La carte de Lectoure en 1491, par Eugène Camoreyt.

Publié le 6 Septembre 2019

Histoire - Lectoure - Moyen-Âge - Carte du Pays lectourois - cartographie -topographie - toponymie - moulin - chemin - église

Le document qui a servi à l’établissement de la carte que nous évoquons aujourd'hui date de 1491. Soit dix-huit ans après le désastre de la prise de Lectoure par l’armée de Louis XI et la destruction systématique de ses remparts, de son château, et par-dessus tout le massacre de ses habitants.

Une carte ne dit rien des gens qui habitent le territoire. Ni de la misère des temps, ni des prémices d’une renaissance. A moins de rapprocher cette représentation graphique d’autres sources historiques, communications de contemporains, récits, actes officiels, contes et mémoire populaires, vestiges... Ils sont bien là, les chemins du quotidien, les lieux de culte et de travail, l’habitat et la population, travailleurs, religieux, nobles, lectourois de la fin du Moyen-Âge, derrière cette simple représentation à plat du territoire.

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La page de garde du livre terrier de 1491

Nous ne connaissons pas la genèse de ce travail. Une inspiration géniale et un travail de fourmi c'est sûr. La carte a été exécutée par Eugène Camoreyt, bibliothécaire de Lectoure en 1874, à partir du "livre terrier" de 1491. Un précieux document, conservé aux archives municipales, rédigé par les notaires lectourois du Moyen-Âge, à l'initiative des consuls, Guilhez de Pitrac en tête, qui a donné son nom à la salle forte qui domine la ville au nord-est, pour permettre aux propriétaires de faire valoir leurs droits (origine de propriété, limites physiques, occupation par un tiers…), et à la commune ou au seigneur de prélever l’impôt. Evidemment. Or, à cette époque pour décrire les confins d’une propriété, il fallait la situer par rapport à ses mitoyens et à la topographie, chemin, ruisseau, caractéristique du relief : telle maison se trouve à telle distance de telle autre ou de tel chemin, dans telle direction… A son tour la maison voisine se trouve à telle distance, au bord du ruisseau de... etc…

Sur une carte vierge sur laquelle il a tracé les repères présents de tout temps, rivière, ruisseaux, axes principaux et relief, Eugène Camoreyt a reporté les noms de lieux indiqués dans le livre terrier. De cette façon, progressivement, en partant des toponymes connus, comme un puzzle, le chercheur va composer une représentation plane, inédite, de « l’enclos de la ville et juridiction de Lectoure » selon la formule de 1491, décrivant un territoire à une époque où la cartographie était inconnue. Car les géographes Cassini n'ont développé la triangulation géodésique, nécessaire à une cartographie scientifique, qu'à la fin du 18ième siècle seulement, et, dans la foulée, l’administration napoléonienne le cadastre. Il faut donc considérer qu’Eugène Camoreyt a réalisé, avec trois siècles de recul certes, la plus ancienne représentation cartographique de Lectoure, depuis, au nord, au pied du Castéra-Lectourois, la Hillère (sans son moulin semble-t-il), jusqu’au sud, l’église de Pomarède (disparue depuis), et à l’ouest, depuis la maison forte du Mirail (où il doit bien y avoir quelques pieds de vigne) jusqu’à l’est, la grande forêt du Gajan que les consuls de la ville gèrent avec rigueur pour le bien collectif, charpente, menuiserie et bois de chauffage avec le reste.

Il faut être prudent cependant pour s’appuyer sur ce document car il comporte certaines erreurs dues au difficile décryptage d’une graphie ancienne mélangeant vieux gascon, formules latines et jargon juridique, ou à la méthode même de Camoreyt qui travaillait sans doute seul et surtout, avec les outils de l’époque. Les distances sont parfois également pour le moins perfectibles. Vive Google Maps et son satellite ! On pourrait imaginer reprendre, corriger et compléter ce travail à la lumière des recherches historiques dans notre ville sur les cent dernières années. Des volontaires ?

Si une carte n'est pas le territoire qu'elle représente*, ce document est néanmoins très émouvant car il nous transporte cinq cents ans en arrière. Prenons quelques exemples dans les domaines abordés deux fois par mois sur ce carnet.

 

CHEMINS

Les chemins sont nombreux, où peinent les charrois incessants à dos de mulet, en particulier ceux qui desservent la citadelle et sa bourgeoisie. Encaillassés et le plus souvent boueux, pentus, bordés de ronciers épais, ils vont au plus court.

Et puis il y a le grand chemin. Les jacquets passent à Lectoure depuis l'origine du pèlerinage au 11ième siècle. Ou plutôt contournent-ils notre ville. Les hôpitaux qui leurs sont ouverts sont installés hors les murs : la Peyronelle, à quatre kilomètres à l'est, Saint Jacques au faubourg. Comme l'indique la carte de Camoreyt, ce que nous appelons aujourd'hui Boulevard du Nord, notre périph' motorisé à sens unique et d'est en ouest, se nomme à l'époque La Peyragrana, La Pèlerine en route vers l’extrême Occident. Car le pèlerin n'est pas le bienvenu en ville. S'il est pénitent, c'est qu'il a fauté... un criminel peut-être ? Ou bien est-il porteur d'une maladie...  Sans compter les faux pèlerins, les "coquillards".

- Passe ton chemin l'étranger !

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MOULINS

Les moulins sont essentiels. Premiers industriels, les meuniers exercent le seul métier ayant recours à la force des éléments pour accélérer et amplifier le travail. Il en faut une dizaine autour de la citadelle pour fournir 5000 habitants en bonne farine.

Certain moulin que nous aimerions voir sur la carte n'y est pas, et il faudra chercher à comprendre pourquoi. Mais on en trouve un qui, au contraire, y est représenté et qui a disparu aujourd'hui bel et bien, à St Gény où sont indiqués deux moulins alors que nous n'en connaissons qu'un. Le bras secondaire du Gers qui apparaît sur la carte de Camoreyt, peut-être creusé par l'homme, est devenu de nos jours un vague fossé quasiment à sec à peine visible sur la photo satellite. En 1491, il y avait là le Moulin-Neuf. Voilà un candidat supplémentaire au recensement des moulins organisé actuellement par la Société Archéologique du Gers.

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LA VIE DES GENS D'ICI

On ne dira jamais assez l'importance de la foi religieuse dans la vie quotidienne de nos anciens. Camoreyt situe sur le territoire, cinq églises rurales. Trois d'entre elles subsistent aujourd'hui sous forme de toponymes: Saint Bars, Pomarède et Saint Orens. Deux échappent à la cartographie IGN: Saint Germain, qui serait à proximité de Lesquère, et Saint André, au nord de la commune, près de Milloc, que voici sur cette vue de détail.

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Modestes bâtiments, parfois simples oratoires, ces églises permettaient à quelque seigneur ou à une petite communauté de trouver refuge, spirituellement et éventuellement physiquement face à un agresseur dont on espérait qu'il y respecterait, intra muros, la paix de Dieu. Consacrées, offrant quelque maigre prébende à un chanoine de la cathédrale, elles pouvaient enfin être associées à un cimetière dont parfois émerge aujourd'hui un vestige de caveau dans un espace redevenu profane et parfois cultivé.

 

Enfin, nous ne revenons pas sur l’indice qui nous fait situer le domaine templier de Lectoure à l’emplacement actuel du Couloumé (voir ici le templier de Lectoure), indice que nous devons donc également à Eugène Camoreyt et partant, au terrier de 1491.

 

Ce registre a été rédigé à une période charnière. Quarante ans plus tôt, la fin de la guerre de cent ans et le départ des anglais de Guyenne et Gascogne après précisément 300 ans de présence. Charnière également à Lectoure bien sûr, puisqu’après le désastre de 1473, la ville se reconstruira et redeviendra une cité importante des royaumes de Navarre et de France, soixante-dix ans avant un nouveau déchirement, national et religieux celui-là. Enfin, évidemment, les historiens situent en 1492, date de la découverte de l’Amérique, la fin du Moyen-Âge.

Ainsi, la carte de Camoreyt est-elle l’image du pays de Lectoure entrant dans l’époque moderne.

                                                     ALINEAS

                                 _____carnetdalineas@gmail.com_____

                                                                       

* Pour le roman qui allait devenir son Goncourt, Michel Houellebecq a disputé le titre de notre alinéa à Michel Lévy. Houellebecq et Lévy étant tous deux inspirés par le philosophe Alfred Korzybski : « La carte n’est pas le territoire qu’elle représente ». Je ne vois pas de raison de me priver de poursuivre cette glorieuse joute. Si, grâce à ce sésame littéraire, ce cyber-carnet pouvait atteindre une diffusion plus conforme à mes fols espoirs…

Ce titre emprunté s’est imposé en imaginant concrètement la vie derrière la cartographie établie par le lectourois Eugène Camoreyt (1841-1905), auquel l’Histoire de notre ville doit beaucoup.

Il faut lire l’article de Wikipédia consacré au musée qui porte son nom et rend aussi hommage à cet obscur passionné.

Voir ici Eugène Camoreyt sur Wikipédia

 

ILLUSTRATIONS:

- Les Très riches heures du Duc de Berry, Musée Condé, Chantilly.

- Livre terrier de Lectoure 1491,  Service Archives municipales, Mairie de Lectoure

 

COMMENTAIRE D'UN LECTEUR:

- J'ai une objection sur "La Peyragrana, La Pèlerine" : peyra grana peut très bien s'analyser en "pierre grande", c'est exactement comme ça en gascon ; alors que pélerine serait plutôt peregrina. Et il y a bien "Peyrahariera" (pierre "farinière")...

Réponse: Merci beaucoup. L'objection est évidemment recevable et je regrette de ne pas l'avoir anticipée. Malheureusement, je ne maîtrise pas le gascon. Je dois y travailler... Sur le chemin de St Jacques nous avons trop tendance à focaliser et à tout ramener à ce pèlerin. Cependant, peut-il encore y avoir doute, débat, voire coexistence ? Avant de vouloir dire "étranger" comme on le voit un peu partout, l'étymologie latine de pèlerin donne: "per agra" cad "à travers champ" car le pèlerin ne va pas de ville en ville par la route mais il coupe au plus court à travers champ, évitant ainsi les contrôles, les péages... aujourd'hui encore.

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Histoire

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T
Bravo pour votre article !<br /> Camoreyt a eu une bien bonne idée. Je me demande si d'autres l'ont eue ailleurs.<br /> Est-ce que cette carte est consultable en ligne intégralement ?<br /> J'ai une objection sur "La Peyragrana, La Pèlerine" : peyra grana peut très bien s'analyser en "pierre grande", c'est exactement comme ça en gascon ; alors que pélerine serait plutôt peregrina. Et il y a bien "Peyrahariera" (pierre "farinière")...
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A
Merci beaucoup. L'objection est évidemment recevable et je regrette de ne pas l'avoir anticipée. Malheureusement, je ne maîtrise pas le gascon. Je dois y travailler... Sur le chemin de St Jacques nous avons trop tendance à fcaliser et à tout ramener à ce pèlerin. Cependant, peut-il encore y avoir doute,débat, voire coexistence ? Avant de vouloir dire "étranger" comme on le voit un peu partout, l'étymologie latine de pèlerin donne: "per agra" cad "à travers champ" car le pèlerin ne va pas de ville en ville par la route mais il coupe au plus court à travers champ, évitant ainsi les contrôles, les péages... aujourd'hui encore. A quoi pensait Camoreyt, le terrier, le lectourois de 1491 ? Concernant les terriers, oui d'autres passent de l'écrit à la cartographie, peut être mais je n'ai pas d'exemple à proposer en Gascogne. Quant à mettre la carte disponible actuellement chez notre photographe (Damien Leroy 0562688283) en ligne c'est une bonne idée. Je vais essayer de la reproduire en quartiers car il ne faut pas top la réduire pour qu'elle reste lisible. Je vous préviendrai. Cordialement.
R
Bravo ! très intéressant. Mon imagination travaille : ce Monsieur Eugène Camoreyt était amoureux de la belle meunière de la Mouline de Belin et n'a pas voulu donner son adresse aux concurrents éventuels … ?
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A
C'est une hypothèse. Pour un prochain alinéa, je travaille au portrait de la meunière, de Belin et d'ailleurs. Vous touchez au point sensible, chers Ramonichats: pourquoi la meunière suscite t-elle tant de questionnements ????