Une rencontre avec Chuck Yeager, pilote américain abattu et rescapé dans le ciel de Gascogne en 1944.

Publié le 7 Novembre 2019

LES AILES DU DESTIN

guerre 39-45 / gascogne - résistance - Nérac - Chuck Yeager

 

Vous connaissez ce genre de scénario cinématographique où l’on suit deux personnages qui mènent leur vie, chacun de son côté, sans se connaître, mais où l’on devine qu’inévitablement ils vont se rencontrer. Car le hasard le veut. Ainsi, il y a quelques mois, à Larressingle dans le Gers, deux destins devaient se croiser.

Dans les années 80, enfant, Elia Talevi vivait à Marotta, une petite bourgade de la côte italienne adriatique. En faisant tournoyer son cerf-volant dans le ciel où les avions de ligne entrecroisent leurs trainées blanches, il se fait une promesse : « Je serai pilote d’avion ». Certes une grande ambition que tous les enfants qui la partagent ne réalisent pas, mais la période est paisible et faste et, par son travail et sa constance, Elia y réussira.

A la même époque, l’américain Chuck Yeager est déjà un héros. Le 5 mars 1944, aux commandes de son Mustang P-51b, alors qu’il escorte une escadrille de 219 bombardiers venus d’Angleterre pour pilonner les aérodromes du sud-ouest de la France occupés par les allemands, il est pris en chasse par la Luftwaffe et abattu. Après une chute libre de 4 000 mètres, il réussit à ouvrir son parachute et, contre toutes les lois de la guerre essuyant le feu du chasseur allemand, il parvient au sol sain et sauf, de nuit, dans la campagne de la région de Nérac. Il est recueilli par la Résistance, puis conduit par étapes vers les Pyrénées d’où il sera exfiltré en Espagne. Il reprendra le combat dès le début de l’été de la même année 44 ! Il n'a que 21 ans. Peut-on imaginer les trésors d’audace, d’adresse et d’endurance dont ces hommes, soldats et clandestins, ont fait preuve ? Ce n’est certes pas le hasard ou la chance qui les a conduits mais bien la détermination et le courage.

guerre 39-45 / gascogne - résistance - Nérac - Chuck Yeager

 

Ce combat aérien dans le ciel de Gascogne est extraordinaire, mais il n’est pas unique. Et si le jeune Elia connait le soldat Yeager, c’est parce que sa carrière, civile cette fois, s’est poursuivie après-guerre, jusqu'à la renommée. En effet, en 1945, il devient pilote d’essai et il sera le premier à passer le mur du son aux commandes de son Bell X-1A. La veille de ce vol historique, Yeager faisait, imprudemment, une chute de cheval. Blessé, se gardant bien de faire état de cet accident et de son état, il effectuait malgré tout avec succès sa mission en bricolant secrètement un manche à balai lui permettant de fermer la vitre de son cockpit… Enfin, et c’est incroyable, en décembre 1963 Yeager échappait de justesse à la mort en perdant le contrôle d’un prototype à 33 000 mètres d’altitude.  Après une chute vertigineuse en vrille pendant 30 000 mètres, il réussit à s'éjecter ! Il s'en sortira gravement brûlé. En 1983 le film L’étoffe des héros retracera l'épopée des pilotes d’essai américains d'après-guerre, du passage du mur du son par Chuck Yeager aux premiers vols spatiaux habités.

guerre 39-45 / gascogne - résistance - Nérac - Chuck Yeager

 

 

Pendant ce temps, Elia, notre jeune italien, adolescent puis étudiant, collectionne les récits des exploits de Chuck Yeager dans la presse spécialisée. Il devient pilote en 1992 et sur Alitalia en 2000.

 

Au printemps 2018, le magazine de voyage Dove, l’équivalent italien d’un Partir Magazine français, publie un article Sapiri e magie della Guascogna, "Saveurs et magie de Gascogne",  qui séduit Elia et sa compagne Natalia à la recherche d’une escapade en amoureux.

En 2019, le couple suivra le parcours proposé par le magazine qui délimite une Gascogne version apogée de la Maison d’Armagnac, étendue des landes de Fourcès aux montagnes auvergnates de Villefranche-de-Rouergue ! Un tracé qui nous plait bien à vrai dire. On fêtera les quarante-quatre ans d’Elia à Lectoure, à la Mouline de Belin qui a le privilège de faire partie des bonnes adresses du dossier, Grazie tanto Dove.

Enfin, la veille, nos hôtes italiens visitent le village fortifié de Larressingle* et là, dans un petit restaurant, Elia croit reconnaître son héros sous les traits d’un vieillard en fauteuil roulant. Incrédulité, excitation, recherche sur le téléphone mobile…. Oui, Chuck Yeager est toujours en vie.

On le reconnait bien sur les nombreux médias qui le suivent depuis son exploit du mur du son. Il a 95 ans et bon œil. Il est une star aux Etats-Unis. Imaginez l’état d’esprit d’Elia qui ose toutefois s'approcher et aborder la grande figure de la dernière grande guerre et de l’aviation civile moderne. L’instant est précieux, les deux hommes échangent souvenirs chez Yeager, compliments chez Elia. En buvant son café et avant de sortir du restaurant le vieil homme fait mine de se plaindre de ne pas avoir rencontré ses sauveteurs de 1944. Son accompagnatrice joue le jeu : « C’est normal Chuck, ils sont tous morts… ».

 

Au-delà de la capacité de dérision d’un homme qui a côtoyé le pire, en fait Chuck Yeager est revenu plusieurs fois en France sur les traces de son incroyable odyssée de 1944, parcourue au nez et à la barbe de l’occupant nazi. Il a bien embrassé les anciens résistants qui l’ont accompagné de la campagne garonnaise aux cols pyrénéens et ses hébergeurs clandestins. Il a été reçu et honoré officiellement à ces occasions, mais pas décoré par notre pays alors que, semble-t-il, sa vie exceptionnelle et l'épisode gascon l’auraient justifié. Ceci est certainement mineur à ses yeux de vieux soldat. En 2008, Yeager, sera invité par Airbus Industrie et survolera la Gascogne à bord d’un A380. La boucle est bouclée.

Reste l’émotion du petit garçon qui rêvait d’exploits en tirant son cerf-volant sur une plage de l'Adriatique. La rencontre qui fut longue à se dessiner, restera fugace. Ce n’est pas important. Elle a eu lieu. Elle est magique.

 

                                                                       ALINEAS

 

 

*MAJ 9/11/2019 Un lecteur de cet alinéa sur le blog "Esprit Gascon" nous rappelle que le village gersois de Larressingle où Elia Talevi a rencontré son héros a été rénové grâce à des dons privés américains. Chuck Yeager en était-il ? Merci à ce lecteur. Ce qui donne en gascon : Larressinglo, la fourtalesso restaurado gràcio à douns americans pribats.

SOURCES :

Chuck Yeager est abondamment présent sur internet où sa carrière est richement décrite. Faites l'expérience: tapez son nom sur Google images.

En résumé de cette incroyable carrière dont le récit du combat aérien au-dessus de Nérac, je vous propose https://fr.wikipedia.org/wiki/Chuck_Yeager

Et son propre site: http://www.chuckyeager.org/news/top-25-chuck-yeager-quotes/

Sur les "pèlerinages" de Chuck Yeager en Gascogne:

https://www.ladepeche.fr/article/2018/05/23/2803223-aviateur-americain-seconde-guerre-mondiale-retour-mazeres-neste.html

https://www.sudouest.fr/2012/04/13/charles-yeager-general-us-de-retour-en-lot-et-garonne-686860-3651.php

 

ILLUSTRATIONS :

- Le Mustang, construit par la NAA à plus de 15 000 (!) exemplaires pour combattre en Europe pendant la seconde guerre mondiale.

- Yeager et son équipage au sol, airportjournals.com

- Yeager, pilote d'essai, iconisé par le magazine Times en 1945

- Photos Elia Talevi - Natalia Mancini

- Le cerf volant, Pixabay

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Chemins

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M
Quelle belle rencontre ! Un rêve d'enfant qui se réalise, il y a comme de la poudre magique dans l'air. Et je suis ravie aussi de découvrir ce héros du ciel, moi qui en étais restée aux exploits de Mermoz et Guillaumet...
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