance tous les truands, les estropiés et les coquillards de la cour de miracles à l'assaut de Notre Dame de Paris, Victor Hugo n'est pas encore passé à Lectoure, qu'il ne distinguera d'ailleurs qu'en contre-plongée, depuis le relais de poste du Pradoulin, lors de son voyage retour en diligence depuis les Pyrénées en 1843, en parcourant dans la journée l'étape d'Auch à Agen, route décidément très fréquentée. Dommage, car le grand écrivain se double d'un fantastique peintre de châteaux, murailles et vestiges romantiques. Pas de mâchicoulis de ce côté d'ailleurs ; le rocher fondamental suffit, sauf à retenir le duc de Montmorency, sauf à repousser la logorrhée iconographique de notre siècle voyeur et selfiste, mon cyber-carnet y compris.
Au sud, chics et exotiques, ses gloriettes exposées à la ronde, selon la saison ou l'heure qui provoquent son humeur de vieillard, le mur d'enceinte resplendit des neiges de Pyrène, émerge incertain à la vue des citadelles concurrentes dans les brouillards automnaux ou bien, immodeste malgré les assauts du temps, s'enflamme aux couchers de soleil glorieux.
Au pied de la ville ceinte, Diane ne s'est jamais baignée à la fontaine Hountélie qui sourd de la muraille, les vestales de Cybèle peut-être, le troubadour pourra le chanter si l'historien n'ose. Ce matin lumineux, sans cérémonie, ni grand prêtre, ni saint Clair martyr, comme un passe-muraille cette élégante silhouette d'un temps pandémique disparaîtra derrière la tour colossale qui semble contenir la ville blottie dans ses bras tentaculaires.
Le vieux routier grisonnant de la cour des miracles avait raison, ce rempart a autrefois été coiffé de mâchicoulis, de tours, de bastions et flanqué d'une barbacane, imposant système servant de sas d'entrée à la porte principale de la ville, disons à l'endroit de notre poste actuelle, croissants chauds, un maréchal d'Empire le regard perdu vers le Danube, les premiers boulistes d'une journée comme une autre... Là, refermant la boucle de sa balade, revenu au présent qui s'impose, le promeneur doit faire un peu preuve d'imagination, aidé par le dictionnaire d'architecture médiévale de Viollet-le-Duc. Aidé également par les mémoires du maréchal de Monluc, qui pointa sa canonnade sur la ville coupable de huguenoterie. Une brèche suffit à révéler l'illusion de l'antique édifice. La ville revint à la messe.
Comme la soldatesque des rois de France et de Navarre venus soumettre la ville rebelle, comme le promeneur qui redescend à présent vers la Croix-Rouge entre noisetiers et lauriers, jadis, l'étranger ne pénétrait pas librement dans la place.
Pacifiques, pénitents, malades, mais justement parce que pénitents ou malades suspects aux yeux du sergent de ville derrière le judas de son guichet, durant des siècles, des milliers de pèlerins de Saint-Jacques, logés et nourris à l'hospice, hors le bourg, ou plus en amont encore sur le chemin, à La Peyronelle, ont furtivement contourné les murs de la ville pour rejoindre le gué ou le Pont de pile sur la rivière, laissant la citadelle peu charitable derrière eux, espérant d'autres clochers, la clémence d'autres cieux. Notre ceinture monumentale aujourd'hui labellisée, soignée et convoitée, n'a pas toujours été considérée avec émotion... Le patrimoine suinte la misère passée.
A présent abattu en maints endroits, ouvert au monde et à son agitation, le rempart est une histoire en pointillés. Le bastion ne dirige plus ses canons sur les routes qui montent à l'assaut de l'étroite patrie. A leur tour, sous les marronniers, les amoureux, les touristes, et Petite Poucette sur son banc, prennent leur quart de garde.
Alinéas
© Photos Michel Salanié