Romaine, Royale, et enfin commerçante : petit accéléré de l’Histoire de la « grand rue » à Lectoure.

Publié le 17 Mars 2017

LE CENTURION ET LE CHALAND

 

La voie romaine tracée au pied de notre ville par l’Empire pour conduire ses centuries et sa civilisation conquérantes de Lugdunum Convenarum  jusqu’à Aginnum* est droite comme un trait de javelot. L’emplacement de cet ouvrage exceptionnel n’a pas été discuté entre l’occupant et l'autochtone. Fallait-il que la voie s’inscrive au pied de la source sacrée des Lactorates, au dessus, en dessous, ici, là ou un peu plus loin? Laissez passer. "Vae victis"**.

Les barbares qui suivirent ne nous ont pas laissé de traces, eux, de leurs cheminements que l’on situe, à l’estime, en fonction des vestiges de leurs batailles dévastatrices et de leurs campements.

Le chemin de Saint Jacques, quant à lui, serpente au gré de routes préexistantes à l’appel de l’Evêque Godescalc, en l’an 951, à rejoindre le tombeau de l’apôtre du Christ en Galice. Les jacquets, par leur nombre et leur foi, ont accentué la marque au sol de la trace empruntée pendant dix siècles et fait de ces sentes mises bout à bout le grand chemin d’Occident. Cependant, à Lectoure,  la voie pérégrine se fait discrète. La citadelle frileuse n’a pas en ces temps là, la générosité d’accueillir le pénitent, le malade, l’étranger qui rendra grâce aux hospitaliers installés dans le faubourg, hors le bourg. Au petit matin blême, les capuches et les bourdons longent discrètement les remparts et glissent vers la rivière qu’il faudra franchir probablement à gué ou bien par le service de quelque barcasse et dans ce cas contre espèce sonnante et trébuchante***.

L’orgueilleuse capitale des derniers comtes d’Armagnac une fois soumise par la Maison de France, barbacane et donjon tomberont, les maisons fortes muant en hôtels nobles et bourgeois, créant naturellement au faîte du promontoire une rue à présent Royale. Désormais il y aura un haut, un bas, des quartiers au sud ou au nord de « la » rue à laquelle la ville, de fait, s’identifie.

Durant les trois ou quatre siècles qui suivirent, les évènements ne feront que faire douter de l’autorité sur la dite rue qui devint successivement Impériale, Royale à nouveau brièvement puis, depuis, Nationale. Sera-ce définitif ? Pour éviter les considérations politiques, il vaudrait mieux s’en tenir à une définition tenant à ses extrémités : « Route de Paris à Barèges ». Le temps des voyages d’agrément et des vacances à la neige a donné à notre grand rue son nom le plus romantique, n'est-ce pas ?

 

Les plus anciens se souviennent bien sûr du train dont on ne perçoit plus aujourd’hui la place qu’il occupait dans le quotidien et dans le paysage. Un chemin qui chante, une odeur, un monde étrange. La micheline, les formalités à la Préfecture à Auch, les boutiques à Agen, les dimanches en famille à Castex ou la foire aux bestiaux à Fleurance. Mais aussi un chemin du devoir qui a emporté nombre de jeunes hommes appelés par la République et qui ne sont pas tous revenus. Un chemin qui n’a pas vécu longtemps au regard de l’Histoire.  Mais qui sait? Cette voie ferrée n’a pas été désaffectée et, prudente, l'avenue de la Gare a conservé jusque là son nom.

Puis vint le règne de l’automobile. Trop pressée et encombrante, pour elle il faudra se résoudre à détourner le flux de la RN n°21 du cœur de ville, lui faire reprendre « la vieille côte ». Le promontoire fait à nouveau de la résistance. Et comme il y a malgré tout embouteillage, vient le sens unique, le disque de stationnement, les parkings «périphériques». Oui, chez nous aussi... La ville fait le gros dos pour contenir « orbi » la boulimie de déplacement de l’homo motorisus et conserver ainsi heureusement tout leur charme, non seulement à "la" rue, mais également à nos petites voies adjacentes, sombres, pentues, ruelles, venelles, escaliers, impasses et autres carrelots****.

Pour circuler en voiture dans notre bonne ville, il faut aujourd’hui faire preuve d’un minimum de sens de l’orientation, passer sous les remparts du Nord, revenir à l'opposé, à l’est, pour avoir le droit de faire une nouvelle tentative dans la rue Nationale et espérer trouver enfin la place idéale. C’est la marque des villes d’importance : «CIRCULEZ…. Mais non, non, si, si, SI RESTEZ il y a tant de choses à voir ! Elle est belle ma rue commerçante». Ou l’art d’accueillir le chaland dans un mouchoir de poche.

 

                                                                                                          ALINEAS

 

* De Saint Bertrand de Comminges à Agen

** "Malheur au vaincu". Ironie de mon histoire, la formule est du chef gaulois Brennos, entré dans Rome victorieux.

*** Le GR 65 au départ de Lectoure en direction de l'ouest a été, à l’époque de son tracé initial,  orienté vers l'emplacement de l’antique ville romaine. Pour y voir quoi? Une zone industrielle... Non, il est préférable, et plus rapide d’ailleurs - et le pèlerin a encore un bout de chemin à faire… il faut en tenir compte - de descendre la rue Nationale et de profiter, non seulement de la vue des belles façades et de la qualité du commerce local, mais également du contact avec les Lectourois, chaque jour de la semaine ayant son intérêt, et le vendredi, jour de marché, ce sera la cerise sur le GR. Enfin, le chemin du Marquisat ou la côte de Pébéret menant au Pont de piles sont certainement très près de ce que fut « le » chemin jacquaire historique. Soit dit pour les puristes.

**** Un carrelot est une petite rue de la largeur du passage d’une charrette. Autrefois la citadelle en était largement quadrillée.

Rédigé par ALINEAS

Publié dans #Chemins

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