Pourquoi notre fontaine se nomme-t-elle Diane ?
Publié le 27 Mai 2020
L'eau sourd du rocher depuis la nuit des temps. Il y a cinq mille ans peut-être, pour s'établir ici, l'homme choisit la source qui l'abreuve et le mystère qu'il vénère. Le promontoire est ceinturé d'un aplomb calcaire où des grottes servent d'habitat, prolongé par quelque abri de branchage. Viendra le temps de l'agriculture, de l'élevage et de l'artisanat. La cavité qui recouvre notre source est le cœur battant de la tribu. Dés lors, elle sera protégée et aménagée soigneusement. Jusqu'à nos jours.
Le peuple gaulois établi sur ce promontoire n'a pas laissé de vestiges permettant de décrire sa relation culturelle et religieuse à l'eau. Y avait-il des sacrifices, des offrandes pour le moins ? Probablement. Il faut s'en remettre à l'Histoire d'autres sites, plus riches d'informations. Le dieu gaulois de l'ombre et du royaume des ténèbres s'appelle Dis. Son double féminin, Divona, la divinité des gouffres et des sources, dont le nom nous est parvenu déjà romanisé. Mais certains auteurs pensent que le celte Düion veut dire "deux eaux", et qu'il faut donc voir dans les lieux dénommés par la suite Divona, le mariage de deux flux, union magique au regard de nos ancêtres. L'hypothèse est séduisante à Lectoure, où les eaux de plusieurs sources s'additionnent si on les laisse libres de courir, depuis le pied du rocher et tout au long du versant, Saint Clair, Ydrone, Lairide, jusqu'à s'unir à la rivière, entre Saint Gény et Pradoulin.
Vesunna, autre divinité gauloise des eaux, a peut être aussi couru dans les sous-bois moussus qui recouvrent alors tout le pays.
- Mais celui qui m'a découverte, à l'origine de cette ville, n'a pas inscrit son émerveillement.
L'émotion n'a pas de nom.
La période gallo-romaine nous est mieux connue, mais pourtant, nous ne savons pas quel nom les Lactorates donnaient à la source, probablement très tôt devenue fontaine bâtie, dominée par le temple de Jupiter, en lieu et place de notre cathédrale. Or, Jupiter forme un couple, non exclusif d'ailleurs, avec Junon, déesse du cycle lunaire et de la maternité. Le Dieu des Dieux, Protecteur de la Cité et de l'Empire transforma la nymphe Jouvence en une fontaine au pouvoir régénérateur dans laquelle, s'y baignant tous les ans, Junon retrouve sa virginité. Quelque Donnia Italia lactorate a t-elle tenté la médication ?
C'est au Moyen-Âge, au 13ième siècle nous disent les archéologues, que la fontaine prend l'apparence que nous lui connaissons aujourd'hui. On peut lire parfois "fontaine fortifiée". Or, étonnamment, elle se trouve au pied des remparts, hors les murs. Il faut dire que la citadelle de Lectoure regorge d'eau. Toutes les maisons fortes possèdent leurs puits. Et les points d'eau publics, puits, abreuvoirs, citernes répondent aux besoins de la population, volailles et chevaux compris. C'est une des caractéristiques qui fera de la forteresse le repaire des comtes d'Armagnac, sans suffire cependant pour résister à l'armée de Louis XI. A cette époque, la fontaine porte le nom de Hountélie. Ce nom découle directement de hount, terme gascon pour fontaine, lui-même venu du latin fons. Le gascon, la langue communément employée jusqu'au 20ième siècle, remplaçant en général le f par un h muet.
On verra parfois écrit Hontaliu, lieu où abondent les sources. Tout simplement et très joliment.
Enfin, à la Renaissance, du fait de quelque humaniste motivé par la recherche de lointaines influences de l'Antiquité classique**, apparaît le toponyme Diane, référence à la légendaire dame de beauté. Car Hountélie, sonnant trop rustique à l'oreille de cet inventeur, devient opportunément Houndélio. Dés lors, la déesse honorée sur l'île de Délos, en Grèce, investit Lectoure. C'est plus chic. Aussi, si vous voyez écrit ici ou là sur quelque guide touristique, que le culte de Diane était pratiqué à Lectoure dès l'Antiquité, souriez... mais reconnaissez que cette chasseresse présente quelques atouts. Diane fut donc adoptée et tient encore le haut du pavé, bien qu'il faille descendre les escaliers pour la surprendre sortant du bain.
Il y a bien eu d'autres tentatives, moins heureuses. Ainsi Hount Élie, par référence au prophète Élie, vénéré par les anciennes Carmélites qui furent logées un temps à proximité. Et puis, sans lien, pure joute dilettante, Gide et ses amis, parmi les premiers touristes passés à Lectoure, poétisèrent une sainte Fontélie. Voir notre alinéa ici. En ai-je oublié ? Pour ceux qui s'étonneraient de ne pas retrouver la déesse Cybèle dans cette chronique, disons que la Grande Mère honorée à Lectoure n'est pas associée aux antiques cultes des eaux, bien qu'elle s'identifie parfois à Rhéa, elle-même mère de Junon. Alambiquée la mythologie, je vous le concède. Pourtant, "Fontaine de Cybèle" eut été à la fois, justifié en son temps et "communiquant" aujourd'hui.
Ainsi, notre fontaine, par les croyances et les espérances qu'elle a inspirées au gré des mentalités, a t-elle changé plusieurs fois de nom pour s'adapter au siècle et justifier l'attention que la ville et ses habitants lui portent. Mais en réalité, au pied des remparts la sensation est intemporelle. Dans le petit matin ambré, la source appelle encore aujourd'hui la passante esseulée, au chant clair d'une eau qui ne vieillit point.
Alinéas
* Loys de Bochat par exemple
** Correctif 08/06/2020. Un lecteur attentif et bien documenté, que nous remercions, nous fait savoir que l’humaniste en question (mention empruntée à l’article de Wikipédia consacré au sujet) n’appartient pas à la Renaissance mais au 18ième siècle. Il s’agit de Jean-Baptiste Gail (1755-1829), helléniste, professeur adjoint au Collège de France et membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres de l’Institut. Ayant visité Lectoure à l’occasion des découvertes archéologiques de l’époque, en particulier les tauroboles, le savant emporté par son intérêt pour la Grèce antique, voulut voir dans la fontaine Hountélie, un petit temple de Diane, là où les historiens contemporains s’accordent à considérer qu’il s’agit d’un bâtiment datant du 13ième siècle seulement.
Avec le lectourois Alcée Durrieux, Gail fait partie de ces savants qui ont également cru voir dans le gascon parlé à Lectoure, une langue d'origine grecque. Théorie totalement abandonnée aujourd'hui.
Mémoire de la Société archéologique du midi de la France. Volume 3. P 111.
DOCUMENTATION :
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Fontaine_Diane_(Lectoure)
- Histoire de Lectoure, Collectif 1972
- Les remparts de Lectoure - La Hountélie par Paul Mesplé, in Sites et monuments du Lectourois, Collectif 1974.
- Sur les divinités gauloises de l'eau :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Divona
et plus documenté, https://fr.wikipedia.org/wiki/Vesunna_(mythologie)
ILLUSTRATIONS :
- Photo titre : Moulin de Lafous (Hérault), F. Peyrani ellesrandonnent.eklablog.com
- Illustration L'homme primitif, Louis Figuier.
- Vénus gauloise, Vénus anadyomène dite "gauloise" mais estimée des 1er ou 2ième siècles ap. J-C. On ne connaît pas de représentation celte de Divona et Vésunna. Collection des Musées de Poitiers,© Musées de Poitiers / Christian Vignaud.
- Jupiter et Junon, Annibal Carrache 1597, Galerie Farnèse Rome.
- La fontaine Diane, Gravure collection privée.
- Diane sortant du bain, François Boucher, 1742 Musée du Louvre.
- Photo M. Salanié