Une énigme policière à Lectoure au Moyen Âge, par Jean d'Aillon

Publié le 4 Novembre 2017

LES PERDRIX DE LECTOURE 

Cette intrigue lectouroise c’est un peu « Tambouille et embrouille aux pieds des remparts ». Comme dans tout polar, il y a les bons et les méchants. Les bons : l’officier de service au château et une bonne fille qui défendra mordicus son père, accusé de crime, dont je ne vous dirai pas, pour maintenir l'intrigue en suspension aurait-on dit au Moyen Âge, dans quelle catégorie il se rangera. Et les méchants : un chanoine, qui dispense avant l’heure la justice céleste, et une cuisinière qui ne surveille pas son feu. Une belle broche de perdrix brûlée, c’est impardonnable il faut le dire.

Et bien sûr, au milieu de cette distribution des rôles aux habitants de notre bonne ville, un mort, assassiné de surcroit, aubergiste de son vivant, malheureusement ayant l’aiguillette nouée, cocu de ce fait et

finalement défenestré. Je vous rassure, il y a prescription car l’affaire se déroule en 1199. En outre la cuisine lectouroise n’est pas en cause. Nous avons interrogé l’auteur, qui est bien passé à Lectoure mais nous a confié n’y avoir pas mangé. Ouf ! Car le sujet est sensible aujourd’hui…

 

Jean d’Aillon – pseudonyme de Jean-Louis Roos – est un écrivain auteur de nombreux romans policiers historiques. Les perdrix de Lectoure est une courte nouvelle publiée initialement en accompagnement du roman Paris – 1199, puis réunie avec d’autres sous le titre L’évasion de Richard Cœur de Lion et autres aventures. Le héros, chargé de résoudre toutes ces énigmes ayant pour cadre le règne de Philippe le Bel, est Guilhem d’Ussel, chevalier troubadour, une sorte de Sherlock Holmes en cotte de mailles. Un gars vraiment sympathique ce Guilhem, allez disons-le, avec quelque chose de gascon: bonne chair, joyeux compagnon, aimant la castagne, plutôt rebelle et individualiste.

Pour le mettre en situation de résoudre ces énigmes à une époque tourmentée et brutale, Jean d’Aillon a tout d’abord fait subir à son héros un parcours qui lui permettra, avant la vièle et l'amour galant, d’apprendre au sein d’une compagnie de brigands de grands chemins, les fameux « écorcheurs », la ruse et le maniement de l'arbalète, de l'estoc et de la dague. Puis Guilhem passera du bon côté du gibet.

Très documenté, Jean d’Aillon nous fait découvrir, au fil de l’intrigue, un Moyen Âge vivant et sensuel. Le vêtement, la ville, l’art de la guerre et la cuisine y sont décrits avec forces couleurs, senteurs et sonorités. Il est très agréable d’avoir le sentiment d’apprendre l’Histoire en lisant une fiction.

 

La courte aventure lectouroise de Guilhem d’Ussel a pour scène principale nos chers remparts où l'auteur installe l’hôtellerie à l’enseigne de La Maison d’Elie dans laquelle vont griller les malheureuses perdrix – oui, c’est vrai, je ne m'y fais pas, ça me navre. A proximité bien sûr, la fontaine Hountélie, devenue Diane ultérieurement.

Jean d'Aillon, alias Jean-Louis Roos

En repérant les lieux, Jean-Louis Roos a dû remarquer la tannerie royale, totalement postérieure quant à elle à l’époque du récit, qui lui aura fait donner à un tanneur un rôle important et à un certain gant de cuir la fonction d’indice troublant. La cathédrale n’est pas loin bien sûr, et nous l’avons dit, le chanoine ne tient pas ici le beau rôle mais l’honneur de l'Eglise est sauf, monseigneur l’Evêque n’apparaîtra pas sur la scène. Enfin, le château à l’extrémité de la ville où l’on ira chercher l’autorité judiciaire lorsqu’il y aura mort d’homme.

Ici se situera notre seul petit correctif, l'auteur ne nous en voudra pas :

à cette époque, le château n’est pas celui du comte d’Armagnac, qui n’héritera de Lectoure qu’en 1325, mais celui du Vicomte de Lomagne. Une erreur historique – qui n’en fait pas ? – qui n’enlève rien à l’intérêt du récit.

 

Nous n’en dirons pas plus pour préserver intact le plaisir de la lecture de ces perdrix là.

 

Guilhem d’Ussel parcourt l’Europe médiévale en tout sens : Londres,

Blondel de Nesle, le luth et l'épée

Rome, Cluny, Marseille, Toulouse… Il y côtoie certains personnages ayant existé, ainsi Blondel de Nesle, seigneur et trouvère lui aussi, qui se fit reconnaître de Richard Cœur de lion en chantant une romance composée en duo avec le célèbre roi, au pied des murs de la forteresse où l’empereur Henri VI le retenait prisonnier, Trifels dans la forêt du Palatinat. Un exemple parmi d'autres des évènements et des sites historiques où Jean d'Aillon nous guide. Le sens de l'observation, l'intuition et la déduction de Guilhem d'Ussel nous captivent. Son courage et son adresse nous enchantent. Un héros donc, mais un homme qui peut également douter et avoir ses faiblesses. Sympathique, vraiment. Au cœur d'une époque où poésie et maniement des armes n'étaient pas antinomiques.

 

Il est dommage que nos remparts, et notre cuisine, n'aient pas su retenir l'auteur et le chevalier troubadour plus longtemps à Lectoure que le temps d’une nouvelle.

 

Enfin revenons à nos perdrix ! Cette histoire nous a donné envie d’en rôtir quelqu’une à la table d’hôte de la Mouline de Belin et je suis donc parti à la recherche d’une recette. Et devinez où Google m’a conduit : jusqu’au dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas ! Me voilà revenu au précédent alinéa de la rubrique Littérature !!!

Après une introduction à vous faire baver… littéralement bien sûr, le grand écrivain, qui avait réussi tout de même le morceau d’anthologie de faire inviter Porthos et d’Artagnan à la table de Louis XIV*, passe en revue une brochette de recettes de perdrix dont la plupart sont attribuées aux ennemis de notre Gascogne : à l’anglaise, à la parisienne, à la Périgueux, à la bourguignonne, à l’italienne…

 

- Et pas de perdrix à l’armagnac ?!

- Morbleu ! Nous allons devoir remédier à cela.

 

                                                                          Alinéas

Les perdrix de Lectoure - 4ième chapitre du livre L’Évasion de Richard Cœur de Lion et autres nouvelles (Flammarion, 2015)

* Voir Le Vicomte de Bragelonne

Sources:

A propos de Jean d'Aillon et de son œuvre: https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_d%27Aillon

Blondel de Nesle, seigneur et trouvère: https://fr.wikipedia.org/wiki/Blondel_de_Nesle

Les perdrix du Grand dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas: http://www.dumaspere.com/pages/bibliotheque/chapitrecuisine.php?lid=c1&cid=581

Illustrations:

- Les perdrix: Détail d'un vitrail au Musée national du Moyen Âge de Cluny

- Scènes médiévales, broche devant la cheminée et drame derrière les remparts: Le décaméron de Boccace, Gallica BnF

- Blondel de Nesle aux pieds du château de Trifels: J.M. Kronheim, Pictures of english history

- Scène de cuisine médiévale: Kuchenmaistrey, premier livre de cuisine allemand, Peter Wagner 1485.

 

 

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Littérature

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D
Comment dirais-je ? Je trouve la chronique mieux écrite, plus érudite, plus credible que son sujet. Mais ça n'engage que moi, bien sûr.
Répondre
A
Merci.<br /> Je cherche dans cette rubrique à retrouver et exposer l’origine des mentions de Lectoure dans la littérature. Ce n’est donc pas une critique, qui se devrait d'être plus incisive, mais une relation.<br /> J’ai découvert Jean d’Aillon et l’ai trouvé distrayant, ce qui est la qualité essentielle d’un polar. Il y a aussi de l’érudition.<br /> Mais évidemment, j’avais mis la barre assez haut en débutant la rubrique avec Hugo et Dumas…